Livre 3, Chapitre 18 – Épine du cœur

Trois ans.

Pas très long, mais pas court non plus.

Après avoir fait ses adieux au Sandbar, Barb avait gagné sa vie en errant de lieu en lieu. À maintes reprises, la mort avait failli l’emporter, mais de ces expériences était née une nouvelle vie. Bien qu’elle n’ait jamais reçu d’entraînement formel, elle avait grandi à l’école des coups durs. Les terres désolées l’avaient rendue forte, dure, et rapide. Elle dépassait de la tête et des épaules un chasseur de démons typique, même si elle avait encore du chemin à faire par rapport à Cloudhawk. Le plus surprenant pour elle était le fait que son “aîné” était, en fait, plus jeune qu’elle !

Sélène, Zephyr, Aurore, Frost, Atlas, Blaze… chacun était une étoile brillante dans le ciel nocturne de Skycloud. Il lui semblait qu’ils pouvaient ajouter un autre nom à la fin de cette liste. Le respect que Barb avait pour le mystérieux chasseur de démons d’il y a des années ne faisait que croître.

Ces génies étaient inaccessibles et s’élevaient au-dessus des masses. Ils étaient aussi les enfants de grandes familles et étaient gâtés par la richesse et les opportunités. Aucun d’entre eux n’arrivait à la cheville de son “aîné”, car lequel d’entre eux aurait même donné l’heure à un chasseur de démons de basse extraction comme elle ? Il y a trois ans, elle ne savait pas comment saisir les opportunités quand elles se présentaient, mais elle n’allait pas en laisser passer une cette fois-ci.

« Arrête de te débattre. » Cloudhawk n’avait pas le temps de se remémorer le bon vieux temps. Il plaqua Cyclope au sol avec une botte peu sympathique. « Toi et ces putains de bandits de grand chemin, vous commencez vraiment à m’énerver. J’espère vraiment que tu vas te décider à arrêter et me dire où se trouve leur quartier général. Fais ça et je te récompenserai. »

Autumn et Barb regardèrent l’homme battu qui se débattait dans la poussière. Elles ne se sentaient pas obligées de faire preuve de pitié. D’innombrables innocents avaient été détruits par les mains de ce bandit. Combien de femmes et d’enfants avaient été tués par lui ou sur ses ordres ? Il était indigne de la sympathie de quiconque, même d’Autumn au cœur tendre. Le laisser vivre serait un péché.

Aucun feu ne restait dans le cœur du cyclope. Il était battu et convaincu que c’était ses derniers instants. Pourtant, il serra les dents avec obstination. « Chiens élyséens, je ne vous dirai rien du tout. Je préfère mourir que de trahir Blackfiend ! »

C’était un connard têtu.

Cloudhawk le regarda, ses yeux se rétrécissant jusqu’à devenir des fentes. On lui avait appris à gérer les gens têtus à la vallée des enfers, mais ça prenait du temps. Ici, ils étaient exposés, et le territoire des bandits n’était pas assez sûr pour qu’ils puissent y rester le temps qu’il fallait. Les amis de ce borgne de merde pouvaient se montrer à tout moment, et les ennuis l’emporteraient sur tout ce qu’ils pourraient gagner.

Le gardien n’était pas intéressé par les bandits de grand chemin ou leur cachette. Il voulait juste en savoir plus sur ce « Blackfiend l’Immortel » dont tout le monde parlait. « Les immortels n’existent pas, alors soit ce type s’est construit une identité bidon, soit il a des capacités uniques qui le rendent difficile à tuer. » Quoi qu’il en soit, il avait piqué la curiosité de Cloudhawk.

Mais, s’ il ne coopérait pas, il n’allait pas perdre son temps.

Barb vit son aîné lever son épée pour couper la tête du bandit. Soudain, ses yeux brillèrent, et elle fit un pas en avant. « Laissez-moi essayer, votre Excellence. »

« Eh ? Tu as été formée aux interrogatoires ? »

« Non. Mais, nous n’avons pas besoin de nous donner cette peine ! » Barb sortit un sac de ses vêtements et en sortit une douzaine d’aiguilles. Il s’agissait de longs éperons en argent, à une exception près qui était en or. En fait, c’est ce qui permit à Cloudhawk de reconnaître Barb dans la foule – elles résonnaient de puissance. Les doigts délicats de Barb choisirent l’aiguille dorée. « J’ai un don pour le spirituel et le psychique. Ceci s’appelle l’épine du cri du cœur. Avec elle, je peux lire ses pensées et ses souvenirs. Seulement, le taux de réussite est assez faible – vingt-cinq pour cent, peut-être. Il fait des choses terribles à la victime, donc vous devez être prêt à le laisser mourir. Autant tenter le coup si on doit le tuer de toute façon. »

Une relique de type psychique ? Un trésor rare, en effet ! Le seul autre chasseur de démons qu’il avait connu avec un talent psychique était Claudia Lunae. Son couple de chercheur était du même type que cette aiguille.

Le couple de chercheurs était utilisé pour la surveillance locale. Il scannait les environs à la recherche de toute intention homicide ou maléfique. Les aiguilles de Barb étaient encore plus détaillées, elles pénétraient directement dans l’esprit de la victime et prenaient des informations à la source. L’inconvénient, bien sûr, était que la résistance du sujet pouvait entraîner une invalidité permanente ou même la mort. Avec ses capacités psychiques actuelles, il n’y avait qu’une chance sur quatre de réussir.

Psyché, esprit, âme et réalité : Ce sont les talents les plus rares et souvent spécifiques à l’individu. Claudia n’aurait probablement pas pu utiliser les aiguilles du cri du cœur bien qu’elle ait la même classe de capacité.

Elle avait de la chance de trouver une relique aussi puissante, surtout une qui lui convenait si bien. Prenant son silence comme un consentement, Barb décida que le moment était venu de montrer sa valeur. Sans un mot, elle enfonça l’aiguille dorée dans le front de Cyclope.

« Qu’est-ce que tu fais ? » Cyclope sentit une décharge électrique parcourir tous les nerfs de son corps. L’agonie, la sensation de brûlure avait été instantanément suivie d’une absence totale de sentiment. Il ne pouvait plus bouger et ne pouvait que fixer la femme en face de lui, les yeux écarquillés.

Autumn grimaça. Une aiguille dans le cerveau, ça ne doit pas être agréable.

« Donnez-moi cinq minutes, votre Excellence. Si la scrutation est réussie, je serai même capable de vous dire la première fois qu’il a tiré au pistolet, quelle couleur il aime et sa position sexuelle préférée. »

« Impressionnant ! » Il n’avait pas hésité à faire des éloges. « Si tu deviens compétente dans ce domaine, les gros bonnets de Skycloud vont se bousculer pour t’acheter. N’oublie pas les petites gens comme moi quand tu fais la loi, d’accord ? »

Ses mots étaient exagérés, certes, mais ils n’étaient pas hors du domaine du possible. Les acteurs puissants comme Arcturus et Skye employaient de nombreux combattants compétents, mais il leur manquait des personnes aux talents particuliers comme Barb. Lire le cœur d’une personne était une compétence unique et utile. Dark Atom avait causé tant de ravages au fil des ans parce que ses membres étaient connus pour être très discrets. Quelqu’un comme Barb, avec l’entraînement et les compétences appropriés, pourrait percer ce mystère. À ce stade, ce ne serait qu’une question de temps.

« Vous me flattez, Excellence. C’est un honneur de vous rendre service. » Agréablement surprise, elle accepta son compliment. Elle poursuivit en décrivant l’histoire de l’épine du cri du cœur. « Ce trésor est un héritage familial qui m’a été offert par le maire de la ville où je suis restée. Malheureusement pour eux, leur famille était en déclin. Ils n’ont pas eu de descendants ayant un talent de chasseur de démons depuis près d’un siècle. Quoi qu’il en soit, il n’y a que quelques personnes dans tout Skycloud qui pourraient utiliser ces aiguilles. Elles m’étaient destinées, alors le maire me les a remises, un cadeau pour avoir accepté cette mission. Si votre Excellence a besoin de mon aide pour quoi que ce soit à l’avenir, tout ce que vous avez à faire est de demander. Je considérerais cela comme mon devoir. »

En parlant, Barb pressa ses mains l’une contre l’autre, les serrant fortement. Elle commença à concentrer ses pouvoirs mentaux. Cyclope était gelé. Incapable de bouger, il ne pouvait exprimer la terreur qui montait en lui lorsqu’il réalisa que son esprit n’était plus le sien. Des souvenirs étaient apparus sans prévenir, même des choses qu’il pensait avoir oubliées depuis des années. C’était surréaliste, comme il ne l’avait jamais vécu auparavant. Son esprit était un livre ouvert, mis à nu devant cette femme détestable. Un cri de rage avait jailli de sa gorge paralysée. Il avait rassemblé toute la puissance qu’il lui restait, essayant désespérément de repousser cette invasion. Mais c’était en vain, car aucune lutte ne pouvait arrêter le pouvoir incisif qui transperçait ses souvenirs. Sa volonté s’était effondrée devant elle. Son esprit avait été confisqué. Une fois que Cyclope fut totalement sous son contrôle, il s’effondra dans un semi-coma.

« Nous pouvons commencer ! »

Elle pressa ses mains contre Cyclope, qui restait immobile sur le sol. Elle était déterminée à faire un bon spectacle pour qu’il puisse voir de quoi elle était capable. Peut-être même qu’il lui demanderait de se joindre à lui pour leur mission.

Son plus grand souhait était d’être une championne du bien. Elle errerait là où on aurait besoin d’elle, combattant les forces des ténèbres et défendant les justes. Ses origines modestes rendaient chaque étape de son voyage plus difficile, mais cela changerait peut-être si elle pouvait devenir sa partenaire.

L’aiguille dorée se mit à briller, signe que son énergie psychique galvanisait sa puissance.

Elle eut de la chance et vainquit la résistance de Cyclope plus facilement qu’elle ne pouvait l’espérer. Il ne semblait pas y avoir de dégâts majeurs dans l’esprit du bandit, ce qui signifiait qu’ils avaient de bonnes chances d’obtenir ce qu’ils cherchaient.

« Il est temps de commencer ! » Barb prit l’une des aiguilles d’argent et l’inséra dans son propre corps. Une vague de souvenirs jaillit de l’intérieur du bandit et dansa dans son esprit comme un diaporama. Ils étaient aussi clairs que des photographies sans trous ni obscurités. En fait, elle était surprise de voir à quel point tout se passait bien. Elle passait au crible les images au fur et à mesure qu’elles arrivaient, à la recherche de quelque chose de valeur. Et puis…

« Ah ! »

Elle glapit de surprise et se leva. Ses yeux étaient grands, et un regard d’incrédulité peignait son visage. C’était comme si elle avait vu un fantôme.

« Monsieur, vous devriez peut-être voir par vous-même. » Barb sortit une autre aiguille en argent et la lui tendit. « C’est une aiguille de transfert. Placez-la n’importe où sur votre corps et vous serez capable de voir ce qui passe par l’épine du cri du cœur. » Les aiguilles faisaient partie d’un ensemble ; celle en or concentrait les informations tandis que celles en argent les délivraient.

Non seulement la relique était capable de lire les pensées d’un ennemi, mais les reliques en argent pouvaient également les transmettre. Les utilisations étaient nombreuses. Par exemple, si elle était utilisée dans une bataille où chaque soldat portait une aiguille d’argent, les pensées pouvaient être transmises instantanément. De cette façon, l’utilisateur pouvait créer une sorte de réseau neuronal qui communiquait sans tenir compte de la distance. Tant que l’énergie psychique de l’utilisateur était présente, toutes sortes d’informations et d’ordres pouvaient être partagés par une simple pensée.

« Comme c’est intéressant. » Il enfonça l’aiguille dans sa peau.

Il sentit une brève décharge électrique passer de l’aiguille à ses nerfs. Elle crépita et s’infiltra dans son cerveau, et tout de suite, une énorme rafale d’informations l’assaillit. Cela ressemblait à la connexion psychique que lui et Oddball partageaient.

« Donne-moi une aiguille. Laisse-moi essayer. »

Autumn était fascinée et voulait voir par elle-même. Elle serra les dents contre la douleur attendue et se piqua. Soudain, des images défilèrent derrière ses yeux en une longue procession. Cela lui était complètement étranger, comme si elle marchait dans la tête d’une autre personne. Tout ce que ce bandit avait fait et vécu lui était ouvert.

Était-ce là le pouvoir des chasseurs de démons de Skycloud ?

Autumn ne pouvait s’empêcher de penser à sa propre mère. Sur son lit de mort, elle avait affirmé qu’elle avait aussi les talents d’un chasseur de démons. Elle ne savait pas si ce que sa mère disait était vrai, mais elle l’espérait. Ces derniers jours, elle avait pris conscience de sa faiblesse. Elle ne voulait pas vivre sa vie en se sentant fragile et inutile.