– « Une technologie … » murmura Roland en se massant le front.

Il lui était arrivé un jour de sonder les souvenirs des Diables et il avait pu voir comment ils évoluaient. Ils fusionnaient essentiellement avec diverses Pierres Magiques et s’ils échouaient, ils mouraient misérablement. En substance, leur méthode d’évolution était assez similaire à celle des sorcières, peut-être même plus cruelle encore.

Les Diables avaient recours à diverses technologies et une fois qu’ils en avaient appris les principes, ils les développaient en fonction de leurs besoins, ce qui ne présageait rien de bon pour la race humaine.

– « En êtes-vous certaine ? » Demanda Anna, comprenant immédiatement ce que cela impliquait.

– « Nous devons poursuivre nos recherches sur les restes, mais… »

Ayesha s’interrompit et se tourna vers Céline. Celle-ci tapota son tentacule principal et conduisit tout le monde vers une pierre noire géante couverte de griffures.

– « C’est une partie du Squelette Géant », expliqua-t-elle. « Les premiers résultats d’autopsie tendraient à prouver qu’il s’agit d’un être vivant. »

– « D’accord, si je comprends bien, ce serait une sorte d’armure provenant d’un Diable difforme… » Commenta Roland en se caressant le menton.

Dans son rapport, en effet, l’officier militaire avait mentionné que les Squelettes Géants touchés par les obus avaient poussé un hurlement glaçant.

– « Non, Votre Majesté », contesta Céline, un peu gênée. « Ce que j’essayais de dire, c’est que… la pierre elle-même est vivante. »

– « Que dites-vous ?! »

Abasourdie, l’assistance recula d’un pas.

– « Une minute! Vous dites que cette pierre est vivante ? »

– « Serait-ce également une sorte de Diable ? »

– « Je ne vous suis pas tout à fait… Pourriez-vous m’en dire plus ? »

Ce fut une salve de questions dans la salle.

– « Pour faire court, cette pierre est un système indépendant qui fonctionne de manière autonome », expliqua Céline.

Elle prit un marteau en fer et en donna un puissant coup sur la pierre. Celle-ci se mit à trembler et Roland aperçut, à travers les fissures, quelque chose qui se tortillait de douleur. Il fallut trente secondes à la pierre pour se stabiliser mais Roland était certain que le tremblement n’était pas dû au coup.

– « Sur les lieux, nous avons découvert un énorme organe suspendu sous l’abdomen du Squelette Géant. Nous avons pensé qu’il s’agissait du corps principal du Diable déformé mais l’autopsie a démenti cette hypothèse », poursuivit Ayesha. « Cette découverte nous a intriguées, Céline et moi. Si le Squelette pouvait se déplacer tout seul, comment expliquer la présence d’un Diable difforme relié à son abdomen ? Ce n’est qu’en voyant la transformation du Diable Fou opérée par le Tueur de Magie que nous avons compris. »

– « Serait-ce un hôte ? » Souffla Anna, la première à entrevoir la véritable nature de ce Squelette très spécial.

– « Exact », approuva Céline. « Les porteurs d’origine et les vers dévorants peuvent vivre de façon indépendante. » Elle se tourna vers Roland : « Votre Majesté, vous souvenez-vous des propos de Kabradhabi ? Il nous a demandé si nous aussi avions évolué grâce à un fragment d’héritage. »

– « Et il a ajouté quelque chose », répondit Roland en hochant la tête. « Il fanfaronnait presque en affirmant : « Je suis Tadalin » et a voulu savoir si nos armes avaient été fabriquées à partir des fragments d’héritage. »

– « Il semblerait que les Diables aient appris à créer des hôtes grâce aux fragments, d’où les questions de Kabradhabi », dit Tilly, pensive. « En d’autres termes, les Diables Araignées et les Squelettes Géants sont des hybrides composés d’un hôte et d’un opérateur » 

– « C’est très probable. Ils ont beaucoup en commun, comme la durée de vie extrêmement longue d’un porteur, la capacité de maintenir leur activité même en état de dormance, la capacité de survivre à des blessures graves, entre autres.

– « Mais je ne pense pas que la civilisation souterraine ait utilisé ce que les Diables appellent des “fragments d’héritage” pour évoluer, car ils contrôlaient les porteurs par transfert d’âme. C’est tout à fait différent… »

– « Peut-être les Diables ne savent-ils pas exactement comment créer un noyau magique, ce qui expliquerait qu’ils ne puissent pas transférer d’âmes comme le faisait la civilisation souterraine », suggéra Ayesha. « À moins qu’ils n’aient trouvé un moyen plus adapté à leur espèce, tout comme l’Union lorsqu’elle a créé l’Armée du Châtiment Divin. Vu sous un certain angle, ces guerriers sont, eux aussi, des hôtes. »

– « Une minute, quelque chose ne va pas », intervint Rossignol, confuse. « Je ne vous suis peut-être pas totalement mais une chose est certaine : jamais les humains n’ont reçu de fragments d’héritage. Les armes dont sont équipés les soldats ont toutes été inventées par Sa Majesté tout comme les Guerriers du Châtiment Divin étaient les résultats des recherches de l’Union. Nous n’avons pas eu besoin de ces fameux fragments pour apprendre à créer un noyau magique ni pour récupérer les vestiges de la civilisation souterraine. »

– « C’est précisément là la clé du problème », répondit Ayesha d’un ton sérieux. « À mon avis, le fait que nous ayons récupéré ces vestiges n’est qu’une des nombreuses façons d’hériter d’une civilisation, c’est pourquoi j’ai parlé de technologie plutôt que de capacité. »

Roland sentit soudain sa poitrine se serrer et brusquement, la vérité lui apparut sous toute sa splendeur.

– « Feriez-vous allusion à… l’apprentissage ? »

– « Oui », répondit en soupirant la Sorcière des Glaces. « L’enseignement et l’apprentissage sont tout à fait à même de remplacer ce que Kabradhabi appelle les fragments d’héritage. »

Il y eut un bref silence dans la salle.

– « Les Diables ont développé beaucoup de nouvelles armes au cours des 400 dernières années. Les fragments d’héritage les aident sans doute à apprendre ou à comprendre plus rapidement, ce qui expliquerait que leur civilisation évolue et se “modernise”. »

En entendant l’explication de Céline, Roland comprit soudain ce que Kabradhabi avait voulu dire. Si les êtres humains avaient évolué, ce n’était pas grâce à un artefact issu d’une antique civilisation mais par l’enseignement et l’apprentissage, moyen le plus traditionnel de transmettre le savoir. En tant que voyageur temporel, Roland était le lien entre les deux mondes.

– « Si vraiment c’est le cas, cela ne signifie-t-il pas que le fragment d’héritage enregistre continuellement tous les domaines de notre vie ? » Suggéra Wendy en jetant un coup d’œil inquiet vers la pièce secrète où était détenu le Diable.

– « Pour le savoir, il faudrait nous en procurer un », répondit Ayesha en secouant la tête. « Si les Diables ont appris à créer des hôtes, nous allons être confrontés à de nombreux défis. » Elle se tourna vers Roland : « Je suis désolée, Votre Majesté. Je crains que les années d’expérience de l’Union en matière de guerre ne vous soient plus d’une grande utilité. »

– « Ce n’est pas grave », répondit Roland d’un ton réconfortant, conscient que même si l’avenir était incertain, il devait rester déterminé et prendre les choses en main. « La troisième Bataille de la Divine Volonté sera une expérience entièrement nouvelle pour les Diables. S’il est possible d’évoluer technologiquement, ne pourrions-nous pas apprendre des civilisations qui ont perdu leurs fragments d’héritage ? »

– « Tout à fait », répondit vivement Céline. « C’est d’ailleurs le principal devoir de la Société de Recherches. »

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