Arthur le chevalier était assez énervé, même si les nains qui ne combattaient pas contre les elfes, c’était mieux que rien. Le vampire s’interrogea quelques secondes sur la pertinence de laisser Karak libre, du profit à tirer de garder en otage son interlocuteur. Puis il abandonna ses idées peu morales, garder contre son gré le haut-roi des nains rallierait peut-être quelques fidèles de ce souverain à la cause elfe, mais pousserait aussi beaucoup de nains à prendre le parti des humains.
Avant de partir en guerre, Arthur avait un dernier problème important à régler. Il s’agissait de la manie des elfes de refuser très souvent l’appui de la magie et des armes de jet comme l’arc, durant les batailles. Pour arriver à ses fins, il décida de plaider devant le Haut-Parlement. Il espérait convaincre un maximum des gens qui siégeaient à l’intérieur de la pyramide de pierre de le suivre.
Au sein de cette institution plus vous étiez proche du premier rang, plus votre rang social était généralement important. Il n’y avait pas une occupation politique en fonction de la tendance politique au sein de la Pyramide, mais selon le titre de noblesse, du lien de sang avec une famille royale. Par contre la richesse financière n’apportait pas de moyens de siéger en bas plus facilement que le titre de naissance.
Le roi elfe Hertio était le plus intransigeant des opposants d’Arthur. Bien que le monarque ait connu plusieurs désastres à cause de son refus de s’appuyer sur les mages et les archers, il restait attaché très fortement à la manière de combattre traditionnelle des elfes. Étonnamment malgré l’efficacité de la magie de bataille, de nombreux elfes estimaient que les sorts ne devaient servir que lors d’activités civiles, à la rigueur ils admettaient que des enchantements de soin soient dispensés aux soldats blessés. Cependant ils trouvaient inappropriés d’inclure des magiciens, dans les troupes qui participaient lors d’affrontements armés. Ce point de vue ne touchait pas que les nobles, mais aussi des gens du peuple.
Ainsi beaucoup de paysans elfes considéraient que l’épée et la lance, s’avéraient des protections suffisantes pour garantir leur sécurité. Les elfes dans certains domaines faisaient preuve d’un traditionalisme, qui énervait au plus haut point Arthur le vampire. Toutefois les atrocités commises par les humains augmentaient les rangs des partisans de la guerre intelligente.
Ainsi les chances du vampire d’obtenir gain de cause pour son projet, s’avéraient bien plus fortes qu’il y avait quelques années. Toutefois la partie n’était pas gagnée. En effet Hertio veillait avec acharnement pour contrer Arthur, et il disposait d’appuis très motivés pour défendre sa vision rétrograde de la guerre.
Hertio : L’épée et la lance sont des armes élégantes, tandis que l’arc et les sorts magiques sont des outils de lâches.
Arthur : J’en conviens si les humains à combattre étaient des adversaires honorables, je serais pour l’usage exclusif de l’épée et la lance contre eux. Mais le problème vient du fait que nos ennemis sont souvent fourbes.
Hertio : Ce n’est pas parce qu’un adversaire est lâche qu’il faut se rabaisser à son niveau.
Arthur : Les circonstances extrêmes exigent des concessions fortes, soit nous combattons efficacement grâce à la magie et l’arc, soit nous périrons tous.
Hertio : Vous êtes un pessimiste de nature, les elfes sont de très bons combattants. La valeur guerrière de nos soldats est plus que suffisante pour garantir notre victoire.
Arthur : Dans les contes le courage et l’entraînement permettent aux valeureux de l’emporter. Dans la réalité des facteurs comme le nombre et la puissance des armes sont déterminants.
Hertio : Je préfère mourir plutôt que d’abandonner une tradition essentielle.
Arthur : Des centaines de traditions régissent la culture elfique, si les humains l’emportent elles devront quasiment toutes être abandonnées. Sacrifier une tradition pour en sauver plusieurs centaines, me paraît un bon choix.
Hertio : Quand on sacrifie un précepte important, tout un système de pensée peut être remis en cause. Si les elfes privilégient l’usage de la magie et de l’arc lors des conflits, toutes les autres traditions elfiques seront en danger.
Arthur : L’honneur veut qu’un père et une mère fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger leur enfant. Si les humains triomphent la plupart des enfants elfes deviendra soit des cadavres soit des esclaves.
Les mots d’Arthur frappèrent juste, il obtint des haut-parlementaires, le vote d’une loi, incitant les chefs d’armée elfes à embaucher des archers et des mages de combat. L’influence d’Arthur et de ses compagnons contribua fortement à ce que les elfes et leurs alliés, remportent des victoires contre les humains. Néanmoins les armées opposées aux hommes subirent aussi des défaites. Résultat le nombre de soldats disponibles pour combattre sur le front au bout d’un an était devenu préoccupant.
Celui qui dirigeait les armées humaines, s’appelait Erèbe, il avait un bon sens de la stratégie, mais il se distinguait principalement par sa cruauté. Quand il le pouvait il s’adonnait à des sévices terribles sur les prisonniers. Un de ses objectifs était de se constituer une collection de dix mille bannières faites en peau d’elfe. Il n’y avait aucune pitié à attendre d’Erèbe, juste une incroyable méchanceté et un sadisme exacerbé. Certains murmuraient que même si tous les rois des elfes acceptaient de lui céder leur trône, Erèbe continuerait à manger de l’elfe au moins une fois par semaine.
Une bataille importante allait bientôt se jouer entre les elfes et les humains. Le site choisit favorisait bien les elfes, il s’agissait de la passe d’une montagne, en théorie ceux qui se trouvaient en haut, pouvaient tenir en étant à dix contre un. Problème les humains étaient trente fois plus nombreux. Certes les hommes devraient se livrer à une ascension épuisante pour conquérir le terrain. Ils seraient contraints en étant alourdis par leur équipement de monter une cote raide, tout en se faisant maltraiter par les projectiles et les sorts. Surtout que les zones de couvert manquaient contre les flèches et les boules de feu. Les arbres étaient rares sur la montagne servant de lieu de bataille, il n’y poussait que quelques pins rachitiques, à part un peu d’herbe par ci par là, il n’y avait pas beaucoup de vie végétale.
Il n’y aurait pas beaucoup de survivants parmi les soldats humains en première ligne, y compris les militaires talentueux. Les elfes prirent de nombreuses précautions en matière d’approvisionnement en flèches, et pour que les mages puissent jeter plus de sorts que d’habitude. Certains archers avaient le droit à un tonneau rempli de projectiles, et les magiciens disposaient d’un gros stock de potions de vigueur afin de surmonter les effets fatigants liés au fait de lancer beaucoup de sorts. Arthur et Erèbe firent à tour de rôle un discours pour motiver les troupes.
Arthur : Mes amis, aujourd’hui a lieu une bataille décisive, si nous perdons la honte s’abattra sur nous. Tout ce qu’ont bâti nos ancêtres sera réduit en cendres par les armées humaines. Certes beaucoup d’entre nous risquent de mourir, mais il vaut mieux périr comme un héros plutôt que de voir nos chères forêts détruites, et nos proches morts ou réduits en esclavage. Ne comptez pas sur la miséricorde de l’ennemi, il ne désire que deux choses, nous tuer ou nous exploiter comme des bêtes de somme. Nos adversaires sont plus nombreux mais leur cœur est rongé par la cupidité et la haine. Si nous faisons preuve de bravoure et de discipline, le dieu Jéhavah nous favorisera. Vive les royaumes elfes, vive notre haut-roi Esinaé.
Une clameur répondit à Arthur. Celui-ci aurait bien voulu mentionner le dieu Proélium durant son discours, mais il ne tenait pas à susciter la division dans les rangs avec la mention de la divinité controversée lors d’une bataille cruciale. Et puis le vampire pensait que Proélium avait assez de mansuétude pour tolérer la discrétion. Il valorisait davantage la bravoure que la gloire personnelle.
Erèbe : Mes chers soldats l’heure des hommes est venue, les elfes orgueilleux vont apprendre à nous respecter nous les humains, et reconnaître notre supériorité manifeste. Certes les elfes vivent plus longtemps que nous, mais les hommes sont meilleurs qu’eux. Nous sommes plus avisés, nous ne nous considérons pas comme les serviteurs de la nature. Notre destin est de dominer toute la planète Gerboisia. Si nous l’emportons je vous promets gloire et richesse.
Les elfes se montraient courageux et déterminés, cependant les humains dominaient progressivement les combats. Il fallait dire qu’Erèbe usait de méthodes particulières pour renforcer ses chances de victoire, il envoyait des esclaves de guerre combattre leurs semblables. Il employait une quantité impressionnante de soldats destinés à servir de chair à canon. Il vida les prisons, les asiles, et recruta de force un nombre considérable de malades et de gens dans le besoin pour servir de cibles à flèches et à sorts. Que les mages et les archers gaspillent leurs projectiles et leurs enchantements sur des cibles peu utiles militairement.
Erèbe s’arrangeait pour que ses esclaves mettent de l’enthousiasme grâce à un vaste réseau d’otages. Un captif de guerre qui refusait de participer à la bataille devait assumer la mort de plusieurs proches. En outre Erèbe n’avait absolument aucun scrupule à ordonner l’usage de sorts très polluants du moment que leur efficacité s’avérait probante.
Son absence d’éthique lui garantissait d’excellents résultats quand il s’agissait de provoquer le décès d’ennemis. De plus ses catapultes et ses balistes expédiaient des globes de verre remplis de gaz empoisonnés, qui décimaient les plus vaillants, et les gens très robustes. En outre il n’avait pas peur de sacrifier un grand nombre de subordonnés pour augmenter ses chances de victoire. Il était détesté par beaucoup d’esclaves, mais il se moquait royalement de leur avis, il avait d’ailleurs une politique d’efficacité qui lui apportait les faveurs de plusieurs chefs d’états humains. Ses rafles sur les membres des minorités mal vues et les malades pauvres lui attiraient la considération de beaucoup d’hommes riches et influents.
Au départ les choses se passèrent bien pour les elfes, ils faisaient de gros dégâts dans les effectifs de leurs ennemis. Ils décimaient sans trop de problèmes les adversaires. Cependant ils affrontaient une véritable marée, et la horde antagoniste se rapprochait petit à petit. Les elfes comprirent qu’il fallait économiser les sorts, car leurs cibles en première ligne n’étaient pas des soldats vétérans mais des esclaves de guerre. Alors ils se contentèrent de balancer des projectiles notamment des flèches. Cependant ils finirent par épuiser au bout de quelques heures les flèches à leur disposition.
Ce fut le signal pour Erèbe qui l’incita à envoyer ses troupes de choc, et à se débarrasser des esclaves de guerre. Il ordonna plusieurs tirs d’arbalète et de lancer de boules de feu sur les malheureux esclaves qui survécurent à la confrontation contre les elfes. Erèbe savait qu’il agissait comme une personne impitoyable, mais il considérait qu’un esclave de guerre ne méritait aucun respect, que leur fonction se limitait à handicaper l’ennemi.
Erèbe ordonna une charge massive et frénétique sur les rangs adverses, de courir de façon forcenée vers les troupes ennemies quand c’était possible. Pour lui l’heure de la curée allait bientôt avoir lieu, il pourrait bientôt manger de l’elfe jusqu’à s’en faire éclater la panse, s’offrir un véritable festin de chair elfique.
Erèbe : Les elfes sont en train de chanceler, chargez, donnez tout ce que vous avez.
Arthur : La situation est préoccupante Merlin active l’arme secrète.
Merlin : Vous êtes sûr de vous, seigneur Arthur ? Votre artefact ne fonctionne qu’une fois tous les mille ans.
Arthur : Je sais mais je n’ai pas le choix, si nous perdons le combat aujourd’hui, les royaumes elfiques seront dans une terrible situation.
Merlin : Très bien. Par le sang, le dragon, et l’épée que cette sphère inanimée s’active, qu’elle retrouve sa puissance originelle ! Voilà vous pouvez utiliser votre objet divin.
Arthur : Larme de Jéhavah, entends ma prière que tous les humains présents sur ce champ de bataille aient une jambe cassée.
Au départ rien ne semblait se passer, les hommes continuaient à dominer le champ de bataille, puis brusquement un soldat humain sentit une douleur fulgurante et extrême à la jambe sans cause apparente. Puis le phénomène commença à se propager, le nombre de personnes victimes de fracture se comptaient maintenant à une dizaine. Les mages humains croyant à une attaque surnaturelle incantèrent des sorts de protection pour neutraliser les malédictions néfastes, mais ils ne parvinrent à rien. Au contraire ils subirent eux aussi de graves problèmes au niveau des membres inférieurs.
Après ce fut le tour des hommes occupant la fonction d’archers de souffrir beaucoup, ensuite l’événement préoccupant se diffusa sur les cavaliers, enfin toute l’infanterie humaine se tordit de douleur. Des milliers d’hommes se retrouvèrent dans l’incapacité de combattre, ils essayèrent de contrecarrer la puissance de la Larme de Jéhavah, en adressant des prières à Argent leur divinité.
Cependant la magie de la sphère de cristal transparente de dix centimètres de hauteur et de largeur resta active. La Larme était un artefact découvert par Arthur dans la plaine des malheurs, mais il fallut un certain temps pour identifier ses fonctions, cela expliquait pourquoi elle n’était employée que maintenant. Le vampire dut être épaulé de Merlin pour découvrir les propriétés ésotériques de la Larme, même s’il commençait à être personnellement à être assez reconnu dans le domaine de l’évaluation mystique.
Les humains continuèrent à éprouver une très grosse douleur à la jambe, et à souffrir de difficultés importantes pour bouger. Seul Erèbe le général des hommes échappa à la malédiction qui pesait sur ses troupes. Le Néant avait des projets pour lui, donc il sauvegarda l’existence d’un pion prometteur.
Erèbe n’écoutant que son courage s’enfuit comme un dératé. Il réussit à éviter de se faire capturer grâce à sa bonne vitesse de course, et aussi parce qu’il évitait de participer en première ligne. Il ne rechignait pas à punir les gens qui manquaient de courage d’après lui, mais le général choisissait scrupuleusement de mettre une bonne distance entre lui et le front. Soit disant sous prétexte qu’il valait mieux garder en vie le plus d’officiers supérieurs afin d’empêcher une désorganisation des troupes, cependant la vraie raison venait surtout d’un puissant instinct de survie.
Les elfes voulurent profiter du désarroi des humains pour les achever, et se venger des nombreux outrages subis. Mais Arthur le vampire invita à faire preuve de miséricorde, il fut écouté, mais il déclencha tout de même de nombreux grommellements.
Une conséquence très positive de la victoire des elfes fut l’accord des nains pour rejoindre l’alliance elfique, œuvrer désormais contre les humains. Les nains étaient courageux, mais aussi pragmatiques, ils doutaient fortement des chances de l’emporter des elfes. Ils crurent d’abord que la résistance proposée par le vampire était une cause perdue. Mais la victoire des troupes d’Arthur changea la donne, poussa les nains à croire que l’espoir était permis.