Intègre : J’ai entendu une partie de ta conversation avec Lancelot, je suis heureux que tu m’aies choisi malgré les arguments flatteurs de mon adversaire.
Morgane : Lancelot est jeune et riche, mais je préfère me fier à la vertu et l’honneur pour nouer une relation amoureuse avec quelqu’un.
Intègre : Qui est Lancelot au fait ?
Morgane : Un ami d’enfance avec qui j’ai partagé de nombreuses choses. Il n’a pas toujours été corrompu, quand il était enfant il était droit et très honnête.
Intègre : Ainsi tu t’intéresses à la cause des sourds-muets, c’est une nouvelle agréable, je trouve qu’ils ne sont pas assez aidés par l’état.
La phase trois du plan marcha comme sur des roulettes, le juge royaliste Intègre alla voir deux fois plus souvent Morgane la séductrice. Il ressentit un amour plus intense à chaque visite. Sa jalousie envers Lancelot agit comme un puissant stimulant sentimental. Bien que le royaliste soit honnête, il était aussi une personne sujette à de puissants accès de possessivité.
La jalousie du juge ne déplaisait pas à Morgane, surtout qu’elle était assortie d’un haut niveau de fidélité. Le royaliste appréciait beaucoup les membres de la gente féminine, cependant il était exclusif. Ainsi quand il se liait amoureusement, il attendait que sa relation évolue vers la rupture définitive avant de chercher une autre amante. La séductrice ressentait de plus en plus de remords à cause de ses manipulations, elle devait faire de violents efforts de volonté pour ne pas se confesser au juge.
Cependant elle se retenait car cela signifierait sa mort et celle d’Intègre. Arthur le vampire était impitoyable avec les traîtres à son organisation, il œuvrait à leur infliger une mort lente et très douloureuse. Morgane faisait des cauchemars de temps à autre à cause du souvenir de la mort d’un de ses subordonnés. Elle assista à un supplice effroyable qui la marqua durablement.
Chaque individu avait une peur suprême. Tout le monde craignait un individu, un animal, un danger plus que tout. Quand quelqu’un était confronté à sa phobie ultime, il subissait des tourments indescriptibles. Or Arthur infligeait une vision cauchemardesque de leur phobie ultime, à ceux qui le trahissaient, par l’intermédiaire de sorts. En moins de cinq minutes même les plus courageux demandaient grâce.
Arthur lança la phase quatre de son complot, deux mois après que juge soit victime de ses premiers accès de jalousie. Le vampire chargea Merlin d’inquiéter le juge en venant au cabinet d’Intègre.
Intègre : Vous avez demandé à me voir sous prétexte que vous étiez déterminant pour l’avenir de Morgane, une personne que j’apprécie beaucoup, expliquez-vous.
Merlin : Morgane souffre d’une malédiction puissante, elle mourra d’ici quelques mois, sauf si un mage doué comme moi intervient. Évidemment mes services ne sont pas gratuits, je veux cent mille gils par mois, sinon je refuse de soigner votre bien-aimée.
Intègre : Je ne sais pas d’où vous tenez vos informations mais Morgane m’aurait informé si elle subissait un sort magique.
Merlin : Il se peut qu’elle ait cherché à vous ménager. Il n’est pas facile d’annoncer à un proche que l’on va bientôt mourir.
Intègre : Avez-vous des preuves de ce que vous racontez ? Qu’est-ce qui me prouve que vous n’êtes pas un escroc essayant de m’arnaquer ?
Merlin : C’est simple demandez donc à Morgane quel est son état de santé.
Intègre se précipita chez Morgane après sa journée de travail. Il se mit à prier pour qu’il soit l’objet d’une mauvaise farce. Il espérait vraiment ne pas devoir choisir entre son amour et son honneur. Il était prêt à beaucoup pour la séductrice, il comptait l’épouser dans les mois à venir. Toutefois il devrait accepter de devenir une personne s’accaparant des pots-de-vin si une malédiction planait bien sur Morgane, et que le mage disait bien la vérité sur le traitement surnaturel.
Or pour le juge trahir ses principes de façon terrible pour venir en aide à sa bien-aimée constituerait une épreuve douloureuse. Il réalisa quelques compromissions mineures afin d’épauler Morgane. Il donna quelques coups de pouce pour que la plainte de la séductrice contre le milicien ne soit pas lente à traiter, et inciter le procureur à requérir une peine exemplaire.
Cependant user de ses relations afin d’apporter de l’appui à une victime, et embrasser la voie de la corruption financière c’étaient deux choses totalement différentes en terme de gravité. Surtout qu’Intègre était une sorte de parangon de la lutte contre l’enrichissement personnel. Si les gens du peuple apprenaient que lui céda aux sirènes de la fraude monétaire, peu seraient capables de lui pardonner. Donc le juge vivait un véritable martyre spirituel. Il priait pour que Morgane aille bien, mais aussi pour ne pas avoir besoin de commettre une entrave magistrale à son honneur. Il ne put retenir sa partie sombre d’avoir la pensée suivante, si sa bien-aimée était atteinte d’un maléfice, qu’elle soit dans un état intraitable entraînant très rapidement sa mort. Puis Intègre eut envie de se gifler pour les idées qu’il développa.
De son côté Morgane n’allait effectivement pas très bien, mais pas à cause de la douleur physique du sort qu’elle subissait. Elle fit bien pire comme mise en scène d’apparence réaliste. Ce qui la faisait beaucoup souffrir était le fait de participer à une mise en scène destinée à piéger son amant. La séductrice n’était pas à son premier coup pour arnaquer ou amener dans une situation épineuse une personne. Tout au long de sa carrière de courtisane, elle alla loin pour dénicher des informations gênantes sur ses cibles.
Cependant là le contexte était assez différent de d’habitude, vu qu’elle tomba amoureuse de sa proie. Elle devait se faire violence pour ne pas chercher à s’enfuir, tout en laissant un mot explicatif sur la machination concernant le juge. Mais elle avait d’autres sentiments pour l’aiguiller que l’affection, notamment la peur. Elle était assez fine d’esprit pour avoir fini par remarquer qu’elle faisait l’objet d’une surveillance par d’autres personnes. Donc si elle ne suivait pas correctement le plan actuel à la lettre, elle risquait des ennuis monstrueux.
Intègre trouva l’elfe en train de cracher du sang.
Intègre : Qu’est-ce qui se passe Morgane ?
Morgane : Rien j’ai juste eu un léger malaise.
Intègre : J’ai l’impression que tu couves quelque chose de sérieux. Dis-moi tout s’il te plaît.
Morgane : Le milicien qui me faisait du chantage, il m’a annoncé qu’il avait trouvé un arrangement avec un démon pour que j’aille très mal. Au début je ne l’ai pas cru, mais je crois que mon état empire de jour en jour.
Intègre : L’usage de la magie noire est très réglementé à Absolia, elle ne doit jamais être utilisée pour nuire à un humain. Ne t’en fais pas l’infâme qui te malmène va regretter d’être venu au monde. Je traquerai et j’emprisonnerai ton tourmenteur, même si je dois me tuer à la tâche.
Morgane : Le problème est que mon bourreau s’est vanté d’avoir quitté Absolia, par conséquent d’être intouchable par la justice.
Intègre : Comment ton persécuteur a t-il communiqué avec toi alors ?
Morgane : Le milicien corrompu a utilisé la télépathie, il m’a donné ses instructions par la pensée. Soit je refais un témoignage qui l’innocente, soit je meurs d’ici deux mois.
Intègre : Même si tu obéis à ton tourmenteur cela n’arrangera pas sa situation. En plus de ton témoignage il y a des dizaines de preuves contre lui. Si tu changes ta déposition tout ce que gagnera ton bourreau ce sera d’attirer l’attention sur lui de façon négative.
Morgane : Que faut-il faire dans ce cas ? Je ne veux pas mourir, mais je suis coincée quel que soit mon choix.
Intègre : Ne t’en fais j’ai sans doute une solution efficace à ton problème de malédiction. Je ne peux pas te dire de quel recours je dispose, mais je sais que le moyen de te sauver est efficace.
Le juge Gérard Intègre se dépêcha d’aller voir le haut-mage Merlin dans la tente des complots. Il était tiraillé par son sens du devoir et son amour pour Morgane. En effet le coût de l’intervention du haut-magicien était très élevé. Alors Intègre n’avait que deux solutions pour venir en aide à sa bien-aimée, se faire corrompre ou détourner une partie des fonds à sa disposition.
Intègre : Je suis venu requérir vos services monsieur, j’aimerai que vous guérissiez Morgane de sa malédiction.
Merlin : Je suis capable de cela, mais il me faut d’abord un versement de cent mille gils.
Intègre : Justement ne serait-il pas possible de négocier une réduction ? Vous demandez beaucoup trop chaque mois. Même en raclant les fonds de tiroir je ne peux trouver que cinquante mille gils.
Merlin : J’ai une sainte horreur des ristournes, je suis un magicien, pas un marchand d’objets. En punition ce n’est plus cent mille gils que je réclame mais cent un mille. Attention à ce que vous dites, si vous essayez encore une fois d’obtenir une baisse de mes prestations, je les augmente.
Intègre : Très bien vous avez gagné, je payerai ce que vous demandez. Mais autrement j’ai une question pouvez-vous guérir définitivement Morgane ?
Merlin : En effet mais comme Morgane est une poule aux œufs d’or, j’ai décidé de l’exploiter, de lui offrir un répit mensuel seulement.
Intègre : Tirer parti de la détresse de quelqu’un n’est pas très moral.
Merlin : Je ne dis pas le contraire, mais je ne me soucie pas beaucoup de la moralité. Ce qui compte le plus pour moi est la rentabilité.
Gérard Intègre eut un sommeil très tourmenté, à partir du jour où il commença à accepter de se faire corrompre. Le juge qui était l’honnêteté incarnée dans le passé devint un hors-la-loi coupable de crimes graves. Pour pouvoir effectuer le premier versement à Merlin, il dut s’arranger avec une dizaine d’hommes riches. Quinze jours après ses débuts en tant que criminel notoire, Intègre reçut une lettre disant que son petit manège n’était pas passé inaperçu. Arthur décida peu de temps après l’envoi du courrier de venir voir Intègre à son cabinet pour passer à la phase cinq de son plan.
Il ne patienta pas trop longtemps afin d’éviter que la pression sur sa cible ne le pousse à faire une belle bêtise du genre se confesser auprès des autorités sur ses actions illégales. Le vampire avait une certaine confiance dans le charme de Morgane, mais il savait aussi que le fait d’être aux abois favorisait les comportements suicidaires ou désespérés. Donc il pensa qu’il valut mieux venir voir le juge seulement quelques heures après que la lettre qu’il rédigea arrive à destination.
Il recourut à une écriture trafiquée, il s’arrangea pour que les mots ne reflètent pas sa façon habituelle de tracer des lettres. Toutefois il rédigea ses termes de façon compréhensible sans être cependant trop menaçant. Il avertit Intègre qu’il était au courant de sa corruption financière, mais il n’ajoutait pas de termes spécialement angoissants. Au contraire il essaya de se faire le plus rassurant possible en stipulant qu’il serait probable de trouver un arrangement avec lui.
Arthur était conscient qu’il entrait dans une phase délicate, le juge commit des choses graves afin de secourir Morgane. Cependant il ne serait pas forcément très réceptif à une mission de nuisance contre son roi sans des arguments très alléchants.
Le vampire trouva son interlocuteur très fatigué. En effet Intègre enchaînait les nuits difficiles suite à ce qu’il appelait sa déchéance morale. Et cela se voyait nettement sur les traits de son visage, il avait droit à des cernes bien marquées au niveau du contour des yeux.
Intègre : Je vous reconnais, vous êtes Arthur le chevalier, que me voulez-vous ?
Arthur : C’est moi l’auteur de la lettre vous informant que votre corruption a été découverte. Un mot de ma part, et je transforme votre vie en enfer. Cependant comme vous pouvez m’être utile, je suis disposé à vous laisser en paix, et même à vous payer grassement si vous remplissez une mission. En cas de succès vous toucherez quatre-vingt mille gils par mois à vie. Il s’agit de déclencher une enquête judiciaire à l’encontre de Louis le roi d’Absolia.
Intègre : Si vous me versez cent mille gils par mois je marche.
Arthur : Vous êtes dur en affaires mais soit. Voici un premier versement. Ah oui le traitement de votre bien-aimée s’accompagne d’un effet secondaire, s’il est interrompu elle vivra des tortures si atroces, qu’elle essayera de se suicider avec une sacrée ardeur.
Le vampire était un peu étonné de la faible résistance d’Intègre, il se serait attendu à ce que le juge se montre beaucoup plus réticent. Mais il était presque fou amoureux de Morgane. Et la perspective de ne plus s’enfoncer dans la corruption financière lui apportait un tel soulagement qu’il n’opposa pas une rhétorique trop poussée.
Et puis il considérait que sa bien-aimée méritait les plus grands sacrifices qui soient. Intègre connut des hésitations à devenir un criminel pour sa bien-aimée, mais il s’engagea quand même avec résolution sur le chemin de l’illégalité en échange de l’assurance d’œuvrer pour rendre un grand service à Morgane.
La séductrice n’usa pas de magie pour séduire sa cible, cependant elle avait assez de savoir-faire pour susciter dans le cœur de beaucoup de personnes des sentiments puissants. Seuls deux individus se révélèrent assez déterminés pour ne pas succomber trop à ses charmes, le roi Hertio grâce à son ambition dévorante, et Arthur à cause de ses préjugés.
Même si le vampire modéra son attitude envers les prostitués ou les gens couchant sur commande, il gardait un fond de méfiance contre les gens pratiquant des actes sexuels pour de l’argent ou d’autres avantages.
Sa tendance gentille voyait Morgane comme un élément loyal, mais son côté ténébreux n’était pas du tout de cet avis. Et comme la bête intérieure était une part assez influente chez Arthur, cela compliquait beaucoup des relations hors d’un cadre professionnel entre le vampire et Morgane. Le vampire avait suffisamment de maîtrise pour agir avec respect à l’égard de la séductrice. Et il pensait qu’elle pourrait faire un bon successeur vu ses compétences. Mais il voyait aussi comme un acte peu judicieux de chercher à nouer une véritable relation amoureuse avec elle.