La Tour des Mondes
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Chapitre 213 : Une question de style
Chapitre 212 : Fantômes Menu Chapitre 214 : Un refus retentissant.

Cela fait maintenant deux heures que je m’entraîne contre Léon. Je sais que j’ai encore d’autres adversaires à affronter ensuite, mais c’est difficile de dire que je fais des progrès. Le résultat ne me semble pas satisfaisant. Je finis toujours par le battre, mais est-ce qu’on peut appeler ça un style ?

J’essaye de varier ma façon d’attaquer, mais quand je regarde mes mouvements, il y a effectivement quelque chose qui ne me plaît pas. La plupart du temps quand un adversaire est plus grand que moi je finis par me baisser pour attaquer ses jambes. Je le blesse puis j’attends que le venin fasse effet. Bien sûr le temps que le venin fasse effet, je perds beaucoup de temps. C’est comme si j’abandonnais l’idée d’une victoire rapide contre ce type d’adversaire.

C’est vrai que l’armure rend difficile de le blesser de toute façon, mais sans casque il me suffit d’atteindre son cou pour que l’effet du venin soit plus efficace ou le blesser mortellement. Dans le pire des cas, je le frôle et le venin fait son effet, dans le meilleur des cas j’atteins une veine ou une jugulaire et le saignement ainsi que le venin me donne la victoire, mais je n’aime pas ça. Je trouve que c’est trop et je n’ai pas envie de faire ce genre d’attaque.

Bien sûr, vu que les fantômes ne sont pas tangibles c’est différent d’un vrai combat, mais c’est aussi un avantage puisque ça m’oblige automatiquement à esquiver toutes les attaques pour garder cette sensation de danger.

Un style, un style… Si je prends le style de Sigu comme exemple, je devrais avoir une base, non ? Non, Nerys était plutôt claire. C’est une façon de m’exprimer en combat qui utilise mes atouts en plus d’être en accord avec ma façon de penser… Quoi que ça puisse vouloir dire…

Probablement de la fluidité et pas d’hésitation ?

*

Je n’y arrive pas… Rien ne me satisfait vraiment.

[Le but c’est que tu façonnes un style qui t’appartient. Tu réfléchis trop. Ce n’est pas assez organique.]

Dans ce cas, empêche-moi de réfléchir. Envoie-moi un groupe entier.

[C’est parti.]

Devant moi apparaissent une dizaine de guerriers vikings. Arcs, épées, lances, haches, l’arsenal est assez varié. Ils se jettent pour la plupart sur moi et j’esquive en rendant les coups. J’esquive les flèches en roulant sur le sol. Quand j’en blesse un mortellement, il tombe au sol en disparaissant et réapparait de l’autre côté de la pièce en m’attaquant de la même façon.

[À partir de là, c’est une question d’endurance. Endure la fatigue, tu finiras probablement par évoluer.]

Mets-en plus.

[Comme tu veux.]

Une dizaine de plus apparaît et le combat reprend. Yuu relance automatiquement quand il considère qu’une attaque m’a trop touché. Et je repars à zéro.

Je ne sais même pas combien de temps je passe à faire ça. Je ne fais qu’affronter des « fantômes », pourtant je suis en nage et à bout de souffle. Le fait qu’ils ne soient pas tangibles est un peu frustrant, même si Yuu représente les blessures. Je n’ai pas de sensation d’impact quand j’en blesse un. Pour ce qui est du style…

[Tu n’en as clairement pas. C’est frustrant à regarder. Je suis habitué à ta façon de te battre et tu retiens toujours tes coups. Un peu comme si tu ne voulais pas leur faire de mal ou le moins possible.]

Je n’aime pas tuer, tu as du le comprendre, non ?

[C’est ta morale qui pose problème dans ce cas. Ce sera bien plus long si tu n’es pas capable de te battre sans te préoccuper de ce que tu penses. Inutile de continuer dans de telles conditions.]

Alors que Yuu fait disparaître les fantômes de mon champ de vision je me dirige vers la sortie en reprenant mon souffle. J’ai clairement l’impression de mieux m’en sortir contre des groupes, mais sans le partage de vision de Micha ou Juliette pour mordre mes adversaires, c’est bien plus difficile de gagner. Enfin pas de style et évitons aussi de parler du point que soulève Yuu. Je m’en suis sorti jusque là en me battant sans « style ». C’est peut-être trop difficile à obtenir pour l’instant.

Alors que j’ouvre la porte pour sortir je peux voir Nerys qui m’attendait. Je suis encore couvert de sueur et de poussière. J’ai dû rester enfermé pendant plus d’une demi-journée au final, mais je n’ai pas l’impression d’avoir fait de progrès conséquent.

Vu le regard que me lance Nerys, j’ai l’impression qu’elle l’a compris.

Grâce aux fantômes de Yuu, c’est possible qu’en répétant encore et encore mes combats et mes mouvements je finisse par m’améliorer, mais un style de combat semble hors de portée. C’est déprimant surtout avec l’importance que Nerys y donne.

Nerys se met à marcher en me faisant signe de l’accompagner. À la façon dont elle regarde le vide, j’ai l’impression qu’elle va me sermonner. Au final, le ton de sa voix semble compréhensif.

— Trouver un style peut prendre plusieurs années. Tu n’es peut-être pas un génie, mais tu as réussi à survivre jusqu’à présent. Cela arrivera en temps voulu.

— J’ai besoin de devenir plus fort rapidement. Je ne veux pas mourir stupidement.

— En quelques heures, tu pensais vraiment arriver à un résultat ? Tu m’as déjà suffisamment expliqué que tu veux te créer une famille, mais est-ce tout ce que tu veux faire ? D’où te vient cette lubie d’ailleurs ?

Je m’arrête et Nerys se tourne vers moi en attendant une réponse.

— C’est… J’ai perdu la seule chose qui se rapprochait de l’idée d’une famille que j’avais en entrant dans la tour. Jusqu’à présent, je me suis toujours considéré comme seul. En devenant dresseur, j’ai commencé à me dire qu’une famille était ce que je voulais vraiment.

— Et la tour ? Ou même la classe d’assassin dans tout ça ?

— La tour… Grimper la tour, l’idée d’aventure, je compte le faire à mon rythme, rien ne presse. C’est quelque chose que j’espère pouvoir partager et qui continuera à m’amuser. Être un assassin… c’est un moyen d’apprendre à me battre et à survivre, à protéger ceux à qui je tiens. Je trouve ça amusant aussi.

— Si devenir plus fort est secondaire, pourquoi tu ne fuirais pas tout simplement ?

— Je ne veux pas avoir à me cacher. C’est peut-être idiot de ma part, mais si je ne suis pas assez fort pour me protéger comment est-ce que je pourrais protéger ceux à qui je tiens ? J’ai déjà eu la preuve que fuir ne serait pas suffisant.

Nerys soupire. J’ai l’impression qu’avoir ce genre de conversation la dérange. Comme pour changer le rythme elle me demande de l’attaquer à main nue. J’imagine que cette conversation ne me privera pas d’entraînement. Nous commençons à échanger quelques coups, mais c’est plus une répétition d’enchaînement qu’un véritable combat.

— C’est ce qui s’est produit avec cette voleuse. C’est par amour que tu as décidé de la sauver ?

— Quoi ? Non. Non, ce n’est pas comme ça. C’est une amie.

— Pourtant elle a failli mourir à cause de toi. Tu ne l’as toujours pas revu depuis.

— Je sais. C’est sans doute mieux pour le moment.

— Ce que tu veux sera bien plus compliqué à obtenir dans un monde où la mort est monnaie courante. Tu es probablement dresseur parce que tu es trop empathique pour vouloir du mal aux autres et parmi toutes les classes combattantes tu as choisi assassin, la classe la plus meurtrière qui ne recule devant rien pour tuer. C’est un paradoxe qu’il faut souligner.

Nerys me jette au sol avec une prise qui doit être de l’aïkido ou du judo et je me redresse rapidement pour reprendre en lui répondant.

— Balthazar m’a dit la même chose, mais j’ai du mal à comprendre ce que cela implique.

— C’est une histoire de contradiction. Elles sont généralement de mauvais augure quand on parle de classe. Selon l’individu cela peut se retourner contre lui de mal choisir. Des compétences qui se croisent, des dissensions dans les directions à prendre pour s’améliorer. La plupart du temps, une classe finit toujours par prendre l’ascendant sur les autres ou par devenir gênante. Quand une synergie existe vraiment, c’est là qu’apparaissent les nouvelles classes.

— Je n’ai pas eu de problème entre mes classes jusque là.

Un de mes coups de poing lui érafle l’épaule, mais elle pousse mon bras d’un revers de la main en préparant l’enchaînement suivant.

— C’est parce que pour l’instant ta classe de dresseur est un soutien à ta classe d’assassin. La vision avec ta souris, les attaques surprises avec ton serpent et la fusion grâce au dernier. Ils complètent tes capacités de combat.

— J’ai toujours réussi à convenablement lier les deux.

— C’est possible que tu aies trouvé un équilibre, mais pas une synergie. Les deux classes s’opposent sur de trop nombreux points. En ce qui concerne la classe d’assassin, nous devons discuter d’un de ses points si tu souhaites progresser.

— Si c’est pour me dire de ne plus être dresseur…

Nerys secoue rapidement la tête négativement en m’attrapant le poing et en me faisant reculer. Elle soupire ensuite en se remettant en garde.

« Quand tu fusionnes avec ton serpent, ton esprit change drastiquement. Cependant, tu n’as toujours pas remarqué un point important. Ton serpent veut s’amuser et elle est rancunière, cela ressort facilement de la fusion. Pourtant dans cette personnalité que tu nommes Sigu, il y a quelque chose qui t’appartient et que tu ne penses pas être à toi. »

Je n’ai aucune idée de ce qu’elle peut avoir en tête. La réponse qui me vient le plus naturellement est la rationalité puisque la personnalité de Sigu est canalisée grâce à moi, même si j’ai plus ou moins de mal à la contrôler par moment.

« La soif de sang vient de toi. »

Je me fige quelques instants et Nerys en profite pour m’attraper le bras et me jeter au sol une fois de plus. C’est un peu plus violent que la première fois comme si elle voulait lier la parole au geste.

« Tu ne le sais probablement pas, mais il y a de la rage et de la cruauté en toi comme dans n’importe qui. Tu la caches bien, mais elle est bien là. Haine, colère : ce que tu caches la plupart du temps derrière tes pensées est désinhibé par l’euphorie de la fusion.

Quand tu penses que la colère de Juliette t’envahit comme tu me l’as expliqué, ce n’est en faite que la goutte d’eau qui fait déborder le vase. À force de t’affronter, c’est assez clair pour moi que tu retiens tes coups. La violence ne te vient pas naturellement. Tu la calcules avant chaque attaque et elle te ralentit. Tu hésites et tu perds du temps. Beaucoup de temps pour quelqu’un censé être rapide. »

Alors c’est parce que je retiens mes coups que je ne deviens pas plus fort ? Ce serait pour ça que je n’arrive pas à créer de style ?

« Comme je l’ai dit en parlant de tes classes, il y a une contradiction. Ton empathie t’empêche de vouloir du mal aux autres. C’est aussi pour ça que tu t’amuses à faire des idioties et à réagir de manière à désamorcer ton stress quand tu le peux. Tu le fais pour t’empêcher de vraiment intégré tes actions violentes, c’est un mécanisme de défense qui finira par te causer du tord à l’avenir et qui t’empêche de trouver ton style… Et qui t’empêche aussi de devenir un véritable assassin. Les remords et la compassion sont ton point faible. »

Je me relève lentement. En digérant chaque phrase de mon mieux. Nerys me lance alors un coup de pied que je bloque difficilement.

« Ton empathie d’un autre côté peut te permettre de comprendre tes adversaires et devenir une force en combat. Elle peut faire de toi un meilleur assassin sur de nombreux points. Pour l’instant, elle n’est qu’un obstacle malheureusement. Tu ne veux pas faire souffrir ni tuer et tu te jettes sur les attaques de tes adversaires pour justifier de les faire souffrir en retour.

Prenons par exemple ceux qui t’ont roué de coups de fouet ou même Angela. Impossible pour toi de les détester, pas vrai ? Après ce que tu as subi, c’est pourtant une réaction naturelle chez un humain de haïr ou de détester ceux qui l’ont fait souffrir personnellement. Pourtant et à cause de ton empathie, tu te dis probablement qu’ils avaient leurs raisons et que ce n’étaient pas à prendre personnellement. C’est comme si tu étais incapable de haïr quelqu’un. Les autres sont une nuisance pour toi, mais pas des personnes à abattre. D’après moi, c’est ridicule, mais ce n’est qu’un détail. »

Nerys continue de me lancer des attaques que je bloque une par une alors qu’elle me fait reculer.

« Passons à ta « haine » en combat. Le roi de Lishnul est sans doute la seule exception à cette règle puisqu’en blessant ton amie il a réussi à te mettre en colère. En dehors de cela, tu ne tues que parce que tu dois le faire… ce qui est bien plus sain que de tuer par plaisir, bien sûr.

Malheureusement, tu te sens obligé de retenir tes attaques pour qu’elles ne soient pas douloureuses pour ton adversaire et tu n’attaques pour tuer que quand la personne face à toi est suffisamment menaçante. J’espère que tu comprends que c’est un problème ? … À moins que ton style soit quelque chose de suicidaire.

Auquel cas, cela explique pourquoi tu finis toujours blessé, pourquoi tu esquives aussi mal les attaques en prenant juste soin que tes animaux ne soient pas blessés et pourquoi tu ne tues pas plus rapidement tes adversaires. »

Je contre-attaque et c’est Nerys qui recule, mais elle esquive tous mes coups tout en continuant à parler.

« En résumé, tu dois apprendre à utiliser ta colère et contrôler ton empathie sinon tu partiras toujours te battre avec un handicap.

Si tu veux devenir plus fort et obtenir un style, tu dois accepter tout cela. En temps normal, je n’aurais rien dit, car les affaires de l’esprit ne m’intéressent pas, mais puisque tu souhaites devenir plus fort rapidement j’y suis obligé.

Si tu apprends à contrôler l’empathie et la colère, tu auras ton style. Un style violent qui n’hésite pas à planter tes armes dans les yeux de ton adversaire pour le tuer rapidement alors que tu entends ses hurlements. Ce sera un style qui brisera des membres sans remords alors que la personne en face de toi vit le pire moment de son existence. Tu pourras prévoir des attaques et les contrer avec une facilité que personne ne comprendra grâce à ton empathie, mais cela viendra plus tard à mesure que tu te familiarises à ta haine. Tu as besoin de cette soif de sang que je n’ai jamais senti chez toi.

Si tu veux devenir plus fort, si tu veux esquiver des attaques sans problème et avoir un style, c’est ce que tu dois faire. »

Correction : Hastin



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