Plus ils roulaient, plus Song Shuhang avait l’impression que tous les regards étaient fixés sur eux… Et c’était probablement vrai !
N’importe qui, en voyant ce tracteur et son conducteur, aurait ressenti le besoin viscéral de les contempler le plus longtemps possible. Après tout, le Vénérable Blanc était aux commandes. Il ressemblait à un saint sorti tout droit d’un tableau. Les passants avaient le sentiment de se trouver devant l’incarnation de la pureté, de la beauté, de la magnificence ! Non ! Même ces mots ne suffisaient pas à le décrire.
Cet homme aux traits merveilleux avait l’air excité. Les mains posées sur le volant, il se balançait en dansant sur son siège, nageant visiblement dans le bonheur.
Quant à Song Shuhang, avec son apparence de jeune étudiant, il se faisait tout petit à côté du Vénérable. Il n’y avait qu’une seule place à l’avant, celle du chauffeur. Par conséquent, il était coincé contre la portière. Son air affligé lui donnait un petit quelque chose d’adorable…
Le tracteur grondait en avançant, de la fumée noire s’élevant derrière lui.
Quelle scène particulière, et sous tous les angles !
– « Aîné Blanc, pouvons-nous devenir invisible maintenant ? »
Il ne pouvait plus l’endurer. Avec tous ces yeux posés sur lui, il avait l’impression d’être transpercé des milliers de fois. D’où son mal-être.
– « Comment ? Oh ! J’ai oublié d’activer la Formation ! » Le Vénérable éclata de rire, embarrassé, puis fit demi-tour et s’arrêta dans une ruelle déserte. Après s’être assuré que personne ne les regardait, il sortit une feuille de papier A4 de sa poche et la colla sur le siège. Il lui suffisait d’activer la Formation qui y était inscrite pour les rendre invisibles.
Le visage de Song Shuhang se ferma. Le cultivateur avait tout préparé ?
Et il avait raison. Son camarade avait plusieurs feuilles de côté déclenchant diverses Formations. Toutes étant à usage unique et puisqu’il y avait de nombreux véhicules dans le parking, il avait pris le temps de faire ce qui semblait être des photocopies. N’était-il pas ennuyeux d’avoir à dessiner entièrement ces structures magiques à chaque fois qu’il était sur le point de conduire une nouvelle voiture ?
– « Cette feuille déclenche une Formation d’Invisibilité. Une fois que serons proches de chez vous, il nous suffira de la déchirer pour redevenir visibles, » expliqua l’Aîné.
Je préférerais garder le tracteur invisible même après être arrivé devant l’entrée ! pensa Song Shuhang.
Ensuite, le Vénérable sortit 4 autres papiers. « Sur celle-là, il y a une matrice pour diminuer le poids du véhicule, celle-ci est pour diminuer la résistance de l’air, celle-ci triple la vitesse et la dernière sert à renforcer le véhicule. Avec ces quatre-là, ce tracteur peut atteindre 150 km/h et tenir le coup ! »
L’étudiant, résigné, les colla sur le tracteur. L’Aîné claqua des doigts et toutes les Formations s’activèrent, puis il reprit joyeusement la route en direction du Centre de Formation de l’Aviation Civile de Jiangshui.
Peupeupeupeupeupeupeu…
Le tracteur lui-même semblait enthousiaste en dépassant les 100 km/h.
En chemin, Blanc utilisa son incroyable habileté à la conduite pour dépasser les voitures les unes derrière les autres, accélérant de plus en plus. Chaque fois qu’ils en rencontraient plusieurs à la queue leu leu, il tapait sur le volant et criait : « Technique de saut ! » Alors leur engin modifié s’envolait dans le ciel comme un cheval de guerre qui sautait avec fougue par-dessus n’importe quel obstacle, poursuivant son furieux voyage.
Son style de conduite était certes inhabituel…
❄️❄️❄️
Dans une voiture à la carrosserie argentée, derrière le duo invisible.
– « Que… ? Chéri, j’ai entendu le bruit d’un tracteur ! » s’interrogea la jeune femme au volant, confuse.
Le mari, assis à la place du mort, pointa brusquement l’avant en criant, alarmé : « Oh mon Dieu, c’est quoi ce truc ? »
Une masse brumeuse noire se déplaçait dans le vide en émettant un bruit de vieux moteur. Alors qu’ils étaient coincés dans un embouteillage, celle-ci fonçait à grande vitesse, bien au-delà des 100 km/h.
– « Est-ce une voiture fantôme ? » frissonna-t-elle. « Est-ce que le conducteur d’un tracteur est mort sur cette route il y a longtemps ? Et comme il n’est pas parti en paix, il est revenu rouler ici… »
– « … » Le pauvre homme soupira faiblement, bien décidé à ne plus la laisser lire ou regarder n’importe quoi pendant un certain temps.
Des scènes plus ou moins similaires se jouèrent à l’intérieur de nombreux autres véhicules. Presque tous entendirent ce grondement et aperçurent cette fumée noire. Certaines personnes purent même sentir la bonne odeur du pot d’échappement…
Le Vénérable Blanc s’était contenté d’une Formation d’Invisibilité et n’avait pas fait disparaître le bruit et les émanations. Et c’était intentionnel ! Il estimait que conduire un engin complètement invisible était inintéressant, comme porter de beaux vêtements au beau milieu de la nuit !
Il valait mieux avoir un public, le faire pousser des exclamations de surprise ! Voilà qui donnait encore plus de motivation au conducteur !
Mais Song Shuhang l’ignorait complètement, convaincu qu’ils s’étaient soustraits non seulement à la vue, mais également à l’ouïe et à l’odorat du commun des mortels.
❄️❄️❄️
Peupeupeupeupeupeupeu…
Ils arrivèrent rapidement au Centre de Formation. En chemin, Song Shuhang avait appelé Caselli pour la prévenir qu’ils leur ramenaient l’instructeur Li, qu’ils n’avaient pas l’intention de suivre des cours de pilotage ce jour-là puisqu’il devait rentrer chez lui, et qu’ils reviendraient plus tard, une fois de retour.
Elle accepta, naturellement. Nombreux au Centre étaient curieux depuis qu’ils avaient vu leur collègue sortir sans prévenir de la navette revenue de l’espace. Ils voulaient savoir ce qu’il s’était passé après qu’il eut emmené ces deux hommes faire un tour dans le ciel.
Une fois devant le Centre, Song Shuhang enleva les feuilles A4 et le tracteur perdit son invisibilité.
– « Allo, Mlle Caselli ? Nous sommes là. »
Elle vint les accueillir le plus vite possible… Et resta coite.
Confuse, elle observa le tracteur à manivelle, le Vénérable qui conduisait d’un air extrêmement heureux, et le jeune homme qui se faisait le plus petit possible.
Clignant des yeux plusieurs fois, elle prit une profonde inspiration.
… À ce moment-là, elle eut la certitude que l’être humain moyen ne pouvait pas comprendre la manière de penser des bourgeois ultra-riches. Elle avait alors une toute nouvelle façon de comprendre l’expression “vouloir à tout prix se distinguer”.
Quand elle marchait, eux faisaient du vélo. Si elle faisait du vélo, eux conduisaient une voiture. Si elle conduisait, ils devenaient commandants de bord. Et si elle pilotait un hélicoptère ou un avion, ces deux-là passaient au tracteur…
Ils voulaient sans doute faire l’expérience de choses sortant de l’ordinaire. Ils avaient leur propre façon de voir la vie.
– « Vous vous êtes donné beaucoup de mal… Où est l’instructeur Li ? »
– « Il est à l’arrière, dans la remorque. Il s’est endormi il n’y a pas très longtemps. » Song Shuhang sauta du tracteur et alla le récupérer.
Deux hommes de grande taille vinrent sur ordre de Caselli pour le réceptionner.
– « Est-ce qu’il va bien ? » demanda-t-elle, aussi curieuse que les autres. Comment diable s’était-il retrouvé dans l’espace ? Qu’avait-il vécu exactement depuis leur séparation ?
– « Oui, c’est quelqu’un de solide. » Une fois revenu des États-Unis, Zhou Li l’avait soigné avec des médicaments spéciaux. Non seulement il n’avait plus aucune marque, mais en plus son corps s’était endurci. De plus, le Vénérable avait utilisé sa puissance pour traiter ses quelques blessures. Inutile de préciser les effets bénéfiques qui en avaient résultés. Shuhang le savait, lui aussi en avait profité !
– « Nous avons d’autres problèmes à régler, alors nous allons prendre congé. Une fois qu’il se réveillera, vous pourrez lui demander ce qui lui est arrivé. Lorsque nous serons de retour, nous vous contacterons, Mlle Caselli, pour décider quand nous passerons à d’autres appareils. »
– « D’accord, nous attendrons votre appel. »
Song Shuhang remonta dans le tracteur et le Vénérable Blanc fit un excellent demi-tour.
Grondant sur un rythme régulier, leur véhicule les mena vers Wenzhou, la ville natale de Song Shuhang.
❄️❄️❄️
À ce moment-là, dans la rue Baijing, à Wenzhou.
Une toute nouvelle BMW Série 7 s’arrêta en crissant des pneus devant l’entrée de la maison de Song Shuhang.
Un grand gaillard avec une carrure d’ours quitta la banquette arrière. Il avait environ 50 ans, mais son allure le faisait paraître beaucoup plus jeune.
Il s’agissait du très vieil et honni ami du père de Song Shuhang, le Vieux Lu.
– « Tianyou, sors le cadeau que j’ai préparé pour le Vieux Song. Hahaha ! » Après être descendu, il s’étira et éclata de rire en se pavanant. Il ne lui manquait plus que la démarche arrogante d’un jeune péteux.
Un jeune homme à la carrure similaire posa le pied hors de la voiture, version plus jeune du Vieux Lu. Son fils, Lu Tianyou. Il avait l’air d’avoir déjà la trentaine alors qu’il n’avait que deux ans de plus que Song Shuhang.
Il souriait amèrement. Il n’avait aucune envie d’accompagner son père se pavaner chez son vieux rival, mais n’avait pas eu voix au chapitre. Il ouvrit le coffre de la BMW et en sortit une petite statuette en cuivre, enveloppée dans un tissu rouge qui en dissimulait les traits.
– « Allez, vite ! J’ai hâte de voir l’air misérable du Vieux Song. Ça fait un an que je n’ose plus le regarder en face. Je suis si impatient ! » Tout en s’esclaffant, il avança à grandes enjambées vers la maison de Song Shuhang, particulièrement combatif.
Quant à Lu Tianyou, il soupira longuement en cachant ses yeux derrière sa main.
Il était gêné d’avoir un tel père !
Résigné, il se regarda dans le rétroviseur et essaya de faire bonne figure. Réussissant finalement à arborer un sourire de circonstance, il suivit son père, tâchant de ne pas changer d’expression.