Nefolwyrth
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Chapitre 1- La plus douce des lueurs
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???: « Des gnomes, tu dis ? »

Avant le repas, je fus rappelé par mon père, le duc Illiam Gwilerm de Lucécie. Visiblement sceptique, son visage impitoyable seyait à ses propos.

Illiam : « Le fils du duc se serait perdu dans la forêt voisine pendant trois jours et aurait été recueilli par des gnomes ? Tu imagines si ces sornettes venaient à être de notoriété publique ? Te rends-tu seulement compte de ta responsabilité ? Il n’y a jamais eu de gnomes aux alentours de Lucécie. Te souviens-tu seulement de ce chat que tu avais accusé d’être un démon il y a quelques années ? Cette manie de mentir te coûtera cher, jeune prince. »

Ce ton sec me faisait presque regretter ma caverne. Je pouvais encore jouer sur le fait que j’étais fatigué pour être pris en pitié, mais je me devais de le corriger.

Lucéard : « Père, je n’y peux rien, n’est-ce pas la faute de ces incapables de gardes si j’ai pu me perdre ? Et quant à cette histoire de chat, je suis catégorique, c’était un démon ! Il a proféré des menaces ! Je l’ai vu léviter ! »

Illiam : « Ça suffit ! »

Sous l’épaisse chevelure châtain de mon père, sa moustache recourbée semblait aiguisée comme un sabre. Son regard profond faisait peser sur moi une pression immense. Je décidai de ne plus parler.

Illiam : « On dirait que ce séjour chez de petits habitants de la forêt t’a rendu insolent, mon fils. Je compte sur toi pour ne pas propager le récit de tes fantaisies à travers tout le royaume. Et s’il te prend l’envie de raconter la vérité, nous nous retrouverons ici. Ai-je bien été clair ?»

Lucéard : « Oui, père… »

Illiam : « Le repas sera servi dans quelques minutes. Tu peux y aller. Mais ne t’avise pas de sortir du palais sans ta garde personnelle, compris ? »

Il était particulièrement remonté. Je fis profil bas en sortant de son bureau. Heureusement, un repas comme je ne savais plus les apprécier m’attendait.

Il n’y avait que ma sœur pour partager ce dîner avec moi. Elle semblait ravie de me voir manger avec un si féroce appétit.

Une fois dans ma chambre, je sortais un épais recueil de partitions. Quand ma porte claqua contre le mur, Nojù fit une entrée triomphale.

Nojùcénie : « En avant, professeur ! »

Elle agitait fièrement son instrument au-dessus de sa tête. Je continuais de tourner les pages, l’ignorant complètement.

Lucéard : « Nous avions commencé à voir une ode la dernière fois. Si c’est bon pour toi, on va entamer la seconde partie. »

La jeune fille me regardait avec un air boudeur.

Nojùcénie : « Pffuuuh… Quand est-ce qu’on fera de la magie ? C’est ennuyeux… »

Évidemment. Ce doit être la seule raison pour laquelle elle veut utiliser des instruments. Après tout, il y a quelques années, elle a éveillé sa magie…

Je m’empressai de briser ses espoirs.

Lucéard : « Nous avons l’interdiction d’en pratiquer. Si Père apprend ça, on va tous les deux avoir de gros ennuis. Et puis, il tient particulièrement à ce que tu ne t’approches d’aucun objet magique. Pourquoi me demandes-tu seulement de t’apprendre à jouer des instruments si ça ne t’intéresse pas ? »

Mon ton réprobateur fit son effet. La demoiselle baissait les yeux, déçue.

Lucéard : « Tu n’en auras probablement jamais besoin. Laisse tomber. …Et donc pour en revenir à- »

Nojùcénie : « Attends une seconde ! »

Le regard sérieux, Nojù me pointait du doigt dans l’expectative. Son éclat de voix me fit sursauter.

Nojùcénie : « Tu ne viens pas de sous-entendre que toi si ? »

Lucéard : « Quoi ? Non- »

Nojùcénie : « Lucé, tu sais utiliser la magie ?! »

Cette fille est trop intelligente quand ça l’arrange.

Son teint s’illumina. Elle m’imaginait déjà m’entraînant pendant trois jours à maîtriser la magie en compagnie de gnomes.

J’étais resté silencieux trop longtemps. Mon attitude devenait clairement suspecte.

Nojùcénie : « Où est passé le grimoire, Lucé ? »

Elle se rapprochait de moi, les deux poings serrés devant elle. Il fallait que je réagisse.

Lucéard : « Bon, commençons le cours. Pas de magie, j’ai dit. »

Nojùcénie : « Le terrain d’entraînement du palais est gardé par Lambert ce soir, c’est l’occasion ou jamais ! »

D’où tu tiens de telles informations ?

Je n’avais aucunement l’intention de céder.

Nojùcénie : « Lucé, je veux sérieusement apprendre la magie ! Si un jour tu te fais attaquer de nouveau par Biscuit, je pourrais te venir en aide ! »

Sa détermination était bien réelle, mais ses arguments ne me braquaient que davantage.

Lucéard : « Arrêtez avec cette histoire… Puisque je vous dis que ce n’était pas un vrai chat… Pourquoi personne ne me croit ? »

Nojùcénie : « Moi, je te crois. »

Son grand sourire rayonnant me laissa sans voix. Je détournai le regard, confus.

Lucéard : « M-même si Lambert est affecté là-bas, ça ne change rien, nous n’avons pas le droit, c’est tout. »

Nojùcénie : « Je vois… Tant pis. Si tu ne veux pas m’apprendre à l’utiliser, je comprends. »

Son air maussade ne me laissait pas indifférent. Elle se retourna lentement avant de marcher jusqu’à la porte. Avant de partir, elle me montra l’ouvrage massif qu’elle portait entre ses mains.

Nojùcénie : « J’espère que je ne ferai pas trop de ravages en apprenant toute seule. »

Puis s’échappa en ricanant.

Lucéard : « Eh, reviens ! »

Elle m’avait totalement piégé.

On dirait qu’elle ne me laisse pas le choix.

Je pris le temps de soupirer longuement avant de me lancer à sa poursuite. J’arrivais bien assez tôt sur le terrain d’entraînement qu’utilisait la garde du palais, non loin du jardin botanique.

Lambert dormait déjà à poings fermés. Après le dernier incident, il aurait dû être destitué de ses fonctions. Mais il fut apparemment affecté à un endroit qui n’avait pas nécessairement besoin d’être gardé.

Il y avait toutes sortes de cibles : des rondes en paille pour les archers, des mannequins en bois pour les épéistes, et même des mannequins d’acier.

Face à elles, ma sœur se tenait debout, le grimoire était posé à ses pieds. Elle inspira longuement…

Lucéard : « Attends ! Ne fais pas n’importe quoi ! Tu as gagné, je vais t’apprendre ce que je sais. »

Je me fais mener par le bout du nez.

Nojùcénie : « Ouiii ! Merci, Lucé ! »

Je ne la voyais pas tous les jours aussi enchantée. Mais je n’oubliais pas pour autant sa fourberie.

Lucéard : « Oui oui, enfin bref, promets-moi de garder ça secret. »

Nojùcénie : « Donc tu sais vraiment l’utiliser et tu l’as caché au reste du monde ? Tu m’épates ! »

Elle me donna de légers coups de coude pour me féliciter.

Je haussai les épaules, résigné.

Il fallait bien que j’en parle à quelqu’un, autant que ça soit à elle.

Lucéard : « Tout d’abord, la magie musicale a trois sorts dits “basiques” : cura, auxilia, et lamina. Il te suffit de jouer un accord, ou une note, en y concentrant toute…hmm… la force de ton cœur ? Ton pouvoir intérieur ? Je ne sais pas exactement de quoi il s’agit. »

Pour une fois, elle buvait mes paroles avec la plus grande attention.

Lucéard : « Pour le lamina, tu dois avoir préalablement visé un point précis. Je pense que ça vaut aussi pour les autres sorts. Et essaye de ne pas y mettre trop de conviction. »

Nojùcénie : « Entendu ! »

Quoi qu’elle ait pu en dire, elle ne pouvait pas retenir son excitation.

Nojù se plaça à une dizaine de mètres d’une cible d’acier.

Elle est ambitieuse. Mais ce n’est pas une cible d’ectoplasme au moins.

Elle approcha la flûte-double de ses lèvres. Le mannequin aurait eu raison de trembler.

Nojùcénie : « LAMINA EIUS ! »

Je ne l’avais jamais vue aussi heureuse de souffler dans son instrument qu’à cet instant. Une lame de lumière jaillit férocement de la flûte-double et déchira l’air, le coup manqua la cible de si peu que l’épouvantail de métal fut secoué par le souffle du sort. Cette attaque finit sa course contre le mur du fond, dans une explosion qui projeta des gravats aux alentours.

Ma mâchoire se décrocha lentement. L’apprentie mage aussi restait béate. Elle fit ensuite mine de savoir exactement ce qui allait se passer.

Il y a quelques années, Nojù avait éveillé sa magie et causé pas mal de ravages. C’est notamment pour cette raison que notre interdiction d’en utiliser était aussi stricte.

Lucéard : « Si la garde ne rapplique pas après ça… »

Nous nous éloignions un temps du centre du terrain pour guetter l’arrivée d’hommes en armure. Mais ils ne vinrent pas. Ma petite sœur continuait de regarder sa flûte-double, elle était comme absorbée.

Nojùcénie : « Cette sensation… Je veux recommencer ! »

Emportée par sa passion, elle tenta de revenir face aux cibles, je la retins d’une main par l’arrière du col. La demoiselle étirait les bras devant elle, accompagnant ses grognements de vaines gesticulations.

Lucéard : « On va passer à la suite… »

Cette fille est un danger pour elle et tout ce qui l’entoure.

Tenant le grimoire dans mon autre main, je repris la parole.

Lucéard : « Outre les trois sorts basiques, il y en a un qui est connu pour être le sort signature des bardes. Pugna Moralis. Après avoir prononcé cette incantation, tu n’as plus qu’à jouer un air entraînant. Apparemment, tout marche du temps que la musique a un effet sur celui qui l’écoute. »

Nojùcénie : « Et l’impact diffère d’une personne à une autre. L’effet peut durer plus ou moins longtemps après la fin du morceau. C’est bon, j’ai compris !»

Visiblement impatiente de passer à l’action, la jeune fille me tirait le grimoire des mains pour lire à ma place. Je résistais fermement.

Lucéard : « Et si tu me laissais continuer ? »

M’ignorant, elle avança la tête, me cachant la vue à l’aide de ses cheveux.

Nojùcénie : « L’auteur parle de son sort préféré : “Anguem Iridis” ! Et si on essayait ça ? Il fonctionne comme les sorts basiques ! »

Sa bonne humeur ne m’exaspérait pas autant que je l’aurais souhaité. Je la laissais sautiller gaiement jusqu’à sa destination. Elle se mit ensuite en position de combat. Elle aussi prenait plaisir à surjouer.

Nojùcénie : « À genoux devant ma toute puissance ! ANGUEM IRIDIS ! »

En soufflant dans sa flûte-double, un ruban d’un rose ensorcelant jaillit de l’instrument, et ondula à la manière d’un serpent, avant de taillader le bras d’une cible. Le sort continua son chemin avant de s’évanouir. La rayure sur la cible de fer était à peine décelable. Nojù gonfla les joues.

Nojùcénie : « Il est moins fort que le premier… Même si j’ai l’impression que la lame du sort basique ne tranche pas vraiment. Il va falloir réessayer ! »

Je lui retirai, à son grand étonnement, son arme des mains.

Lucéard : « Confisqué. »

Elle tentait aussitôt de m’escalader pour pouvoir récupérer l’objet de sa convoitise, mais mon bras était simplement trop haut pour elle. Plutôt que d’être contrariée, elle riait de bon cœur.

Nojùcénie : « Allez, rends, rends ! »

C’était un rire discret, presque étouffé que j’entendais dans le creux de mon oreille. Mais mon esprit était obnubilé par ce que je venais de lire.

La plupart des sorts demande de visualiser clairement un concept. La base de la magie requiert qu’on donne forme à quelque chose, en la modelant avec l’énergie vitale qui nous anime, que l’on appelle mana. Cela demande beaucoup de travail de maîtriser un sort. N’est-ce pas trop facile pour nous deux ? Ça n’est pas qu’une question d’imagination, il doit y avoir d’autres paramètres pour réussir nos incantations.

Lasse de tirer son bras vers le ciel, elle l’enroula autour de mon cou, toujours cramponnée à mon épaule.

Nojùcénie : « Hihi, ce n’est pas tous les jours que tu es aussi joueur ! Je ne sais même pas pourquoi ça me fait autant plaisir ! »

Lucéard : « Qu’est-ce que tu appelles joueur ? Descends de là. »

Je répondais à toute son affection par une morne indifférence. Sans laisser son doux sourire retomber, elle remit sagement les pieds au sol, et continuait de me fixer.

Lucéard : « Je vais te montrer que ce sort n’est pas qu’une bête attaque. »

Semblant encore plus enjouée que l’instant d’avant, elle m’observait alors que je me mettais en position.

Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »

Au son de ma lyre, le ruban naquit du vide. Il avançait mélodieusement jusqu’à la cible en métal et s’enroula autour de son bras. J’attrapai alors la base du sort, qui arrêta ainsi de s’étendre. En tirant l’anguem vers moi, l’étreinte sur le membre du mannequin se resserra. Je n’avais bien sûr pas la force de le déraciner, mais ça n’empêcha pas Nojù d’être subjuguée.

Nojùcénie : «Comment tu fais ça ?! C’est super impressionnant, Lucé ! »

Je soufflai du nez, d’un air suffisant.

Lucéard : « Si tu lisais jusqu’au bout, tu saurais que les façons d’utiliser ce sort sont extrêmement variées et sont loin de ne servir que pour le combat. »

Nojùcénie : « J’ai été négligente, ça ne se reproduira plus ! »

Jamais je n’avais vu une telle ferveur d’apprendre dans ses yeux. Elle était à nouveau en position. C’était toujours un jeu pour elle. Produire de tels sorts avec nos propres moyens était vraiment une expérience grisante. Elle pouvait s’imaginer devenir une mage d’exception. Mais elle ne faisait pas que jouer, loin de là. Son visage ne mentait pas, elle était sérieuse. Cette soudaine application me surprit.

Nojùcénie : « ANGUEM…IRIDIS ! »

Le ruban prit pour cible un mannequin de bois et le frappa au visage en un coup de fouet. Des copeaux de bois flottaient à présent dans le ciel étoilé. La moitié de la face de cet outil d’entraînement avait été arrachée.

Son regard brûlait encore plus intensément.

Nojùcénie : « Voyons voir jusqu’où je peux aller ! MAGNA LAMINA EIUS ! »

C’était trop tard pour l’interrompre. Une imposante lame de lumière jaillit de l’instrument et s’abattit brutalement sur la cible déjà amochée, le haut de son corps se déracina et fut projeté contre la haute muraille de pierre. Nous restions bouche-bée devant ce spectacle éblouissant.

Les sorts de magie musicale peuvent se décliner à l’aide de préfixes. Le “Magna” rend un sort plus puissant, tout en demandant au lanceur plus d’énergie. Il existe aussi un niveau de puissance dit “Giga”, réservé aux grands mages.

Inspiré par sa volonté, je me prêtais aussi au jeu. S’habituer à lancer des sorts n’était pas l’affaire d’un jour. On put aborder un dernier sort qui se solda malheureusement par un cuisant échec. Mais bien assez tôt, avant même que la fatigue physique ait raison de nous, une toute nouvelle torpeur naissait en nous.

En effet, le mana étant source de vie, le consumer nous donnait l’étrange sensation de se vider de l’intérieur. Il nous fallait alors davantage puiser dans nos cœurs pour faire naître un sort. Mais bientôt, notre corps se raidit. Il n’y avait là rien de dangereux. Nous découvrions seulement nos limites. Et nous comprîmes par la même occasion qu’il ne fallait pas aller au-delà. Il était connu que certains mages s’évanouissaient après avoir conjuré des incantations qu’ils n’étaient pas censés pouvoir réussir. Mais personne n’en mourrait.

Ma sœur étirait les bras en l’air en émettant une sorte de râle.

Nojùcénie : « Ouah, je me suis bien amusée ! Je pense que je vais dormir comme un bébé ! Même mieux, comme Lambert ! »

Elle souriait fièrement après cette remarque. J’époussetai le manuscrit avant de le mettre dans mon sac.

Lucéard : « Oui, c’était assez instructif, j’imagine. Enfin, il va falloir être prudent avec ça. »

Mon regard était toujours aussi froid. Cependant, ce furent mes mots que la demoiselle retint, et son regard s’illumina de plus bel.

Nojùcénie : « Autrement dit, tu es partant pour t’entraîner avec moi régulièrement ! »

Elle bondissait sur place comme si sa fatigue n’avait plus de raison d’être.

Lucéard : « Ne te fais pas trop d’illusions, rien ne dit qu’on aura à nouveau l’occasion de pratiquer vu l’état dans lequel on a laissé ce terrain. »

Il n’était pas reluisant, en effet. Peu de cibles avaient été épargnées, nous étions bons pour subir des représailles de la part de Père.

Nojù riait jaune en constatant les dégâts.

Nojùcénie : « Tant pis, on trouvera un autre endroit à détruire ! »

Reconnais que c’était ton objectif depuis le début.

La demoiselle bâilla longuement.

Nojùcénie : « Bien, la sorcière du chaos que je suis doit aller se reposer à présent. J’ai eu ma dose quotidienne de sensations fortes. »

Lucéard : « M’en parle pas. »

Je regardai au loin, revoyant dans le ciel étoilé les péripéties traumatisantes auxquelles j’avais réchappé.

En entendant mes paroles, Nojù baissait les yeux, l’air morose. La jeune princesse se tourna alors vers moi, et m’interpella avec une voix douce.

Nojùcénie : « Lucé… Je te raccompagne à ta chambre ? »

Son ton et sa décision m’avaient quelque peu surpris, mais je ne m’interrogeai pas davantage.

Abattu de toutes les fatigues imaginables, je marchais en silence dans le long corridor du deuxième étage.

Une fois devant la porte, je fixais ma sœur, dans l’expectative. Je n’avais pas tous les jours l’occasion de la voir si calme.

Nojùcénie : « J’aimerai rester encore un peu…mais je vais m’endormir debout. Toi aussi, fais un gros dodo, Lucé. »

Elle commençait à présent à s’éloigner en traînant les pieds. Pour la toute première fois, elle était parvenue à dépenser cet océan d’énergie que je croyais intarissable.

Lucéard : « Nojù… Je… “

D’une voix hésitante, je balbutiai cette tentative de phrase. Prononcer son nom suffisait à la faire sourire. Elle s’était arrêtée à quelques mètres de moi, ses grands yeux semblaient attendre patiemment la suite.

Lucéard : « Heu, bonne nuit. »

Je fermais la porte derrière moi. La laissant seule dans le couloir, ravie.

Après avoir posé le grimoire sur ma table de chevet, j’eus le loisir de m’effondrer sur mon lit. Le bonheur s’empara de chaque parcelle de mon être.

Loué soit cet oreiller, qui en cette nuit se fait le réceptacle de mon désir le plus brûlant.

Comme envoûté, je ressentais encore toutes sortes de sensations. Mon corps revivait cette pathétique mésaventure. J’étais déjà presque habitué à sentir ce nouveau flux s’agiter en moi.

Sans ce monstre, je n’aurai pas touché à la magie de sitôt. Si je repasse dans le coin, je devrais peut-être aller le saluer.

Je soupirai de plaisir une dernière fois, avant de reprendre mon sérieux.

Je commence à divaguer, il est temps de dormir.

Le silence et la douce obscurité de ma chambre m’entraînaient dans le pays des songes. D’ici le lendemain, toute cette histoire ne serait plus qu’un souvenir.

-2-

Et quand cette journée débuta, je constatai qu’en effet, mes tribulations étaient déjà bien lointaines. Et ce n’était pas un jour comme les autres. Le plus grand événement de Lucécie allait prendre place dès ce soir. Je redoutais ardemment cette journée, car la compagnie d’autres humains ne m’était guère agréable. Mais aujourd’hui, j’étais simplement indifférent à l’idée de devoir m’y rendre.

Les villageois se retrouvaient sur la grande place du village, où ils dansaient, chantaient et buvaient. C’était aussi une soirée très lucrative pour les marchands qui avaient la chance d’y participer. Heureusement, on ne mélangeait pas les nobles et la populace. Ce pourquoi le soir venu, sur une place adjacente, mon père, ma sœur et moi nous retrouvâmes les invités les plus prestigieux de ces festivités.

Les salutations et autres mondanités n’en finissaient plus. C’était toujours les mêmes têtes, les mêmes billevesées.

Nojùcénie : « Même Deryn et Eilwen n’ont pas pu venir… »

Nous étions tous les deux à l’écart du brouhaha. La fille du duc portait une sublime robe de soirée et faisait la moue en comptant tous les absents. De tous les noms qu’elle ait pu citer, il n’y en avait aucun qui correspondait à une personne que j’aurai aimé voir.

Je me souvenais à présent la raison pour laquelle je n’aimais pas cette vaste mascarade.

Nojùcénie : « C’est décidé ! Partons d’ici ! »

La princesse me regardait avec insistance. Elle devait penser que son plan était génial.

Lucéard : « Toi et tes chimères surréalistes… »

Je soupirai ces mots, m’étant déjà résigné à supporter tous ces nobliaux arrogants. Nojù me donnait l’impression de ne même pas m’avoir écouté, tant elle était convaincue du bien-fondé de sa conclusion.

Nojùcénie : « Ces danses répétitives, ces gens qui ne font que parler. Il n’y a rien pour se divertir et pas grand chose à manger. Allons du côté des villageois, Lucé ! »

Ma sœur parlait avec beaucoup d’aplomb. Je ne réalisai qu’à présent qu’elle devait avoir une idée derrière la tête, ce qui était d’autant plus inquiétant.

Lucéard : « Hors de question. »

Sans argumenter davantage, je repartais vers un autre endroit. Je ne voulais pas croiser certaines personnes en particulier.

Nojùcénie : « Eh, mais, écoute-moi ! »

Elle semblait déçue de ma réaction, mais me suivit malgré tout.

Lucéard : « Reviens à la réalité, pourquoi penses-tu qu’on ne puisse pas y aller ? Déjà, on ne passerait pas inaperçu. Et même sans ça, me mêler à tous ces rustres bruyants et suintants, très peu pour moi. Sans oublier que ces crétins sont imprévisibles, on se mettrait en danger en y allant. »

Mon ton était aussi froid que d’habitude. Le visage de Nojù aurait pu faire penser qu’elle avait pris ces insultes personnellement. Elle désapprouvait toujours tout ce que je disais. Elle le faisait sans s’énerver la plupart du temps, mais sa façon d’essayer de me raisonner gentiment m’irritait.

Nojùcénie : « Eeeh… Ne sois pas aussi braqué, Lucé. Mis à part leur éducation, ils sont comme nous… »

Elle finit par baisser la tête en constatant que j’ignorai totalement ses propos. Je ne pus entendre ce qu’elle se chuchotait à elle-même.

Nojùcénie : « Et dire qu’hier… »

Elle secoua vigoureusement la tête pour se ressaisir.

Nojùcénie : « Suis-moi ! »

La jeune princesse m’attrapa par la manche et me tira avec détermination.

Je me laissais faire, aussi longtemps que cela me permettait de m’éloigner de ces mèches vertes qui dépassaient de la foule.

Il y avait un petit escalier de pierre collé à une bâtisse qui donnait sur la place. Les habitants de ces maisons étaient escortés chez eux quand ils décidaient de rentrer et étaient invités à ne plus ressortir. La plupart d’entre eux étaient heureusement des bourgeois et savaient se comporter comme le voulait l’étiquette.

Nojù avait l’habitude de se rendre sur ce toit, c’était le seul moyen d’échapper à nos responsabilités sans devoir fuir les gardes.

Lucéard : « Et si nous restions là ? »

Nous nous étions tous deux arrêtés. De là où j’étais, je pouvais voir tous les gens attroupés autour de mon père, ce qui était la plus grande tradition de cette fête, sans nul doute.

Ma sœur faisait dos à la lune et me fixait, toute fière d’elle.

Nojùcénie : « Regarde de l’autre côté ! »

Entre les maisons du centre de Lucécie, on pouvait voir un bout de la place communale, où des gens de tout âge sautillaient en rythme sur une musique entraînante. Il me semblait aussi voir des mets dont j’ignorai totalement la composition. Il y avait des éclats de rire, des jeux qui attiraient des curieux ça et là. Une odeur sucrée me parvint aux narines.

Lucéard : « Tu sais ce que j’en pense de ces gens-là… »

Il lui suffit d’entendre mon ton pour que ses espoirs soient brisés.

Lucéard : « Mais j’en pense pas moins des autres. Cependant, ça ne change rien, on ne peut toujours pas s’échapper d’ici. »

Ma petite sœur considérait ces paroles comme mon approbation et se remit en mouvement. Elle ouvrit une vieille porte en bois. Celle-ci devait mener à l’étage du dessous. Le propriétaire avait été négligent de ne pas la verrouiller.

Nojùcénie : « Attends ici quelques instants, mais ne rentre sous aucun prétexte, d’accord ? »

Elle ferma la porte, toute guillerette, avant que je n’aie pu la raisonner.

Lucéard : « Je suis pratiquement sûr que c’est illégal. »

Je constatais, médusé, l’attitude désinvolte de la princesse.

Au bout d’un certain temps, la porte se rouvrit, grinçante.

Je ne reconnaissais pas l’étrange tenue de la personne en face de moi. Une capuche recouvrait son visage, ses vêtements avaient quelque chose de raffiné. L’obscurité de la nuit dissimulait les couleurs du tissu. Il s’agissait pourtant sans l’ombre d’un doute de marron, ainsi que d’or, rappelant le coloris des feuilles mortes.

J’avais beau reconnaître ce style, ma récente mésaventure me poussa à être méfiant. Sous mon propre costume, j’avais accroché ma lyre par précaution. Ma main la caressait, prête à l’empoigner à tout moment.

Le rire étouffé de cette mystérieuse silhouette attira mon attention. Elle révéla son vrai visage, qui n’était autre que celui de ma petite sœur.

Nojùcénie : « Tu ne m’as pas reconnu, pas vrai ? Avec cette tenue, nous pouvons nous infiltrer n’importe où ! Et voilà pour toi, Lucé ! »

Elle semblait très satisfaite de son entrée. Sans perdre plus de temps, elle fouillait dans son propre sac de Thornecelia, et en sortit une tenue à première vue identique.

Nojùcénie : « Évidemment, j’en ai aussi une pour toi. Vas-y, je t’attends ici. Ne t’en fais pas, il n’y a personne en bas. »

Ce n’est pas ça le problème…

Une fois entre mes mains, j’étais en mesure de confirmer que la personne derrière tout ça était bien Madeleine, la gouvernante de ma sœur, qui se trouvait aussi être une excellente couturière. J’en déduis que Nojù avait mis la main à la pâte et s’y était légèrement blessée.

En m’habillant, je me rendais compte que le confort de ces vêtements n’avait rien à envier à leur apparence. Ils étaient même pensés pour les rares personnes à posséder un sac sans fond. Le côté pratique de cette tenue, ainsi que la souplesse de son tissu laissaient imaginer qu’elle était parée à toute aventure. La conception de ces habits était pourtant conforme à ce qu’un noble pouvait attendre. J’aurai menti en affirmant avoir honte de les porter en public.

Quand la porte s’ouvrit, ma sœur n’en pouvait déjà plus d’attendre et serrait les poings devant elle pour signifier son engouement.

En contemplant le résultat, son visage s’éclaircit. Elle s’empressa de me rejoindre et attrapa mon bras.

Nojùcénie : « Mon bon m’sieur, sauvez-nous d’ces bândits qu’ont attaqués not ‘ferme, j’vous en cônjure, quoi ! »

Son imitation de fermière en danger était poignante, voire ridicule. Elle passa ça à la rigolade avant de m’inspecter de plus prêt.

Nojùcénie : « Tu as l’air d’un vrai héros, Lucé, prêt à sauver la veuve et l’orphelin ! »

Il n’y a pas vraiment de quoi être aussi admiratif.

Sa remarque me fit néanmoins sourire malgré moi.

Lucéard : « M-merci pour ça. »

Je lui indiquais la tenue en la pinçant du bout des doigts. Ces simples mots semblaient avoir fait mouche. Elle exultait de joie. La demoiselle repartit au bord du toit, faisant face à la grande place du village.

Nojùcénie : « Et maintenant, place à la fête ! »

Elle bondit sans hésitation du haut de cette maison. Ma mâchoire se décrocha.

Nojùcénie : « AUXILIA EIUS »

Une sphère de lumière l’entourait alors qu’elle chutait jusqu’au sol, où le sort se brisa comme du verre ce qui lui permit d’atterrir relativement en douceur, bien qu’elle se retrouva les quatre fers en l’air.

Nojùcénie : « A ton tour ! »

Comment ne pas rester de glace devant une telle inconscience ?

J’avais accouru, pris d’une soudaine panique pour finalement la voir me sourire bêtement depuis la sombre ruelle.

Lucéard : « Tu aurais pu prévenir… »

Je ne cachais pas ma contrariété. Mais je réalisais alors que c’était à présent à moi de faire le grand saut. J’avais quelques appréhensions.

Et si le sort ne se déclenche pas pour une raison ou pour une autre ? Ça serait trop bête de mourir maintenant que je suis en sécurité.

La princesse en bas continuait de me faire de grands signes de mains. Elle tenait toujours sa flûte-double. Elle ne serait pas assez rapide pour me sauver avec son propre sort.

Avec autant d’adrénaline, il n’y avait que peu de chance que le sort échoue. Je frappais les cordes de ma lyre pour vérifier qu’elles étaient toujours avec moi. Après tout, il suffisait que je fasse l’incantation avant de sauter pour être fixé. Le bouclier durait au minimum trois secondes.

Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUUUS ! »

Plutôt que d’être trop cavalier, je choisis de vivre à coup sûr. Pour ne pas me retrouver immobilisé par le sort, il fallait que je bondisse malgré tout avant la fin de l’incantation.

Mon bouclier n’était pas beaucoup plus robuste que le sien, mais quand il heurta le sol, il rebondit légèrement, me laissant retomber sur mes deux pieds.

Lucéard : « Eh voilà. »

Nojùcénie : « Génial ! Comment tu as fait ça ? »

J’étais satisfait de la réussite de mon plan.

Lucéard : « Comme les autres sorts, on peut apparemment contrôler la nature du bouclier. J’ai voulu que le mien soit souple plutôt que trop rigide. Amortir plutôt que bloquer. »

Nojùcénie : « Mais oui ! »

La jeune fille semblait imaginer l’étendue des possibilités que la magie nous offrait. Elle finit par se mettre à rire sans que je puisse deviner quel scénario tordu lui était venu à l’esprit.

Nojùcénie : « Assez plaisanté, la fête nous attend ! »

Son large sourire disparut sous sa capuche. Je la suivais sans un mot jusqu’au cœur des festivités.

Des aménagements avaient aussi été faits tout le long de l’artère principale de la ville. Des vendeurs y hurlaient leurs boniments pour se démarquer du brouhaha infernal. Les enfants se frayaient un passage au milieu de la foule, ne s’arrêtant jamais de courir. Cette cité était connue pour ses lanternes et éclairages en tout genre qui illuminaient les grandes rues toute la nuit. Il y en avait de toutes les couleurs.

Avant que je n’aie pu ouvrir la bouche, on me tira par le bras pour me faire jouer à une sorte de jeu où l’on devait lancer des balles. L’inconnu m’expliquait en criant, tandis que les visiteurs s’égosillaient en encouragements parfois douteux. Je me laissais prendre au jeu, bien que la brutalité et le manque de savoir-vivre de ces gens me révulsaient. Ils ne faisaient que s’amuser après tout.

Nojù assistait à cette scène en retrait, le regard plein de tendresse.

On lui tendit ensuite une étrange confiserie qui trônait au sommet d’une baguette en bois. Cela semblait collant et sucré à première vue. Un homme faisait tourner une manivelle aussi vite que possible, y mettant tout le poids de son corps. L’étrange machine à côté de lui produisait cette mixture inconnue.

Nojùcénie : « C’est trop bien ! Je ne pensais pas qu’on pouvait autant s’amuser en mangeant quelque chose. »

La jeune fille était aux anges.

Le barde Jacqueberd passa au centre de la rue avec deux chopes pleines dans chacune de ses mains, il me complimenta sur la lyre que je portais actuellement à la vue de tous. Il continua son chemin sur quelques mètres avant de s’effondrer misérablement au sol, provoquant l’hilarité générale.

Je soufflais du nez en regardant de haut le pauvre homme. Mon air était toujours suffisant, mais cette fois-ci, il avait quelque chose de plus doux.

Nojùcénie : « Alors, tu regrettes d’être venu ici ? »

Elle s’en était aperçue, mon aversion n’était plus aussi virulente qu’auparavant. Ma sœur attrapait ses deux mains derrière son dos et secouait son bassin de gauche à droite, je la connaissais assez pour savoir qu’elle allait me demander quelque chose.

Nojùcénie : « Les musiciens donnent vraiment tout. Tu ne voudrais pas…y aller avec moi ? »

Quand elle prenait ce ton affectueux, il était difficile de lui refuser quoi que ce soit. J’étais cependant l’exception. Mais ce soir seulement, mes récentes expériences me poussèrent à me laisser entraîner, malgré la grimace que j’affichais.

Ainsi, elle me tira jusque sur la piste de danse, au centre de la place. Imitant les gens autour d’elle, elle se mit à tourner. En se tenant mutuellement les poignets, on se laissait emporter dans ce tourbillon. L’énergie cinétique nous faisait légèrement basculer en arrière, révélant nos visages au milieu des lanternes.

Nojù se laissait enivrer par cette atmosphère et se mit à rire sans pouvoir s’arrêter. Il faisait chaud, la musique accélérait encore et encore, les clameurs s’amplifiaient, les odeurs de nourriture s’intensifiaient, les sourires étaient plus radieux que jamais. J’en perdis toute notion du temps, toute appréhension. La commissure de mes lèvres se redressait sans même que je ne m’en rende compte.

Quand le morceau fut fini, les musiciens se félicitèrent brièvement. Beaucoup considéraient ce genre de musique comme une insulte aux nobles compositions des plus grands. Il suffisait pourtant de voir le bonheur des gens qui dansaient pour comprendre que ce n’était pas le cas.

Nojùcénie : « Haha, je n’avais pas ri comme ça depuis longtemps ! »

La jeune fille à bout de souffle se tenait les côtes.

Lucéard : « …Tu l’as dit. C’était bien. »

Sans le moindre sarcasme, je lui avais fait parvenir mes vrais sentiments, et elle en resta coi. Elle ne semblait pourtant pas surprise que je puisse dire de telles choses, et bien assez tôt me répondit.

Nojùcénie : « …Je suis contente de te voir t’amuser. »

Elle ponctua cette phrase par un rire fugace. Dans la seconde qui suivit, un bruit nous interpella. Ce n’était pas quelque chose qu’on entendait tous les jours. Ce sifflement si caractéristique était le signal que tous attendaient.

Comme si nous ne faisions plus qu’un avec les visiteurs, nous nous tournâmes vers la source de ce son. Le Duc, et tous ceux qui occupaient la place autour de lui en firent autant. Une flamme semblait s’élever seule dans les cieux. L’explosion fut resplendissante. Ces nouvelles étoiles brillaient de bien d’autres couleurs et tombèrent paisiblement dans la nuit.

La deuxième fut lancée, immédiatement suivie d’une autre et encore d’une autre. Toutes ces lumières fusaient dans le ciel avant de l’embraser. Le public réagit par de longs cris d’émerveillement. Regarder et ressentir la même chose que tous ces animaux de basse-cour n’avait en réalité rien d’humiliant.

Nous étions unis face aux splendeurs de ces lueurs éblouissantes, je découvrais pour la première fois le véritable joyau de cette tradition.

Je me tournais vers Nojù : elle était charmée par ce spectacle. Ses yeux s’illuminaient de mille couleurs. En sentant le poids de mon regard, elle me fit face.

Nojùcénie : « Merci Lucé. Si tu n’étais pas revenu, je n’aurais jamais pu être de ce côté là. Enfin, c’est déjà bien que tu sois revenu tout court ! »

Elle se reprit en réalisant que ce n’était pas exactement ce qu’elle ressentait.

Nojùcénie : « Non… La vérité, c’est que je suis juste heureuse de pouvoir vivre ça avec toi ! »

C’était ce sourire là… Ce sourire là qui m’avait sauvé il y a quelques jours.

Cet instant se grava en moi aussitôt.

Lucéard : « Nojù… »

Pour bien des raisons, je me sentais confus. Avec sa spontanéité naturelle, la demoiselle continuait de parler.

Nojùcénie : « Tous ces gens aussi ont l’air heureux. C’est comme s’il savait mieux apprécier les feux de l’Artificier que nous autres nobles. Ils me donnent l’impression de nager en plein rêve. »

En effet, qu’importe leurs identités, ils semblaient tous puiser de l’espoir dans ce ciel étoilé.

Lucéard : « C’est pas trop nul, c’est sûr… »

Ma façon de le dire l’amusait visiblement. Elle se rapprocha de moi.

Nojùcénie : « Alors, on pourrait rester un peu ! »

Quelque chose changeait en moi. Son enthousiasme m’avait atteint.

Lucéard : « Je n’ai rien de mieux à faire de toute façon. »

Le silence s’ensuivit. Le spectacle avait pris fin. Je pouvais enfin me concentrer sur tout ce qui m’entourait. Était-ce là la récompense pour avoir survécu jusqu’ici ?

Avec le recul, ça valait peut-être le coup, tout ça.

Le défilé céleste avait beau être arrivé à son terme, je continuais de scruter les astres, paisiblement.

Nojùcénie : « On dirait que c’est bientôt la fin des festivités. »

Ma petite sœur était malgré tout satisfaite de cette soirée. Mais en entendant ses mots, mon visage se décomposa.

Lucéard : « C-comment va t-on revenir à notre fête ? »

Elle aussi venait de faire le lien. Néanmoins, la jeune fille passa ça à la rigolade. Et nous pûmes prétendre nous être un peu éloignés quelques instants pendant qu’un des gardes tournait le dos. Ce dernier se sentit coupable et décida de n’avertir personne de sa négligence.

-3-

Bien assez tôt, nous fûmes de retour au Palais, devant ma chambre.

Je tendis à Nojù cette tenue qu’elle m’avait apportée.

Lucéard : « Tiens, merci pour ça. »

C’était aussi ma façon de la remercier pour la soirée. Elle la repoussa contre moi.

Nojùcénie : « Sois pas idiot. Cette tenue est pour toi, enfin. Me fais pas dire des choses aussi évidentes, Lucé. »

Son regard disait tout. Il s’agissait d’un cadeau. Je ne pouvais pas l’accepter sans m’en assurer.

Lucéard : « Très bien, alors. Je ne le porterai pas tous les jours, cela dit. Mais il faudra au moins que j’aille remercier Madeleine avec. »

Nojù se réjouissait de mon attitude et souriait espièglement.

Nojùcénie : « Tu reconnais enfin que ma gouvernante est la meilleure du monde ? »

A l’instar de la totalité de l’humanité, je trouvais toujours de quoi pester contre Madeleine. Je ne la détestais pas particulièrement. C’était juste ma façon à moi d’être neutre.

Lucéard : « Loin de là. Mais ce serait pitoyable de ne pas la remercier après tout le temps qu’elle a dû y consacrer. »

Ma sœur faisait la moue.

Nojùcénie : « J’ai quand même participé, moi aussi… »

Elle ne semblait pas déçue de ma réponse pour autant, plutôt le contraire.

La demoiselle reprit bien assez tôt son expression la plus naturelle.

Nojùcénie : « J’ai hâte d’être à demain. Cette soirée était vraiment géniale, mais je ne peux pas m’empêcher de penser que maintenant que je peux apprendre la magie avec toi, on pourra beaucoup s’amuser à l’avenir. »

En effet, c’est un miracle qu’elle m’ait attendue pour se lancer dans la magie.

La princesse au caractère bien trempé n’avait pas besoin d’un complice pour faire ce qui lui chante. Pourtant, elle considérait que de partager toutes ses activités avec quelqu’un, méfaits compris, était absolument indispensable.

Nojùcénie : « Plus tôt sortie du bain, plus tôt couchée ! Plus tôt couchée, plus tôt l’heure de s’amuser ! »

Sur ces mots, elle repartit vaillamment.

Quoi qu’il arrive, tu rouspéteras en te levant pour déjeuner et tu somnoleras pendant tes cours. Qui crois-tu berner ?

Patauger dans la même boue que les villageois était une activité salissante, quoi qu’on ait pu en dire. Je ne pouvais pas me coucher avant de m’être lavé.

Une fois prêt à dormir, je m’étonnais de penser que ces derniers jours n’avaient pas été si mauvais. Ma mémoire devait être courte, mais c’était ainsi que je ressentais les choses. Tout ce qui m’était arrivé avant que je ne rentre au palais était comme un songe. Je n’en avais que de vagues souvenirs. Et tout comme ma sœur, j’en venais à me demander si les prochains jours allaient être aussi bien. Cette idée me fit sourire au moment où je laissais ma tête reposer sur l’oreiller.

Mais le début de journée n’avait rien de particulier, si ce n’est l’agitation de la garde. Peut-être allions-nous enfin nous faire gronder pour les ravages sur le terrain d’entraînement. Je n’eus pas l’occasion de voir Nojù au petit-déjeuner, et décidai de venir la chercher à sa chambre avant midi. Je supposais qu’elle était plus au courant que moi et qu’elle pourrait me renseigner sur ce qu’il se passait.

Le côté ouest du deuxième étage était saturé d’hommes en armures. Évitant la conversation, je marchais jusqu’à la chambre de ma sœur. Hélas, un des leurs vint me saluer.

Garde : « Mon prince ! Je vous prie de ne pas venir ici pour le moment ! »

Il raidit tout son corps, visiblement gêné.

Lucéard : « Je vais seulement voir ma sœur. Y a t-il un problème ici ? »

Tous les gardes se tournaient vers celui qui s’était fait leur représentant. Celui-ci, bien que je n’aie pu voir son visage, semblait hésitant à me répondre.

Garde : « Il ne faut pas venir ici pour le moment, mon Prince ! Je suis navré ! »

Son intonation me mit la puce à l’oreille. Une inquiétude profonde naissait en moi.

Lucéard : « Dites-moi ce qu’il se passe.»

Mon ton aussi avait changé, ce qui semblait embarrasser cet homme davantage.

Garde : « Je ! Je suis navré ! Ordre du Duc ! »

Bien des curieux s’étaient aussi affairés ici. Les mots que je crus entendre me firent perdre mon calme.

Négligeant l’étiquette, je courus jusque dans sa chambre.

Garde : « Mon Prince, n’allez pas par là ! »

Les portes menant à son balcon étaient ouvertes, le lit était vide. Je reconnus l’inquisiteur au milieu de ses assistants. Quand il se rendit compte de ma présence, il grimaça par compassion.

J’étais alors figé à l’entrée de la pièce. Le garde qui m’avait suivi semblait porter toute la responsabilité de ce qu’il s’apprêtait à me dire.

Garde : « Nous sommes profondément navrés, mon Prince… Votre sœur Nojùcénie… a été enlevée dans la nuit. »



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