Livre 17 : La Préfecture Indigo – Chapitre 54 – Nulle part où fuir
Le départ soudain de Beirut rendit l’atmosphère du banquet plutôt gênante. Le repas de célébration se termina donc très tôt. Gislason et les autres chefs de clan firent leurs adieux à Phusro, Bébé et Linley, puis le groupe de Linley partit lui aussi.
Forhan se tenait toujours là, dans la salle principale.
– « Forhan ». Une voix froide et féroce l’interpella.
Le Grand Aîné marcha vers lui, le regard clair. Par sens divin, elle lui demanda. « Forhan, je te le demande, est-ce que ces huit Aînés ennemis sont intervenus pour tuer Linley à cause de toi ? »
– « Non ! » Forhan n’hésita pas du tout. « Mère, je ne suis définitivement pas un traître ! Mère, tu dois me croire ! » Il fallait bien qu’il continue à jouer le jeu.
Elle se détendit légèrement. Puis lui dit d’une voix un peu plus douce. « Bien. Je te crois. Puisque tu n’es pas le traître, le clan ne permettra à aucun étranger de te tuer. » Après avoir parlé, le Grand Aîné partit elle aussi.
À en juger par les paroles de Beirut, il semble qu’il soit vraiment certain que je suis le traître ? Se peut-il qu’un Souverain m’ait vraiment vu ? Même si les Souverains sont élevés et puissants, ils ont leur propre personnalité et caractéristique humaine. Ils errent souvent aussi. Peut-être que l’un d’entre eux l’a vraiment découvert.
Les méninges de Forhan tournaient à plein régime.
Hum. Qui se soucierait de savoir si un Souverain l’a découvert ou non. Comment un puissant Souverain pourrait-il intervenir personnellement dans une affaire aussi mineure ? Forhan venait de prendre sa décision. Tant que j’affirme avec assurance que je ne suis pas un traître, alors cela signifie que je ne le suis pas !
Tout ce qu’il avait à faire était de maintenir son dénigrement de façon réaliste.
Dans la gorge des montagnes Célestes. Beirut n’était pas allé vivre à l’endroit que le Clan des Quatre Bêtes Divines lui avait préparé, mais avait choisi de vivre près de Linley et Bébé.
Dans le salon de Linley se trouvaient ce dernier, Bébé, Phusro, Beirut, tandis que Delia était à l’extérieur avec Wade.
– « Grand-père, puisque toi et le Souverain savez déjà tout et notamment que Forhan est le traître, allez-y, tuez-le. » Bébé renifla. « Je n’ai jamais aimé ce Forhan. »
– « Bébé, au fond des cœurs et des esprits des chefs du Clan des Quatre Bêtes Divines, il y a une certaine fierté. Si Forhan est tué sans aucune preuve de sa culpabilité, même si les chefs de clan et les Aînés ne se disputent pas immédiatement avec Beirut à ce sujet, ils s’en souviendront et garderont la haine dans leur cœur ! »
– « C’est vrai. Ne vous laissez pas berner par le respect que ces quatre chefs de clan me portent. Après tout, ils sont les fils et filles de quatre Souverains. Dans leur cœur, ils sont encore très fiers. Je ne peux pas aller trop loin. » Dit Beirut.
En fait, pourquoi Beirut se soucierait-il de savoir si le Clan des Quatre Bêtes Divines le détestait ou non ? La raison pour laquelle il agissait ainsi était qu’il craignait que Linley soit ostracisé par la suite, et que sa vie dans le clan ne devienne misérable.
– « Seigneur Beirut, vous avez dit que dans quelques mois, vous feriez en sorte que Forhan n’ait plus rien à dire pour sa défense. Quel est le plan ? » Demanda Linley.
– « Oui, grand-père, quel est ton plan ? »
– « Haha… » Beirut rit.
– « Bébé, as-tu oublié qu’il y a un an, tu as rencontré ta grand-mère à Meer ? Qu’as-tu obtenu lors de cette visite ? » Dit Phusro.
– « Le fragment de tranche d’âme. Et alors ? »
– « Ce fragment a été délivré par un vieil ami à moi. J’ai demandé à ta grand-mère de te le donner parce que je devais accompagner mon ami. » Dit Beirut. « Ce Forhan est un descendant du Clan Dragon Azur. Avec cette capacité innée qui le protège, je suis incapable de l’hypnotiser de force. Toutefois, mon vieil ami le peut. » Beirut était confiant.
Un expert suprême capable de fabriquer des fragments de tranche d’âme ? « Si cette personne est prête à aider. » Cela réjouissait Linley. « Il n’y a aucun moyen pour que Forhan puisse s’échapper ! »
– « Pour le bien de Delia, j’ai dû me dépêcher. J’étais inquiet que mon vieil ami soit parti, mais à l’instant même, j’ai réussi à le joindre. Il est toujours à la Préfecture Indigo. Il arrivera ici dans quelques mois. » Dit Beirut.
– « Grand-père, tu es sûr de toi ? Forhan est protégé par sa capacité innée. »
– « Absolument sûr ! »
Les amis qu’un expert suprême comme le Seigneur Beirut se fait… sont également des experts suprêmes. Même quelqu’un comme Forhan, protégé par sa capacité, sera toujours hypnotisé. Quel niveau d’accomplissement incroyable faut-il atteindre pour être aussi habile en ce qui concerne l’âme ? Se dit Linley.
Ils attendirent tranquillement, mais au fil des jours, la nouvelle, comme quoi le Seigneur Préfet avait accusé Forhan d’être un traître, se répandit rapidement dans toute la chaîne des montagnes Célestes. Un certain nombre d’hommes du clan furent secrètement furieux, estimant que le Seigneur Préfet abusait de son pouvoir.
En un clin d’œil, plusieurs mois passèrent. Linley et Delia étaient en train de jouer avec le petit Wade devant leur résidence. Wade parvenait à marcher, mais en hésitant quelque peu.
– « Linley, la nouvelle de cette affaire de la dernière fois fait beaucoup de bruit. Même les gens de notre vallée sont au courant. Tout à l’heure, alors que je promenais Wade, j’ai entendu des hommes de clan des autres branches dire que le Seigneur Préfet souillait l’aîné Forhan. Mais bien sûr, d’autres ont dit que la raison pour laquelle Forhan avait refusé d’accepter l’hypnose était due à sa peur de la culpabilité…pourtant, la majorité semble soutenir Forhan ! » Dit Delia en tenant Wade.
– « Ne t’inquiète pas pour ça. Quand cet expert viendra, tout sera clair. » Dit Linley, un genou à terre. « Wade, tu peux le faire. Fais quelques pas de plus. Viens voir ton père. »
– « Euh…euh… » Wade rayonnait, la bouche faiblement incurvée vers le haut alors qu’il avançait à petits pas ; il finit par atteindre les bras de son père.
– « Père » Dit Wade avec douceur.
– « Viens, donne-moi un baiser. »
Tout en tenant son fils dans ses bras, Linley jeta un coup d’œil de côté à Delia. Il y a quelques mois, il était perdu dans son désespoir. Mais désormais, tout avait changé. Tout cela grâce à Beirut. Je n’oublierai jamais, jamais la gentillesse qu’il m’a montrée.
Alors que la petite famille était au milieu de leur joie…
– « Beirut ! » Une voix claire résonna dans l’air au-dessus des montagnes Célestes.
– « Hein ? » Linley et Delia levèrent la tête, surpris.
Beirut, Phusro et Bébé s’envolèrent immédiatement. « Linley, mon bon ami est là. Allons-y. Il est temps que le vrai visage de Forhan soit révélé. »
Linley et Delia, portant leur fils, les suivirent à la sortie de la grande gorge.
Dans les airs, au-dessus des montagnes Célestes. Une figure solitaire et particulière planait, le corps entier couvert d’une robe noire bleutée. Ses cheveux ondulés, noirs et bleus, n’étaient pas attachés et ses épais sourcils noirs avaient la forme de deux épées.
Pas un seul des guerriers patrouilleurs n’osa s’approcher de lui. Gislason, à la tête d’un groupe d’Aînés, s’approcha.
Patriarche, ce drôle de type a volé là-bas, a crié « Beirut », puis est resté sans bouger. Nous voulions le chasser… mais tous nos frères qui s’approchaient de lui ont perdu conscience et se sont effondrés sur le sol. Ce n’est qu’après l’atterrissage qu’ils ont repris connaissance. » Le capitaine des guerriers en patrouille fit son rapport.
Gislason s’approcha de l’étranger. « Je suis le Patriarche Gislason du Clan Dragon Azur. Puis-je vous demander qui vous êtes ? »
Ce n’est qu’à cet instant que l’étranger ouvrit ses yeux, alors que Gislason s’approchait, le cœur battant et avec l’impression que l’étrange visiteur avait une paire de serpents dans les yeux.
– « Gislason ? J’attends Beirut. »
Gislason plissa le front. Bien que la personne en face de lui fut très puissante, il n’avait pas peur… La défense de son âme était son point fort, du fait d’un parfait artefact du Souverain qui la protégeait.
– « Alors, venez vous reposer chez moi en attendant le Seigneur Préfet. »
– « Inutile ! »
– « Haha…Dunnington [Dan’ning’dun], tu as pris ton temps. » Un grand rire éclata, alors que Beirut apparaissait au loin, suivi par son groupe.
– « Beirut » L’étranger alla le saluer.
Mais alors que Linley le regardait… il eut l’impression que ses cheveux ondulés s’étaient transformés en d’innombrables petits serpents. « Hein ? Quelle étrange sensation. »
– « Seigneur Préfet, C’est Dunnington ? Le légendaire Dunnington de la Mer Chaotique ? » Dit Gislason avec incrédulité.
Le Royaume Infernal comportait de nombreux personnages légendaires, dont même Gislason n’avait jamais entendu parler, ni jamais rencontrés. Quant à ce Dunnington, dans le Royaume Infernal, il était une figure légendaire au même niveau que Beirut, ou peut-être même qu’il l’avait dépassé !
– « Tout à fait. Mon ami est l’expert numéro un de la Mer Chaotique, mis à part le Souverain de la Mer Chaotique ! »
Le Royaume Infernal était divisé en cinq continents et deux mers. La Mer Chaotique était la plus grande région, avec le plus grand nombre d’experts. Le nom de Dunnington était connu de tout le Royaume Infernal. Il était le plus fort dans les Édits de la Mort.
Chacune des sept lois élémentaires avait ses propres spécialités et mystères, qui étaient tous clairement divisés et pouvaient donc être fusionnés sans difficulté. Mais les quatre édits étaient différents. Ils n’avaient pas de Mystères Profonds spécifiques. Quant à savoir si une personne en maîtrisait assez pour devenir un dieu ou un dieu supérieur, seules les lois naturelles pouvaient en juger.
Personne ne pouvait savoir avec certitude si Dunnington avait atteint ou non le stade de Paragon.
Mais… Si l’on voulait savoir qui, dans tout le Royaume Infernal, avait les plus impressionnants accomplissements en matière d’âme, la grande majorité répondrait Dunnington. Un personnage d’une puissance monstrueuse et effrayante.
– « Gislason, arrangez-vous pour faire amener Forhan ici. » Dit Beirut.
Gislason comprit ce qui se tramait, et il ordonna quand même que l’on fasse venir Forhan.
Beirut et Dunnington volèrent ensemble, côte à côte, tandis que Gislason, Phusro, Linley, Bébé et Delia suivaient derrière.
– « Phusro, ce Dunnington, le numéro un de la Mer Chaotique… il est très fort ? » Demanda Linley via le sens divin. Linley ne s’était tout simplement pas entraîné assez longtemps ; il ne savait rien de certaines des figures légendaires du Royaume Infernal.
– « Très fort ? Tu plaisantes ? Ce Dunnington est probablement un dieu Paragon. C’est assez fort pour toi ? »
– « C’est terrifiant. » Dit Linley.
– « Patron, j’ai l’impression que la robe que porte Dunnington est en fait un étrange monstre des profondeurs. Comme c’est bizarre. » Envoya Bébé par le sens divin. Apparemment, Linley n’était pas le seul à voir des choses.
Dans la grande salle de la résidence du Patriarche Gislason. Tout le monde était assis.
Le Grand Aîné entra. « Frère Aîné, quelle est la personne qui a crié fort après le Seigneur Préfet ? »
Gislason se leva. « Petite sœur, ce monsieur est M. Dunnington de la Mer Chaotique. »
Le Grand Aîné fut choqué. « M. Dunnington. » Dit-elle d’un ton amical.
Dès qu’elle fut assise, des pas retentirent de l’extérieur.
– « Haha, ils sont enfin arrivés. » Dit Beirut.
– « Lequel est-ce ? » Demanda calmement Dunnington.
– « Celui qui a les cheveux jaunes. » Dit Beirut.
Forhan et plusieurs autres Aînés entrèrent. Lorsque Forhan vit Beirut, son visage devint difforme.
– « Oh ? » Dit Dunnington.
Quand tout à coup… Deux serpents irréels furent projetés des yeux de Dunnington, pour entourer et envahir Forhan, qui ne put réagir du tout.
Dunnington semble avoir fait ça simplement, mais il y a certainement eu une lutte dans l’esprit de Forhan. Pensa Linley.
Les muscles du visage de Forhan se contractèrent légèrement, puis se détendirent.
– « La capacité innée de ce Clan Dragon Azur est vraiment formidable. J’ai dû utiliser un vrai pouvoir. » Dit Dunnington.
– « Arrête la frime et aide-moi à l’interroger. » Dit Beirut.
– « Qu’est-ce que vous faites ? » Demanda le Grand Aîné.
– « Juste de l’hypnose. Vous verrez par vous-mêmes s’il est innocent ou non ! »
Gislason envoya un regard significatif à sa sœur. Comme le processus avait été engagé, ils pouvaient tout aussi bien le laisser continuer.
– « Pff. » Le Grand Aîné laissa échapper un petit rire. « Je veux voir ce que vous aurez à dire pour votre défense quand il aura été prouvé que mon fils n’est pas un traître. »
– « C’est la responsabilité de Beirut, pas la mienne. » Un sourire se dessina sur le visage de Dunnington.
– « Forhan, dites-moi, c’est vous qui avez divulgué des informations sur la localisation de Linley aux Huit Grands Clans, conduisant à l’attaque contre lui ? » Dit calmement Dunnington.
Toute l’assistance porta le regard vers Forhan.
Une expression docile épousa le visage de Forhan, et ses yeux étaient sans vie. « Oui ! »
La voix résonna dans la salle. Instantanément, tout le monde se tut.
Le Grand Aîné portait son masque, mais l’on pouvait deviner l’incrédulité dans ses yeux.
– « Avez-vous entendu cela ? » Dit Beirut en regardant le Grand Aîné et Gislason.
– « Comment est-ce possible ? » L’assistance fut sous le choc.
– « Demandez-lui, demandez-lui pourquoi ! » Tout le corps du Grand Aîné tremblait. Elle ne voulait pas y croire. Elle ne comprenait vraiment pas… pourquoi son fils avait-il pris cette décision ? Quand une personne était hypnotisée, elle ne pouvait pas mentir. C’était une règle absolue.
– « Pourquoi avoir divulgué l’information et voulu que Linley soit tué ? » Demanda Dunnington.
– « Il mérite de mourir ! C’est un jeune descendant du clan. De quel droit possède-t-il l’anneau du Dragon Azur, l’artefact souverain de notre ancêtre ? »
– « L’artefact souverain ? » Dunnington ne put s’empêcher de regarder Linley avec surprise, tout comme l’assistance.
– « Acquérir l’artefact souverain est une chose, mais mon fils a perdu son clone divin le plus puissant à cause de lui. Et il n’est qu’un simple dieu… ; or, il est déjà si puissant. Lorsqu’il deviendra un dieu supérieur, son statut dans le clan sera certainement plus élevé que le mien. Moi, Forhan, je le regarde et je vis comme son subordonné, jour après jour… Ce genre de vie n’est que torture… et il doit donc mourir. »
– « Un dieu ? » Un certain nombre d’Aînés furent étonnés.
– « C’est donc de cela qu’il s’agissait. C’était donc ça. » Le Grand Aîné se leva, en murmurant. Ensuite, elle apparut soudain à côté de Forhan et lui donna un coup de paume vicieux qui écrasa sa tête et la fit exploser. Deux étincelles tombèrent.
– « Grand Aîné… » Dit Linley.
Ce fut le calme plat. Même Beirut et Dunnington furent abasourdis.
– « Tous les clones de ceux qui trahissent le clan doivent être mis à mort ! » Dit le Grand Aîné à voix basse.
Ses yeux étaient humides, mais en un instant, ils s’asséchèrent…