Les deux traits d’énergie partirent d’angles opposés et ciblaient les flancs de Lin Ming. Aussi basique qu’elle soit, cette attaque n’en restait pas moins celle d’un disciple Houtian originaire d’une secte. Un artiste martial ordinaire qui se ferait toucher ne s’en sortirait certainement pas indemne…
Le jeune homme à la tunique jaune cherchait à asseoir sa position pour éviter tout ennui par la suite. Et le meilleur moyen de se faire une réputation ici était tout naturellement de ridiculiser le numéro un actuel de la Ville du Mûrier Vert, à savoir Lin Ming.
— Humph, imbécile ! lâcha froidement ce dernier.
Il se retrouvait impliqué dans cette bagarre sans aucune raison, et voilà maintenant que ce type sorti de nulle part s’en prenait directement à lui ? De toute évidence, il n’était pas sain d’esprit.
Une lumière azur apparut et Lin Ming frappa deux fois, heurtant de ses poings ces deux faisceaux d’énergie.
Les deux traits d’énergie d’épée se dispersèrent dans un bruit d’explosion sans toucher leur cible. Lin Ming n’avait même pas fait un pas en arrière.
— Oh !? s’exclama le jeune homme à la tunique jaune d’un air surpris. Un gamin à la Condensation de l’Impulsion capable de bloquer mes traits d’énergie d’épée ? Tu n’es pas n’importe qui, dis-moi ? Héhé, que dirais-tu que j’utilise trente pour cent de ma force cette fois ?
Alors qu’il s’apprêtait à frapper de nouveau, la jeune fille qui l’accompagnait l’interrompit d’un geste de la main : — Arrêtez, condisciple aîné. Utiliser votre pouvoir pour opprimer les autres vous déshonore.
Lin Ming n’était qu’au milieu de la Condensation de l’Impulsion, alors qu’il se trouvait lui à l’ouverture du Houtian. Le combat était déséquilibré dès le départ. Le jeune homme à la tunique jaune abusait simplement de son âge et de sa cultivation plus avancés. Il aurait beau gagner, cela ne serait pas vu comme une victoire par les disciples d’une secte.
Bien qu’agacé d’être ainsi interrompu et sermonné par sa condisciple, le jeune homme comprenait parfaitement le sens de ses mots et décida d’accepter sa requête : — Puisque ma sœur-apprentie me le demande, je vais faire comme s’il ne s’était rien passé. Toi là-bas, dit-il en s’adressant à Lin Ming, considère que c’est ton jour de chance !
— Oh ! Je suis chanceux ? Tu m’en diras tant ! Lin Ming n’en revenait pas ses oreilles. Ce bref accrochage lui avait permis de ressentir que la véritable énergie du jeune homme à la tunique jaune n’était pas particulièrement pure. S’il avait d’abord craint qu’il puisse être un disciple principal, il était désormais certain qu’il avait uniquement affaire à un disciple de cercle intérieur.
Un disciple de cercle intérieur ne représentait rien du tout. Qin Xingxuan possédait déjà ce titre, et il ne faisait aucun doute qu’elle finirait par accéder au rang de disciple principal.
— Qu’est-ce qu’il y a, tu n’en es pas convaincu ? reprit le jeune homme à la tunique jaune en fronçant les sourcils. Ma sœur-apprentie m’a demandé de faire preuve de compassion, je n’insisterai donc pas aujourd’hui. Mais il y a une solution simple pour que tu comprennes. Quand les bêtes féroces reviendront, nous n’aurons qu’à aller les combattre tous les deux, et on verra bien qui en tue le plus. Qu’en dis-tu ?
Lin Ming n’eut pas le temps de répondre que Shi Linkai s’écria violemment : — Quel ramassis de conneries ! Comme si on avait besoin de ton aide ! Ma Ville du Mûrier Vert…
Il commençait tout juste à s’emporter lorsqu’une voix forte et puissante l’interrompit d’un seul coup : — Chef de Clan Shi, veuillez reconsidérer la situation ! Nous devons œuvrer dans l’intérêt de la cité. À ce sujet, c’est aux habitants de la Ville du Mûrier Vert qu’il appartient de prendre les décisions qui les concernent, et à personne d’autre !
Shi Linkai se retourna pour découvrir que c’était Zhu Ping qui venait de le couper. Il portait son uniforme militaire de commandant de la garnison et affichait un air contrarié.
Un élan de fureur embrasa le cœur de Shi Linkai. Seuls les habitants de la Ville du Mûrier Vert peuvent décider de la marche à suivre ? Les membres du Clan Yan n’appartenaient-ils pas eux aussi à la Ville du Mûrier Vert ? Ses frères n’étaient-ils pas morts comme n’importe quel autre soldat pour protéger cette cité ? Comment pouvait-on les traiter de la sorte ?
Sa rage était sur le point d’éclater et d’engendrer une situation incontrôlable lorsque la voix de Lin Ming résonna dans ses oreilles par le biais de véritable énergie : — Ne vous emportez pas pour une affaire aussi insignifiante, Chef de Clan Shi. Je vous le demande personnellement.
Lin Ming voulait à tout prix éviter de livrer un combat inutile qui le forcerait à exposer ses atouts avant d’être parvenu à éliminer le pion d’Ouyang Boyan.
Shi Linkai nourrissait une admiration respectueuse et sincère à son égard. Ainsi, et bien qu’il le fit à contrecœur, il accepta d’avaler la couleuvre.
Zhu Ping se tourna alors vers les deux étrangers et leur dit avec un large sourire : — Je vais immédiatement faire libérer le meilleur manoir de la ville en m’assurant que la literie et le mobilier soient changés, et je veillerai à ce qu’on vous envoie plusieurs servantes. Je vous en prie jeunes maîtres, reposez-vous dans notre cité autant que vous le voudrez.
Zhu Ping s’inclina respectueusement en leur parlant. Un accueil aussi généreux – qui répondait à toutes leurs exigences – visait à n’en pas douter à contrarier Lin Ming.
Lui vivait dans le campement avec les soldats, partageait leur quotidien et leur nourriture. Pourtant, Zhu Ping n’avait pas hésité une seule seconde à offrir le meilleur manoir de la ville à deux inconnus.
Certaines personnes étaient comme ça. Si vous les traitiez aimablement, ils ne vous respectaient pas. En revanche, si vous les écrasiez sous votre botte, ils vous craignaient suffisamment pour ne pas prendre le risque de vous offenser.
Ces gens-là étaient faibles et superficiels ; ils n’étaient tout simplement pas dignes d’intérêt.
Évidemment, la différence de traitement que manifestait Zhu Ping à l’égard de Lin Ming et du jeune homme à la tunique jaune ne tenait pas uniquement à ça…
Quoi qu’il en soit, il voyait l’hostilité entre les deux jeunes hommes d’un très bon œil. Si ces deux-là venaient à combattre et que Lin Ming était blessé dans le processus, le tuer n’en serait que plus facile.
— Eh bien, eh bien ! voilà quelqu’un de raisonnable. Dépêchez-vous, et n’oubliez pas de préparer un bain d’eau de source et de faire brûler de l’encens pour chasser l’odeur. Ma sœur-apprentie ne peut pas rester vivre dans un endroit aussi sordide que ce camp. Mais soyez tranquilles, il ne me faudra que quelques secondes à peine pour rejoindre le champ de bataille si les bêtes féroces reviennent. En parlant, ses yeux se tournèrent vers Lin Ming, son regard chargé d’une expression implacable. Il était furieux qu’il lui ait résisté un peu plus tôt, mais il ne pouvait absolument pas se permettre de froisser la jeune fille qui l’accompagnait.
Ces deux-là étaient bel et bien des disciples rescapés de la Secte de la Lune Montante. Il ne restait plus qu’une poignée d’entre eux, quatre-vingt-dix pour cent des membres de la secte ayant péri cette nuit-là… Quant aux maîtres Xiantian, il n’en restait pas un seul.
Eux deux avaient eu de la chance et étaient parvenus à s’échapper. Cela faisait maintenant six jours qu’ils voyageaient dans les conditions les plus rudimentaires qui soient. Ils avaient passé le gros de leur temps à traverser les jungles des Étendues Sauvages Australes, se nourrissant de rations et de fruits secs, sans marquer le moindre arrêt. Pour la jeune fille qui était habituée à un grand confort, le fait de ne pas se laver et de porter les mêmes habits plusieurs jours d’affilée devenait de plus en plus difficile à endurer.
Son compagnon d’infortune avait sauté sur l’occasion pour la convaincre de passer plusieurs jours dans cette cité de mortels pour se reposer.
Mais en réalité, ses motivations étaient tout autres. Cette jeune fille était l’un des disciples directs de la Lune Montante. Le fait qu’elle soit parvenue à s’échapper ne signifiait qu’une seule chose ; elle possédait de nombreux trésors. Son propre maître était mort dans ses bras, comment aurait-elle pu ne pas tout donner à sa disciple ?
Trésors du degré terrestre, feuillets de jades anciens, et plus important encore… des Pilules Ouverture du Paradis !
Pour le jeune homme à la tunique jaune, elle devait au moins en avoir cinq ou six sur elle !
La Secte de la Lune Montante avait beau compter parmi les plus faibles des dix-neuf sectes de rang trois, ils n’en possédaient pas moins plusieurs dizaines de ces pilules. Et puisque la jeune fille était l’un des disciples directs les plus prometteurs, il y avait de fortes chances qu’elle en ait plusieurs en sa possession.
Au-delà des Pilules Ouverture du Paradis, le jeune homme à la tunique jaune avait déjà entendu des bruits courir au sujet d’un remède unique que détenait sa secte. Sa valeur dépassait de loin celle d’une Pilule Ouverture du Paradis, et on racontait qu’il avait un rapport avec l’ancien souverain du Royaume Démoniaque de la Mer Australe… le maître de la Cité Perdue de l’Empereur Démon.
La secte de la Lune Montante déclinait depuis plusieurs siècles, mais elle n’en possédait pas moins un long passé chargé d’histoire, avec son lot d’épreuves et de gloire. Il y a deux mille ans, elle trônait même au sommet des sectes de grade trois, éclipsant des sectes comme la Montagne du Paon dans son ombre.
En ce temps-là, la Lune Montante avait uni ses forces à toute la Région de l’Horizon Austral pour assiéger la Cité Perdue de l’Empereur Démon. Qui sait ce que les maîtres de la secte avaient pu obtenir lors de ce siège…
La Cité Perdue de l’Empereur Démon était une secte ayant réussi à se hisser au rang de Terre Sacrée, et le Grand Empereur des Enfers était une des grandes figures de tout le Continent du Grand Dévers. Tout ce qui venait d’un tel personnage – qu’il s’agisse de son pot de chambre – avait le potentiel pour devenir un artéfact que de plus petites sectes se disputeraient avec acharnement.
Ce remède mystérieux que détenait la Lune Montante était réputé avoir d’incroyables effets pour les maîtres Xiantian cherchant à atteindre le Xuandan. Quant à savoir de quoi il s’agissait exactement, le jeune homme à la tunique jaune n’en avait pas la moindre idée. Ses connaissances à ce sujet se limitaient à des rumeurs. Des siècles s’étaient écoulés ; qui sait s’il en restait quelque chose…
Quoi qu’il en soit, il ne s’attendait évidemment pas à ce que la jeune fille ait ce remède si précieux avec elle. Et quand bien même ce serait le cas, il n’aurait aucune chance de l’utiliser pour le moment. Un remède d’un tel niveau contenait une formidable quantité d’énergie ; trop pour son niveau actuel.
Son véritable désir se portait sur les Pilules Ouverture du Paradis. Avec son talent, atteindre le Xiantian s’annonçait difficile, mais ce ne serait pas un problème s’il obtenait suffisamment de ces pilules.
Quel artiste martial ne rêvait pas de devenir un jour un maître Xiantian ?
Sinon pour sa beauté angélique et les nombreux moyens pour sauver sa peau qu’elle devait avoir en sa possession, le jeune homme à la tunique jaune lui aurait probablement déjà arraché ces trésors à mains nues.
En tant que disciple de cercle intérieur de la Lune Montante, son statut faisait pâle figure comparé au sien de disciple direct. En temps normal, s’ils venaient à se rencontrer, le jeune homme à la tunique jaune aurait dû faire montre du plus grand respect à l’égard de la jeune fille. Pourtant, son cœur était rongé par l’envie. À vrai dire, il n’était pas le seul, nombre d’autres disciples de la Lune Montante ayant déjà rêvé de pouvoir l’épouser. En y parvenant, non seulement ils obtiendraient de nombreuses ressources, mais aussi le soutien de cette magnifique jeune femme. N’était-ce pas là la perfection ?
Naturellement, ce n’était qu’un rêve inaccessible, une chimère. Jamais le jeune homme à la tunique jaune n’aurait pu l’épouser.
D’autant plus après qu’elle ait été sélectionnée un mois plus tôt pour faire partie du programme d’entraînement piloté par l’Île du Phénix Divin. Elle était l’un des cinquante génies figurant au rang des talents de rang humain.
En tant que l’une des plus faibles des dix-neuf sectes de rang trois, la Lune Montante n’avait eu aucun disciple pour la représenter lors de l’annonce du programme d’entraînement conjoint qui s’était tenue aux Sept Profondes Vallées. Et en fin de compte, alors que le programme comportait une centaine d’individus, seuls deux disciples de la Lune Montante furent sélectionnés.
Ces deux disciples, la fille en blanc et un autre garçon plus âgé étaient alors devenus le phénix et le dragon de la Lune Montante. Et à partir de là, tous ceux qui nourrissaient encore l’espoir de pouvoir épouser la jeune fille étaient pareils à des crapauds essayant de manger un cygne.
Le jeune homme à la tunique jaune avait été rongé par la jalousie, souhaitant de tous ses vœux pouvoir tuer cet imbécile d’autre disciple, prendre sa place, et ainsi obtenir la fille. Il se voyait déjà briser cette carapace glacée et ce voile d’indifférence pour la faire sienne.
Cette sombre pensée, fruit de multiples frustrations, était sans doute partagée par de nombreux autres disciples de cercle intérieur de la Lune Montante.
Mais une tragédie s’était abattue sur leur secte, et ce bâtard de ‟génie” avait perdu la vie. Ce détail à lui seul avait suffi à faire oublier tout le reste au disciple à la tunique jaune, tant il fut heureux de le voir mourir.
Pour lui, ces évènements représentaient une formidable occasion de s’élever. Et c’est ainsi qu’il croisa la route de la jeune fille sur son majestueux Aigle Vent Céleste, alors qu’il s’échappait de la secte pendant que d’autres mouraient pour essayer de la défendre…
N’étaient-ce pas là les cieux qui lui tendaient la main pour l’aider ?
La ruine de sa secte et la mort de son maître avaient placé la jeune fille dans une détresse et une peine immenses. C’était une occasion rêvée pour le jeune homme de s’emparer de son cœur et de tout le reste…
Voilà plusieurs jours qu’il ne ménageait pas ses efforts, faisant appel à toute son expérience de coureurs de jupons pour tenter de profiter de l’état vulnérable de la jeune fille, et ainsi lui laisser une impression favorable et bienveillante.
S’il se trouvait un seul homme à travers toute la Secte de la Lune Montante prêt à remercier le Royaume Démoniaque de la Mer Australe pour ce qu’il avait fait, eh bien ça aurait été le jeune homme à la tunique jaune qui venait de s’en prendre à Lin Ming…
