Chapitre 173 – Zombification
Avant même que Klein ne puisse réfléchir, il vit Maynard, tout raide, tendre les deux bras et s’élancer sur sa gauche dans une violente rafale de vent !
Il fut un temps, sa réactivité, amoindrie lors de situations aussi soudaines et inattendues, lui aurait rendu la tâche difficile et quand bien même il aurait anticipé l’attaque, il aurait dû faire une roulade pour éviter le mort vivant qui était très rapide.
Mais à présent, Klein pouvait presque réagir à l’instinct. Se propulsant sur bottes de cuir sans boutons, il fit un bond en diagonale en direction de la chaise.
Mais comme il n’y avait que vingt-quatre heures qu’il avait évolué et n’était pas encore habitué à sa puissance, à son agilité et à sa rapidité, il sauta trop haut et atterrit sur l’étroit bord du dossier !
Le cœur noué, le jeune homme ajusta aussitôt son centre de gravité.
Il vacilla un instant et, contre toute attente, se stabilisa, tel un chat noir faisant étalage de son équilibre et de sa prestance.
Dans le même temps, il balança sa canne dans les côtes du zombie qui se ruait sur lui. Le coup déséquilibra la créature qui tituba et s’écroula sur le tapis.
Debout sur le dossier de la chaise, Klein tendait la main droite vers son étui à revolver dans l’intention de tirer une balle en argent sur l’assaillant lorsque soudain, il hésita et réfléchit aux conséquences.
S’il tirait sur le cadavre de Maynard, comment expliquerait-il la véritable cause du décès à la famille du défunt et aux parlementaires qui ne manqueraient pas de se pencher sur la question ?
Je n’ai fait que tirer sur un cadavre ?
Tout en réfléchissant, le nouvel inspecteur fouilla dans la poche de son uniforme à la recherche d’une plaque triangulaire.
Le Charme de Requiem…
Sa décision prise, il s’empara de l’amulette d’argent et s’écria doucement en Hermès :
« Cramoisi ! »
Alors que l’incantation se répercutait dans la pièce, une aura apaisante se dégagea du talisman. Klein y insuffla aussitôt son énergie spirituelle et le lança sur le zombie qui peinait à se relever.
Une flamme d’un bleu glacial enveloppa la plaque triangulaire. Une aura noire, sereine et douce, qui avait le pouvoir d’apaiser les âmes anxieuses et inquiètes, se répandit rapidement.
Le zombie s’arrêta net, ses yeux inexpressifs fixant le sol tandis que de la bave dégoulinait sur le tapis.
Klein poussa un soupir de soulagement. Il était sur le point de sortir ses matériaux et de mettre en place un rituel pour purifier la créature profanée lorsque soudain, un nouveau raclement de gorge se fit entendre et le regard vide de Maynard se focalisa sur la poche gauche de son uniforme de police.
M**de… Pensa le Faucon de Nuit en sautant sur le rebord de l’oriel.
Au même moment, il entendit la chaise se briser.
Il n’eut alors pas d’autre choix que de sortir une autre plaque d’argent rectangulaire : le Charme du Sommeil !
Les êtres vivants n’étaient pas les seuls à pouvoir sombrer dans un profond sommeil. Les morts étant en état de sommeil éternel, seules des circonstances inhabituelles étaient en mesure de les réveiller.
Certains livres occultes mentionnaient même que les zombies dorment le jour et se réveillent la nuit.
Cramoisi ! Répéta Klein avec l’intention, si cela ne fonctionnait pas, de tirer sur le cadavre sans se soucier des conséquences.
Car quelle importance auraient les problèmes à venir s’il se faisait tuer ?
Lorsqu’il sentit la plaque argentée devenir froide, il y injecta son énergie spirituelle et lança le charme.
Une flamme rouge sombre illumina ses yeux tandis qu’une légère explosion se répercutait dans la pièce.
Une force douce se répandit, apportant avec elle une fatigue qui affecta tous les êtres vivants. Le zombie, qui venait à peine de se redresser à l’aide de la chaise, vacilla. Ses yeux se fermèrent et il tomba sur le dos avec un bruit mat.
Avec ce qui venait de se passer, Klein ne voulait pas relâcher la garde. Sans différer, il prit l’extrait d’Amantha, obtenu par distillation de Vanille de Nuit, de fleur de Sommeil, de Camomille et d’écorce de Dragonnier, et l’Huile Essentielle de Pleine Lune issue des Fleurs de Lune, puis dressa l’autel sacrificiel.
Dans la foulée et à l’aide de la Poudre de Nuit Sacrée, il scella d’un mur spirituel la zone qui englobait l’autel et le zombie endormi.
Après avoir mentalement prononcé l’incantation et allumé trois bougies, il fit couler quelques gouttes d’extrait d’huile essentielle et saupoudra diverses poudres sur les flammes. Puis il recula d’un pas, sans quitter le zombie du regard, et récita en Hermès :
Ô Déesse de la Nuit, plus noble que les étoiles et plus éternelle que l’éternité.
Je prie pour obtenir votre grâce aimante.
Veillez sur votre loyal gardien,
Je sollicite le pouvoir du cramoisi,
Le pouvoir du sommeil et du silence.
Je vous prie de purifier cet être impur, un gentleman autrefois appelé John Maynard.
…
Fleur de Lune, plante qui appartenez à la lune rouge, conférez, je vous prie, vos pouvoirs à mon incantation !
Fleur de sommeil, plante qui appartenez à la lune rouge, conférez, je vous prie, vos pouvoirs à mon incantation !
…
On aurait dit qu’une brise nocturne soufflait dans l’espace délimité par le mur spirituel. Un fin voile de vapeur noire s’échappa alors du zombie.
Lorsque tout fut calme, Klein fit appel à sa Vision Spirituelle et à la divination, ceci à plusieurs reprises, pour s’assurer que la créature ne risquait plus de se “réveiller”.
Au vu des résultats, ses inquiétudes s’apaisèrent. Il mit fin au rituel et dissipa le mur d’énergie spirituelle.
Debout devant le cadavre, toujours sur le tapis, il fronça les sourcils :
Pourquoi reviendrait-il brusquement à la vie ?
Un Transcendant doté d’une grande sensibilité spirituelle pouvait, à certains signes évidents, savoir si un cadavre allait revenir à la vie ou non. Et Klein était encore un Voyant. S’il lui arrivait souvent de pressentir ce genre de choses, ce qui venait de se passer l’avait vraiment pris par surprise.
À moins… à moins qu’il n’y ait une influence plus mystérieuse en jeu… Cela rappelle ce qui s’est passé avec le clown en costume…
Se remémorant la scène, Klein prit vaguement conscience du problème.
Le zombie en voulait à la poche gauche de son uniforme de police !
La poche gauche ? Le jeune homme fit passer sa canne noire dans sa main droite et de l’autre, fouilla dans ladite poche dont il sortit le sifflet de cuivre.
C’était un sifflet ancien, gravé de motifs mystérieux. Le fameux sifflet destiné à invoquer le messager d’Azik.
Ce sifflet aurait-il zombifié Maynard ? C’est assez plausible. Même si M. Azik n’est pas un descendant de la Mort, il est certain qu’il a un lien avec. Il est donc logique que les objets qu’il détient produisent un tel effet…
Klein prit un penny de cuivre et procéda à une rapide séance de divination au sujet de sa conclusion.
Comme il se trouvait sur les lieux de l’incident, qu’il était en possession des objets concerné et disposait d’assez d’informations, il obtint rapidement un résultat : le penny retomba dans sa paume, côté face visible.
C’est oui. Dire que M. Azik ne m’a même pas prévenu… Bon… C’est un amnésique, il est normal qu’il oublie ce genre de choses. De plus, le sifflet en cuivre n’avait peut-être pas d’effets négatifs quand c’était lui qui le portait. Il y a de fortes chances pour que ceux-ci aient été réprimés. Je ne devrais pas emporter ce sifflet quand je me rends dans des cimetières ou des châteaux anciens, des endroits sujets à hantise. Je risquerais de m’attirer des ennuis et de flirter avec la mort de façon insensée…
Sur ces réflexions, Klein, sans trop d’efforts, ramena le corps nu de Maynard sur le lit.
En voyant la marque évidente laissée sur le cadavre par le coup de canne, il soupira et, faisant celui qui n’avait rien vu, recouvrit le corps du drap blanc.
Je laisse ça aux services de police ! Mais j’y pense, les deux charmes que j’ai utilisés tout à l’heure pouvant être considérés comme des dépenses liées à la mission, je pourrai donc demander à être indemnisé… pensa-t-il en rangeant ses affaires.
Il prit ensuite le portrait et déverrouilla la porte. Celle-ci s’ouvrit avec un grincement et Klein tomba sur l’inspecteur Tolle qui montait la garde afin que personne ne s’approche.
– « Que s’est-il passé ? » demanda celui-ci, méfiant et inquiet, car il avait vaguement entendu du mouvement dans la pièce.
Klein eut un sourire :
– « Le député Maynard est revenu à la vie et a essayé de me faire un câlin passionné », répondit-il en exagérant sciemment.
– « Cessez donc vos plaisanteries… », fit Tolle, exaspéré, en jetant un coup d’œil dans la pièce.
– « Pourquoi tant de sérieux ? » Demanda Klein en levant les mains. « Pour une raison dont je ne suis pas certain, le député Maynard est devenu un zombie. Enfin, le genre de choses qui ne se produit que dans les histoires de revenants. Heureusement, je n’étais pas encore parti, aussi ai-je utilisé la magie rituelle pour le purifier de sa profanation et lui permettre de retourner à son sommeil éternel. »
Tolle prit un air grave :
– « Est-ce lié à la cause du décès ? »
– « Je ne saurais vous répondre, car j’ignore d’où vient le problème. Vous savez sans doute que dans notre domaine, les phénomènes inexplicables sont monnaie courante » répondit Klein qui, regardant le portrait qu’il tenait à la main, ajouta : « Tandis que je procédais au rituel de médiumnité, j’ai vu la mort de Maynard. Il était avec cette femme et s’adonnait à des activités qui ne devraient être pratiquées qu’entre un mari son épouse. Au moment crucial, il a crispé sa main sur sa poitrine, à l’endroit du cœur. »
– « Vous voulez dire que… c’est ça qui a causé sa mort ? » Fit Tolle en lui lançant un regard de connivence.
– « En théorie, oui, mais il faut attendre les résultats de l’autopsie », répondit Klein en lui tendant le portrait.
À peine l’inspecteur y eut-il jeté un coup d’œil qu’il s’exclama :
– « Madame Sharon ! »
– « Une célébrité ? » S’enquit Klein, l’air perdu, tout en pensant : À en juger par son allure et sa silhouette, c’est certainement le cas…
Tolle regarda autour de lui et répondit avec enthousiasme :
– « Madame Sharon est la plus jolie veuve de Tingen, la dame la plus convoitée dans les cercles sociaux. C’était la seconde épouse du Baron Khoy.
« Elle est reçue par de nombreux hommes d’affaires et aristocrates parmi les nouveaux riches, c’est le genre de personne qui peut être invitée à des réceptions organisées aussi bien par le Parti Conservateur que par le Nouveau Parti.
« Le bruit court qu’elle et son beau-fils, l’actuel baron Khoy, sont en termes ‘amicaux’ avec bon nombre de nobles et hauts fonctionnaires de Backlund. C’est une femme puissante. Quand je pense qu’elle et le député Maynard… Hé hé… »
Bref, une mondaine exceptionnelle… conclut Klein pour lui-même.
Il se retourna et, désignant la pièce, répondit :
– « L’étape suivante n’étant pas de mon ressort, l’interrogatoire de Madame Sharon ne me regarde pas.
« Par ailleurs, j’ai frappé Maynard avec une canne avant la purification. Vous allez devoir faire avec et trouver une explication. »