Si Roland voulait développer au mieux son territoire, il devait solidement s’implanter en ce lieu. Même si cette terre était un terrain vague, il serait facile de la récupérer et de l’étendre. Cependant, si personne ne restait, il était vain de parler dans le vide.
Qui voudrait se risquer à acheter un morceau de terre qu’il serait contraint d’abandonner à tout moment ? Qui souhaiterait le faire fructifier ?
Le Ministre Adjoint parti, Roland appela Carter, le Chevalier en Chef, et ordonna :
– « Rassemblez vos hommes, allez me quérir quelques gardes locaux, des chasseurs et des agriculteurs. Il faut qu’ils aient vécu ici durant plus de cinq ans et connu les Mois des Démons. Si de plus ils savent se battre, ce serait encore mieux. »
Le chevalier salua et partit. Roland se frotta le front et reprit l’examen des données compilées par le Ministre Adjoint.
Les principales exportations de Border Town provenaient de l’exploitation minière et de la chasse, la majeure partie des importations étaient des denrées alimentaires. Tout était transporté à la Forteresse de Longsong ou à Willow Town directement par la rivière Redwater.
Les exportations minières comprenaient toutes sortes de minéraux, comme le fer, le cuivre, le soufre, les cristaux de roche, le rubis, le saphir… Il était plutôt étrange de trouver des minéraux aussi divers réunis au même endroit.
Le prince se souvint de ce qu’Anna lui avait dit : la Mine du Versant Nord était censée être un repaire souterrain inconnu, jusqu’à présent on n’en avait jamais vu le fond et on ignorait combien de galeries elle possédait.
Les minéraux exportés par la ville n’étaient pas payés en Royals d’or mais troqués contre des denrées alimentaires. Les gemmes étant considérés comme un produit de luxe, en cinq ans, Border Town aurait dû mettre de côté une réserve de grain. Mais ce n’était pas le cas.
En d’autres termes, la production de l’exploitation minière était insuffisante pour couvrir les rations annuelles de deux mille personnes. Avant que le prince n’y soit envoyé, cette ville était gouvernée par le duc qui régissait également la Forteresse de Longsong. C’est lui qui avait instauré cet arrangement. Il espérait ainsi pouvoir économiser de la nourriture et être averti de l’arrivée des monstres.
Le commerce des fourrures était le produit de la population locale, ils s’aventuraient dans la forêt de l’Ouest, chassaient des oiseaux et d’autres animaux, et les vendaient soit à la Forteresse de Longsong soit aux habitants de la petite ville de Willowleaf. Pour cette raison, aucune transaction n’étant effectuée à Border Town et aucun impôt ne pouvait être prélevé.
Roland se dit que puisqu’il était là, cela ne pouvait pas continuer ainsi.
Il fallait cesser de troquer les minéraux contre des aliments. La rivière Redwater traversait tout le royaume et le trafic était fluide. « Grâce à cette artère de transport, de nombreuses villes peuvent nous approvisionner en nourriture si nous cessons de l’acheter à la Forteresse de Longsong. »
À condition bien sûr qu’il puisse rester à Border Town et faire barrage aux monstres.
Carter qui travaillait rapidement, trouva le lendemain deux gardes locaux et un chasseur. Il expliqua :
– « Ces deux hommes sont de la patrouille urbaine, chaque année se sont eux qui préviennent par signal lumineux. Ce chasseur dit qu’il avait croisé des démons en chemins, était revenu avec une tête de bête démoniaque qu’il avait tranchée de ses propres mains. »
Tous trois s’inclinèrent.
Roland les invita à se redresser d’un signe de tête et l’un d’eux s’avança :
– « Votre Honneur… prince respecté… Votre Altesse », le premier garde était tellement nerveux qu’il avait peine à parler : « Brian et moi sommes… sommes les personnes, euh… Quand il commencera à neiger, nous… nous irons à la piste nord de la zone minière… tout en haut de la tour de signalisation. C’est possible… C’est le meilleur endroit pour surveiller les mouvements des bêtes démoniaques. Si elles arrivent en grand nombre… nous nous cacherons dans la forêt… allumerons les flammes… nous avons tout prévu, la route que nous allons prendre ainsi que le bateau qui nous attend… Nous partirons. »
– « Puisque vous êtes ensemble, laissez parler votre partenaire. »
Roland se couvrit le visage pour cacher sa désapprobation,
– « les bêtes démoniaques, peuvent-elles être tuées ? »
L’autre garde était également nerveux, mais lui au moins ne bégayait pas :
– « Votre Altesse, ce ne sont que des animaux ordinaires qui vivent dans la forêt, mais qui, sous l’influence du souffle maléfique, deviennent maniaques et féroces. Cependant, on peut les tuer. Durant les précédents Mois des Démons, la Forteresse de Longsong envoyait la cavalerie pour débarrasser les terres jusqu’à Border Town des restes des monstres démoniaques. »
– « Combien de temps dure cette période ? » Demanda Roland.
– « En général, deux à trois mois… cela dépend du soleil », dit Brian.
– « Du soleil ? » questionna Roland dubitatif.
– « Oui », expliqua le garde, « Cela ne fait pas longtemps que votre Altesse est dans cette ville, aussi vous ne le savez pas. A Border Town, une fois que la neige commence à tomber, elle ne s’arrête que lorsque le soleil recommence à briller. Ensuite elle fond. »
– « C’est donc la neige qui marque la fin des Mois des Démons ? »
Roland se souvenait qu’à Graycastle, les choses ne se passaient pas ainsi. Lorsqu’il s’arrêtait de neiger, le soleil n’était pas non plus le même.
– « Exactement. Il y a deux ans, je me souviens que les Mois des Démons ont duré presque quatre mois. De nombreuses personnes sont mortes de faim »
– « Pourquoi les réserves de grain de la forteresse de Longsong n’ont-elles pas suffi à aider la ville ? » Demanda Roland.
Brian mécontent répondit :
– « Il y en avait bien assez. Mais Reynolds, l’administrateur municipal responsable de la gestion de ce genre de choses, déclara que la quantité de minéraux exploités n’était suffisante que pour trois mois de nourriture. Si nous nous désirions un mois de plus, il nous faudrait livrer une nouvelle cargaison de minerai. Mais les Mois des Démons n’étant pas terminés, nous n’avons pas pu quitter la forteresse.
– « C’est donc ainsi que cela s’est passé… J’ai saisi. »
Ils abusaient tout simplement des personnes naïves. Si la Forteresse de Longsong traite ces gens vivant à la frontière aussi chaleureusement qu’un vent printanier, ils voudraient probablement rester et ne plus repartir. Mais visiblement, les personnes qui agissaient derrière la Forteresse de Longsong n’étaient gère recommandables. Roland fit signe à la dernière personne de s’avancer tandis qu’il gravait dans son esprit le nom de cet administrateur.
Le troisième homme avait l’air courageux et fort. Il mesurait pratiquement 2 mètres, ce qui impressionna un peu le Prince. Heureusement, il s’avança à genoux.
– « Vous avez dit avoir tué une de ces bêtes ? »
– « Oui, monsieur, » sa voix était basse et rauque, « une espèce de sanglier et une espèce de loup. »
– « Espèce ? » Répéta Roland, « Que voulez-vous dire ? »
– « C’est le nom que l’on donne aux bêtes démoniaques, votre Grandeur. Plus les animaux sont féroces avant leur mutation, plus il est difficile d’y faire face après. Les atouts du corps sont privilégiés. Le sanglier : sa fourrure à l’arrière devient extrêmement dure, même à une distance de 50 mètres, il est très difficile de le blesser avec une arbalète. L’espèce de loup devient plus rusée, sa vitesse de pointe incroyable. Pour le tuer, il vous faut installer un piège à l’avance. »
– « Les plus forts deviendraient plus forts et les plus rapides encore plus rapides », commenta Roland, « cependant, ils restent des animaux. »
– « Oui, mais ce ne sont pas nos plus terribles ennemis » dit le chasseur en ravalant sa salive. Il poursuivit : « Les pires sont les espèces mêlées. »
– « Ce sont des démons incarnés, seul l’enfer peut créer un monstre aussi horrible. J’ai vu un hybride. Il n’était pas seulement puissant, sur son dos il avait une paire d’ailes énormes, lui permettant de voler sur de courtes distances. Et il savait toujours où j’étais, quel que soit l’endroit où je me cachais, il me détectait toujours. Il ne chassait pas sa proie, votre Altesse, il s’amusait avec. » Le chasseur Liehu souleva ses vêtements, montrant une grande cicatrice qui allait de l’abdomen à sa poitrine et dit : « J’ai perdu connaissance et suis tombé dans la rivière. J’ai de la chance d’être encore en vie. »
« Ainsi, de tels monstres existent », se dit Roland pour qui ce monde devenait de plus en plus fantastique. Un mur puissant pourrait bloquer toutes les bêtes démoniaques ordinaires, mais si elles pouvaient voler, que faire ?
– « Les espèces mixtes doivent être très rares, n’est-ce pas ? »