Livre 3, Chapitre 22 – La première rencontre
Les jambes d’Autumn tremblaient depuis qu’ils étaient entrés dans Tortuga. Cloudhawk l’avait traitée de lâche pour une raison, mais qui pouvait la blâmer ? Partout où elle regardait, elle voyait des hommes costauds et maléfiques. Si leurs véritables identités étaient révélées, elle frémissait en pensant aux conséquences. Elle n’était pas comme lui, qui était sans peur et plein de ressources, et elle n’avait pas non plus les années d’expérience dans les situations dangereuses que Barb avait. Elle ne pouvait pas se protéger.
Si elle était prise, que pouvait-elle faire ?
Elle ne voulait même pas y penser. En même temps, elle fulminait de rage indignée contre lui. Elle l’avait engagé pour qu’il la ramène saine et sauve au quartier des Poissonniers, mais ils s’étaient retrouvés dans ce repaire de voleurs. Puis, une fois arrivés ici, il l’avait malmenée ! Elle ne s’était pas retenue une fois qu’ils étaient en sécurité dans une tente.
« Tu oses me fesser le derrière ? ! »
« Hé, je suis censé jouer un rôle. C’est toi qui as brisé le personnage et qui a failli nous exposer. Je devais faire preuve d’un certain niveau de discipline. » Cloudhawk ajouta à voix basse : « Belle sensation aussi. Pas tout à fait assez pour une poignée, cependant. »
Autumn était tellement en colère que son souffle se bloqua dans sa gorge. Il l’avait fait exprès ! S’ils étaient ailleurs, elle aurait quitté la tente en trombe.
« Je regardais autour de moi quand nous sommes entrés. Cet endroit est plus grand que ce que nous pensions, et même si ça a l’air plutôt laxiste, c’est tout le contraire. Il y a tout un tas de sentinelles sous couverture, donc nous devons être très prudents chaque minute que nous passons ici. » Il jeta un autre coup d’œil aux poitrines des femmes. « Bien, ce serait une bonne idée de prendre un tissu et de lier ces petits. En ce moment, vous attirez une quantité malsaine d’attention. »
Un léger rougissement envahissait les joues de Barb, mais elle était du genre direct et n’allait pas rechigner pour une petite affaire comme celle-ci.
« Maintenant que nous avons réussi à infiltrer la ville,” dit Barb, « Quelle est la prochaine étape ? »
« Les bandits de grand chemin nous recherchent dans les terres désolées. Ils ne penseraient jamais à nous chercher au cœur de leur ville. Dans quelques jours, les recruteurs commenceront à chercher des gens à accueillir, alors je dois trouver un moyen de m’assurer que je suis l’un d’entre eux. Peut-être même que je serai sélectionné dans leur cercle intérieur, qui sait ? Mais, nous ne pouvons pas perdre de temps en attendant que cela se produise. »
Il pressa une main sur sa poitrine au-dessus de la pierre de phase. Un paquet volumineux apparut dans sa main comme par magie. « Ce sont des mines de détection. Je les ai achetées à un sauvage, elles sont rares et chères. Barb, ton travail consiste à trouver des endroits dans la ville pour les cacher. Nous les utiliserons pour nous aider à nous échapper le moment venu. »
La jeune chasseuse se frotta les yeux. « D’où sors-tu ça ? »
Autumn avait déjà vu Cloudhawk utiliser cette astuce. Bien qu’elle ne connaisse pas grand-chose aux chasseurs de démons, elle en avait entendu un peu parler par sa défunte mère. Ce type faisait exprès de se montrer. Il était plus que probable qu’il avait une poche secrète ou quelque chose où il cachait ces choses.
« Pas de temps pour les questions. Cet endroit a été facile à pénétrer, mais il va être difficile d’en sortir. Les esclaves, en particulier, n’ont pas le droit de quitter la ville. Un pas hors de Tortuga et vous serez tués sur le champ. Les nouveaux n’ont pas beaucoup de liberté non plus, du moins au début. J’imagine qu’ils ne sortent que s’ils font partie d’une équipe de pilleurs. » Il réfléchissait à voix haute : « Cela signifie que sortir d’ici sera bien plus dangereux que d’y entrer. Nous ferions mieux de faire attention et d’être prêts à tout. »
La vénération de Barb pour son excellence grandissait de jour en jour. Ses capacités étaient plus qu’incroyables.
Il continua : « Je vais aller fouiller dans le nid de Blackfiend, voir ce que je peux trouver. »
« Attends une minute. Tu n’as pas dit qu’on essayait d’éviter un combat ? » Autumn se leva pratiquement d’un bond comme un chat dont on aurait piétiné la queue. « Et si ce démon te trouve ? Peux-tu survivre à un combat ? »
« Ma belle, j’apprécie ton inquiétude mais ne me sous-estime pas. Je ne sais pas si je peux le prendre, mais vous pouvez parier vos fesses que je peux aller et venir où je veux sans problème. Détendez-vous, d’accord ? Les gens normaux ne peuvent pas m’arrêter. »
« Inquiétude ? ! Peu probable ! » Autumn faillit s’étouffer.
C’était elle la faible. Barb pouvait se débrouiller contre n’importe qui d’autre que Blackfiend lui-même, même contre ses sbires les plus proches. Cependant, Autumn n’avait pas la force d’étrangler un poulet. Qu’était-elle censée faire si elle avait des problèmes ? Même le plus faible des bandits pouvait facilement la maîtriser !
Son plan était simple. Trouver l’endroit où Blackfiend posait sa tête et comprendre ce qui s’y passait. S’il repérait une faiblesse, il pourrait peut-être se faufiler et mettre fin à l’Incorruptible sans faire d’histoires. Bien qu’il ait hâte d’arriver au quartier des poissonniers, c’était un long voyage. Ce serait encore plus difficile s’il avait ces bandits qui le poursuivaient tout le long. Il n’aurait pas le temps de respirer si on ne s’occupait pas d’eux.
D’ailleurs, Cloudhawk envisageait de s’installer dans à la frontière. Le Sandbar était considéré comme faisant partie des terres désolées, et si ce groupe de fanatiques devenait trop fort, cela signifierait des problèmes pour la colonie. Elle finirait par être vaincue, alors cela valait bien un petit risque s’il pouvait éviter les problèmes à l’avenir. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas comme si chaque pas qu’il avait fait dans sa vie n’avait pas été marqué par un danger après l’autre. Il avait même affronté un putain de démon et échappé à un gouverneur/chasseur de démons en colère. Il n’y avait rien qu’il ne pouvait pas gérer.
Ça ne voulait pas dire qu’il pouvait agir stupidement, cependant. Il ne savait rien de Blackfiend ou de ses capacités bizarres.
Une cloche sonna le signal de la nuit, et des feux surgirent tout autour de Tortuga. À la tombée de la nuit, les esprits s’étaient élevés. Le bidonville sordide était soudainement animé. Des foules se rassemblaient autour de feux de joie pour manger, boire et s’amuser. Ce chaos était parfait pour que Barb commence à se frayer un chemin dans la ville. Il se préparait également à sa tâche.
Oddball, quant à lui, était resté perché sur sa tête pendant tout ce temps. Il était reconnaissant pour ce petit gars qui était prêt à l’alerter au premier signe de problème.
Autumn s’agitait nerveusement. « Qu’est-ce que je suis censée faire pendant que vous êtes sortis tous les deux ? »
Cloudhawk lui lança un regard. Qu’est-ce que tu peux faire ? Le baby-sitting lui faisait mal au cul, mais ce n’était pas comme s’il pouvait la laisser seule dans les terres désolées. « Reste dans la tente et ne fais pas de bruit. Si quelqu’un vient fouiner, gagne du temps pour nous. »
Sa cape vola et soudainement, il était deux. L’un était une illusion, et il était resté derrière alors que le vrai disparaissait.
Bien que ce ne soit qu’un mirage, le fantôme était si complet qu’il pouvait tromper la plupart des gens. Malheureusement, sa cape ne pouvait pas faire de copies des autres, mais la mission de Barb n’était pas délicate. Avec l’aide d’Oddball, elle aurait rapidement terminé.
« Très bien, j’y vais. »
Il activa sa pierre de phase et se glissa hors de la tente. Entre sa cape d’invisibilité et la pierre, il se rendit sans encombre au centre du camp.
Tortuga était divisé en trois sections. La première était celle où ils se trouvaient, où les nouveaux arrivants restaient en attendant leur chance de rejoindre les bandits. La deuxième était pour les équipes établies, et le centre était celui où résidaient les chefs.
Alors, où était le Blackfiend ? Cloudhawk regarda la myriade de grandes tentes. Chacune d’entre elles pouvait appartenir au chef des bandits, mais les vérifier une par une était trop inefficace. Oddball aidait Barb, mais même s’il était là, entrer dans ces tentes était trop dangereux.
Soudain, une impulsion d’énergie le fit frissonner.
Une relique ? ! Cela voulait-il dire qu’il y avait un chasseur de démons ici ?
Il plissa les yeux. Il semblait avoir raison, et les récents changements des bandits de grand chemin avaient quelque chose à voir avec les terres élyséennes. Mais, il ne pouvait pas encore en être sûr. Ce n’est pas parce qu’il avait senti une relique qu’il y avait forcément des chasseurs de démons ici. Ces bandits auraient pu trouver quelque chose dans les ruines, même si il trouvait cela peu probable. De toute façon, les capacités de Blackfiend devaient être le résultat d’une relique spéciale. Il s’était donc dirigé vers la résonance.
Il avait sa cible. En passant devant plusieurs des grandes tentes, il était arrivé à la source de l’impulsion.
L’intérieur de la tente d’apparence miteuse était tout à fait extravagant, comme une chambre de palais. Le sol était recouvert de duvet d’oie de première qualité. Les murs de la tente étaient couverts d’objets d’art et d’armes élyséennes, tous de la plus haute qualité. Il avait envie de commencer à mettre des choses dans ses poches.
Mais il résista, car au centre de la pièce, assis sur un tabouret, se trouvait une seule personne. Sa peau était aussi noire que l’onyx, mais du blanc avait commencé à se former sur ses tempes. Ses traits étaient aquilins, aigus, comme s’ils avaient été ciselés dans la pierre. Dans sa posture et son attitude, il aurait aussi bien pu être une statue. Plusieurs bols remplis de sang frais étaient disposés devant lui.
C’était lui. Blackfiend !
Cloudhawk avait trouvé ce qu’il cherchait, mais quelque chose clochait. Il y avait quelque chose de bizarre dans cet endroit, dans cette atmosphère. En regardant Blackfiend, il n’avait pas l’impression qu’il était vivant. Il était juste assis là, immobile comme la pierre, avec des yeux ternes et fixes. Comme une sorte de marionnette.
Ce genre de regard n’était pas quelque chose que l’on voyait sur un visage vivant.
S’il n’y avait pas eu les souvenirs de Cyclope, il aurait douté que ce soit lui. Il ressemblait plus à un mannequin de cire qu’à un roi bandit, un faux très réaliste. Fermant les yeux, il fit appel à ses sentiments. Impossible de le nier, la résonance provenait de Blackfiend.
Étrange. Il dégaina son épée et commença à s’approcher lentement.
Il était toujours sous l’effet de sa cape d’invisibilité, qui le rendait pratiquement inexistant. Cependant, alors qu’il approchait du centre de la tente, l’impensable se produisit. Le corps de cire de Blackfiend semblait se remplir de vitalité.
Une aura palpable et meurtrière inonda la zone.
Son visage s’assombrit. Il ramena son épée devant lui et effleura le tranchant de la lame avec son ongle. Il sentit les vibrations la traverser, mais aucun son n’en sortit. Ce qui émergea, c’était une énergie sans forme qui s’était répandue dans la tente.
C’était l’une des capacités verrouillées dans carnage silencieux, qu’il appelait un « champ muet ». Tout bruit dans sa zone d’effet était réduit au silence. Vous pouviez crier à tue-tête, et personne n’entendait rien.
« Aaauuurrgghhh ! »
Blackfiend laissa échapper un rugissement inhumain. De l’énergie commença à se canaliser dans ses doigts. De grands ongles en forme de griffes sortirent de sa peau. Même à cette distance, il pouvait sentir qu’ils débordaient de puissance.
Il n’avait pas hésité et s’était élancé vers sa cible ! Son épée noire traversa l’air.
Lorsque la puissance de la lame quitta son épée, elle creusa une profonde tranchée sur plusieurs mètres. La table et le tabouret sur lesquels Blackfiend était assis explosèrent en éclats, et la lame de puissance s’enfonça dans la chair du roi des bandits. La force pure l’avait transpercé.