La Tour des Mondes
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Chapitre 138 – Dans la douleur, un sourire
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La sphère explose dans le ciel et les aiguilles pleuvent autour de moi… et sur moi.

Malgré la protection que j’essaye d’apporter à Adelina, elle aussi finit par être touchée.

De mon côté, j’ai mal, vraiment très mal. J’ai envie de m’étaler sur le sol et de ne plus bouger.

La douleur et le poison me détraquent le crâne et je peux le sentir.

Peu à peu, j’ai l’impression de m’enfoncer dans les ténèbres et de perdre pied. Mais je ne peux pas me laisser aller, je n’ai pas le choix si je veux survivre. Je frappe le toit du poing. Une première fois, puis une deuxième. Ce n’est pas agréable, loin de là, mais d’une certaine façon je peux déplacer la douleur à un endroit différent. Comme si à chaque fois la douleur dans poing venait me dire en me secouant « Hey, arrête ça ! ».

Ce n’est pas une solution miracle qui étouffe la douleur, mais la douleur la plus vive remplace un peu celle dans mon dos à présent recouvert de dizaines d’aiguilles plantées à même la chair sanguinolente de mon dos. Je ne peux pas me permettre de perdre connaissance maintenant, à quoi bon faire des efforts si c’est pour dormir maintenant.

Je perds du sang et j’ai froid. En même temps, il faut considérer que mes vêtements sont en lambeaux à cause des coups de fouet, tout comme ma peau et c’est probable que le plus gros de mon énergie soit concentré sur mon dos d’où le froid.

Je regarde Adelina qui semble terrifiée. Je tends la main et attrape un antidote dans mon inventaire.

Je lui donne le récipient en lui disant de boire en essayant d’être le plus rassurant possible malgré la situation, mais étrangement ma voix ne retentit pas comme d’habitude, ni la sienne d’ailleurs.

Je lui laisse la bouteille et me touche l’oreille. Ah. Mon oreille n’est plus vraiment une oreille d’après ce que je peux sentir… Disons simplement que c’est le sang qui me bouche les tympans, je n’ai pas envie d’imaginer à quoi elles peuvent ressembler après avoir été frappées directement par un fouet.

J’essaye de me redresser et me rends compte que l’effet du fumigène va bientôt disparaître.

Je me dis que j’essaye de me redresser et c’est tout ce que ce sera pour le moment. J’ai tellement mal que je pense que mon corps n’est pas prêt de m’écouter si je dois ne serait-ce que courber le dos. Je tombe mollement à côté d’Adelina en perdant l’équilibre. Elle se redresse et en voyant l’état de mon dos étouffe un cri en plaquant ses deux mains sur son visage avec un air terrifié. Rassurant.

Dans ce genre de situation, je n’arrive pas à m’empêcher de me dire que j’ai fait tout ça pour ça ?

Changer de vie pour finir dans un état pareil pour une fille qui a le béguin pour moi. Je n’ai pas expressément signé le contrat d’entrée de la tour pour subir ce genre de situation.

Tout ça me dépasse. Hey, Yuu, tu avais raison, j’aurais dû fuir au lieu de rester dans la ville.

Je tourne la tête à droite puis à gauche, il n’y a quasiment plus de fumée.

Malheureusement, pour moi les manges-mot ont l’air d’avoir compris que je préparais quelque chose et se sont mis à couvert avant l’explosion de la sphère. De mieux en mieux.

Il ne me reste plus qu’à espérer que mes fumigènes me feront gagner du temps.

Je tends la main pour sortir un fumigène de mon inventaire, mais aussitôt un coup de fouet frappe mon poignet et s’enroule autour. Est-ce que j’ai besoin de préciser que c’est très très… très douloureux ? Quel genre de monstre utilise un fouet comme arme…

Mon bras est tiré par le fouet avec violence. Je ne suis pas sûr que dans mon état je puisse réellement résister, mais je fais ce que je peux pour ne pas être traîné sur le toit en me mettant sur les genoux.

Les coups de fouet reprennent alors et de mon bras libre je me protège le visage. J’imagine que cette fois-ci je ne pourrai pas m’en sortir. Adelina commence à crier de plus belle, mais je n’entends qu’une légère vibration assez vite remplacée par les vibrations provenant des claquements de fouet qui vibrent dans tout mon corps.

Micha et Juliette sont placées sur mon torse et la première est paniquée tandis que l’autre me dit de faire quelque chose pour me sortir de là, mais je me contente juste de me baisser le plus possible vers l’avant pour les protéger de ces saletés.

Se sortir de cette situation sera plus facile à dire qu’à faire.

Du côté de Yuu rien, mais j’imagine qu’il s’est déjà enfui. Ou alors il a brisé le lien ? Impossible de savoir. Impossible de me concentrer suffisamment pour savoir.

J’essaye de refaire bouclier pour Adelina, mais impossible de bouger à cause du fouet qui me tire dans le sens inverse. Pourtant elle n’a pas l’air d’être attaquée. Je peux à peine la voir à cause du sang qui commence à couler dans mes yeux, mais elle n’a pas l’air de subir de coups de fouet.

Soudainement, les coups s’arrêtent. Je retombe au sol alors que le fouet enroulé autour de mon bras semble avoir été lâché. J’ai envie de hurler à la mort maintenant que ça s’est arrêté et je le ferais si mon corps entier n’était pas juste en train de trembler de douleur.

Je commence à tousser et j’ai l’impression que le poison des aiguilles commence à faire effet.

Comme si je n’avais pas suffisamment de problèmes.

Je ne vois plus grand-chose et je retombe par terre. J’entends des vibrations, mais impossible de savoir ce qui les provoque.

Mes mains tremblent. Je vois flou. Mon sang coule sur mon visage et plus globalement sur le toit.

J’entends des voix et j’ai l’impression qu’Adelina se penche sur moi et essaye de me dire quelque chose. Je tourne ma tête dans sa direction, mais c’est toujours le même visage inquiet et terrifié.

Je ne sais pas pourquoi, mais ça me fait sourire de la voir comme ça. Un sourire léger et douloureux, mais un sourire quand même. Je ne sais pas pourquoi, mais peux être que je suis juste content d’être en vie, ou simplement de voir un autre être humain inquiet pour moi.

Je reviens assez vite à la réalité. Pourquoi est-ce que les coups de fouet se sont stoppés ? J’essaye de regarder en essuyant le sang sur mon visage, mais c’est difficile de voir grand-chose à cause du sang et de la pénombre. Je demande à Micha de me servir d’yeux. Je n’arrive pas à établir la vision, mais elle peut me dire ce qui se passe tant qu’elle ne prend pas de risque.

Est-ce qu’ils se sont dit que ça suffisait et qu’il était temps de m’achever ?

Micha se place au niveau de ma nuque et sort sa tête de mon écharpe.

J’attends quelques instants et elle finit par me faire comprendre ce qu’elle voit.

Elle répète le mot ami, mais il y a comme une sorte de doute dans le mot qu’elle fait passer.

La curiosité l’emportera alors sur la douleur et j’établis le partage de vision pendant un instant en utilisant ce qui me reste de force.

À travers les yeux de Micha, je peux voir des gens qui se battent et à l’allure je dirais que ce sont des grimpeurs. L’ombre la plus proche est de dos, mais entre la tenue et la silhouette difficile de se tromper. Maliel.

Elle tourne le visage dans ma direction et dit quelque chose, mais je n’entends rien.

[Elle a dit que tu étais vraiment un boulet.]

… Ah…

[J’ai dû foncer en direction du bar pour demander de l’aide. Elle sait que je parle maintenant et j’espère que je ne vais pas le regretter.]

Je…

[Tch. Repose-toi un peu, ils n’en ont plus pour longtemps. Les autres sont des grimpeurs, mais ils sont un peu bizarres. Tu verras par toi même. La fille n’a rien en tout cas. J’imagine que tu peux être fier de toi.]

Poiso…

[Je sais. Économise-toi. Maintenant que tu nous as mis dans une situation pareille tu vas avoir besoin de toutes tes forces.]

*

— C’est le petit ? Dans un état pareil ?

— Je l’ai trouvé comme ça. Ils étaient armés de fouets.

— Carl, retourne à l’entrée surveiller. Maliel aide moi à le porter. Vous autres dès que reviens je vous offre une tournée. Et toi ma grande… trouve-toi un coin tranquille, tu es en sécurité ici. On parlera des détails plus tard, mais tu n’as plus rien à craindre.

J’entends vaguement des paroles au-dessus de moi comme un écho lointain.

Adelina demande si je vais m’en sortir d’après son expression. Elle a l’air d’être en train de pleurer. Rien de trop surprenant vu ses sentiments pour moi.

Après s’être occupés des Manges-Mots, Maliel et un autre grimpeur en armure m’ont porté jusqu’au bar. J’imagine que Maliel a formé une équipe avec les gens dans le bar pour venir me sauver. J’ai encore du mal à voir ce qui m’entoure, mais j’ai entendu plusieurs voix, au moins cinq ou six dans le groupe. Bien plus dans le bar, mais vu les circonstances le plus étonnant reste quand même les rires et les discussions que je peux entendre vibrer dans l’air. Aucune des personnes à l’intérieur n’a l’air de se sentir concernée par les événements et je ne sais pas quoi en penser.

Enfin, disons plutôt que je ne suis pas capable de vraiment penser. Entre le poison et mes blessures, j’ai pu entendre des bribes de conversations, des fragments, mais rien de très précis.

Étrangement, je peux sentir que j’ai faim. J’imagine que c’est parce que tout ça a commencé à l’heure du repas, mais ce n’est pas très important. Peut-être, que c’est un bon signe, mais j’ai froid et je me sens faible ce qui m’a l’air moins bon.

Je dois dire que je suis soulagé que ce soit fini, bien plus que ce que je ne croirais vu que je ne peux pas m’empêcher de sourire depuis que l’on m’a sauvé. Un sourire crispé et douloureux, mais soulagé au point où j’en pleurerais s’il me restait une fraction de contrôle sur mon corps en charpie.

Je peux sentir Maliel à ma droite et Madeleine de l’autre côté qui me tiennent par les bras et me portent. Maintenant que je suis dans ce bar, j’ai l’impression que tout va bien se passer.



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