Cette nuit-là, tous les soldats que Lin Ming rencontra sur son chemin s’arrêtèrent à sa hauteur pour le saluer avec respect.
Son comportement héroïque lors de la bataille leur avait épargné de nombreuses pertes.
— Jeune héros Lin !
Un homme dont la tête et les épaules étaient recouvertes d’une peau de loup s’approcha, un sourire radieux sur le visage. Il s’agissait de Shi Linkai, le chef du Clan Yan.
— Chef de Clan Shi, salua le jeune homme en retour. Cet artiste martial lui faisait bonne impression. Lors de l’assaut des Loups Corrompus, il n’avait pas hésité à le suivre de près, combattant avec bravoure et férocité.
— Vous êtes trop aimable, jeune héros Lin. Vous pouvez m’appeler Ancien Shi.
— Quel est le niveau des pertes de la garnison ? Lin Ming était préoccupé par la situation. Sans armée, il leur serait impossible de bloquer la harde sauvage. Un seul homme, aussi fort soit-il, ne pouvait rien faire face à une telle marée. Et les murs de la cité avaient beau se dresser quinze mètres au-dessus du sol, n’importe quelle bête féroce de haut niveau réussirait à les escalader en quelques enjambées.
À partir de là, tous leurs efforts seraient anéantis, et ce peu importe combien Lin Ming en tuait…
— Une cinquantaine d’archers, quelque trois cents lanciers et encore davantage de porteurs de boucliers ; sans compter les nombreux blessés qui ne pourront plus combattre de sitôt… en tout, nous venons de perdre pas loin d’un dixième de notre force de combat. Le Clan Yan pleure aussi la perte de plusieurs de ses frères d’armes…
Alors qu’il parlait, Shi Linkai fut interrompu par le cri perçant d’un Aigle Vent Céleste. Ce cri retentit au-dessus du camp militaire avec une clarté surprenante pour un simple Aigle Vent Céleste.
Hm ? Des renforts ?
Ce fut la première pensée qui vint à l’esprit de Lin Ming, mais il se ravisa aussitôt. Cela faisait à peine un jour depuis son ‟appel à l’aide,” personne n’aurait pu arriver aussi vite.
Les deux hommes se précipitèrent en dehors du camp pour découvrir un gigantesque Aigle Vent Céleste, près de quatre à cinq fois plus grand que la normale, avec des ailes qui semblaient sculptées dans l’or.
Lin Ming avait déjà aperçu une créature semblable par le passé. Les émissaires de la Montagne les utilisaient comme monture. Non seulement ces aigles étaient incroyablement rapides, mais ils pouvaient également porter dix fois plus de poids que leurs congénères.
Ces individus venaient probablement d’une secte pour pouvoir chevaucher une telle monture.
Arrivé à hauteur du camp, l’aigle descendit en piquet en soufflant plusieurs tentes au passage. Les malheureux qui se trouvaient à l’intérieur de ces tentes furent emportés par le vent et projetés contre le sol avec fracas.
— B*rdel ! Mais pour qui y s’prennent ceux-là !? s’emporta aussitôt Shi Linkai.
C’était quelqu’un de franc au caractère bien trempé. Alors qu’il s’attendait à voir arriver des renforts, voilà que ces types débarquaient sans prévenir en blessant plusieurs de leurs soldats. Il n’en fallait pas plus pour le mettre en rogne.
— Ne vous avais-je pas dit que nous finirions par trouver une terre habitée, sœur-apprentie ? Ç’a été difficile pour vous ces derniers jours… Les barbares des Étendues Sauvages Australes sont vraiment des primaires ; il n’y a nulle part où prendre un bain.
Sur le dos de l’aigle, vêtu d’une tunique jaune et une épée dans le dos, un jeune homme d’une bonne vingtaine d’années faisait la conversation à une fille plus jeune que lui.
Lin Ming fut stupéfait en les voyant. Le jeune homme possédait une cultivation à l’ouverture du Houtian. Pour un disciple d’une secte, atteindre le Houtian était déjà la preuve d’un certain talent ; d’autant plus qu’il avait l’air relativement jeune. C’était au moins un disciple de cercle intérieur, voire peut-être même un disciple principal.
Quant à la ‟sœur-apprentie” qui l’accompagnait, elle portait une robe blanche marquée d’un croissant de lune et arborait l’apparence soignée et délicate d’une jolie jeune femme.
Ses yeux s’attardèrent brièvement autour d’elle, mais son regard semblait ailleurs et elle resta silencieuse. Elle ne semblait manifestement pas d’humeur à discuter.
— Les bêtes féroces sont partout désormais, lui dit son compagnon. Nous n’avons nulle part où aller, alors reposons-nous ici pour le moment.
— D’accord… répondit la jeune fille à contrecœur avant de replonger dans son silence.
Le jeune homme fut ravi. Il était finalement parvenu à la convaincre. Il lui restait encore à trouver un moyen d’apaiser son cœur meurtri, et alors ses vœux les plus chers se réaliseraient…
Mais alors qu’il s’apprêtait à parler, une voix tempétueuse vint l’interrompre : — Qui diable êtes-vous ? Vous débarquez ici en trombe en blessant nos soldats et vous avez encore le culot de parler entre vous comme si de rien n’était !? Où est-ce que vous vous croyez ?
Shi Linkai était révolté ; l’attitude de ce jeune homme le faisait tout simplement sortir de ses gonds.
Avec le tumulte, un véritable attroupement se forma, les soldats arrivant par dizaines. Les archers bandèrent leurs arcs, les pointes froides et meurtrières de leurs flèches dirigées droit contre ces invités indésirables. Plusieurs frères du Clan Yan prêts à en découdre encerclaient déjà les deux jeunes gens, l’arme à la main. Si Shi Linkai ne les avait pas retenus, la confrontation aurait immédiatement tourné à l’affrontement.
Il était en colère, mais il n’avait pas perdu son sang-froid pour autant. Ce n’était pas quelqu’un de stupide ; et il avait suffisamment d’expérience pour savoir qu’un Aigle Vent Céleste ailes dorées était une créature remarquable. Ces deux-là venaient d’une secte puissante, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute. Soit pas le genre de personnages que des habitants de la Ville du Mûrier Vert comme eux pouvaient se permettre d’offenser, sauf à ce que Lin Ming intervienne personnellement. Mais la situation s’avérait épineuse, puisque le jeune homme à la tunique jaune était à l’ouverture du Houtian.
L’atmosphère semblait sur le point d’exploser à tout moment, pourtant, celle qui se trouvait au centre de toute cette attention ne semblait pas faire grand cas des armes pointées vers elle. À vrai dire, elle arborait la même expression indifférente comme si de rien n’était.
Son compagnon toisa les soldats qui les encerclaient du regard, les yeux chargés de dédain. Ces hommes ne représentaient rien pour lui, c’était une poignée de paysans brandissant des épées.
— Qui commande ici ? Amenez-moi votre chef ! Vous autres n’êtes pas dignes de me parler, déclara-t-il sans prêter la moindre attention à Shi Linkai. Son allure indiquait clairement qu’il appartenait au Jianghu ; il ne pouvait donc pas être militaire.
— Qui croyez-vous être !? tempêta Shi Linkai, le sang bouillonnant dans ses veines. Ce blanc-bec n’avait même pas pris la peine de lui répondre… Il n’avait qu’une envie, dégainer son sabre et le tuer sur place.
Surgissant de la foule, Zhao Yanming apparut alors, la mine grave.
— Je suis le Sénéchal de la Ville du Mûrier Vert devant laquelle vous vous trouvez. En quoi notre cité peut-elle vous aider ?
Les deux jeunes gens étaient respectivement à l’ouverture du Houtian et au sommet de la Condensation de l’Impulsion, et ils venaient également d’une secte. Après avoir vu Lin Ming à l’action, Zhao Yanming avait pleinement pris conscience de la force terrifiante de ces gens-là. Cette jeune fille pouvait sembler fragile, pourtant, l’ensemble des artistes martiaux à la Condensation de l’Impulsion de la Ville du Mûrier Vert ne réussirait même pas à la pousser dans ses retranchements…
Ces deux-là pourraient tuer quiconque s’opposerait à eux avant de repartir comme ils étaient venus, sans que personne ne puisse rien y faire. Zhao Yanming ne souhaitait certainement pas voir un tel scénario se réaliser.
— Vous êtes le Sénéchal de cette ville ? Votre nom ? interrogea le jeune homme à la tunique jaune sur un ton hautain et impérieux.
Zhou Yanming fronça légèrement les sourcils. Sans regarder Lin Ming directement, il lui envoya un message de véritable énergie : — Jeune héros Lin, savez-vous d’où ils viennent ?
— Je ne sais pas… probablement d’une secte plus au sud, répondit vaguement l’intéressé.
Ses yeux s’attardèrent alors sur les symboles en forme de croissant de lune qu’ils arboraient à la poitrine, et il eut d’un seul coup un doute.
Des survivants de la Lune Montante ?
La secte de la Lune Montante s’étendait le long des côtes de la Mer Australe au sud, et était séparée du territoire des Sept Véritables par les Étendues Sauvages Australes au nord. Cette position les rapprochait de l’Île du Phénix Divin et du Royaume Démoniaque de la Mer Australe. Et c’est d’ailleurs pour ça qu’ils avaient été les premiers à tomber. Bien que de grade trois, leur secte était relativement faible, et ils avaient été anéantis en une seule nuit.
À en juger par leur conversation, ils venaient apparemment de passer plusieurs jours à parcourir les Étendues Sauvages Australes, et puisque la Lune Montante avait été détruite avant le déferlement des bêtes féroces, ils pouvaient bel et bien avoir échappé au massacre. En tout cas les éléments coïncidaient…
— Si les choses venaient à mal tourner, reprit Zhao Yanming par le biais de véritable énergie, est-ce que vous…
En toute logique, il ne faisait pas le poids contre eux. Il était encore seulement au milieu de la Condensation de l’Impulsion, et puisqu’ils appartenaient tous à une secte, il ne devait pas y avoir une si grande différence.
D’un autre côté, les actions de Lin Ming sur le champ de bataille avaient laissé tout le monde admiratif. À tel point que Zhao Yanming le pensait désormais invincible. Ce qui expliquait sa question.
L’intéressé ne répondit pas. Sonder le niveau d’un autre artiste martial d’un seul regard était une chose difficile. Sans compter que la situation le poussait à la prudence. Révéler davantage de sa force le mettrait en danger…
Sans réponse de sa part, Zhao Yanming refoula sa colère et déclara calmement : — Je me nomme Zhao Yanming, et vous, qui êtes-vous ?
— Zhao Yanming ? hm, écoutez. Vous n’avez pas besoin de savoir qui je suis. Contentez-vous de libérer une belle demeure de cette ville et de la préparer pour notre arrivée. Que les meubles et la literie soient changés, et qu’une poignée de domestiques propres s’y installent pour satisfaire les besoins quotidiens de ma sœur-apprentie. Elle est végétarienne et ne supporte pas la crasse. Assurez-vous donc qu’un bain d’eau printanière soit préparé tous les jours et qu’elle ait bien trois repas de pousses de bambou et de fruits. Satisfaites à mes exigences et je vous aiderai si les bêtes féroces réapparaissent ici.
Quel effronté ! Shi Linkai sentit ses poumons se gonfler dans sa poitrine comme s’ils allaient exploser sous l’effet de la colère. Il n’avait jamais rencontré quelqu’un d’aussi arrogant de toute sa vie.
Ce qu’il ignorait, c’est que l’attitude de ce jeune homme était l’attitude quasi universelle que les génies des sectes manifestaient à l’égard des mortels. À leurs yeux, les gens du peuple ne valaient pas mieux que des insectes, et naturellement, ils n’envisageaient pas un seul instant de leur accorder autant d’égard et de respect qu’à leurs pairs.
En la matière, Lin Ming faisait un peu figure d’exception. Non seulement il était d’origine modeste, mais l’humilité comptait parmi ses traits de caractère. Son statut avait beau s’être envolé vers les cieux, il n’en gardait pas moins les pieds sur terre. Il savait d’où il venait et, à ce titre, il saluait Lin Wanshan comme n’importe quel autre junior de la famille l’aurait fait… à la différence de ce ‟génie” qui prenait un plaisir sadique à mépriser tous ceux qui se trouvaient en dessous de lui.
— Eh bé ! il ne se prend pas pour n’importe qui celui-là ! Tu imagines peut-être que nous n’avons pas de maîtres ici ? Allez, dis-le, tu voulais en arriver là d’une manière ou d’une autre, hein !?
Incapable de se contenir plus longtemps, Shi Linkai dégaina son sabre et trancha un grand coup vers le sol en faisant voler en éclats un bloc de pierre. Il était bien conscient de son infériorité, sans quoi le combat aurait déjà éclaté.
Le jeune homme écouta ses insultes en le toisant du regard d’un air agacé. Ses yeux se détournèrent alors de Shi Linkai pour se poser sur Lin Ming qui se trouvait juste derrière.
— Je vois, dit-il avec un sourire en coin. Voilà donc votre prétendu maître… Voyons voir ce que tu as dans le ventre !
Son visage prit tout à coup un air féroce et il frappa à deux reprises en utilisant ses doigts comme des lames. Une énergie d’épée tranchante fendit l’air en s’abattant vers Lin Ming.
Le visage de ce dernier s’assombrit d’un seul coup. Il faisait profil bas pour ne pas attirer l’attention de cet ennemi tapi dans l’ombre, et voilà qu’il se retrouvait impliqué malgré lui dans un combat…