En se retournant, Lin Ming vit que c’était Jiang Lanjian qui venait de parler. Il pouvait dire sans vraiment le connaître qu’il possédait un nez fin et un sens du jugement aiguisé. Ce n’était pas le genre à reconnaitre du talent à n’importe qui.
« Intéressant, lâcha Lin Ming en riant. Si la première phase de qualifications n’était qu’une petite scène de ménage, celle-ci s’apparente davantage à un grand rassemblement de maîtres. »
Jiang Lanjian le regarda avec une pointe de surprise.
« Ton groupe est assez fort, lui répondit-il, mais tu sembles avoir confiance en toi. »
Le groupe sept comptait Fang Qi, Bi Tinghua, Jing Chanyu et Zi Ling. Avec Lin Ming, cela faisait cinq participants de haut vol appelés à se disputer trois places. Alors même que la place de Fang Qi lui était presque acquise. Jiang Lanjian s’attendait à ce que Lin Ming affiche une expression des plus solennelle face à ces experts, pas à ce qu’il rie joyeusement. Soit il avait déjà abandonné tout espoir d’accéder au rang un, soit il avait une confiance absolue en ses capacités. S’agissant de Lin Ming, Jiang Lanjian était persuadé qu’il appartenait à la deuxième catégorie.
« Qui va l’emporter à ton avis, Jing Chanyu ou Zi Ling ? interrogea Lin Ming.
— Elles n’ont pas encore révélé leur force véritable. Et puis elles sont toutes les deux arrivées jusqu’ici sans perdre un seul match. Je ne sais vraiment pas à quoi m’attendre. »
Chaque groupe comportait quatre ou cinq personnes invaincues lors de la première phase de qualifications. Le groupe sept, lui, en comptait cinq. Il s’agissait de Lin Ming, Fang Qi, Bi Tinghua, Jing Chanyu et Zi Ling.
Il ne pourrait toutefois plus y en avoir que deux au sortir du groupe sept.
Tandis que les deux garçons étaient occupés à discuter, le combat avait déjà débuté dans l’arène.
C’était un affrontement des plus étranges. Une bonne partie des spectateurs ne parvenaient pas à voir où se trouvait Zi Ling. Ils apercevaient simplement des rayons lumineux semblables à des étoiles filantes, dont l’éclat brouillait leur vision.
Cela ne posait en revanche aucun souci à Lin Ming qui, grâce à sa puissante perception, distinguait clairement tout ce qui se passait sur la scène. D’un geste des bras, Zi Ling fit apparaître six lames au fil acéré. Bien mal en prendrait à celui qui se laisserait distraire par la lumière douce qui en émanait, car une seule de ces lames pouvait anéantir un artiste martial à l’ouverture de la Condensation de l’Impulsion.
Les rayons lumineux atteignaient une vitesse telle que des traînées multicolores se formaient sur leur passage dans un vacarme strident.
Manipuler la lumière, quel pouvoir fascinant. Lin Ming sentait la véritable énergie qui émanait de ces lames, mais elles contenaient également une trace d’énergie de lumière, une force énigmatique incomparable avec les sept énergies naturelles du ciel et de la terre que sont le métal, le bois, l’eau, le feu, la terre, le vent et la foudre.
Trente-six lames éthérées recouvrirent le ciel en un instant, dansant dans un bal aux sons perçants sans attaquer Jing Chanyu.
Tout à coup, claquant des deux mains, Zi Ling s’écria : « Les Trente-Six Epées du Trépas ! »
Toutes les lames de lumière se tournèrent alors en direction de Jing Chanyu et fondirent sur elle de tous les côtés. Pourtant, face à cette attaque menaçante, elle ne bougea pas d’un poil. Une lumière douce s’échappa de sa poitrine et l’entoura, formant une épaisse barrière de lumière semblable à une coquille d’œuf.
Les lames de Zi Ling s’écrasèrent contre la barrière qui leur opposa une résistance surprenante, les stoppant aussitôt dans leur course meurtrière. Mais le flot ininterrompu de faisceaux lumineux eut rapidement raison du bouclier d’énergie.
« Reflet Heureux des Mille Mains Ombragées. »
Jing Chanyu tourna ses deux mains vers le sol et une série d’ombres s’échappèrent de ses doigts pour s’élever dans les airs où elles recouvrirent le ciel.
Bam !
Zi Ling qui se cachait jusque-là en manipulant la lumière fut forcée au grand jour par la frappe de Jing Chanyu. Une épée d’énergie étincelante dans les mains, elle affichait une expression sidérée.
« Tu as perdu ! »
Les délicates lèvres roses de Jing Chanyu se murent et elle entonna un chant à voix basse. Une énorme main dorée rayonnant de mille feux se forma lentement devant elle.
« Reflet Heureux de la Paume de Sagesse ! »
La gigantesque paume de main dorée s’abattit sur Zi Ling. La lame d’énergie qu’elle tenait se brisa aussitôt et un mince filet de sang s’échappa de sa bouche tandis qu’elle était violemment projetée en arrière. Le filet de sécurité qui bordait l’arène l’arrêta dans sa course.
« Victoire de Jing Chanyu ! »
L’annonce de l’arbitre retentissait déjà que le public n’avait pas encore eu le temps de réagir. Il s’était à peine écoulé le temps de dix respirations du début à la fin du match.
Jing Chanyu n’avait eu besoin que de trois mouvements pour venir à bout de son adversaire, le premier pour se défendre et les deux suivants pour attaquer. La défaite de Zi Ling fut tout aussi fulgurante que son apparition. Et pourtant, Jing Chanyu n’avait pas fait le moindre pas, si bien que le voile qui pendait gentiment devant son visage n’avait même pas été soufflé par la brise. Elle avait conservé une incomparable tranquillité tout au long du combat.
Zi Ling était tout sauf une illustre inconnue. La Faction du Mirage l’avait choisie parmi ses disciples principaux alors qu’elle n’était qu’une enfant. Elle possédait un talent des plus extraordinaires et n’avait pas eu de mal à se hisser à la cinquante-sixième place lors du précédent Tournoi des Factions. Cette fois-ci, toujours invaincue au sortir de la première phase de qualifications, le top trente s’ouvrait à elle. Mais cela ne l’avait pas pour autant empêchée de perdre face à Jing Chanyu, qui plus est, en à peine trois mouvements.
Cette Jing Chanyu était incroyablement forte !
Les sourcils de Jiang Lanjian se courbèrent, révélant une expression intriguée. À sa grande surprise, Jing Chanyu l’avait emporté haut la main, alors qu’aucune des deux concurrentes n’avait l’avantage à ses yeux. Vu sa victoire écrasante face à Zi Ling, Jing Chanyu avait toutes ses chances d’atteindre le top vingt !
Si elle y parvenait vraiment, alors elle compterait parmi les challengers à considérer sérieusement. De ce qu’en savait Jiang Lanjian, elle n’était pas si vieille et pourrait prendre part au prochain tournoi qui aurait lieu dans trois ans.
À ce moment-là, sa renommée pourrait dépasser celle de Zhang Yanzhao !
Un disciple des trente-six pays qui parviendrait à se hisser dans le top dix, l’évènement serait sans précédent dans l’histoire des Sept Profondes Vallées. Ce serait tout bonnement extraordinaire !
Sans compter que Jing Chanyu avait un frère jumeau, Jing Chanshi ; sa force était sans doute comparable à celle de sa sœur. Deux talents à même d’atteindre le top dix lors du prochain Tournoi des Factions avaient vu le jour au sein de la minuscule Nation Jingchan. Aucune situation similaire n’était survenue au cours du siècle dernier.
Jiang Lanjian ne put s’empêcher de regarder Lin Ming et fut surpris par le détachement indifférent avec lequel ce dernier semblait aborder la situation. La démonstration de force de Jing Chanyu ne l’avait-il pas impressionné ? Qui sait… peu importait réellement, puisqu’il ne manifestait pas le moindre signe d’inquiétude.
Ce type est trop sûr de lui ! Les disciples présents au Tournoi des Factions de cette année étaient plus que prometteurs. Les trente-six pays et les seize familles de cultivateurs martiaux étaient parvenus à produire quatre talents sans pareil ; à savoir Zhang Yanzhao, les jumeaux Jingchan et Lin Ming. De plus, les trois derniers étaient encore jeunes et allaient avoir tout le temps de progresser au cours des trois prochaines années…
Cette pensée à l’esprit, les yeux de Jiang Lanjian tressaillirent soudainement. Si Lin Ming semblait avoir seize ou dix-sept ans, quel âge avait-il vraiment ?
Cela ne représentait qu’une année d’écart, mais à cet âge-là, une seule année suffisait à créer une différence colossale dans la cultivation d’un artiste martial.
Normalement, un enfant voyant le jour au sein d’une grande secte commencerait à pratiquer les arts martiaux aussitôt qu’il apprendrait à marcher. Bien qu’avant tout symbolique, la pratique martiale durant les premières années de l’enfance contribuait à poser les bases d’une fondation solide. Cela consistait exclusivement à développer et renforcer le corps avec de rares breuvages médicinaux, puisqu’il était impossible de mobiliser la véritable énergie à cet âge-là.
Ce n’est qu’à partir d’un certain degré de croissance que le corps devenait à même de la supporter. Ce point de départ sur la voie des arts martiaux se situait aux alentours de douze ans et démarrait avec les six étapes de la Transformation du Corps.
À seize ans, un artiste martial avait ainsi quatre années de cultivation derrière lui, contre cinq pour un autre de dix-sept ans. L’écart était loin d’être anodin ou insignifiant.
S’il avait dix-sept ans, Lin Ming pouvait être considéré comme un talent de premier ordre, tandis que s’il en avait seize, c’était tout simplement un génie pas loin de rivaliser avec les disciples directs des Sept Profondes Vallées.
…
« Deuxième match, Fang Qi contre Zhou Yan. »
Le nom de Fang Qi attira l’attention de Lin Ming. La Faction des Épéistes, des Archimages, des Pantins, de la Cithare, Acacia, des Forgerons et du Mirage ; de ces sept factions de la secte, celle des épéistes était celle dont les disciples possédaient la plus grande puissance d’attaque. Cela ne faisait néanmoins pas d’eux les disciples les plus puissants des Sept Profondes Vallées pour autant. Chacune des six autres factions excellait dans son propre domaine. Les factions des pantins, du mirage et des archimages se démarquaient par exemple par des techniques d’attaque et de défense uniques. Elles disposaient chacune d’un éventail inépuisable de compétences toutes plus étranges les unes que les autres. Ainsi, leurs disciples pouvaient bien ne pas être aussi fort que ceux de la Faction des Épéistes, ils n’en étaient pas moins plus difficiles à combattre.
Pour en revenir à Lin Ming, il entretenait un intérêt tout particulier pour la Faction des Archimages. Le deuxième fragment d’âme qu’il avait obtenu était celui d’un maître des matrices. Malheureusement, sa cultivation était trop faible pour avoir un quelconque usage des mémoires de ce puissant aîné du Domaine des Dieux, et il avait donc dû se résigner à les mettre de côté.
S’il pensait jusqu’ici devoir au minimum atteindre le Xiantian avant de pouvoir réaliser les matrices géantes qu’il avait découvertes dans le fragment, la Faction des Archimages des Sept Profondes Vallées lui avait donné une bonne leçon.
La Perle de l’Éclair de Feu lui avait sauvé la vie.
Jamais Lin Ming n’aurait pensé de lui-même à enfermer un enchantement de ce genre à l’intérieur d’une aussi petite perle.
Tout cela l’avait d’ailleurs amené à se dire qu’il avait sans doute intérêt à choisir cette faction s’il décidait de rejoindre la secte dans le futur.
Dès le début du match, Zhou Yan s’était empressé d’utiliser une compétence martiale défensive pour recouvrir son corps d’une succession de couches protectrices de véritable énergie. Personne n’aurait osé y voir un acte de lâcheté. À vrai dire, avoir les tripes pour faire face à un disciple direct des Sept Profondes Vallées représentait déjà une belle preuve de courage.
Zhou Yan ne manquait pas de talent. Il avait terminé à la soixante-dixième place lors du Tournoi des Factions précédent et n’avait perdu qu’un seul match durant la première phase de qualifications cette année. Atteindre le rang un relevait du vœu pieux le concernant, mais il n’aurait sans doute aucun mal à terminer ‘rang deux’.
« Brasier Ecarlate ! »
Une fois entouré de sa protection ultime, Zhou Yan sortit immédiatement son va-tout. Il faisait partie de la Faction des Forgerons et possédait un Esprit de Feu Artificiel. Esprit de Feu Artificiel à l’intérieur duquel il venait de déverser l’ensemble de sa véritable énergie pour créer un dragon ardent qui surgit avec férocité de sa poitrine.
L’arène était entourée d’une matrice qui formait un puissant sortilège, de sorte que les spectateurs ne ressentent pas la chaleur brûlante de ce dragon de feu. Mais il n’en était pas moins facile d’imaginer à quel point il était chaud vu comment la lumière ondulait autour de lui.
Un dragon de feu pareil pouvait aisément transformer l’eau d’un lac tout entier en vapeur. Il n’aurait aucun mal à carboniser un artiste martial au milieu de la Condensation de l’Impulsion.
Pourtant, Fang Qi leva simplement sa main droite pour tracer un enchantement dans les airs. C’est alors que l’impossible eut lieu. Le dragon de feu s’écrasa contre le symbole doré et disparut à l’intérieur sans laisser la moindre trace. C’était comme si l’enchantement ouvrait un portail vers une dimension inconnue, à l’intérieur de laquelle le dragon de feu avait été aspiré.
Zhou Yan assista impuissant à cet étrange spectacle et lâcha, abattu : « Je reconnais ma défaite. »
Il venait d’utiliser sa plus puissante technique, le Brasier Ecarlate, sans même qu’une seule étincelle ne parvienne jusqu’à la robe de Fang Qi. Son impressionnante attaque de feu s’était volatilisée, comme emportée par le vent. Zhou Yan ressentit une vague d’impuissance et de frustration. La disparité qui les séparait était bien trop grande.
« Victoire de Fang Qi ! »
Personne ne fut surpris. Des murmures soulignant la puissance des disciples directs se firent simplement entendre dans les tribunes, chacun y allant de son commentaire en attendant le match suivant.
Lin Ming, de son côté, repensait au symbole doré. Comment un aussi petit enchantement avait-il pu absorber le dragon écarlate que Zhou Yan avait libéré en usant de toute sa force ?
Il semblait y avoir une différence radicale entre le mode de fonctionnement des matrices du Domaine des Dieux et celles de la Faction des Archimages des Sept Profondes Vallées. La différence était telle qu’on pouvait parler de deux types de techniques bien distincts.
Et vu sa situation actuelle, les enchantements de la Faction des Archimages lui semblaient nettement plus utiles.
La voix de l’arbitre l’arracha brusquement à ses pensées.
« Troisième match, Lin Ming contre Bi Tinghua ! »
Lin Ming releva la tête et vit que son adversaire le regardait déjà avec un large sourire.