Après une dizaine de minutes pendant lesquelles j’ai maintenu le boost en plus ou moins parfait équilibre, l’Oracle se réveille et se redresse en me regardant étrangement. Un peu comme si j’étais quelqu’un de totalement différent.
Elle me demande si elle ne m’a pas trop fait attendre et en relâchant progressivement la pression du boost je me contente de lui faire un signe de tête. Je ne sais pas trop si je suis curieux de ce qu’elle va me dire. Je n’ai jamais cru aux horoscopes et encore moins aux « devins » sur terre, même si c’est plus fiable dans la Tour, j’imagine, au moins concernant les quêtes dans chaque étage et le futur imminent l’oracle me regarde et semble prêt, je me contente de la regarder droit dans les yeux et d’attendre la suite.
« Bien. Commençons.
… Sombre, sombre est ton futur. Des lendemains rouges, des morts et du sang dans la paume de tes mains. Devant toi, il y a deux chemins, deux sentiers et deux passages. Chaque pas est un nouvel embranchement à prendre. Aujourd’hui, rien n’est écrit, mais demain tu sauras et tu devras faire des choix. Sauver pour perdre, tuer pour vivre, quitter pour revenir.
Il y aura des cris et des souffrances, des larmes et des sourires. Il y aura des souvenirs et des histoires. Au milieu du chaos du destin tu seras là, quelque soit le chemin que tu prendras, tu te tiendras dro… »
Je la coupe en lui faisant un signe de la main et un vague sourire un peu gêné. Je ne sais pas quoi dire, mais je ne pense pas avoir à écouter la suite. Je n’en ai pas envie. Le ton sérieux qu’elle prend et les premières phrases me suffisent.
C’est de moi dont elle parle ? J’ai l’impression que ce genre de discours conviendrait à n’importe qui se préparant à entrer dans la tour. C’est un peu facile et ça ne veut pas dire grand-chose. Soit, je suis gentil, soit je suis méchant, dans les deux cas je vais sans doute avoir à tuer des gens. Vraiment ? C’est ça mon futur ? Tout blanc ou tout noir ?
Les envolées lyriques ne m’intéressent pas spécialement. Je n’ai jamais rien eu d’un poète auparavant et je préfère encore la couper avant qu’elle ne dise quelque chose de vraiment dérangeant. Si c’est bien de mon avenir dont elle parle et malgré ma curiosité je préfère encore la stopper et m’arrêter là.
Ce n’était sans doute pas une bonne idée de venir et j’aurais dû m’en douter.
Savoir d’avance certaines choses ne fera que me rendre nerveux et me faire me demander quand est ce que je vais devoir vivre tout ça. Je n’ai pas envie d’entendre une sorte de prophétie me concernant. Après tout si elle a bien raison et qu’elle me met au courant alors le futur sera différent, non ? Je réagirais différemment et du coup l’avenir dont elle me parle n’existera pas. Si je l’ignore, je suis encore maître de mon destin, mais si je l’écoute alors il sera forcément différent, non ? J’ai l’impression que mon raisonnement est logique en tout cas. Ce n’est peut-être pas le bon endroit pour le dire, surtout en présence d’une Oracle.
Je lui explique un peu tout cela et plutôt que de mal le prendre, elle se contente de sourire et d’acquiescer en me disant qu’elle comprend tout ça et que c’est en partie vrai et malgré mes questions elle ne m’expliqua pas quelle partie de mon raisonnement lui semble faux. Au fond, elle était un peu déçue que je ne souhaite pas entendre la suite, mais elle n’insista pas là-dessus.
— Tu as maintenant droit à quelques questions si tu souhaites en entendre plus malgré tout.
—Hmm. Vous savez quel sera mon prochain animal ?
— Non. C’est le genre d’information qui influence ton jugement. Je ne peux rien dire.
— Hmmm. Ça m’aurait enlevé une épine du pied… Quoi d’autre… Oh. Puisque j’y pense, quelle sera ma mission quand je serai dans le premier étage de la tour ?
— La première personne que tu croiseras, elle te dira ce que tu dois faire.
— Hmmm, une question pour ma professeur. Est-ce que je serai un jour un bon assassin ?
— Quand elle se posera la question, elle n’aura qu’à regarder ton visage pour le savoir.
— Hmmmm. Ensuite… Je n’ai pas trop d’idée… Qu’est-ce que je pourrais demander ?
— Je ne peux pas poser les questions à ta place.
— Est-ce que l’on se reverra ?
— Je serai ici dès que tu voudras me revoir.
Je décide de me relever. Je n’ai absolument pas d’imagination pour d’éventuelles questions et les réponses qu’elle me donne sont très évasives. Je pensais au moins la perturber un peu avec la dernière, mais elle a pratiquement répondu du tac au tac, mais j’ai pu voir un peu de tristesse dans ses yeux. Tout le long elle a gardé les yeux fixés sur la boule de cristal comme si elle était en train de penser chaque réponse en choisissant ses mots avec soin et que c’était la boule qui lui soufflait tout ça. Elle se leva en même temps que moi et garda ses yeux rivés sur mon visage.
— Je pense que ça suffira, je ne suis pas très curieux… j’imagine. Pardon pour ça.
— Il n’y a pas de problème. Tu peux toujours revenir quand tu le souhaiteras, je serai là et je m’occuperai de toi, mais vu ta réaction il y a peu de chances que tu reviennes.
— Hm. Est-ce que je suis censé le prendre comme tel ou comme une autre prédiction ?
— Je pense que tu te prends beaucoup trop la tête. Ce que j’ai à dire est là pour être entendu, ni plus ni moins. Si tu réfléchis trop aux mots que j’emploie alors tu ne comprendras pas ce dont je parle en temps et en heure. Bien sûr, tu es seul maître de ton destin.
Je me contente de lui rendre un sourire un peu gêné. J’imagine que j’ai gaffé en lui parlant de mes doutes. Concrètement, j’ai l’impression d’avoir fait une erreur en la coupant, mais je vais assumer mon choix.
Elle continue de me fixer, mais j’essaye de l’ignorer. Elle est loin d’avoir l’air méchante, mais je me sens très mal à l’aise en présence de quelqu’un qui est censé avoir vu mon futur, un peu comme si elle savait tout et plus sur moi et puis il y a la façon dont elle me regarde depuis qu’elle a vu mon avenir. J’ai l’impression d’avoir fait une bêtise, mais est-ce que c’est le moi présent ou le moi futur ? Enfin comme elle l’a dit j’imagine que je me prends trop la tête…
Juliette et Micha sont à mes pieds et je leur laisse à toutes les deux le temps de revenir à leur place avant de me diriger vers la porte.
— Je ne connais toujours pas votre nom d’ailleurs ?
— Kassandra et tutoie-moi à partir de maintenant d’accord ?
— Entendu. Je dois y aller, mais je reviendrais.
— Bien sûr, je serai là.
Je passe la porte en lui faisant un signe de la main et la laisse seule dans la pièce. Pendant un instant avant que je ne rompe le contact visuel, je peux voir quelque chose dans son regard, un sentiment sur lequel je n’arrive pas à mettre la main, mais l’instant d’après elle me sourit comme si de rien n’était.
Je sors de l’aile puis de la Tour. Je pense que je vais activer le boost jusqu’à la Tour des Rangers, la route sera plus rapide, mais aussi plus pénible. Enfin, ce n’est pas le moment de négliger mon entraînement.
— Layla, il est venu, mais à partir de maintenant ne lui parle plus de ce que tu verras d’accord ?
— Mais, il a le droit de savoir…
— Il ne souhaite pas savoir et si jamais c’est le cas, alors il reviendra de lui-même. C’est la Gardienne qui le demande.
— Je…
— Reprends l’exercice.
C’était difficile. Je pensais m’y être fait, mais sur des distances pareilles et avec le boost activé pendant tout le trajet, j’ai besoin de quelques minutes pour récupérer. Nerys ne serait sans doute pas contente de me voir dans un état pareil, mais je viens sans doute de faire la distance la plus longue en ligne droite au pied de la tour et je n’ai jamais couru aussi vite de ma vie.
Après avoir récupéré, je rentre dans la Tour et prends quelque temps pour sentir l’air au parfum forestier qui emplit l’endroit. Je m’assois quelques minutes sur un banc à l’intérieur et regarde les gens passer.
La plupart des grimpeurs ont des arcs ici et je ferais bien de me trouver une arme à distance. À force de voir Nerys s’en servir, j’ai presque envie de prendre une arbalète. Avec le venin de Juliette, je ferais un massacre, mais je ne suis pas sûr que je trouve les meilleures arbalètes ici. Sans doute qu’elles sont soit à la tour des Guerriers, soit dans celle des Pirates. J’ai le temps d’y penser, et je ne pense pas que Fae sera celle qui me fera me servir de mes armes.
Je décide finalement de me lever du banc ou je m’étais installé pour souffler quelques instants et je monte les marches de l’escalier conduisant à la porte de la classe. Rien n’a l’air d’avoir changé en une semaine et je passe la porte sans trop réfléchir. Reprenons l’entraînement.