L’équipe des arbitres portait un intérêt tout particulier au match entre Lin Ming et Jiang Baoyun. Ils décidèrent par conséquent de le reporter de quelques heures, après le déjeuner, afin que les deux combattants aient le temps de se préparer au mieux.
La tension était palpable sur la grande place, si bien que personne n’était vraiment d’humeur à aller déjeuner. Nombre de spectateurs préférèrent ainsi rester dans leur siège, attendant avec impatience que le match ne commence en discutant entre eux pour faire passer le temps.
Si la vision de la plupart des disciples des Sept Profondes Vallées semblait plus que limitée, cela ne les empêchait pas de partir dans tous les sens dans leurs pronostics, bien au contraire même, puisqu’ils n’arrêtaient pas de se remuer les méninges pour essayer de prédire comment se déroulerait le combat. Les caractéristiques de l’épée de cristal noir firent l’objet de toutes les analyses et suppositions. Tout particulièrement de la part des disciples de la Faction des Forgerons qui, ne brillant pas par leurs aptitudes au combat, virent ici une occasion rêvée de mettre en avant leur savoir et leurs connaissances. Ils entreprirent ainsi d’analyser l’épée de cristal noir de Jiang Baoyun sous tous les angles. Quiconque n’ayant pas suivi ce qui se passait aurait pu croire que ces disciples l’avaient fabriquée de leurs propres mains.
Les rayons du soleil ne perçaient que timidement à travers la brume en cet après-midi d’hiver. Le combat qui marquerait la fin du Tournoi des Factions allait bientôt commencer. Ce serait la confrontation entre les deux plus grands talents qu’on puisse trouver à travers les Sept Profondes Vallées ; confrontation qui déciderait qui de l’un ou de l’autre dominait la jeune génération de la secte.
Un élan de ferveur tonitruant montait des gradins à l’approche du moment tant attendu, recouvrant tous les autres sons sur plusieurs kilomètres. Plus personne n’osait se moquer de Lin Ming ou le prendre de haut, pas même les disciples des Sept Profondes Vallées. Tout le monde partageait désormais la même aspiration — assister à l’affrontement entre ces deux génies qui se trouvaient au sommet de leurs pairs. Une occasion pareille ne se présentait qu’une fois par millénaire ou presque. Ils pouvaient simplement se réjouir d’être présents en ce jour fatidique.
À moins d’atteindre le Xiantian, un artiste martial ne pouvait généralement pas vivre au-delà de deux cents ans. Pour ceux-là, le combat d’aujourd’hui représentait l’évènement d’une vie. Il y avait donc de quoi être enthousiaste !
Les deux adversaires prirent place dans l’arène en laissant une soixantaine de mètres de distance entre eux. Jiang Baoyun ouvrit l’étui qu’il transportait avec lui, et en sortit la longue épée à la robe bleu vif.
Cette épée en main, l’aura discrète qu’il dégageait habituellement changea du tout au tout ; ses yeux transperçant le cœur de tous ceux qui osaient croiser son regard telles deux lames tranchantes.
S’il était d’ordinaire un jeune homme au tempérament posé et bienveillant, il possédait désormais les attributs de la meilleure des lames — froide, tranchante et imprégnée d’une implacable intention meurtrière.
Ses doigts pareils à des épées pointés en direction de Lin Ming, Jiang Baoyun lui dit : « Avant que ce tournoi ne commence, mon souverain m’a dit qu’Ouyang Ming, contre qui j’ai perdu il y a trois ans, avait atteint le sommet de la Condensation de l’Impulsion et serait mon plus grand adversaire. Il m’a recommandé de faire preuve de prudence, ce à quoi je lui ai répondu qu’Ouyang Ming n’était pas mon plus grand ennemi, mais que mon plus grand ennemi c’était moi-même. Comment pourrais-je prétendre à poursuivre la voie de l’épée si je ne suis pas capable de vaincre les ‟talents” d’une secte de grade trois ?
Mais désormais, ces mots… Il inspira profondément, les yeux brillants d’une lumière éclatante telles deux étoiles dans la nuit noire, avant de poursuivre : — Force est de reconnaître que tu es nettement plus talentueux que moi. À ton âge, j’étais loin d’avoir ta force. Mais je n’en suis que plus enthousiaste à t’affronter. Un grand combattant doit faire du monde son arène s’il veut se hisser parmi les meilleurs. Alors à quoi bon être le champion d’un territoire comme les Sept Profondes Vallées ? Non seulement ce titre ne représente rien pour moi, mais il rendrait mes yeux aveugles, il embrumerait mon esprit et me pousserait à la vanité et à la faiblesse. Voilà pourquoi j’ai commencé dès mes dix-huit ans à défier les talents de toutes les autres sectes de grade trois. Au début, mes défaites étaient nombreuses et mes victoires bien rares. Mais avec le temps, la tendance s’est inversée et j’ai commencé à gagner plus souvent que je ne perdais. Jusqu’à cette année où j’ai défié quatre génies sans être vaincu une seule fois !
Alors, le doute s’est à nouveau installé en moi, tandis que je croyais être condamné à me perdre. Et puis tu es apparu ! Toi, le rival que le destin me réservait. Une fois que je t’aurai vaincu, je deviendrai le héros de cette ère. Au plus ton talent se révèle, au plus mon esprit s’enflamme d’une combativité ardente.
Ne me déçois pas, Lin Ming ! »
L’intéressé le regarda avec étonnement, il ne s’attendait pas à ce que Jiang Baoyun ait une aussi large vision du monde.
En un an, il avait défié quatre autres génies de sectes différentes et les avait tous vaincus. C’était une prouesse tout à fait remarquable ! Après tout, les Sept Profondes Vallées ne comptaient pas du tout parmi les meilleures sectes de grade trois.
Depuis lors, sa renommée éclipsait totalement celle d’Ouyang Ming ; contre qui il avait pourtant perdu lors du dernier Tournoi des Factions. Mais qu’importe, il occupait désormais une place inébranlable dans le cœur de chaque disciple de la secte. Et tout cela, il le devait à sa volonté indéfectible et à son épée !
Lin Ming comprenait mieux pourquoi Jiang Baoyun l’avait si gentiment invité à rejoindre la Faction des Épéistes — il n’y voyait tout simplement pas une menace. Au contraire même, cela faisait longtemps qu’il espérait rencontrer un véritable adversaire qui le mettrait à l’épreuve. Ce désir constant de se surpasser… c’était son cœur des arts martiaux, c’était le cœur des arts martiaux qu’un grand maître se devait de conserver tout au long de sa vie !
Lin Ming prit à son tour la parole, s’exprimant lentement et avec vigueur : « J’ai entendu le grand nom des Sept Profondes Vallées dès que j’ai entrepris de suivre la voie des arts martiaux. Aux yeux du pauvre artiste martial que j’étais à cette époque, ce nom résonnait comme celui d’un temple interdit qui se dressait haut dans le ciel au-delà des nuages, loin, très loin de gens ordinaires comme moi. Une fois que je suis entré dans les salles sacrées de la Maison Martiale des Sept Véritables du Royaume du Grand Avenir, là j’ai réalisé à quel point les Sept Profondes Vallées étaient terrifiantes. Par le simple fait de votre existence, de nombreux artistes martiaux tel que moi, de naissance modeste, n’auront jamais la chance de pratiquer les arts martiaux. Voilà le destin qui leur est réservé depuis leur naissance, la fatalité qui est gravée jusque dans leurs os ! Ce jour-là, j’ai pris la résolution de venir jusqu’ici avec ma lance pour combattre au nom des miens, pour briser les chaînes qui nous emprisonnent et récupérer les rênes de mon destin !
Je n’ai donc qu’une seule réponse à formuler, si tu veux me prendre comme rival, sache que tu ne seras pas déçu. Retiens toutefois que ta capacité à me suivre ou non ne dépend que de toi. »
Ces quelques mots de Lin Ming laissèrent les spectateurs sans voix.
C’était complètement surréaliste de voir un artiste martial des trente-six pays prononcer un discours aussi arrogant. Quelques jours plus tôt, les disciples des Sept Profondes Vallées lui auraient ri au nez, mais désormais, plus personne n’osait rire. Tout simplement parce que Lin Ming possédait les moyens de ses ambitions.
« Bien ! déclara Jiang Baoyun en souriant, et maintenant sors ta lance ! »
Ces mots débordant de combativité résonnèrent tel le tonnerre à travers les Montagnes Célestes !
Sors ta lance !
Sors ta lance !
Sors ta lance !
L’écho monta jusqu’au ciel, se répercutant entre la terre et les cieux.
À cet instant, les gradins s’embrasèrent dans une glorieuse frénésie. Les cris d’exaltation n’étaient pas davantage destinés à Jiang Baoyun qu’à Lin Ming. Non, cette fois ils étaient pour ce match qui désignerait le champion de la jeune génération !
D’un tour de poignet, Lin Ming fit apparaître la Lance Lourde des Profondeurs dans ses mains. Son aura jaillit aussitôt, pareille à une montagne implacable.
Jiang Baoyun passa alors à l’action et se dirigea vers son adversaire en marchant tranquillement. Une sensation curieuse se dégageait de chacun de ses pas, comme si le sol qu’il foulait était inviolable. Et tandis que tout le monde était pendu au moindre de ses mouvements, l’incroyable se produisit. Une silhouette fantomatique identique à son ombre se détacha de son corps.
Cette silhouette portait les mêmes vêtements noirs et la même épée à la lame effilée que Jiang Baoyun. Si bien qu’il était quasiment impossible de discerner l’un de l’autre.
Une illusion ?
Lin Ming fronça les sourcils et déploya sa force d’âme ; tous ses doutes s’effacèrent en ressentant l’intention meurtrière qui émanait de cette silhouette.
Ce n’est pas une illusion , c’est un véritable clone ! Il n’a même pas l’air moins fort que le vrai Jiang Baoyun …
Lin Ming inspira profondément. Il existait vraiment toutes sortes de techniques à travers le monde.
La confusion gagna les spectateurs à l’apparition d’un second Jiang Baoyun.
« À en juger par ton expression, tu as deviné ce qui venait de se passer. Oui, la silhouette qui me suit n’est pas seulement une ombre, c’est un véritable combattant, au même titre que moi. Il est d’ailleurs tout aussi rapide et tout aussi puissant — c’est l’Avatar de l’Esprit de la Lame. Tu combats désormais deux copies de moi-même. »
Combattre deux Jiang Baoyun ?
Un grand nombre de spectateurs furent effrayés rien que d’y penser. Jiang Baoyun était déjà un monstre qui maniait l’épée comme personne d’autre. Ses attaques étaient rapides, précises et d’une incroyable férocité. Il faisait déjà un redoutable adversaire à lui tout seul, et maintenant Lin Ming allait devoir affronter deux Jiang Baoyun en même temps ? Quel genre de concept était-ce ?
Tout le monde savait à quel point le champion de la Faction des Épéistes était effrayant. Il avait défié quatre des plus grands talents des sectes de grade trois au cours de l’année, remportant chaque fois une victoire indiscutable. Mais tous ces combats avaient eu lieu loin des Sept Profondes Vallées, ce qui faisait planer un voile de mystères autour de Jiang Baoyun. En réalité, personne ne savait réellement où se situaient ses limites.
Dans le public, Qin Xingxuan serrait nerveusement ses mains l’une contre l’autre, ses paumes couvertes de sueur. Lin Ming pouvait-il se défendre face à ça ? Sans compter que Jiang Baoyun avait encore son épée de cristal noir.
Avatar de l’Esprit de la Lame ?
Il existait une infinité de voies différentes, et aussi ouvert d’esprit qu’il puisse être, Lin Ming ne les comprenait pas toutes. À vrai dire, il n’avait jamais eu affaire qu’à une part infime de ce qu’étaient les arts martiaux dans leur ensemble. Il était encore bien loin de s’imaginer ce qu’il verrait dans le futur.
Combien de techniques merveilleuses n’attendaient que d’être trouvées à travers l’immensité du monde ?
« Épée Gracieuse ! » s’écria Jiang Baoyun, et un éclair de lumière bleu traversa l’arène. Cet éclair de lumière fut si rapide qu’il apparut brusquement devant Lin Ming, dont les pupilles se contractèrent aussitôt.
Roc Doré Déchirant le Vide !
La lumière d’épée le transperça de part en part ; Jiang Baoyun l’avait tranché en deux d’un seul coup de lame, mais il apparut dans la foulée que ce n’était qu’un mirage.
Jiang Baoyun n’avait pas encore tourné le regard que son avatar s’élançait en avant avec la même vitesse.
L’épée bleue vacilla, frappant Lin Ming droit à la gorge. Alors dans les airs, celui-ci ne pouvait pas esquiver !
Les spectateurs n’eurent pas le temps de s’écrier que ses yeux s’illuminèrent — concept de vent !
Une autre image résiduelle fut tranchée en deux. Lin Ming retomba au sol avec sa lance, une entaille longue d’une trentaine de centimètres dans ses vêtements.
Quelle vitesse incroyable !
Lin Ming fut surpris. En réalité, il était déjà loin d’être lent. Le concept de vent imprégnait ses attaques et ses mouvements. Ses coups et ses déplacements étaient nettement plus rapides que ceux de n’importe quel autre artiste martial du même niveau.
Pourtant, il n’arrivait pas à la cheville de Jiang Baoyun. Celui-ci se déplaçait si vite que c’en était presque inconcevable !
Comment peut-il être aussi rapide ?
Lin Ming avait du mal à y croire. Pouvait-on réellement atteindre une telle vitesse à la Condensation de l’Impulsion ?
Je vois … Jiang Baoyun posséderait donc déjà son propre pas d’épée .
Dans le Grand Hall des Sept Profondes Vallées, Shi Zongtian avait bien du mal à garder son calme en observant Jiang Baoyun. La technique dite du ‟pas d’épée” consistait à imprégner ses mouvements avec l’esprit de la lame, et une fois que le bretteur ne faisait plus qu’un avec son épée, l’épée se déplaçait comme le bretteur, et le bretteur comme l’épée. Sans ça, Jiang Baoyun n’aurait jamais pu atteindre une vitesse aussi stupéfiante.
La voie de l’épée ne nécessitait pas seulement une cultivation solide, mais aussi une grande perspicacité. Jiang Baoyun n’était certainement pas arrivé ici par hasard, il ne manquait ni de talent ni d’intelligence.
Plusieurs aînés de différentes factions partagèrent la stupéfaction de Shi Zongtian. Si la célérité de Lin Ming comptait parmi ses points forts, Jiang Baoyun était encore plus rapide. Il possédait un esprit d’épée inné et était parvenu à créer son propre pas d’épée à seulement dix-neuf ans. Jamais les Sept Profondes Vallées n’avaient connu de bretteur aussi talentueux de toute leur histoire !
Le Souverain de la Faction des Forgerons ne put s’empêcher de demander : « Aîné Jiang, dites-moi, quel niveau Jiang Baoyun a-t-il atteint ? Je l’ai vu à l’action il y a tout juste un an, pourtant, le Jiang Baoyun dont je me souviens ne tiendrait pas une seconde face à celui que je vois aujourd’hui sous mes yeux. »
