Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 20 – Il ne faut pas juger un homme à son apparence
Plus il pensait à cet homme jouant aux cartes avec plus de dix cadavres en pleine nuit et dans une pièce faiblement éclairée, plus son cuir chevelu picotait.
Réprimant sa peur instinctive, Klein regarda le visage pâle et les yeux bruns malicieux de cet homme d’environ vingt-huit ans qui respirait la folie. Feignant d’être intimidé, il fit un pas en arrière tandis que Kaspars quittait la pièce.
– « Est-ce vous qui cherchez un garde du corps ? » Demanda l’inconnu d’une voix grave.
– « … Oui », répondit Klein en ravalant délibérément sa salive.
S’il éprouvait de la crainte devant cet homme étrange, il en ressentait également une certaine tranquillité d’esprit.
Plus son garde du corps serait fort, plus il serait en sécurité !
L’homme au visage pâle leva le menton :
– « Pour quelle raison cherchez-vous un garde du corps ? Combien êtes-vous prêt à payer ? »
Klein réfléchit durant une vingtaine de secondes :
– « Je vais d’abord vous décrire en détails la mission, vous l’évaluerez et me donnerez votre prix. Si je suis en mesure de vous régler ou si je possède un objet de valeur équivalente, nous conclurons cette affaire. Dans le cas contraire, je serai contraint de chercher quelqu’un d’autre. »
Pour toute réponse, l’homme à l’air féroce fit un signe de tête à Klein pour l’encourager à parler.
Ce dernier regarda les zombies et fit mine de les considérer comme des joueurs de cartes normaux. Puis, lançant à l’homme un regard interrogateur, il demanda :
– « Avant de répondre, souhaitez-vous chasser ces types de la pièce ? »
– « Ce ne sera pas nécessaire », répondit son interlocuteur d’un ton sérieux.
– « J’ai offensé un homme important dont il se pourrait qu’il soit soutenu par tout un pays. »
La pièce se fit soudain immobile et silencieuse. L’homme, une lueur de malice et de folie dans le regard, se figea sur place, comme changé en une statue de plâtre.
Après environ une minute de silence, il dit lentement :
– « Cette mission n’a pas de prix. Sortez. »
Klein demeura interloqué et voyant l’homme retourner à la table de jeu, il comprit que tout accord était impossible.
Vous jouez aux cartes avec une bande de morts vivants, vous vous présentez comme quelqu’un de haut rang, quelqu’un de puissant, et voilà que vous avez peur sans raison ? De toute évidence, vous êtes un peu fou … Se dit le jeune homme qui, hésitant entre le rire et les larmes, ajouta :
– « Cette grosse pointure n’a pas autant de liberté à Backlund. »
L’homme au gilet noir l’ignora et se rassit. Les zombies reprirent la distribution des cartes et lancèrent leurs jetons.
Klein soupira et quitta la pièce à reculons. Kaspars Kalinin l’attendait dehors avec son nez couperosé et sa hideuse balafre.
– « Nous ne sommes pas parvenus à un accord », annonça le jeune homme en levant les mains.
Kaspars ne parut pas surpris.
– « Réclamerait-il un prix trop élevé ? » Demanda-t-il après réflexion.
– « Non, il trouve la mission trop ardue. »
Son interlocuteur fronça les sourcils.
– « Maric est l’homme le plus effrayant que je connaisse. Il ne craint pas même les balles. S’il trouve cette mission trop difficile, je ne pense pas pouvoir vous mettre en contact avec d’autres personnes puissantes. »
– « Quel dommage », soupira Klein.
– « Que la Tempête soit avec vous », dit l’homme en frappant sa poitrine de son poing.
Alors je suis mort… Se dit Klein, qui, tirant le meilleur parti de la situation, répondit avec un sourire :
– « Merci. Essayez de vous renseigner pour moi. Je vous dédommagerai. Bon… je reviendrai demain soir. »
Sur la réponse positive de son interlocuteur, il quitta le Bar des Cœurs Vaillants, un peu mélancolique. Il n’avait même pas envie de faire une partie de billard.
Ai-je été trop honnête ? Si je lui avais présenté cette mission plus simplement, Maric aurait accepté… Je me demande juste combien il m’aurait demandé… (Il soupira) Ce n’est pas mon genre de laisser quelqu’un d’autre affronter le danger à ma place en le dupant… Je suis un Transcendant et si je vais constamment à l’encontre de ce que me dicte mon cœur et de mes principes, je risque fort de perdre le contrôle…
En proie à des émotions mitigées, le jeune homme changea de voiture et retourna rue Minsk.
…
Sa toilette terminée et ne voulant pas gaspiller de charbon de bois, Klein se rendit directement dans sa chambre et tira le rideau pour isoler la pièce du monde extérieur.
Sur le chemin du retour, il avait réfléchi et réalisé que la question du danger potentiel n’était pas une fatalité.
Le but premier et fondamental de cet ambassadeur inconnu est de trouver Ian Wright et c’était pour obtenir des indices qu’il m’a envoyé quelqu’un. Si l’interrogatoire direct ne fonctionne pas, il pourrait envisager de me tuer et de canaliser mon esprit… Si je lui fais savoir que je ne suis pas en mesure moi non plus de retrouver Ian, il ne prendra pas le risque d’engager un détective sachant qu’un département militaire spécial pourrait très bien être sur le coup…
Il ne s’attendait pas à se trouver face à quelqu’un d’aussi fort que moi, ce qui a eu pour effet de les exposer et d’entraîner pour eux de sérieux revers. A la place de l’ambassadeur, j’envisagerais certainement de me venger et d’évacuer ma colère, mais pas dans un moment où la situation est particulièrement tendue… Bon, à la condition que l’ambassadeur ait un cerveau, que ce ne soit pas un bon à rien arrivé à ce poste grâce à des relations et qui ne saurait pas réfléchir avant d’agir… Pour qu’il soit à la tête d’une affaire aussi importante, il doit être relativement fiable…
En d’autres termes, le nœud du problème est de savoir où se trouve Ian Wright !
Hmm… Il reste un danger potentiel. Et si l’ambassadeur, après son échec, révélait au département militaire que Meursault était un Transcendant ? Ils pourraient alors découvrir que je suis doté d’une force douteuse et s’en servir pour se venger de moi… Il suffit pour cela d’une remarque désinvolte. Je vais devoir me tenir sur mes gardes…
En analysant les choses, notre détective eut soudain envie de tuer l’ambassadeur inconnu.
Cependant, la seule pensée des puissants Transcendants qui l’entouraient le laissait déprimé.
Je me demande si le messager accepterait que je lui confie une mission sans la permission de M. Azik… Probablement pas… Devrais-je me concentrer sur cette question et trouver une occasion de le réduire au silence ? Étant donné qu’il a envoyé quelqu’un pour me tuer, je n’aurai aucun scrupule a lui rendre la pareille… Voyons… je pourrais planifier une mission pour le Club de Tarot. Nous verrons si Justice et M. Le Pendu ont des solutions… Peut-être qu’une grosse somme d’argent pourrait s’avérer tentante pour ce “Monsieur A” ou d’autres puissants Transcendants…
Cette pensée ramena grandement le calme dans son esprit. Il trouva du papier, un stylo et inscrivit un énoncé divinatoire : Localisation de Ian Wright.
Après s’être assuré qu’il n’y avait pas de Transcendants cachés dans la pièce, Klein regarda le rideau qui le protégeait des regards indiscrets, se remémora les traits de Ian, lut mentalement l’énoncé et s’adossa à sa chaise.
Très vite, il entra dans le monde onirique où il vit une petite pièce sombre et délabrée meublée d’un lit superposé, et un tapis de sol sur lequel reposaient quatre personnes.
Recroquevillé sur la couchette supérieure, Ian dormait profondément sous une vieille sacoche.
Puis l’image vola en éclats et Klein rouvrit les yeux.
Des logements comme ceux-ci, on n’en trouve que dans le Quartier Est et celui du Pont de Backlund Bridge, qui est si vaste que même en déployant tous les policiers de la ville, ceux-ci ne le trouveraient pas…
Ian s’est montré très prudent et ne m’a rien laissé, sans quoi j’aurais pu le retrouver à l’aide de la baguette de sourcier…
Après quelques minutes de réflexion, le jeune homme reprit son stylo et ajouta à chacune des déclarations de divination :
J’ignore où se trouve Ian Wright. Je ne l’ai pas revu depuis que nous avons trouvé le corps de Zreal.
Puis il posa la feuille de papier sur son bureau et plaça le stylo sur le bord.
Lorsque tout fut terminé, Klein se leva et retourna à son lit en faisant rapidement tourner une pièce pour s’assurer que personne ne l’observait.
La réponse étant négative, il fit aussitôt quatre pas dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, prononça mentalement l’incantation et accéda au monde au-dessus du brouillard gris.
Une fois dans l’antique et imposant palais, Klein, sans prendre le temps d’inspecter autour de lui, réitéra la séance de divination qu’il venait de faire.
La réponse étant toujours négative, sa nervosité retomba. Levant la tête sur le côté, il s’aperçut que le centre de la nouvelle étoile cramoisie était teintée d’or, semblable au soleil.
Est-ce là l’origine de la chaleur que j’ai ressentie ?
Répandant son énergie spirituelle, le jeune homme, en réponse à la prière, la toucha avec précaution.
Une image floue apparut aussitôt devant ses yeux.
La petite dame qu’il avait essayé de hisser au-dessus du brouillard gris se tenait devant un autel en compagnie d’une femme aux cheveux bruns légèrement bouclés. Un homme portant un masque blanc scandait doucement le titre honorifique de l’Éternel Soleil Flamboyant, créant ainsi une lumière chaude et pure.
Aurait-elle demandé à quelqu’un de tenter un exorcisme ? Klein faillit en rire.
Il avait enfin compris la raison de la situation précédente. En fait, personne n’avait pénétré le brouillard gris ni ne s’était verrouillé sur lui. C’était comme si Justice ou un autre avait prononcé son titre honorifique avant de lui adresser une prière. Le brouillard ayant capté le message, il l’en avait automatiquement averti. Mais à la différence d’une prière, les voix irréelles et entremêlées avaient fini par devenir un courant chaud.
Un avis. Ceci est un avis et non une chose capable de nuire ou d’influencer , conclut Klein.
En même temps, il était à peu près certain d’une chose. La façon dont l’espace mystérieux au-dessus du brouillard gris se connectait avec Justice et les autres n’était pas vraiment anormale ou au-dessus des règles de ce monde. Elle était cependant soumise à des restrictions particulières susceptibles de provoquer, par l’utilisation de méthodes spécifiques, des effets à divers degrés.
Klein continua d’observer et d’écouter la voix, surpris de constater que cela durait plus longtemps que toutes les autres fois.
Auparavant, il ne pouvait prendre l’initiative d’espionner la personne représentée par l’étoile à moins que celle-ci ne prie pour cela. Dans ce cas seulement, il aurait un aperçu de la scène.
Autre situation : lorsqu’il répondait à une prière, il était en mesure de voir l’image et d’entendre simultanément des voix synchronisées. Mais une fois la réponse donnée, il ne pouvait plus recevoir d’informations.
Pour l’heure, on aurait dit qu’il regardait une longue vidéo composée d’une mosaïque de séquences de télé-réalité.
Il vit la petite dame parler à un homme au masque doré dans un bureau, entendit ses compagnons l’appeler Xio et comprit qu’elle était à la recherche des matériaux Transcendants nécessaires à la potion du Shérif.
Lorsque les deux femmes rentrèrent chez elles, la « vidéo » prit fin et Klein regretta de ne pas avoir réussi localiser leur domicile.
Il regarda les teintes dorées se dissiper progressivement et hocha la tête, pensif. Il avait une vague idée de la raison de cette anomalie.
Si je comprends bien, le pouvoir de purification m’a permis de maintenir le passage ? Les trente Livres de Xio en valaient la peine… Je me demande quand je serai en mesure de le garder ouvert tout seul…
Klein secoua la tête en souriant, et prit un stylo et du papier dans l’intention de poursuivre ses recherches sur Ian Wright.