Nefolwyrth
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Chapitre 0 – Les promenades du Prince
Prologue Menu Chapitre 1- La plus douce des lueurs

«Combattants hommes et dragons, le héros aux longs cheveux blonds,

Le guerrier aguerri, dans la bataille se rendit,

D’un coup d’épée, les boucliers ont cédé,

Le feu dans ses yeux, brûle les ténèbres jusqu’aux cieux,

Mais de tous ses ennemis, un seul le vainquit,

Cette armure trop serrée, l’empêche de respirer !

Si vous voulez survivre à la bataille, allez chez Jabernaille !

Jabernaille, ses épaulettes, ses casques, et ses côtes de maille,

C’est peu cher, venez donc y faire affaire,

Des ristournes en pagaille, venez chez Jabernaiiille !»

Des applaudissements éparses se firent entendre. Le barde Jacqueberd saluait aimablement les vieillards qui avaient daigné l’écouter. Sa publicité de mauvais goût parodiait grossièrement les chants épiques qui louaient les héros légendaires de Deyrneille.

Ce royaume puisait sa force dans une de ces légendes. Une légende qui retentissait encore sur tout le continent. Il s’agissait bien évidemment d’un récit héroïque. Le récit du plus grand des héros. Celui que l’on appelait le héros de toute prophétie.

Un homme capable de se mouvoir dans l’espace comme aucun autre, toujours accompagné de sa dulcinée, et qui s’entourait de nouveaux compagnons après chacune de ses péripéties. Il y en avait pourtant bien d’autres des humains comme lui, des histoires comme la sienne. Mais un seul instant fit de lui le symbole d’un pays entier.

Pour sauver l’amour de sa vie d’un destin déjà gravé dans l’Histoire, il déjoua le temps comme il déjouait l’espace jusqu’alors. Spectateur du dernier souffle de sa plus fidèle alliée, il transcenda son humanité et fit revenir le monde quelques minutes en arrière. Une perturbation qui se fit ressentir dans le monde entier, engendrant l’incompréhension de tout être vivant. Quand la panique prit fin, la rumeur avait déjà commencé à se répandre.

L’Amour. L’Amour qui avait rompu le cours inexorable des choses. L’Amour qui avait fait d’un homme le Maître du Temps. Cet amour qui poussa les Hommes à se lever contre les maux de leur époque, ce même sentiment qui amena quelques siècles après le miracle une révolution sans précédent dans ce royaume, et porta sur le trône un nouveau roi, frère cadet de son prédécesseur. Le souverain lança une série de réformes qui engendrèrent une ère de paix, bien qu’elle ne fut pas au goût de tous.

En cinquante ans, ces réformes ont porté leurs fruits dans bien des villages, bien des comtés. Ceux-ci incluent bien évidemment cette grande cité au sud de la capitale qu’est Lucécie.

Les promenades du prince

-1-

Les roues d’un carrosse foulaient les pavés de la charmante ruelle où s’égosillait le barde. Un jeune homme l’observait silencieusement depuis l’intérieur, il croisait les bras d’indignation.

Pathétique. Ce n’est pas ça un ménestrel. Il ne chante que pour vivre. Il faut vivre pour chanter. Ce boueux fait le bienheureux pour qu’on lui donne le sou et qu’il puisse continuer de subsister dans sa crasse un jour de plus. J’exècre tous ceux qui ridiculisent ma passion.

Véritable prodige de la musique, le garçon d’à peine 16 ans maniait bien des instruments, et ce, à la perfection. Ses cheveux châtains recouvraient pratiquement sa nuque, et ses yeux verts scrutaient l’extérieur avec dédain. Ce jeune homme, c’était moi.

Je détournai le regard tandis que les chevaux continuaient leur route, me menant à ma demeure.

Mes bottes touchaient à nouveau le sol, le chauffeur me salua aimablement et reprit la route. Derrière moi s’étendait en contrebas de la colline tout Lucécie, dont les habitations avaient proliféré autour des anciennes fortifications. Mais les grandes étendues forestières qui entouraient le chef-lieu du duché ne permettaient pas une expansion rapide de la démographie. D’un seul coup d’œil, on pouvait comprendre que la paix avait rendue ces murailles superflues. Les habitants défilaient comme des fourmis d’un point à un autre, préparant la fête des mille lumières qui accueillerait comme chaque année toute la plèbe du duché, venant assister aux festivités ainsi qu’au spectacle lumineux dont le Mage de la Cour Ducale, Archibold Von Schweizig, détenait le secret.

Dans l’allée principale du palais que je venais d’atteindre, le Duc de Lucécie avançait d’un pas vif vers le cortège qui l’attendait. Il se rendait chez son frère : le Roi.

Son plus fidèle conseiller occuperait sa fonction durant toute sa visite à la capitale. Ses enfants n’étaient pas encore en âge de pouvoir le remplacer. Et c’était tant mieux, car je ne pouvais déjà plus supporter mes responsabilités actuelles.

J’aurai mieux aimé être ménestrel.

Il était encore tôt dans la matinée, mais je me rendais déjà à pas lents vers mon premier cours de la journée. L’éducation d’un prince prend du temps. Elle prenait mon précieux temps.

L’apprentissage de la musique en faisait partie, mais si peu…

Alors que le soleil d’été brillait encore intensément, ma journée prit fin. Je ruminais toujours mon insatisfaction après dîner. Tous les nobles de haute extraction passaient leurs enfances à étudier pour pouvoir consacrer le reste de leurs vies aux professions les plus nobles. Et que dire d’un prince destiné à être duc ? Sans compter que j’étais le sixième prince de sang dans l’ordre de succession, et qu’en cas de grand malheur, je pouvais évidemment me retrouver couronné.

Mon corps svelte s’élançait sous mes nobles atours alors que je m’empressais de rejoindre le havre de paix qui se trouvait derrière la porte de ma chambre. La pâleur de ma peau et la musculature indiscernable qui me caractérisait trahissaient mon rang. J’étais pourtant grand et d’une composition suffisamment robuste, ce qui, après mûre réflexion, était aussi préférable pour un prince. Pourtant, je n’avais pas le moindre intérêt pour cet avenir auquel je me préparais.

Une fois dans mes appartements, je m’avachis sur mon lit en soupirant. Mais ce moment de répit tourna court quand la porte vers le monde extérieur s’ouvrit. Mes élucubrations furent interrompues par l’arrivée d’Ernest, mon majordome, qui n’osait prendre la parole. Sa petite moustache grisonnante s’agita quand il se fut décidé.

Ernest: «Mon Prince, je me dois de vous rappeler que demain il vous faudra rencontrer le baron de Sendeuil quand les cloches sonneront 7 heures.»

D’un hochement de tête, je lui fis comprendre que j’avais effectivement oublié, et que l’idée de me lever si tôt pour rencontrer ces gens ne m’était guère alléchante.

Il me laissa enfin tranquille. Je pouvais à présent profiter du calme de la nuit tombante pour sortir ma lyre.

Sur mon charmant balcon, les accords que je jouais s’envolaient toujours au gré de la brise, c’était là ma récompense pour avoir survécu un jour de plus.

Il faisait aussi chaud qu’hier, et ça n’allait pas s’arranger. La saison ne faisait que commencer. Le ciel se remplissait bien assez tôt d’innombrables étoiles. Bien tristement, la ville la plus éclairée du royaume m’empêchait de toutes les apercevoir.

Perché au deuxième étage, je pouvais hélas encore voir une poignée de nobles s’éloigner du Palais. Une de ces insupportables demoiselles me faisait discrètement signe depuis la grande allée, en se trémoussant. Ses longs cheveux verts s’agitaient comme l’herbe au vent.

Je m’efforçais de sourire. La courtoisie m’était toujours aussi douloureuse.

Je pouvais l’imaginer glousser secrètement, qu’elle ait pu voir mon rictus ou non.

Répugnant.

Les gens comme elles me mettaient hors de moi. Ce n’était pas une cour, mais une troupe de foire. Tous ces courtisans m’exaspéraient. Je désignais par ce mot tous les bourgeois, aristocrates et petits nobles qui tournaient autour du Palais comme des mouches dans l’espoir de se rapprocher de la lumière du pouvoir de la famille royale.

Je soupirai une fois de plus. Telle était la vie du prince Lucéard de Lucécie.

Un croassement interrompit la complainte que j’adressais à la lune.

Le charognard surgit de l’obscurité et s’empara de mon instrument, sans que je n’aie le réflexe de le lui arracher.

Lucéard: «Reviens là, rat à plumes, rends-moi ça !»

Le volatile avait été alarmé par mon cri, bien qu’étouffé, et y répondit, lâchant ma précieuse lyre derrière les remparts qui entouraient le palais et ses jardins.

Je me hissais au bord du balcon pour apercevoir la trajectoire de l’objet. Il était bien tombé en dehors des murs.

Je n’aimais guère m’aventurer à l’extérieur…

Cela dit…personne ne touche à mes instruments.

Je quittais ma chambre en silence.

Je refuse que ma lyre passe la nuit dehors, dans l’humidité et le froid. Mais il ne faut pas non plus que je sois repéré, ces ignares ne comprendraient pas.

Je haussai les épaules d’un air hautain.

Mon excursion s’annonçait vaine, mais les ronflements d’un garde se firent la fanfare du succès qu’était cette opération. Ce dernier gardait l’entrée même de l’enceinte du palais. C’était d’une certaine façon inquiétant, mais je m’en réjouissais.

Mon visage affichait une satisfaction mal placée. Mais cette expression s’évanouit aussitôt que je me rendis à l’évidence. J’allais devoir inspecter cette végétation disgracieuse.

Fouiller des buissons est une tâche pour l’un de ces jardiniers terreux. Mais s’il le faut, je toucherai ces feuilles pitoyables une par une pour retrouver ma douce lyre.

«La voici !» murmurai-je à moi-même.

Un bruissement dans le bosquet de l’autre côté de la route me fit sursauter.

«Stupides animaux» pensai-je à haute voix, le regard dédaigneux.

Voix rauque: «Qu’est-ce tu dis, toi ?»

Ce ton gras n’avait rien de rassurant…sans pour autant être intimidant, cela dit. La deuxième voix était aussi masculine que la première.

Voix masculine: «Eh, regarde ses sapes, on est bien tombés, faut croire !»

Voix rauque: «T’es sérieux ? Mais ça m’a l’air d’être lui en plus !»

Les rustres qui me reluquaient semblaient s’enthousiasmer de leur trouvaille. Leurs silhouettes se dégagèrent bien assez tôt de la végétation. Celui à la voix braillarde n’était pas si grand que ça, mais assez volumineux, le pauvre. L’autre était déjà plus imposant, mais la première impression que j’avais eu de lui m’avait contraint de le considérer comme un idiot fini.

Je serrai ma lyre contre moi. Je n’avais jamais vu d’orcs de ma vie. Néanmoins, quand je pus me rendre compte qu’il ne s’agissait que d’humains, la peur me paralysait toujours.

Lucéard: «Nous ne sommes pas au village ici, vous ne pouvez pas rôder autour du palais comme ça.»

Je niais presque la teneur de la situation. Leurs paroles étaient pourtant plutôt claires. Dans le duché le plus paisible du royaume, un drame allait frapper le prince.

L’un d’eux s’approcha.

Voix rauque: «Tu vas faire un gros dodo mon pote.»

Il semblait attraper quelque chose qu’il portait à la ceinture. Je reculais d’un pas.

Lucéard: «Ne m’approchez pas ! GAA-»

Mon cri n’aboutit pas. Toutes mes forces m’abandonnèrent aussitôt, sans que je n’ai pu réaliser ce qu’il venait de m’arriver. Je sentis ma conscience s’évanouir, mon corps se laissait choir contre le sol. Mes yeux étaient à présent clos.

-2-

Lucéard: «…»

A mon réveil, il faisait déjà jour. Je n’avais pas eu l’occasion de dormir aussi tard depuis bien longtemps. Cependant, il n’y avait pas de quoi s’en amuser.

En me redressant, je constatai n’avoir été ni blessé, ni dépouillé. Seulement bâillonné.

Je m’indignais d’être retenu de la sorte et me débattais dans l’espoir de me défaire de ces liens, en vain.

Il y avait un couteau planté dans le bois de cette étroite cabane. Je devais être dans un repère de bandit. Mais si c’était le cas, je n’aurai plus un sou sur moi. Et je savais que ce n’était pas le cas.

J’en déduis qu’ils me veulent pour des raisons politiques, les malfrats ! Si au moins je pouvais me défendre…

Père ne jugeait pas nécessaire d’ajouter cela à notre éducation. Après tout, nous étions extrêmement bien protégés par la garde ducale, sauf exception. L’apprentissage du combat se faisait pourtant chez la haute-noblesse, mais de ce que j’en savais pas dans ce duché.

Il était évident qu’ils allaient venir me chercher dans quelques instants. Je dégageais de sous mes vêtements mon sac de Thornecelia. C’était un magnifique sac verdoyant, tissé avec les fibres d’une plante d’une rareté inestimable et enchanté par le Grand Mage de la Cour Royale.

Il était tout fin et je pouvais le porter contre ma peau. Son ouverture avait beau être très large par rapport à sa longueur, il pouvait contenir bien plus qu’on ne pouvait l’imaginer. C’était un sac sans fond. Si l’on oubliait y avoir rangé quelque chose, l’objet était perdu à jamais. Heureusement, je conservais une liste de tout ce que j’y avais mis. Il me suffisait de tendre la main pour trouver ce que j’y convoitais.

Néanmoins, qu’est-ce qui aurait pu me sauver au fond de cette poche ? Mes mains liées pénétrèrent maladroitement l’artefact magique et ressortirent avec un étrange objet cubique.

La boîte sonnante d’Archibold.

Telle la cloche du beffroi, elle sonnait les heures avec une précision assez remarquable, c’était une prouesse pour son inventeur.

Ceci dit, Archibold n’était pas vraiment reconnu pour ses qualités d’ingénieur, on l’appelait d’ailleurs l’Artificier, car ses inventions, qu’importe leur nature, se retrouvaient finalement être d’instables explosifs. Comment avait-il fini à la Cour d’ailleurs ?

Ce système fonctionnait à l’aide de magie, ce pourquoi un compartiment était prévu pour accueillir une gemme de concentration magnétique polarisée. Ces petites pierres luisantes qu’on devait, à ce qu’on dit, aux prouesses techniques des gnomes, pouvait insuffler de l’énergie à cette boîte, et lui permettre de mesurer le temps.

Je replongeais mes mains pour en sortir une.

Avec un peu de chance, une fois alimentée, elle ne sonnera pas les heures. Mais si je ne survis pas à son activation, ça ne vaut pas franchement le coup non plus.

Avec une certaine indifférence, j’insérai la gemme, qui s’illumina au contact. Et la boîte se mit à vaciller sous mes yeux. Tout annonçait que notre artificier était à la hauteur de sa réputation.

Je lançai mon corps pour envoyer l’objet contre le mur opposé de la cabane, puis je rampai, comme un mendiant, derrière une grande étagère bancale.

La boîte se mit à produire un son inquiétant en s’illuminant, elle frappait les planches de bois en oscillant frénétiquement…

Puis explosa. La détonation était impressionnante si on considérait la taille initiale de l’explosif. Je ne pus deviner son intensité qu’à son souffle. Je m’étais recroquevillé autant que possible pour éviter les débris. Un trou béant s’était formé à l’angle de la cabane et avait par la même occasion ouvert la porte. Je réalisais à présent qu’elle n’avait pas été verrouillée et que j’aurai pu m’épargner tout ça.

Si après ça ils ne rappliquent pas dans la seconde…

C’était l’heure de la grande évasion. Je me jetai au travers de cette nouvelle issue avant de me rendre compte qu’elle menait à une pente bien trop raide pour être empruntée.

Je gesticulai ridiculement dans ma descente, pieds et poings liés, en espérant ne pas trop m’amocher. Après avoir roulé dans la poussière sur une dizaine de mètres, le tourbillon infernal prit soudainement fin. Je rouvrais un œil. Face à moi s’étendait une forêt dont j’étais à la lisière.

Bandit: «Il s’est échappé ! Le prince s’est échappé ! Retrouvez-le, allez, allez ! Il ne doit pas être loin !»

Je pouvais entendre les cris d’un de ces malfrats, sans que lui ne puisse me voir.

Ils ne m’ont pas vu m’évader, mais si je traîne ici, ils me retrouveront rapidement.

J’entendis de nouvelles voix s’élever dans ce qui apparaissait maintenant comme un village de bandits. Je pouvais apercevoir une grande tour qui dominait ces quelques habitations, presque accolée à la montagne.

Voix tonitruante: «Mais qu’est ce qu’il foutait là aussi ?! Me dis pas que c’est toi qui a pensé que ça serait une bonne idée de le garder là ?! A quoi ça sert qu’on ait des cachots ?!»

Voix nasillarde: «C’était quoi ça ?! Il utilise de la magie explosive ou quoi ?!»

A présent, des hennissements me parvinrent aux oreilles. Les chevaux partirent au galop dans un grand brouhaha. Des groupes de bandits qui élisaient domicile dans les forêts, il y en avait pléthore. Ils affectionnaient s’attrouper autour d’un bâtiment abandonné en pleine nature comme c’était le cas ici. Cependant, tous les bandits ne pouvaient pas se permettre d’élever des chevaux.

Bon, et maintenant ?

Je n’avais pas beaucoup d’alternatives. Mais la providence était encore de mon côté : je réalisai que je pouvais à présent retirer mes bras de leurs entraves. J’en profitai pour dénouer les liens autour de mes chevilles avant de filer le plus loin possible d’ici.

Il ne me fallut pas plus d’une minute pour m’essouffler. Je m’adossai à un arbre pour épousseter mes précieux atours. A quelques mètres, de l’autre côté du tronc, des hommes guettaient les alentours.

Bandit: «S’il est de l’autre côté de la route d’Oloriel, on est vraiment mal ! Mais il n’a pas pu y arriver en si peu de temps, alors ouvrez l’œil !»

Oloriel… Mais alors…cette montagne ? Cette forêt…?

Ces quelques informations pouvaient me donner une vague idée d’où je me trouvais, mais si je ne bougeais pas maintenant, la voix risquait de se rapprocher. Pour l’instant, elle ne pouvait sûrement pas entendre mes pas.

Je disparus dans la verdure, mon cœur battait de plus en plus vite, tout cela était inédit pour moi.

Je m’éraflai encore et encore, étouffé par la chaleur estivale. J’étais perdu, j’étais seul. J’en regrettai pour la première fois le confort de mon palais, j’en regrettai mon escorte. C’était en effet une première. Et si j’en réchappai, je nourrissais l’espoir que ce fusse aussi la dernière. Mes mains tremblaient comme jamais auparavant.

Je dois rentrer. Elle doit sûrement s’inquiéter…

Ce que j’identifiai comme de la peur se mua en une étrange mélancolie.

Quand je rejoins enfin un sentier, il n’y avait plus que le crissement des criquets et le lourd tumulte d’un tonnerre lointain. J’apposai ma main contre mon cœur bondissant comme pour le faire taire. Le ciel se couvrait lentement, mais le soleil brillait encore au zénith.

La lumière que ne filtrait pas les feuillages semblait m’indiquer l’entrée d’une grotte. Cette brèche discrète au bout de l’étroit sentier s’annonçait comme une précieuse chance de salut.

Je ne sais pas si une autre échappatoire se présentera d’aussitôt.

Plutôt que de céder à la panique, je parvenais à réfléchir de manière suffisamment lucide, comme si je ne réalisais pas encore la situation dans laquelle je me trouvais.

Je sortis mon rebec alors que je m’enfonçais dans les ténèbres de la caverne. Je m’éclaircis la voix.

Lucéard : « ~Les grottes, ça n’effraie que les bouseux, les ignares, la peur n’est pas grand chose quand on est Lucéard~ »

Cette vague tentative de me rassurer n’eut aucun effet. Je dus m’arrêter peu de temps après, je n’y voyais plus rien.

-3-

Une lampe à huile s’alluma au bout de ma main.

Pourquoi ai-je pris ça dans mon sac ? …Et quand ?

Je me félicitai malgré tout de m’en être souvenu par moi-même. Elle tombait cependant à point nommé et me permit de reprendre ma route. Le sac de Thornecelia me poussait à entreposer avidement tout ce que je trouvais utile. Je n’en ressentais ni le poids, ni l’encombrement.

La grotte en question n’avait rien de très naturel. De grands piliers soutenaient le plafond rocheux qui s’élevait au sommet de chaque pièce. L’endroit me parut hostile, mais la flamme que je transportais ne me permettait plus d’être furtif. Plus on avançait, et plus les parois étaient visibles de loin. Cette lueur bleu translucide qui émanait de la roche était ce qu’il y avait de plus caractéristique au sujet de ce minéral endémique des souterrains d’Azulith.

Lucéard : « Et puis, il fait un peu froid… »

Je n’avais pas l’habitude de parler seul, mais aussi longtemps que personne ne m’entendait, je n’en avais pas honte.

Je me retrouvais à traverser d’étroits couloirs, moi qu’on avait habitué aux grandes portes. Je me rendais à présent compte de l’immensité de ces galeries.

Ce dédale ne me dit rien qui vaille. Tomber sur des bandits vaut toujours mieux que de tomber sur des créatures de bestiaires. Et si je suis bien où je pense être, je ne vais pas y couper.

Je déglutissai en repensant aux illustrations que j’avais pu voir dans des ouvrages.

Ma lampe et mon statut princier ne me protégeront pas longtemps si je rencontre vraiment un monstre.

Le bruit non loin d’une pierre ricochant sur ses semblables résonna jusqu’à mes oreilles. Mon cœur battait toujours plus fort, je tentai de cacher ma respiration.

Je choisis d’éteindre la lampe plutôt que d’être une cible facile. Les sons métalliques que je produisais ce faisant me firent bêtement paniquer.

J’avançais d’un pas hésitant, me retournant dans tous les sens, comme si j’étais déjà acculé. Une silhouette apparut à la sortie de la dernière pièce que je venais de franchir.

Bandit : « Ah, j’ai bien fait de continuer aussi longtemps ! Je me disais bien avoir vu des empreintes fraîches. »

En entendant sa voix irritante, je décidai de m’éclipser doucement dans l’espoir qu’il ne m’ait pas réellement vu. C’était une réaction ô combien absurde.

Bandit : « C’est moi qui te ramènerais, et je serai peut-être promu ! Enfin, je sais pas vraiment si ça marche comme ça… »

Il semblait souffrir d’un certain manque d’aplomb.

Bandit : « Bah, peu importe, viens avec moi ou je te tue ! »

Je continuais ma route, faisant mine de ne pas l’avoir entendu.

Bandit : « E-eh ! Mais pars pas ! »

Il sortit sa hache pour compenser son attitude pas franchement intimidante, puis s’avança avec précipitation.

Je me retournais alors vers lui avec un grand sourire.

Lucéard : « Oh, bien le bonjour. Vous faites manifestement erreur sur la personne, je suis barde, tenez : »

Je lui jouais à présent un morceau assez rudimentaire à l’aide de mon rebec pour apporter plus de crédibilité à cette imposture bancale.

Lucéard : « ~Dans une caverne sans un bruit, le héros marche toute la nuit, pour s’abriter de la pluie, il aurait dû rester dans son lit.~ »

Le silence qui ensuivit fut particulièrement embarrassant. Le malfrat me fixait sans un mot, il semblait outragé à l’idée qu’on ait pu penser qu’il serait dupe.

Bandit : « Si tu te laisses pas faire, ben je vais te tabasser, moi. »

J’aurai presque pu entendre de la pitié dans ses mots, ce qui ne manqua pas de m’offusquer à mon tour. Mais mon rebec semblait lui aussi tressaillir à l’idée de se retrouver sous cette hache. Le ravisseur eut à peine le temps de poser le pied que je détalai à toutes jambes dans la direction opposée.

Bandit : « Eh ! Reviens ! Fais gaffe ou je te tue, là ! »

Il hurla sans raison avant de se jeter à ma poursuite.

Je n’avais aucune chance, que ce soit en fuite ou en combat, n’importe qui me dominait. Un choix décisif m’attendait quelques mètres plus loin, quand deux chemins s’offrirent à moi.

Heureusement, ces heures de cours viennent enfin à contribution.

Le sourire hautain, j’accourais sur la droite.

J’ai senti un courant d’air dans cette direction. Autrement dit, c’est le seul chemin qui ne mène en aucun cas à une impasse.

Cet air bien trop satisfait se laissa lentement mourir à mesure que je distinguais la montagne de gravas qui bloquait cette voie.

J’aurai juste mieux fait de ne pas aller chercher ma lyre en premier lieu…

L’imminence du danger me découragea aussitôt. Mon visage se décomposa face à cet obstacle infranchissable.

C’est un cauchemar… !

Bandit : « Eh, tu as une bonne foulée ! Tes chaussures sont pas terribles pour courir pourtant ! »

Il était à présent derrière moi, j’étais fait comme un rat.

Je me retournais lentement vers lui, une main dans le dos. Mon regard était celui d’une proie. Et une proie dos au mur pouvait montrer un nouveau visage.

Bandit : « …Oh, ne me dis pas… T’as une arme ?! »

Il ressentait à présent la fureur de mon instinct de survie et…

…Et ne semblait pas plus inquiet que ça.

Bandit : « Bah mince alors, mais j’ai pas le droit d’utiliser ma hache sur toi. Je dois juste t’endormir avec un de ces dards. Tu ne pourrais pas euh…éviter tout ça ? Si je te blesse, je risque d’avoir des soucis, mais…»

Il finit par parler dans sa barbe. Ce type là s’avérait être un grand timide. Mais c’était trop tard. Ma main jaillit de mon sac sans fond.

J’ouvrais la paume pour lui présenter une bourse. Il rougissait et tapait le bout de ses index l’un contre l’autre. Il était visiblement embarrassé. Sa voix se fit fluette.

Bandit : « C’est pour moi… ? »

C’est quoi cette réaction ?!

Il se ressaisit en réalisant l’image qu’il donnait.

Bandit : «J’veux dire, n’espère pas m’acheter, haha, ta captivité vaut plus que ta petite bourse de noble ! »

Son rôle de malfrat était soudain bien plus convaincant.

Ne sous-estime pas toute la fortune que j’ai sur moi, bougre d’idiot ! Et puis, il ne s’agit pas du tout de ça. Dans ce petit sac, il y a de grandes surprises.

Il ne s’agissait là que d’un échantillon que j’avais emprunté dans le laboratoire alchimique de Von Schweizig. Autrement dit, le contenu était aussi une surprise pour moi.

Je déversai de la poudre dans une de mes mains et la serrai fortement.

Ceci dit, si ma mémoire est bonne…

Le mécréant sentit l’entourloupe et se pressa dans ma direction. J’en profitai pour me boucher le nez de l’autre main, bloquant ma respiration. Et quand le moment fut venu…

Je lançai la poudre verte luisante dans ses yeux. Il suffisait qu’il l’inhale pour que les effets opèrent. Mais si par chance je pouvais l’aveugler en même temps, c’était tant mieux.

Sans perdre un instant, je passai à côté de lui pour m’enfuir de plus bel. Sa réaction avait été trop lente, je m’éloignai de lui à grande vitesse.

Bandit : « Mais… Qu’est-ce que c’est ?? »

Sa voix était lente et dissonante, il peinait à garder l’équilibre.

Cette poudre altère la perception du temps de quiconque la sent. Et de toute évidence, ça marche vraiment !

Je m’enfonçais toujours plus loin dans la grotte, ma gorge était sèche d’avoir trop couru. D’épaisses boîtes de pierre étaient alignées de chaque côté du chemin, elles reposaient dans de profondes cavités creusées le long des murs.

Faites que ce ne soit pas ce que je pense…

Reprenant ma respiration, j’inspectais ces étranges créations tout en avançant. Une faible lumière parvenait jusqu’ici, sans que je ne puisse deviner son origine.

Dans cette étrange atmosphère, j’en oubliais presque le bandit à mes trousses. Il était pourtant derrière moi, essoufflé et contrarié.

Bandit : « C’était quoi ton truc, bon sang ?! Si tu tentes à nouveau un coup foireux comme ça, je te ramène sans tes bras ! »

Je poussai un inaudible gémissement d’effroi en entendant cette menace. En pivotant sur moi-même pour lui faire face, le talon de ma chaussure m’abandonna et je me retrouvai au sol.

Les bras en arrière, je reculai à mesure que lui n’avançait. Son sourire se redressait.

Bandit : « Allez, maintenant reste tranquille, sois un bon petit prince tout sage. Héhéhé ! »

Lucéard : « Aah… ! »

L’épouvante qu’il lisait sur mon visage lui parut un peu surjouée. Mais ce dernier éclat de voix l’avait surpris.

Bandit : « Sois pas si minable, j’ai menti pour les bras. »

Je lui répondis à grands renforts de signes de tête, lui indiquant que ça n’était pas la raison de mon cri.

Le voyant hébété par ma réaction, je pointai mon doigt tremblant dans sa direction, ce qui le rendit encore plus perplexe.

Ce n’est qu’à partir de là qu’il ressentit l’air glacial qui caressait son dos.

Un hurlement d’un autre monde vint briser ce silence pesant.

L’homme à la hache se retournait, pétrifié, pour apercevoir la grande silhouette livide, même plus que ça, d’une blancheur morbide.

Cette forme humanoïde était recouverte d’une sorte de viscosité luisante…éthérée ?

…De l’ectoplasme !

Le malfrat recula, prêt à se cacher derrière moi à tout moment. Nous étions deux pour contempler l’horreur démoniaque qui venait nous rendre visite.

Bandit : « Un…Un fantôme !! »

Le terrible gaillard sanglotait à moitié, je me permis de le reprendre, de ma voix tremblante.

Lucéard : « Ça n’est pas un fantôme, non. Cette chose est un marcheur des catacombes ! »

J’étais terrorisé, mais je ne pouvais pas m’empêcher de continuer mon explication.

Lucéard : « J’ai eu connaissance de son existence car l’ectoplasme de ce monstre est utilisé contre les maux de dos. »

Le bandit n’écoutait même pas, il empoigna son arme fermement et fonça sur la créature.

Bandit : « Si c’est pas un fantôme, alors je peux le tuer !! »

Je regardais impuissant la scène qui débutait. La lame de la hache sembla ralentir au contact du marcheur. Ce dernier ne bougeait pas d’un millimètre, le coup avait frappé dans le vide. Il fallait s’y attendre.

Le malfrat n’eut guère le temps de se ressaisir après son assaut. Le pseudo-fantôme passa lentement sa main au travers de la tête du bandit.

Cela ne l’avait en effet que traversé, ce qui était tout aussi logique. Pourtant, dans la seconde qui suivit, le pauvre homme s’écroula au sol, sans vie.

Ma stupéfaction s’exprima en un son étouffé.

La main transparente du marcheur était toujours levée devant lui, elle retombait lentement contre son corps. Il me fixait. Ses yeux n’étaient que des trous, larges et noirs, il me sembla y contempler les abysses. Malgré cela, je savais au plus profond de moi qu’il était en train de m’observer. J’étais sa prochaine victime. Ma respiration erratique s’accompagnait d’une légère buée, le froid m’encerclait.

Combattre était de la pure folie, je ne voyais aucun moyen d’en venir à bout. Il ne me restait plus qu’une solution…

La fuite. La fuite la plus rapide de toute l’Histoire.

-4-

Je lui jetai mes chaussures abîmées en me relevant. Les projectiles ratèrent leur cible d’un bon mètre. Mais je courrais de nouveau, sans me retourner un seul instant.

Après la dernière tombe, de longs escaliers descendaient encore plus profondément dans ce piège mortel. Les marches irrégulières s’avérèrent elles-mêmes de sérieuses menaces. J’arrivai en boule en bas de la dernière. La soudaine douleur me paralysa quelques instants. Je ne pouvais que regarder machinalement vers le haut. Au sommet des escaliers, le marcheur descendait lentement. J’ignorais s’il marchait ou flottait, mais il semblait prendre son temps. Il savait sans doute que je ne lui échapperais pas.

Rien dans mon sac ne me sauvera d’un non-humain. Je ne peux même pas atteindre un monstre qui n’a pas de corps physique…

Une partie de moi renonçait à m’en sortir, tout le reste succombait à la panique.

Si au moins…j’utilisais de la magie…

Le visage sévère de mon père m’apparut.

Il a toujours refusé que je pratique un art des arcanes… Je n’en aurai jamais besoin, paraît-il…

La créature monstrueuse continuait son chemin.

Je n’ai jamais éveillé mon mana, ce genre de choses ne se contrôle pas, j’imagine.

Je tentais de me relever, péniblement.

Même si certains éveillaient leur magie dès la naissance, c’était un don rare puisque moins d’une personne sur mille maîtrisait le mana. Et dans la plupart des cas, on la développait en situation de stress intense.

Il me semble bien qu’il faille remplir certaines conditions pour accéder au don de magie qui repose au fond de soi. Si seulement ce mal de tête infernal, cette sueur gelée, et ce cœur palpitant étaient les conditions… Hélas, je pense juste mourir avec de tels symptômes.

Je distinguais à présent mon fidèle rebec, qui m’avait abandonné dans ma chute et qui gisait encore sur une marche, en piteux état. Une fois le marcheur passé, il était recouvert d’ectoplasme. Une terrible rancœur naquit dans mes yeux.

J’aimerai bien te le faire payer, crois-moi. Personne ne touche à mes instruments, ils ont plus de valeur que la vie de tous les habitants de Lucécie.

Des images me revinrent en tête, un sentiment de culpabilité s’empara de moi.

Si elle m’entendait penser de telles choses…

La peur fit alors place à une rage brûlante, incandescente.

Je peux encore fuir un temps. Mais s’il y a autre chose à tenter, alors je le tenterai.

Il était à présent à mon niveau et continuait sa progression.

Si je pouvais lancer…ne serait-ce qu’un sort !

Ma main se plongea une fois de plus dans le sac de Thornecelia.

Je ne me suis penché que sur la magie musicale. Rien ne me conviendrait plus. Je ne vois rien de plus noble. Une incantation, un accord.

Je faisais face à mon adversaire, faussement téméraire, je brandissais ma lyre dans la main droite. Une lyre bien ornée avec laquelle ma mère m’avait appris à jouer. C’était toujours mon instrument le plus précieux.

Si je fuis, je risque seulement d’ameuter toutes les horreurs de ce souterrain. Quitte à être complètement ridicule, je…je dois au moins essayer.

Lucéard : « Tu…ne m’impressionnes pas ! Tu n’es même pas aussi répugnant que tous ces fermiers édentés ! »

J-je ne veux pas…mourir… !

Lucéard : « L-lamimi…eeeis ? »

Je donnai un coup maladroit sur la lyre. Une corde céda dans un son grotesque.

Oh pitié…

La grimace sur mon visage illustrait ma déception.

Le marcheur était bien loin de s’impatienter et avançait moins vite que je ne reculais.

Lucéard : « Lamiaaaa ! »

Baragouinais-je, tremblant.

Cela ne menait à rien. Je fermais les yeux en le réalisant. J’inspirai profondément, faisant abstraction de tout ce qui m’entourait, tout ce que je ressentais. Face aux portes de la Mort, cela ressemblait à un ultime moment de lucidité, ou bien encore à une paisible folie. Mais ce n’était ni l’un ni l’autre.

Ce n’est pas ça… L’incantation doit être plus distincte, plus forte. Mais…j’ai tellement peur… Si je ne survis pas, alors…

Alors…

Nojù…

Mes yeux se rouvrirent. Une résolution venait de naître au cœur de mes iris.

Lucéard : « Lamina…eius ! »

En jouant l’accord, je crus ressentir un souffle entre mes doigts.

Le marcheur ne semblait nullement souffrir.

Cette brûlure à l’instant, quand j’ai prononcé ces mots…!

J’apposai ma paume contre ma poitrine.

Elle se propage dans tout mon corps… Cette énergie est nouvelle, intense.

Mon souffle était court.

Je m’embrase… !

Une soudaine excitation rendit ses couleurs à mon teint.

Le marcheur donna un lent coup du bout de sa main, comme s’il grattait l’air. Sans réfléchir je m’écartais contre le mur opposé. De retour à la réalité, je regardais la paroi face à moi, elle venait d’être lacérée par d’énormes griffes.

Ce n’est pas possible… Ce geste à l’instant a produit ça ?!

Mes genoux dansaient alors que je me retournais vers l’aberration au regard vide. Il pouvait trancher la roche à quelques mètres de distance par un simple mouvement.

Je m’enfuis pour sortir au plus vite de cet étroit couloir.

La pièce la plus proche était singulière. De larges vitraux colorés formaient un cercle au centre du plafond. Le peu de luminosité provenait de ce qu’il y avait en dessus. Hélas, d’énormes rochers semblaient s’être amoncelés de l’autre côté de cette étrange fenêtre.

Il me semblait à nouveau sentir une douce brise. La liberté devait être juste en dessus de moi. Cette idée apaisait mon tourment. J’étais encore là, mon monde n’avait pas disparu.

Mon monde… ?

Je me retournai alors vers l’entrée, m’extirpant subitement à mes pensées.

Lucéard : « Où est-il ?! »

Le répit n’avait été que de courte durée. J’avais perdu de vue ce cauchemar ambulant.

Il était passé derrière moi, j’en avais la certitude.

Je m’esquivai aussi vite que possible. Il me donnait l’espoir vain de m’enfuir de là où j’étais arrivé. Toujours inexpressif, il s’avançait avec bien plus d’hostilité qu’auparavant.

Mon cœur se serrait. Il n’allait pas plus vite, mais il désirait ma mort plus que jamais, et je pouvais ressentir cette froide étreinte de plus bel.

Il doit ressentir que quelque chose s’est éveillé en moi… C’est le moment.

Ma position était plus dramatique que jamais. Toute ma vie se jouait sur cet unique moment.

Je pris une grande inspiration. C’était maintenant.

Tout mon corps semblait sur le point d’exploser. Je ne pouvais plus retenir ce cri plus longtemps.

Lucéard : « LAMINA EIUS !!! »

Déchirant le silence infernal de ces catacombes, le son de la lyre se mêla à ce hurlement brûlant. Le mouvement avec lequel j’avais frappé les cordes était bien trop exagéré. Une lame de lumière s’échappa de l’instrument et s’envola vers les cieux.

Je tenais ma lyre illuminée de toutes mes forces, je ne réalisai pas encore.

Le projectile magique interrompit sa course contre la structure métallique du vitrail. Ce n’était pas la partie la plus endommagée, mais c’était le mieux que je pus faire.

Ces monstres sont des créatures physiques. Même en donnant l’illusion d’être un esprit, ils ne peuvent pas rendre leur corps intégralement impalpable.

Le verre se fissura instantanément, les pierres avaient à présent la force de percer à travers cette entrée.

Les tessons aux mille couleurs se mélangèrent dans leur chute à cette pluie de pseudo-météores, dans un spectacle scintillant. Le tout s’abattit bruyamment sur le marcheur dont le cri strident perdura bien après son inhumation. Le torrent rocailleux prit fin après une poignée de secondes.

La lumière éclairait faiblement cette montagne inerte. Le murmure des gouttes naquit de ce silence soudain. La douce odeur qui accompagnait la pluie me soulageait. Je m’affaissais sur le sol, tous les muscles de mon corps se relâchaient. Je réalisai enfin : Je n’étais pas sauvé.

Je restai assis là, terrorisé. Je ne pouvais plus bouger. Je n’arrivais pas à revenir à la réalité, ce cauchemar ne pouvait pas prendre fin. J’étais au comble de la détresse, immobile, dans ce tombeau sans issue.

Le marcheur n’était plus, mais cela ne changeait rien.

Celui qui ne faisait que médire sur le reste du monde regrettait enfin sa solitude. Je ne pensais plus qu’à revoir quelqu’un. Et c’est ce sentiment qui, au bout de bien trop de temps, me poussa à me relever.

-5-

Je changeai la corde de ma lyre avant de repartir. La douce chaleur de l’été tentait de pénétrer cet enfer glacial. L’eau glissait sur les roches sans un son.

Je choisis de continuer, nourrissant l’espoir que la sortie soit plus proche, plutôt que de revenir au point de départ.

Provisoirement calmé, je continuais de descendre. La plus grande partie du chemin qui menait à la salle aux vitraux avait été de la montée. J’espérais rencontrer la sortie à chaque instant.

Mais je ne fis que marcher, et bien assez tôt, le temps passé dans cette grotte avait doublé, triplé.

Depuis quand étais-je sous terre ? Je ne pouvais plus l’imaginer. J’avais dû m’évanouir par moment. J’étais recouvert de crasse. Combien de créatures avais-je évité ? Peut-être m’avaient-elles vu, peut-être me suivaient-elles ? J’avançais dans les ténèbres. Aurai-je dû prendre cet autre chemin ? Ou encore celui-là ? Mon énergie n’allait qu’en s’amenuisant.

Je finis par ressortir ma lyre, dans le but de divertir mon esprit.

Je dois tenir bon… Je dois tenir bon…

Je n’étais plus moi-même, tant la situation m’abaissait à être n’importe quelle créature dictée par l’instinct de survie. Tout ce qui me définissait s’évanouissait, tout comme la lumière dans mes yeux.

Je pourrais me soigner… Je suis un mage après tout…

J’esquissai un sourire amer. Ce nouvel exercice dissiperait peut-être cette étrange confusion. Je me concentrai.

Lucéard : « CURA EIUS »

La magie musicale répondait à la force des sentiments du lanceur. Je pensais les miens totalement asséchés. Mais le sort prit forme. La lumière émanait de mon corps, dont les légères blessures guérirent. Cette sensation m’apaisa. J’avais pu sortir la tête de l’eau, même si ce ne fut que pour un instant. L’effet était cependant si faible. Je n’en restais pas moins assis dans le noir, en silence.

Je repris la route sachant que mon temps était compté. Mes jambes me faisaient souffrir. Je finis par me retrouver face à une fontaine, perdue au milieu des roches.

Il n’y avait aucune raison de trouver un tel édifice ici. Je n’avais pourtant pas bu depuis probablement plus d’un jour et je me ruais jusqu’à elle.

De l’eau coulait. Ce son était comme une libération. La surprise me laissa pantois quelques instants. Je ne pouvais pas me permettre de me méfier. L’idée ne me vint même pas. Je bus jusqu’à ne plus avoir de souffle.

J’essuyais mon visage boueux. Elle était si fraîche. J’acceptais immédiatement ce miracle comme un coup de pouce du destin. Mon estomac était faussement rempli quand je trouvais la force de repartir.

Encore de la montée. J’avais sans doute bien trop descendu. Des yeux luisants m’apparaissaient au loin. Il devait s’agir de chauve-souris. Devais-je les craindre ?

Dans le doute, je ne pouvais pas prendre l’initiative de les attaquer. Il me restait une alternative. Je restai à distance pour expérimenter le dernier sort basique.

Lucéard : « AUXILIA EIUS »

Je pris peur en voyant cette boule se créer autour de moi. C’était une petite prison de verre sphérique, voire ovale. Elle s’arrêtait au contact du sol. De la lumière s’en dégageait, moins forte que celle des sorts précédents.

Du verre…luisant ?

Sans y avoir pensé, je me rendis compte du double sens de cette expression. Je soupirai.

Ce n’est même pas drôle…

Je posai les doigts contre ce bouclier magique. Il finit par disparaître. Je souriais en coin.

Quand même…qui aurait cru que ce serait aussi facile ?

Je reprenais la route en boitant. Je fixai les bêtes ailées qui réagissaient à ma présence. L’une d’entre elles prit son envol dans ma direction.

Lucéard : « AUXILIA EIUS »

Elle se heurta au sort avant de repartir, ce qui attira l’hostilité des autres qui s’y frottèrent à leur tour. La forte lumière que produisait l’impact de leur corps sur cette paroi les alarma plus encore. Elles s’enfuirent en comprenant qu’elles ne pouvaient rien faire contre cet intrus.

Si des chauves-souris sont ici, la sortie n’est pas loin…non ?

Animé par ce vain espoir, je continuais mon chemin. Mais il n’y avait toujours rien.

J’avais déjà changé de chaussures quand j’en avais eu l’occasion, et j’avais aussi de quoi me changer entièrement dans mon sac. Ce que je fis. Je m’offris ainsi l’illusion de ne pas marcher sans arrêt. Mais je ne pris pas mon temps. Ces habits frais ne faisaient que recouvrir un corps devenu inconfortable.

Et ce corps avançait encore. Ignorant la douleur. Pourquoi luttais-je ?

Ce monde m’ennuie. Tous les jours sont identiques. Je n’ai plus goût à toutes ces choses.

Un pas après l’autre, ma route continuait. Il n’y avait plus que ce long tunnel qui montait lentement, mettant mes mollets à l’épreuve.

Les gens ne font que nuire. Mes journées sont décidées à l’avance pour respecter l’ordre des choses. Pour respecter des convenances sociales. Si je me laissais mourir maintenant, j’aurai toujours une chance de renaître dans un endroit où je pourrais finalement être libre.

Il n’y avait plus que le son de mes pas.

Le monde de mes rêves. Où la vie serait ce que je crois qu’elle devrait être. Je n’ai fait que me plaindre, mais je m’enfonce encore et encore dans cette routine, comme si je m’y étais résigné il y a bien longtemps. A quand remonte la dernière fois où je me suis demandé ce qui me rendrait heureux… ?

Mon esprit sombrait à chacun de mes pas.

Ce qui m’attend en dehors de cette grotte est la même chose que j’aurai voulu fuir. Mais qu’est-ce que je souhaite, moi ? Devenir le plus grand musicien qui soit ? Couler des jours paisibles loin de la vie de prince ? C’est ridicule.

Ma conscience se mourrait, même si ce fut indiscernable.

Je suis sûr que la plupart des gens ici-bas voudraient être à ma place… Quelle ironie. Ce n’est pas ma place… Que je sois le Roi ou le plus riche homme de de ce monde, ça ne rend pas mes problèmes plus insignifiants. Mon malheur n’en est pas moindre, ces choses là ne peuvent se comparer… Ce n’est même pas du malheur, c’est de l’indifférence, du vide. Il n’y a plus rien. Ma vie est stérile.

Je n’entendais même plus mes pas. La grotte semblait avoir disparu. Je n’étais probablement plus en vie.

A quoi bon continuer s’il n’y a ni tristesse, ni joie au bout du chemin ? N’est-ce pas pitoyable de s’apitoyer sur sa lassitude dans un tel moment ? Juste pour ne pas sombrer définitivement… Pourquoi, après tout ?

Les ténèbres s’étaient finalement refermées sur mon être. Le vide me rongeait à présent de l’intérieur. Je n’avais pas eu à prendre de décision. Je m’étais simplement fait une raison. Je m’étais persuadé que ma mort aurait un sens. Que ce serait mon dernier cri de rébellion face à la morosité de mon existence.

Un dernier cri pathétique pour abandonner mes responsabilités. Il n’y avait plus de but assez fort pour me maintenir en vie. Exténué, mes réflexions se faisaient de plus en plus courtes et confuses. Totalement mis à nu, je me tenais sur la plus grande des frontières. Il ne restait plus rien de l’apparat, de la comédie qu’était mon personnage. Plus qu’une âme à l’état brut. Ce n’était plus moi. Il n’y avait plus qu’un pas à franchir.

Tout ce qui composait mon être résidait encore là, quelque part. Je découvrais alors pour la première fois qui j’étais, même si ce ne fut qu’une vague sensation. Mais c’était bien suffisant. La plus grande des surprises fut de découvrir que je n’étais pas personne, je n’étais pas rien.

???: « … »

Ce n’était qu’un murmure, le souvenir d’une voix. Au cœur même de mon existence, il y avait une chaleur qui refusait de mourir.

Je vais rentrer.

J’avais pu formuler un souhait.

Tout cela n’est pas une fin en soi. Je n’ai aucune garantie de trouver mieux ailleurs. Je n’ai aucune garantie de trouver quelque chose après la mort, ni auprès d’elle. Ni la paix, ni le bonheur. Quoi qu’il arrive, il n’y a toujours qu’une chose à faire…

Je fus interrompu par une apparition soudaine. Bien qu’infime, cette vision réchauffa mon corps.

Je croyais avoir arrêté de marcher, mais…sans m’en rendre compte…j’ai…

J’entendais à nouveau le son de mes pas. La vie revint dans mon regard.

Ce corps meurtri n’avait jamais cessé d’avancer. C’était la seule existence qu’il connaîtrait.

Cette vision qui m’avait rendu mes sens n’était qu’une étincelle. Le plus infime fragment de lumière. Mais il m’avait tout rendu.

Je titubais jusqu’à être recouvert par ces lueurs matinales.

Tombant à genoux, je levai mes mains vers le ciel pour les contempler à nouveau. Tout m’était éblouissant. La douce brise caressait à nouveau mon visage. Elle était si chaude.

Perdu au milieu des herbes, effleurant la rosée du matin, je pouvais à présent voir les grands arbres s’élever. Ce paysage s’éveillait au chants des oiseaux. Je ne m’étais jamais senti aussi vivant qu’à ce moment. La douleur et l’erreur étaient déjà si lointaines. Cette énergie qui emplissait mon cœur me procura la force de me lever. J’avais enfin compris. Mon esprit était encore bien trop confus. Mais je m’en étais enfin aperçu, même si ça ne dura qu’un infime instant, j’aurai pu courir jusqu’au bout du monde.

Néanmoins, aussitôt que je vis une charrette, je lui fis comprendre qu’il fallait que je rentre à Lucécie. J’embarquai dignement, avant de m’écrouler dans le silence.

Je n’avais sûrement pas l’air d’un prince dans cet état là. Ce n’en était pas moins imprudent de ma part. Jamais je ne me serais adressé à un banal roturier dans un autre contexte. Qu’aurait pu faire cette personne si elle avait compris mon identité ?

Ce qui est sûr, c’est qu’elle me ramena en centre-ville et me réveilla. Je n’eus pas la présence d’esprit de la récompenser. Je voyais déjà le palais au loin alors que je m’éloignais de mon bienfaiteur.

J’étais en train de réaliser que le cauchemar venait de prendre fin. Je pouvais voir mon foyer s’approcher.

Tout me semblait déjà si loin. Il suffisait d’avoir dormi quelques heures pour que tout cela ne soit plus que le passé. Mes mauvaises habitudes me revinrent. Pourtant, la conclusion que j’avais atteint là-bas était des plus précieuses. Je ne pouvais pas l’avoir totalement oubliée.

Mais à cet instant précis, je ne pensais plus qu’à prendre un bon bain et manger avant de me prélasser pour le reste de la journée.

L’aventure prend fin ici.

Comme si de rien n’était, le prince de Lucécie rentrait à pas lents, luttant pour ne pas boiter. Mon état ne pouvait pourtant tromper personne. La garde s’empressa de me rejoindre. Tous se bousculaient pour être au courant des derniers événements. Mon père était rentré de la capitale et m’interrogea longuement. Je n’y prêtai pas grande attention.

-6-

Après un bain, cette étrange sensation se dissipa. Toutes ces peurs, ainsi que cette flamme qui me faisait avancer, tout s’était évanoui. Je ne voulais plus bouger d’un pouce. Tant pis si je devais revenir à ma vie de Prince, il y avait toujours la musique.

Affalé sur mon lit, je repensais à mon rebec.

Puisses-tu trouver la paix dans un monde meilleur, mon vieil ami.

Ce n’était pourtant pas pour lui que j’étais encore en vie. C’était pour celle qui me l’avait offert.

La porte de ma chambre fut pratiquement arrachée par la violence avec laquelle on l’avait ouverte. Je sortis de ma torpeur en entendant un cri familier.

???: « Lucééé ! Lucééé! »

La jeune fille qui venait de débarquer dans ma chambre était bouleversée, mais toujours pleine d’énergie.

Lucéard : « Nojù… »

Lui faire des reproches sur la façon dont elle avait traité la porte ne me vint même pas à l’esprit. Je ne savais pas comment réagir.

La demoiselle se jeta sur moi en sanglots. Elle gémit ainsi pendant quelques minutes sans rien ajouter. Et je restais immobile, à l’observer. Elle savait pourtant que j’avais horreur de tout contact physique, mais je ne pouvais absolument pas me permettre de dire quoi que ce soit dans une telle situation. Soyons honnêtes, je n’en avais pas l’envie.

Lucéard : « J-je vais bien, pas la peine de faire une telle scène… »

Je tentai de la repousser sans grande conviction. Elle m’inspecta sous toutes les coutures, l’air inquiet. Ses yeux rappelaient l’ambre et ses cheveux, plus clairs que les miens étaient arrangés en deux couettes plutôt singulières. Son corps frêle n’avait rien de particulier pour une fille de 14 ans. Il devait s’agir d’une des rares personnes que je ne pouvais tout bonnement pas détester. J’ai nommé Nojùcénie Melystel de Lucécie, fille du duc de Lucécie. Ma petite sœur, pour faire simple.

Elle se décida enfin à parler, la voix nouée par le chagrin.

Nojùcénie : « Tu es blessé… »

Cette jeune fille pouvait difficilement se retenir de hurler plutôt que de parler en temps normal. L’entendre ainsi faisait peine.

Lucéard : « Ne t’en fais pas, je n’ai rien de bien méchant, à vrai dire, je… »

Son regard humide me fixait intensément, ma prochaine réponse n’était pas à prendre à la légère.

Lucéard : « Hm, eh bien, je me suis perdu en forêt en allant chercher la lyre qu’un oiseau m’a dérobée, puis je suis tombé dans un ravin, mais rien de très dangereux. »

Elle s’essuyait les yeux pendant que je cherchais mes mots, puis retrouva un peu de sa bonne humeur.

Nojùcénie : « Vraiment ? C’est pas un peu trop cherché comme histoire ? Un oiseau qui vole des lyres, et puis quoi encore ? Eh, mais, comment tu as fait pour survivre pendant trois jours ? Raconte, raconte ! »

Elle s’agitait sur mon lit comme si elle n’avait plus de raison de se retenir.

Lucéard : « Eh bien, j’ai cueilli des fruits dans la forêt, et…des…gnomes?…m’ont un peu aidé. »

Je n’étais pas en état de faire des mensonges plus crédibles. De toute évidence, ça lui avait suffit. Ses yeux scintillaient à l’annonce des gnomes.

Nojùcénie : « Tu me fais marcher ?! Des gnomes ? Je n’en ai jamais vu, quelle chance ! Aaah, ça y est, je suis jalouse ! Si seulement Père nous laissait sortir librement. On pourrait traverser grottes et forêts, à la recherche de nouveaux compagnons pour nous rejoindre dans de palpitantes aventures ! »

Cette fille s’enflammait bien trop vite.

Lucéard : « Ce n’est pas aussi drôle que ça en à l’air. Si c’en à l’air. Je peux te dire que les bains et les lits du palais sont des trésors dont on sous-estime les bienfaits. Et la cuisine aussi. »

Elle hocha la tête avec conviction.

Nojùcénie : « Hm,hm ! La cuisine, en effet ! Mais rien de tel que l’aventure pour apprécier le confort, non ? »

Ma sœur était réellement à l’opposé de moi. Mon manque d’enthousiasme ne semblait jamais l’affecter. Son sourire était à présent indécrochable. Je détournai le regard, visiblement gêné.

Nojùcénie : « Dis, Lucé… Tu sais quel jour on est aujourd’hui ? »

Sa grosse bouille enjouée laissait deviner la teneur de cette question.

Lucéard : « Je crois que je vois où tu veux en venir, mais pour être franc, je ne sais littéralement plus quel jour on est. »

Elle pouffa soudainement de rire. Nojù était en bien des aspects un garçon manqué, mais son hilarité avait toujours quelque chose d’étonnamment gracieux. Je restais béa en l’entendant de nouveau. N’était-ce pas ce que j’avais entendu dans les profondeurs du souterrain ?

Lucéard : « Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? »

Fidèle à moi-même, j’accueillais sa réaction avec la plus grande indifférence. J’étais incapable de réaliser quel sentiment se cachait derrière ce rire. La jeune fille agitait vigoureusement la tête de gauche à droite.

Nojùcénie : « Non, c’est rien ! C’est tout de même impressionnant que tu aies perdu toute notion du temps en seulement trois jours. »

Trois jours… C’est ce que père a dit tout à l’heure. Ce qui fait que j’ai dû passer environ deux jours sous terre.

Mes souvenirs étaient encore confus. Nojù m’observait silencieusement pendant mes réflexions.

Nojùcénie : « Aujourd’hui, c’est le soir où tu m’apprends à jouer de la flûte-double ! »

Avec son entrain habituel, elle me rappela à la réalité.

Lucéard : « Ah ? Vraiment ? On verra après le dîner alors. »

Elle bondit sur ses pieds.

Nojùcénie : « Entendu ! »

Puis repartit en courant.

Quelle énergie…

Elle s’arrêta subitement de l’autre côté de la porte, sa main couverte de bandages tenait la poignée avec hésitation.

Je me laissais à présent retomber sur mes oreillers.

Je suis exténué, moi. Si je reviens dormir directement après le dîner, elle n’insistera sûrement pas.

Les images de ces derniers jours me revinrent successivement en tête, alors que je fixais calmement le plafond.

Non, tout bien réfléchi, je peux bien rester éveillé jusqu’à la fin de ce cours.

Nojùcénie : « Hum… Lucé… ? »

Je me redressais rapidement, surpris de l’entendre encore parler à voix basse.

Lucéard : «Tu es encore là ? »

Elle hocha discrètement la tête.

Nojùcénie : « Oui… »

Ma sœur prit le temps de chercher ses mots.

Nojùcénie : « Tu sais, ce n’est pas à tes instruments que tu manques quand tu es loin du palais. Je suis contente que tu sois revenu sain et sauf ! »

Elle conclut cette phrase par une chaleureuse risette.

Nojùcénie : « Tu seras prudent à l’avenir, hein ? »

Cette étrange sensation me faisait lentement fondre de l’intérieur. Je ne pouvais qu’acquiescer bêtement.

Lucéard : « Entendu. »

Elle referma enfin la porte, l’air enjoué.

Je pris quelques secondes encore pour réfléchir, mais fus interrompu par les lourdes clameurs de mon estomac.

Le dîner n’arrivera pas trop tôt.



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