La Tour des Mondes
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Pendant que les chevaliers s’agitent un peu autour de moi, je reste assis par terre à me masser le ventre. La douleur est assez forte pour paralyser cette partie de mon corps. J’y survivrai, mais je n’aurais sans doute pas dit ça avant d’avoir rencontré Angela. C’est presque une promenade de santé à côté de ce qu’elle m’a fait. Même chose pour mon poignet, c’était stupide de vouloir parer une attaque pareille, je n’ai clairement pas la technique nécessaire pour ça.

C’est dans ces moments que je me rends compte du peu d’entraînement que j’ai reçu, au final. Nerys ne m’a appris qu’à survivre et à esquiver et j’ai improvisé ma façon d’attaquer en me battant contre elle. C’est plutôt efficace, mais maintenant, j’ai la preuve que je n’irai pas loin si je continue comme ça.

Que dire de ce que je viens de faire. Impossible de les blesser à mon niveau et donc, impossible de gagner. Cela veut juste dire qu’un chevalier ayant fini plusieurs mondes est un adversaire que je ne peux pas battre avec des moyens conventionnels. Même la fusion ne pouvait rien faire contre leur boost défensif au final. C’était ridicule. Je n’ai fait qu’esquiver et trouver des façons détournées de me battre. Le premier m’a affronté sans armure, sans bouclier et n’avait pas le droit de me blesser puis de me tuer, et j’ai dû me servir d’un fumigène pour qu’il se batte sans me voir. À partir de là, mes armes ont fini par très peu me servir, j’ai dû utiliser des objets et même la fusion, puisque je n’avais rien d’autre.

Pour quelqu’un qui devait montrer sa façon de se battre avec ses armes, l’exercice est juste humiliant pour moi, plus que pour eux.

Bien sûr que je pourrais dire que je m’en suis très bien sorti contre les chevaliers, mais ce n’est pas le cas, j’ai juste trouvé un moyen détourné de ne pas perdre un combat perdu d’avance.

J’ai un poignet cassé, mon corps me fait mal à cause de la fusion et j’ai presque un trou dans le ventre. Eux ? Un peu de potion collante sur le corps, des plantes dans une armure et une migraine pour un autre. C’est comme ça que je compte battre Charade ?

C’est juste ridicule.

Bien sûr, contre les guerriers et les mange-mots de Galatia je me suis reposé sur mon boost d’agilité, et ça à fonctionné parce que personne n’était aussi rapide que moi, mais c’est parce que j’affrontais des humains sans compétences. Affronter des grimpeurs n’a rien à voir. Les différents boosts sont des bonus tellement importants que ça devient ridicule de vouloir de la technique ou un meilleur équipement à mon niveau. Si j’affronte un chevalier dans le futur, je dois comprendre que ça se jouera à l’équipement ? Dans ce cas, je devrais effectivement acheter une arme à feu, ce sera le plus simple.

« Vu la tête que tu fais, j’ai bien l’impression que tu n’es pas content de ce qu’il vient de se passer. C’est juste parce que tu es nouveau dans la tour. Tu viens d’affronter des chevaliers considérés comme des vétérans. Tu es un assassin et ce sont des chevaliers, vous êtes à l’opposé du spectre défensif et offensif. Crois-moi, que tu sois si vite arrivé à des contre-mesures alors que tu n’avais aucune chance est déjà incroyable. Allez, je me suis suffisamment amusé pour aujourd’hui, viens avec moi. »

Bastion, qui était à côté de moi, me fait signe de l’accompagner et je me relève péniblement en grognant. Je dis à Yuu de continuer à espionner les chevaliers en essayant de faire quelques pas, mais maintenant que la tension du combat est terminée, je ne suis clairement pas en bon état.

[Au lieu d’acheter une arme, tu ferais mieux de te faire soigner, même si tu n’en as pas conscience tu as probablement une hémorragie interne.]

Je pense que Yuu a raison. De toute façon entre mon poignet et la fusion, ce sera difficile de continuer aujourd’hui. Alors que j’attrape une potion de vigueur dans mon inventaire, Bastion se tourne vers moi.

« Pas la peine, gamin. J’ai dit que je payerais pour tout et qu’il ne t’arriverait rien. C’est toujours le cas. Prends ça. C’est la maison qui paye. »

Il me tend une petite fiole qu’il vient de sortir de son inventaire. C’est la première fois que j’en vois une de ce genre et le liquide bleu à l’intérieur de la fiole a l’air de briller étrangement.

« Potion à base de sang de dragon du quatorzième monde. Ce sera plus que suffisant pour ce que tu dois avoir. C’est assez costaud. »

Il me donne la fiole que je bois tout de suite. Le liquide me brûle la gorge comme le ferait de l’alcool et je peux sentir mon corps irradier d’énergie. Je ressens une sensation assez désagréable à mon poignet et au ventre qui me donnent l’impression de brûler encore plus. En regardant mon bras, je peux voir que ma peau est rouge à cause de la chaleur qui se dégage de mon corps.

C’est à un point où même Juliette, installée sur mon avant-bras, décide de se laisser tomber par terre plutôt que de subir la chaleur en restant à mon contact. Bastion fait une remarque en la voyant, mais je ne fais même pas attention, c’est comme si de multiples explosions avaient lieu dans mon corps et je peux sentir de violentes secousses me parcourir entièrement. Je déborde tellement d’énergie que je peux sentir mes muscles violemment se contracter avant de se relâcher en étant complètement détendus. Je mets un genou à terre en toussant comme si mon corps cherchait à évacuer la chaleur et je me mets effectivement à cracher de la fumée.

Finalement, après une dizaine de secondes, la sensation s’arrête et se calme. Je prends une grande inspiration qui semble presque me brûler les poumons et je recommence à tousser.

Très efficace. Même trop. Je me sens détendu comme si je venais de sortir d’un bain trop chaud. Il n’y a plus de douleur, mon poignet et mon ventre sont parfaitement guéris et je n’ai plus aucune sensation de douleur fantôme que je pouvais encore ressentir après ma rencontre avec Angela. Je peux sentir un picotement dans mon dos et, en passant la main, je me rends compte que ma peau qui jusque-là était couverte de cicatrices à cause des fouets a complètement guéri.

Une potion de ce genre doit valoir une fortune pour un tel effet…

Bastion, à côté de moi, rigole quelques instants avant de me dire de le suivre, me désigne un comptoir où il prend un crayon et une feuille et commence à dessiner. Je récupère Juliette ainsi que Micha et m’installe à côté de lui. Après vérification, Yuu me dit que la fusion ne l’a pas trop fatigué et que ça ira, mais Juliette est un peu fatiguée de son côté et je lui prépare quelque chose pour y remédier. De l’autre côté de la pièce, Alexander semble faire des remontrances aux chevaliers que je viens d’affronter et a l’air d’être occupé pour un moment.

— Laisse-moi noter mes idées. Tu as probablement des questions ? Je peux discuter en même temps.

— Je… Merci pour la potion.

— Ce n’est rien. Une potion de ce genre n’a pas beaucoup de valeur pour quelqu’un comme moi. Dis-moi juste, c’était quoi cette technique à la fin ? J’ai rarement vu des débutants réussir à se déplacer comme ça, mais c’est vrai qu’il y a peu de connaissances sur la classe des dresseurs…

— Hm. Vu que je l’ai montré, j’imagine qu’en parler ne changera rien. C’est une fusion entre mon esprit et celui de Juliette, mon serpent.

— C’est donc ça ! Je comprends mieux pourquoi ça me rappelait la classe d’animorphe. Enfin, les animorphes deviennent des animaux, cela relève plus de l’imitation dans leur cas. Tes mouvements à toi sont quelque chose de totalement différent. Tu es clairement unique dans ton genre à ma connaissance.

— Tant que ça ne m’attire pas de problème…

— Ne t’en fais pas pour les hommes d’Alexander ou pour moi. Je le connais depuis une dizaine d’années et ils ont plus à perdre en m’irritant que tu n’as de valeur, sans vouloir te manquer de respect. De mon côté, quel genre d’artisan ferais-je si je m’en prenais à ma clientèle. Tu es un ami de Baltazar et crois moi, je n’ai pas envie de me mettre un hérétique ou des assassins à dos en te mettant en danger. Je préfère laisser la politique aux autres.

— La politique ? J’en suis vraiment arrivé à ça ?

— Tu manques vraiment d’expérience. Ce que tu as fait l’autre jour, cela a attiré le regard de quelques personnes importantes… Ils vont probablement te surveiller pendant un moment avant de décider de ce qu’ils vont faire de toi. Et puis, tu es un dresseur, c’est une classe à problème. J’achèterais un brouilleur à ta place… Mais vu ton regard, tu ne sais probablement pas ce que c’est et tu en as probablement déjà besoin…

Bastion se tourne assez rapidement dans la direction d’Alexander qui semble prendre à cœur de faire la morale aux Chevaliers, qui ont l’air assez dépité en y regardant de plus près. Je ne pense pas que ce soit nécessaire de les réprimander comme ça, mais je suis bien content de ne pas être à leur place.

— Alexander, tu as un brouilleur pour le gamin ?!

— Tu veux me dire qu’il n’a pas pensé à en acheter un ?

— C’est un débutant, fais donc un geste pour la nouvelle génération.

— Dix pour cent de remise sur la prochaine commande.

— Vendu.

Sans même prêter plus attention à Bastion, Alexander attrape quelque chose dans son inventaire qu’il me jette et que j’attrape rapidement. On dirait une sorte de bracelet aborigène… Il y a une plume, un morceau de verre, un fragment d’os ainsi qu’une petite pierre dessus, tout cela attaché à une ficelle… en cheveux ?

« Tu as de la chance, c’est un bon modèle. Ça se voit au nombre de babioles. J’aurais probablement rajouté un dé dessus pour la forme, mais si tu en arrives là, c’est que tu as de gros soucis. Le brouilleur rembourse largement le matériel que tu as utilisé pendant le combat. »

Je ne comprends absolument pas ce qu’il veut dire par là, mais l’idée de poser la question sur l’utilité d’un dé sur le bracelet a l’air bien trop ridicule pour que j’aie envie de le faire ouvertement. Il me fait signe de le mettre en me montrant ma cheville.

« Bon, vu ta tête, tu mérites sans doute des explications. Chaque babiole rajoute un effet bloquant ton signal. Le brouilleur est en somme un malus pour la personne qui te cherche. La pierre diminue le temps où tes traces résiduelles de présence indiquent que tu es bien passé ici ou là. Cela concerne le mana, l’odeur. L’os camoufle tes ondes spirituelles. Le bout de verre diminue la précision des visions de ta position présente et la plume empêche de voir ton futur. Si une des babioles chauffe, c’est que quelqu’un essaye de te trouver avec la méthode correspondante. Si la babiole te brûle la peau et se brise, c’est que la personne te cherchant a un niveau supérieur à celui du Shaman l’ayant fabriqué et que tu es à découvert. »

Si ce qu’il dit est vrai, cela résoudra beaucoup de problèmes et cela m’évitera probablement de me faire embusquer, comme c’était le cas ce matin. Je vérifierai quand même plus tard les différentes fonctions… et aussi cette histoire de dé. Avant cela, j’ai une question.

— Pourquoi est-ce que dresseur est une classe à problème ?

— Ça ne m’étonne pas que tu ne saches rien, ton professeur de classe n’a probablement pas voulu en parler. J’imagine que tu es au courant pour le partage de douleur ? Ce n’est pas ça qui a empêché les grimpeurs de devenir dresseur, même si c’est une des raisons. Le problème, c’est que les dresseurs ont tendance à disparaître assez vite. La perte d’un animal qui les rend fous est une des raisons les plus connues, mais il y en a d’autres. Les dresseurs débutants sont généralement considérés comme des proies faciles et se font attaquer, on attrape leur souris et plus aucune résistance n’est possible. Ils se font ensuite enlever et probablement utiliser par des guildes douteuses ou tout simplement tués.

— Utiliser ? Pour faire quoi ?

— Amener des animaux au pied de la tour, bien sûr. Sans un dresseur, c’est impossible. Je ne parle bien sûr par des cavaliers et des rangers qui sont limités à des animaux qu’ils ont dressés au pied de la tour. Avec le vide sur le marché des animaux, avoir un dresseur est un atout. Enfin…

— Enfin, quand ça ne rend pas fou le dresseur. Sans le niveau adéquat, ils sont probablement tués par le choc. Mais dans ce cas, les guildes doivent entraîner les dresseurs, non ?

— Il est possible que des guildes cachent des dresseurs pour les entraîner, mais à ce jour, même sur le marché noir, je n’ai vu aucun animal vivant y être vendu. Ils ont probablement tous disparu sans réussir.

— Je vois. Je risque d’avoir de nombreux problèmes.

— Si tu caches ton identité, tu as une chance. Fais attention cependant, même les guildes qui ont demandé à des membres de devenir des dresseurs en les protégeant n’ont pas réussi à en obtenir, ou bien ils ont quand même fini par mourir et disparaître. Tu as probablement une cible sur le dos, mais je suis incapable de te dire qui la place là. Puisque tu es le « dernier dresseur » et que tu n’as même pas de guilde pour te protéger, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils essayent de te tuer. D’un autre côté, c’est peut-être une bonne chose que tu te sois fait des ennemis aussi tôt et que tu attires autant l’attention. Tu es probablement sur tes gardes depuis un moment, et les tueurs de dresseurs doivent sans doute penser que tu ne vivras pas très longtemps, sans même qu’ils aient besoin d’intervenir. La décision la plus rationnelle serait sans doute de laisser tomber cette classe et de faire comme si tu n’en avais jamais passé la porte. Tu y as réfléchi ?

Pour moi, la réponse est claire. Il suffit que je pense à Micha, Juliette et Yuu pour ne pas avoir de doute. Ce sera bien sûr dangereux, mais je n’abandonnerai pas le lien que j’ai avec eux parce qu’on veut me tuer. Sans mes animaux… sans Micha…

Je n’ai pas envie de me retrouver seul, plus jamais.

— Je n’abandonnerai pas cette classe, non.

— Bien, c’est bon à entendre et tu as mon soutien. Il est temps de parler de ton arme, enfin de « tes » armes. J’ai trois modèles à te proposer. Le premier modèle est basé sur l’arme que tu utilises déjà. Matériaux renforcés, bien plus coupant avec un peu de tranchant sur les côtés et une surface sur laquelle le poison restera attaché, mais pas le sang. C’est le meilleur modèle que je puisse faire pour quelqu’un à ton niveau. Tu pourras probablement t’en servir jusqu’au cinquième monde sans trop de difficulté et cela te laissera le temps de te créer un vrai style de combat. Tu l’as sans doute remarqué, mais c’est encore un peu brouillon pour que je te personnalise une arme. Et avant que tu ne demandes, te donner quelque chose pour des mondes dépassant le cinquième sera inutile tant que tu n’auras pas les compétences nécessaires. Ce qui rend l’arme dangereuse, c’est toi, et tu as clairement besoin d’entraînement.

— Je comprends… Et les deux autres modèles ?

— Ils sont un peu plus exotiques, donc j’hésite un peu. Le deuxième modèle serait basé sur ta fusion de tout à l’heure. Je pourrais probablement te faire une arme avec une dent de basilisk. Je ne fais normalement des armes qu’avec des fragments et jamais la dent entière, mais avec ta fusion, je me disais que ce serait intéressant, même si l’arme est probablement d’un niveau trop élevé pour toi. Le dernier modèle est une proposition, en vérité. Ce serait une modification sur les lames de ton gantelet. J’ai des griffes à la bonne taille qui doivent traîner dans l’atelier et qui seront plus efficaces, mais je ne me permettrais pas de modifier le travail d’un autre artisan, donc il devra les installer lui-même. Bien. Qu’est-ce que tu en penses ?

Correction : Hastin



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