Livre 2, Chapitre 27 – Prison
La prison de Skycloud abritait huit cents criminels ; les meurtriers, blasphémateurs et autres auteurs de crimes violents formaient la majorité. Ce lieu maléfique, où le soleil ne brillait jamais et où vivait tout le mal de Skycloud, était l’ombre de la lumière étincelante des terres élyséennes.
Les citoyens normaux de Skycloud ne pouvaient même pas imaginer que sous leur précieuse et prospère ville se trouvait un lieu de sang et de torture.
« Tu es nouveau. »
Il y avait vingt criminels enfermés dans cette cage particulière, certains seulement pour six mois et d’autres pour plus de quarante ans. Leurs péchés étaient nombreux, mais ce qu’ils partageaient tous n’était pas un espoir d’avenir. Au mieux, ils pouvaient espérer un exil dans la nature, mais pour la plupart d’entre eux, la mort serait leur seule issue à une vie d’emprisonnement. Des conditions de vie difficiles et des tortures cruelles avaient tordu leur esprit.
L’intimidation des nouveaux arrivants était une tradition ici.
Dès qu’une personne était enfermée dans cette fosse, toutes les notions de droits de l’homme, de respect fondamental et de liberté lui étaient retirées. Quatre-vingt-dix pour cent étaient des hommes. Les quelques femmes malheureuses qui avaient été amenées ici ne pouvaient même pas compter sur le fait qu’on leur attribue leur propre cellule. Les cellules individuelles étaient réservées aux criminels particulièrement dangereux, de sorte que la plupart des femmes étaient jetées dans des cages avec toutes les autres. On pouvait facilement deviner leur sort. La plupart ne vivaient pas plus d’un mois.
Le viol n’était pas seulement un danger pour les femmes. Certains hommes étaient soumis aux mêmes tortures.
Par exemple, ce jeune nouveau venu n’avait que quinze ou seize ans. Il était un peu mince, mais il avait des traits délicats et une peau lisse. Il était enchaîné comme tout le monde, mais ses yeux avaient une lumière étrange. Il n’avait pas l’air d’un prisonnier.
« Pourquoi t’ont-ils jeté ici, hein ? »
« Qu’est-ce que c’était ? Un meurtre ? Viol ? Vol ? Hérésie ? »
Quand ils s’étaient endormis la nuit dernière, aucun des prisonniers n’avait vu l’enfant. Quand ils avaient ouvert les yeux, il était là. Qu’est-ce que quelqu’un d’aussi jeune avait fait pour se faire jeter dans un endroit comme celui-ci ? Un morceau aussi tendre que celui-ci était un plaisir rare ici !
Une paire d’hommes gros et musclés s’était dirigée vers le jeune homme tranquille accroupi près du mur, les chaînes à la main. Le nouveau venu regardait calmement le foin recouvrir le sol comme s’il attendait qu’une fleur germe. Les visages des deux hommes étaient tordus de ricanements vulgaires qui révélaient leurs sombres intentions.
« Tu es sourd ou quoi ? Tu ne m’as pas entendu te poser une putain de question ? !”, aboya l’un des grands hommes.
Résigné, le jeune homme se leva. « Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Les nouveaux arrivants doivent apprendre les règles ici, alors tu fais ce que je te dis. Ne me faites pas perdre mon temps avec ses conneries, vous m’entendez ? » L’un des hommes frappa la poitrine du jeune homme. « Si tu te défends, tu le regretteras jusqu’à ta prochaine vie, compris ? »
L’autre regarda le gamin de haut en bas. « Enlève ton pantalon. Laisse-moi voir avec quel genre de cul tu travailles. »
La réponse du gamin avait été directe et polie. « Je ne voudrais pas m’énerver. »
« T’as envie de mourir, enfoiré ? ! »
« On va te défoncer la gueule, gamin ! »
Les deux hommes avaient levé leurs poignets enchaînés et les avaient fait basculer pour frapper le gamin avec les robustes bracelets en fer. Soudain, le gamin doux était devenu une personne différente. Ses chaînes s’étaient ouvertes d’elles-mêmes, et il avait enfoncé ses poings dans les tripes de chacun des deux hommes. Les deux hommes avaient bafouillé en perdant leur souffle et étaient tombés à genoux. Ils s’étaient retournés et s’étaient tortillés comme des vers gras, des visages rouges comme du foie de porc.
Le jeune homme était trop rapide pour eux. Il avait frappé chacun de ses agresseurs potentiels du bord de la main et l’avait assommé.
Le reste des hommes de la cellule, qui étaient prêts à suivre les grands hommes dans leur plaisir, avaient regardé la scène en état de choc total. Comment avait-il ouvert ses menottes ? ! C’était impensable et trop rapide pour que quiconque puisse voir comment il l’avait fait.
Cloudhawk avait roulé ses poignets pendant quelques instants avant de remettre les menottes en place. Il avait balayé son regard vers les autres et avait salué leur surprise par un rire froid. « Quelqu’un d’autre veut vérifier mon cul ? Levez-vous et faites-vous connaître. »
Un air de violence palpable remplissait la cage pour dissuader tout adversaire.
Les hommes ici étaient des condamnés endurcis. Beaucoup avaient pris des vies. Cependant, pas un seul d’entre eux n’osait même regarder le jeune homme. Seule sa présence faisait dresser leurs cheveux sur la tête. La promesse de sang qui l’entourait était différente de celle des autres hommes violents. C’était le tempérament de quelqu’un qui avait regardé la mort en face d’innombrables fois. N’importe quel voyou normal s’affaiblissait aux genoux rien qu’en le regardant.
Les hommes se tenaient tranquillement, alors Cloudhawk retourna à sa place près du mur.
C’était son plan : l’endroit le plus dangereux auquel il pouvait penser était en fait le plus sûr. Ce connard de Frost de Winter pouvait penser jusqu’à ce que son crâne se fissure et que du sang coule de ses oreilles, mais il ne penserait jamais à revenir à l’endroit d’où il venait de s’échapper.
Ses hommes pouvaient parcourir toute la ville, mais ils ne viendraient jamais chercher ici !
Se cacher dans les prisons n’était qu’un plan temporaire. Personnellement, il ne voulait pas de conflit avec les gens de Skycloud. D’une part, c’était un combat qu’il perdrait, et d’autre part, il espérait toujours que cette affaire pourrait être résolue.
Il avait tant sacrifié pour arriver ici, il s’était battu si durement. Si les terres élyséennes lui étaient fermées, il ne savait pas où aller. Retourner dans les terres désolées ? Il avait rêvé pendant des années d’avoir une chance de s’enfuir de ce maudit endroit !
Il réfléchissait à l’énigme, le dos appuyé contre la pierre froide du mur de la prison. « Au moins, dans les terrains vagues, je n’aurais pas eu à faire face à un tel problème. » Là-bas, il tuait qui il voulait, combattait qui il voulait et allait où il voulait. Aussi dur que soit l’environnement, aussi sinistre que soit le peuple, au moins il n’avait pas peur comme maintenant.
L’idée lui avait traversé l’esprit mais s’était éteinte tout aussi rapidement. Les terrains vagues étaient les terrains vagues. Comment pouvaient-ils se comparer à cet endroit ?
Non, il attendait ici et se tenait bien. Peut-être que tout ça, c’était ce connard de Frost de Winter qui lui jouait un tour. Au pire, il attendra le retour de Sélène Cloude. Il était sûr qu’elle ne le maltraiterait pas. Elle n’avait aucune raison de le faire. Une fois qu’elle serait revenue, tout s’arrangerait !
Il était perdu, mais il n’avait pas non plus d’autres options.
Le silence était revenu dans cette étouffante prison. Les gardes patrouillaient constamment à l’extérieur, mais aucun d’entre eux ne s’était rendu compte qu’il y avait une personne supplémentaire enfermée à l’intérieur. Cependant, alors qu’il était assis là, les yeux fermés, en train de méditer sur sa situation, un sentiment de danger l’envahit.
Un vieil homme avec une tête de cheveux blancs s’approcha de lui en titubant. Il était aussi frêle que de l’herbe fanée, mais il pouvait sentir une menace cachée s’attarder juste sous la surface.
Cloudhawk commença par observer tranquillement l’étranger. Il devait être le patron car partout où il allait, les autres le regardaient avec peur. Le sentiment de danger devait être plus que le fruit de son imagination.
« Tu es un chasseur de démons. » C’était la première chose qu’il avait dite. Le vieil homme frêle s’était accroupi à côté de Cloudhawk et avait parlé pour que personne d’autre n’entende. « Je sais comment tu es entré hier soir. Seul un chasseur de démons a un tel pouvoir. »
« Et alors ? » Il fixa le vieil homme avec un soupçon de violence. Sa tête était couverte de cheveux gris et blancs, et son visage était couvert de cicatrices. La plus grande était une ligne de colère qui lui traversait l’œil gauche et laissait sa cornée d’un blanc nuageux. Cela lui donnait un air sauvage et hideux.
Il s’était présenté. « Je m’appelle Majjhima1. On pourrait dire que je suis un hérétique. Et ce que je veux n’est pas important – ce qui est important, c’est que vous ayez l’air de quelqu’un qui a besoin d’aide. Une aide que je peux donner. »
C’était la première fois que Cloudhawk entendait quelqu’un se présenter comme un hérétique. Il avait trouvé toute la situation intéressante. « Vous ne savez rien de ce que je fais, mais vous voulez aider. Pourquoi ? »
Majjhima ricana sèchement. « Tu es peut-être un chasseur de démons, mais tu n’es pas un hérétique. Si tu l’étais, tu ne serais pas en train de rôder par ici. Je vis dans cette ville depuis trente ans. Je la connais bien. Je suis ici depuis longtemps, mais je connais les gens d’en haut, alors je me suis dit que j’avais peut-être quelque chose dont vous aviez besoin. »
Sa curiosité était piquée. « Je n’imagine pas que vous soyez prêt à aider par bonté de cœur. »
La voix de Majjhima devint encore plus douce. « J’ai mes propres fins, comme tout le monde. Je veux juste sortir d’ici. »
Il n’avait rien pu dire pour protester contre cette idée. Il regarda l’homme et vit les signes de torture écrits sur tout son corps. Certaines de ses blessures étaient anciennes tandis que d’autres étaient nouvelles, prouvant qu’il était ici depuis très longtemps.
Mais on ne savait pas s’il pouvait vraiment aider.
Il n’avait jamais partagé ce qu’il avait vécu dans les terrains vagues avec personne d’autre que Frost de Winter. Quand il l’avait fait, le disciple du gouverneur, un connard, avait réagi en essayant de le tuer. Son calvaire ne se limitait pas à cela. Il n’allait pas oublier cette leçon durement apprise après seulement une journée.
Mais, le grand loup était déjà apparu.
Cloudhawk réfléchit pendant une minute. Il n’avait pas beaucoup d’espoir, mais il avait besoin d’aide. Peut-être que lui dire lui donnerait une perspective différente.
Il s’apprêtait à partager l’histoire du début à la fin lorsque le bruit des pas lui parvint aux oreilles.
La porte de sa cage fut ouverte et une femme, couverte de bleus de la tête aux pieds, fut jetée à l’intérieur. Ses mains et ses pieds étaient liés. Les gardes n’avaient même pas regardé Cloudhawk, qui était resté recroquevillé dans le coin. Une fois le nouveau prisonnier livré, ils fermèrent la lourde porte de fer derrière eux et partirent.
Cette cage était remplie d’hommes, et les gardes savaient ce que cela signifierait de mettre une femme là-dedans. Ils étaient complices de ce qui s’était passé. C’était une sorte de torture. Après quelques jours ici, les condamnés aux lèvres serrées pouvaient être convaincus de parler.
Les yeux des hors-la-loi s’étaient immédiatement tournés vers la nouvelle venue où ils avaient été agréablement surpris de constater qu’elle était à la fois voluptueuse et séduisante. Qu’ont fait ces hors-la-loi pour mériter un tel traitement ? Leurs yeux sombres brillaient d’une intention malveillante.
Après tout, ceux qui s’intéressaient aux hommes étaient en minorité. La plupart préféraient l’étreinte d’une femme.
Terrifiée, la femme se recroquevillait en boule. Elle sentit leurs yeux se promener sur elle et l’horreur la saisit. « Qu’est-ce que vous faites ? Éloignez-vous de moi ! »
Cloudhawk s’était figé. Il connaissait cette voix.
Alors que les hommes s’apprêtaient à bondir sur leur proie, ses chaînes s’ouvrirent. Il se déploya et se mit debout, sautant du mur et se jetant parmi eux comme un guépard. En frappant avec ses jambes, il repoussa vicieusement deux hommes dans un coin éloigné.
« Qu’est-ce que tu fais ? »
« On ne vous a rien fait ! »
Les bagnards fixaient Cloudhawk avec de grands yeux, pleins de peur et de haine.
Il ne les avait pas écoutés et avait plutôt aidé la femme à se relever. « Que faites-vous ici ? ! »
C’était le médecin de Bloomnettle, Lotus. Outre le vieux Chardon et Squall, elle était la seule autre personne à avoir vu son vrai visage. Quand elle le vit le regarder de haut, elle avait été tout aussi déconcertée.
1. Ce personnage est appelé 深中道, « deep middle path ». Il s’est décrit comme un hérétique. Le terme bouddhiste de « voie du milieu » lui semblait approprié.