Puisque je rends mieux les coups que ce que pensaient les membres d’Arcana, ils hésitent à s’approcher de moi. J’aimerais sincèrement que les gardes fassent quelque chose pour m’aider, mais j’ai l’impression qu’ils sont bloqués en bas des escaliers. D’autres hommes bloquent les ascenseurs et il semble que les grimpeurs qui ne se sentent pas concernés par la situation et qui essayent d’atteindre leurs classes sont plutôt mécontents du dérangement. Sachant que je suis en train de risquer ma vie, j’ai envie de les insulter, mais ça ne servirait à rien.
La plupart sont en train de m’observer et de voir ce que font mes assaillants en regardant la scène comme si c’était un spectacle improvisé. Cela en dit malheureusement long sur la mentalité des deux cents personnes mécontentes qui lèvent la tête dans ma direction, ou alors cela arrive régulièrement et c’est pour cela qu’ils ne font rien… Je ne sais pas trop laquelle de ces possibilités m’inquiète le plus.
L’aile des Dresseurs est au deuxième étage, mais j’ai l’impression que je vais rester bloqué quelques temps au premier étage, qui est réservé à la classe des Rangers. Pour l’instant, je suis caché derrière un pilier alors qu’ils tirent sur moi depuis les étages supérieurs. Les hommes dans les escaliers semblent avoir reçu l’ordre d’attendre et de m’empêcher de descendre pour l’instant.
[Tu ferais mieux de bouger, ta situation risque d’empirer avec le temps. C’est possible que des étrangers interviennent s’ils se sentent généreux aujourd’hui, mais je ne parierais pas là-dessus.]
{Mu…}
Je rassure Micha qui pense que la situation dégénère, d’après ce que je ressens à travers le lien. Le Duelliste ne va pas tarder à descendre pour venir me chercher lui-même si ça continue. Je dois reprendre l’initiative au lieu de m’embourber.
Je ne m’attendais pas à finir bloqué comme ça, mais au final je vais devoir prendre le risque de me prendre une balle si je veux m’en sortir. Puisqu’il y a encore les corps des grimpeurs de leur guilde à proximité, ils ne prennent pas le risque de m’envoyer un sort qui pourrait les blesser. D’après la corruption que j’ai absorbée, le Samurai, le Voleur et le Berserker sont encore en vie. Le Mage est mort assez rapidement, tué par le poison, et le coup de stylet dans l’œil du chevalier a été tout autant fatal que pour Marshall. Le seul qui s’en sortira sans soin est le samurai, qui est juste inconscient, mais je ne pense pas que le Voleur et le Berserker puissent s’en sortir alors qu’ils se vident tous les deux de leur sang.
Je tire un nouveau carreau d’arbalète en direction des tireurs, mais je ne touche rien. Difficile de viser correctement alors que je peux entendre des balles ricocher sur le pilier dès que je bouge un peu. J’ai au moins pu reprendre mon souffle, mais il est temps d’agir.
Ils sont une dizaine à me tirer dessus, mais il est temps de voir si mon entraînement pour esquiver les balles a payé.
Micha, je vais avoir besoin de tes yeux.
{Oui !}
La vision de Micha est plus précise que la mienne, ce qui veut dire que me reposer sur ses yeux est mon meilleur atout pour m’en sortir sans blessure. Je m’agite derrière le pilier et quelques balles sont tirées en réponse. Je décide ensuite de sortir de ma cachette. Je dois continuer à marcher comme si j’étais intouchable. Courir maintenant leur ferait croire que je suis faible ou que j’ai peur des balles, mais c’est plus la règle de ne pas me faire blesser qui m’empêche de prendre des risques. Je m’avance en direction du deuxième étage en montant les premières marches et le duelliste, qui jusque-là n’était pas visible, se tient à présent à une dizaine de mètres de moi en haut des escaliers.
J’esquive une première balle en bougeant la tête, une deuxième m’érafle la jambe, mais ce n’est rien de plus qu’une piqûre de moustique. Je le regarde en lui souriant pour continuer à le défier et il ne semble pas apprécier.
Il fait un signe de la main et les tirs s’arrêtent.
— J’admets que tu as des couilles pour être revenu ici. Ne pense pas t’en tirer comme sur ce navire.
— Oui oui. Blabla, tu vas mourir et ainsi de suite. Ce n’est pas la première conversation du genre, on arrête avec les banalités ?
— Tu riras moins dans quelques instants.
— Si au moins on pouvait s’entre-tuer après s’être présenté. Je ne connais toujours pas ton nom et pourtant ce n’est pas la première fois que je te croise.
— Ahaha ! Très bien, pour l’assassin de mon frère, j’imagine que des présentations sont nécessaires. Talion.
— Nomad. Je ne savais pas que c’était ton frère, mais c’était quand même un sale con, désolé de l’avoir tué.
Je finis ma phrase en souriant pour l’énerver, et cela a l’air de fonctionner. Je ne pense pas qu’il était sûr que je sois l’assassin de son frère, mais vu la situation, pas la peine de le faire douter plus longtemps. Qu’ils cherchent à me tuer ou me capturer pour savoir la vérité ne fait pas une grande différence pour moi. De toute façon, Talion avait l’air convaincu que c’était moi le responsable.
— Alors c’est toi… C’est toi qui as tué Léon ! Tu avoues !
— C’était moi ou lui. Rien de personnel.
— À présent, c’est à moi de te tuer.
Je soupire.
Yuu, tu as une phrase qui pourrait l’énerver ?
[Tu peux lui dire que s’il veut se venger, tu n’as pas de frère dans le coin.]
Trop recherché comme remarque. Tu n’as pas mieux ?
{Son frère était méchant !}
Au final, c’est Micha qui répond.
« Ton frère était méchant. »
Hmm. Je ne sais pas si ça l’énervera plus, mais vu la veine que je peux voir gonfler sur le front de Talion, je pense que cette remarque n’a pas aidé… Micha semble très contente en tout cas et je la laisse savourer cette petite victoire. J’ai oublié de lui dire quelque chose maintenant que j’y pense.
« D’ailleurs, j’ai toujours ton sabre depuis l’assassinat de Léon. Tu sais s’il vaut quelque chose ? Je pense le revendre puisque je n’en ai pas l’utilité. »
Talion dégaine son sabre et lance une vague d’énergie dans ma direction. C’est… légèrement dangereux. Les vagues d’énergies sont bien plus grandes et menaçantes que celle du Samurai ou de notre dernier combat. Il n’y a pas que moi qui me suis entraîné apparemment.
Il enchaîne à un rythme bien plus difficile à suivre et j’esquive le plus calmement possible en essayant de monter les escaliers dans sa direction.
Alors que je viens de monter cinq marches de plus en esquivant une quinzaine d’attaques, Talion s’arrête et se met à rire.
— J’ai quelque chose sur le visage ?
— Un foutu Dresseur capable de poser autant de problèmes ?! Tout le monde veut te faire la peau et tu te pointes ici ?!
— Hey, c’est pas moi qui tends des embuscades que je sache, et pour l’instant, je ne suis pas vraiment impressionné par ce que j’ai vu. J’ai passé des moments bien pires pendant mon entraînement.
En réponse, Talion lance une nouvelle vague d’énergie plus large que les autres dans ma direction. Cette fois-ci, la conversation semble être finie.