Les souris de laboratoire étaient calmes et douces. C’était une façon gentille de dire qu’elles étaient lentes et stupides. Peut-être était-ce dû à la consanguinité.
Ces derniers temps, Zheng Tan avait souvent vu Papa Jiao les mentionner dans les diapositives PowerPoint qu’il utilisait pour son cours sur la génétique. En voyant les cinq souris dans la cage, Zheng ne put s’empêcher de penser qu’il n’avait pas menti. Pas le moindre signe de peur dans les yeux de ces rongeurs. Au lieu de cela, ils mendiaient la nourriture comme si le donneur était là.
Papa Jiao fit sortir une souris de la cage et ordonna à Zheng Tan :
– « Surveille-la ! Ne la laisse pas courir partout. »
Le jeune félin regarda la souris qui n’avait aucune idée de ce qui l’attendait et leva la patte pour la plaquer au sol par la queue. Elle ne lutta pas beaucoup, mais tenta de s’enfuir en rampant.
Il existait une différence entre une souris sauvage et une souris domestique. Si la première, dans la nature, s’était faite prendre par la queue, soit elle aurait lutté pour se libérer, soit elle se serait retournée pour se défendre.
Papa Jiao mit les quatre autres souris dans une boîte en carton afin qu’elles ne puissent pas voir ce qui se passait.
– « J’ignore comment ton espèce attrape ou tue les souris, mais je vais t’expliquer comment nous procédons habituellement, ici, au laboratoire. » Dit-il en reprenant la souris à Zheng Tan.
« Eh bien, voici : Dans tout laboratoire en Chine, la méthode de base consiste à lui briser la nuque. C’est probablement le moyen qui cause le moins de souffrance. Si cela est bien fait, la souris ne sent rien. Ceci est conforme à la préoccupation du bien-être animal dont parlent les étrangers. »
Le chat couleur charbon s’assit sur le côté et écouta tranquillement. Papa Jao était passé en mode enseignement. Des fois à la maison, après avoir préparé son cours sur PowerPoint, il répétait ce qu’il allait dire en classe. Son sujet de prédilection était Zheng Tan.
En entendant les mots « eh bien voici : » dernier devina précisément ce qui allait suivre.
– « En cassant la nuque, on déboîte les vertèbres cervicales, ce qui disloque du même coup la colonne vertébrale et le tronc cérébral. L’une des façons de procéder est de tenir la souris par le cou d’une main et par la queue de l’autre. Puis tu tires des deux côtés opposés, d’un coup sec mais violent, et le tour est joué. Mais il existe également une autre manière de procéder, qui sera probablement plus facile pour toi. Regarde attentivement. »
L’assistant du professeur attrapa le rongeur par la queue, saisit son cou et serra fortement.
Ce dernier tressauta puis retomba, inerte.
Zheng Tan observa son corps mou qui gisait sur la table et reporta son regard sur Papa Jiao. Ce dernier lâcha un “j’ai foi en toi” plein d’espoir. A ces mots, les oreilles du chat tressaillirent.
– « Écoute, cette opération est en fait très simple. Même si tu ne l’as jamais faite auparavant, tu t’en sortiras. J’ai vu à quelle vitesse tu as passé Tigre à tabac. Attraper une souris ne sera certainement pas un problème. »
Le fameux Tigre auquel Papa Jiao faisait allusion était un chat tigré de couleur jaune. C’était l’un des copains félins de Zheng Tan. Contrairement à Sheriff, Tigre avait la manie de se mettre dans un sacré pétrin. Le chat noir contenait avec peine son envie brûlante de lui apprendre à vivre. Quoique curieusement, il ne l’avait pas vu traîner dans les parages depuis un moment.
Papa Jiao sortit une autre souris et fit un geste à Zheng Tan afin qu’il essaye à son tour.
Celui-ci dût exercer trois pressions avant de parvenir à tuer sa première souris. Lorsqu’enfin il parvint à tuer la seconde, il était exténué. Mais au moins, celle-ci n’avait pas souffert.
Le jeune félin se dit qu’il avait de la chance d’être devenu un chat. Plus l’on est bas dans la chaine alimentaire, plus la vie est dure.
– « La colonne des souris étant très fragile, il est très facile de disloquer ses vertèbres. Tu as juste besoin d’entraînement. » Souligna Papa Jiao.
« La prochaine fois, n’hésite pas. Essaie de casser les moelles épinières et osseuses au lieu de lui arracher la tête. Tu dois apprendre à maîtriser ta force. J’ai eu des étudiants qui avaient mis trop de pression et fait exploser les globes oculaires de la souris. »
Zheng Tan resta sans voix.
C’était fichtrement terrifiant.
Cet homme parlait de ces choses avec tant de calme ! En cet instant, le chat eut l’impression de voir une lueur froide traverser son regard.
Soudain, Zheng se rappela une conversation qu’il avait eue à ce sujet avec ses anciens copains de virées. L’un d’eux avait expliqué qu’en fait, les tueurs les plus effrayants n’étaient pas ceux qui semblaient les plus vicieux. Ce n’étaient pas ces gens qui portaient des couteaux, de gros tatouages et des anneaux à leur nez. C’étaient plutôt ceux qui pouvaient facilement tuer mais qui parvenaient à rester calmes et sereins durant tout le temps qu’ils opéraient.
Maintenant qu’il y pensait, les techniciens de laboratoire les plus expérimentés avaient un nombre surprenant de similarités avec les tueurs.
En y réfléchissant, Zheng Tan réalisa que Papa Jiao était probablement la seule personne au monde à apprendre à son chat comment tuer une souris en utilisant des méthodes de laboratoire.
Pour la troisième et la quatrième, il avait fait des progrès. Au moins, ces deux-là eurent une mort plus décente, si tant est que cela soit possible.
Bientôt, cinq cadavres de souris gisaient sur la table de laboratoire. Une tuée par Papa Jiao et les quatre autres par Zheng Tan.
Après s’en être débarrassé, le professeur assistant retourna dans la pièce interne et revint avec une cage légèrement plus large. A l’intérieur se trouvaient cinq nouveaux rongeurs. Mais cette fois, ils étaient bien plus gros.
– « Voici des rats domestiques albinos. Tu peux les tuer en utilisant la même méthode. Faut-il que je te remontre comment faire ? »
Zheng Tan secoua la tête.
– « Bon garçon ».
Ainsi que Papa Jiao l’avait fait remarquer, il était bien plus difficile de tuer un rat. Lorsqu’enfin il y parvint, le jeune félin se considérait déjà comme un pro.
– « Veux-tu continuer à t’entraîner ? » Demanda l’homme.
Zheng Tan fit non de la tête.
– « Hé bien dans ce cas, nous en resterons là. Mais avant, permets-moi de t’expliquer… »
Et voilà Papa Jiao repassé en mode enseignant!
« Dans notre laboratoire, en plus de la dislocation cervicale, nous avons d’autres méthodes d’exécution. Par exemple, on peut tuer une grenouille avec une simple aiguille. La semaine prochaine, en cours d’anatomie, nous disséquerons une grenouille-taureau. J’en apporterai une à la maison pour te montrer » Il fit un signe de la main :
“Bref, quoiqu’il en soit, le sujet sur lequel je voulais attirer ton attention, c’est la mort par embolie gazeuse. C’est ainsi que l’on tue les chiens et les chats dans notre laboratoire. » Il marqua une pause puis regarda Zheng Tan : « Sais-tu ce que dont il s’agit ? »
Le chat noir fit non de la tête. Il avait les muscles crispés et les poils de son dos et de sa queue dressée. Il commençait à avoir un peu froid.
– « En gros, cela consiste à insuffler de l’air dans les veines. »
Zheng Tan frémit. Cela, il le comprenait. Il n’avait guère de connaissance en biologie, mais devinait ce qui allait en résulter.
– « Lorsque l’air pénètre dans le système de circulation sanguine et arrive dans les poumons, il finit par bloquer l’artère pulmonaire et provoquer un choc temporaire, voire la mort.
Par exemple, lorsqu’une personne plonge profondément sous l’eau et souhaite remonter, un changement trop brusque de pression pourrait entraîner l’expansion du gaz dans les poumons, occasionnant une dilatation des poumons eux-mêmes. Si l’excès de gaz n’est pas éliminé à temps, cela peut s’avérer très dangereux. Certains passagers du Titanic sont morts de cette façon.
Papa Jiao se rendit compte que parler du Titanic à un chat était probablement inutile. Il revint donc sur ce qu’il disait auparavant et conclut :
– « Tu dois te montrer prudent. Reste loin des éventuels dangers et étudie le développement personnel. »
Maintenant que Zheng Tan maîtrisait l’art de tuer les rongeurs, ils avaient atteint l’objectif pour lequel ils étaient venus. Le jeune félin répugnait toujours à l’idée de devoir attraper des souris, mais c’était ce que l’on attendait d’un chat. Même cet idiot de Tigre pouvait le faire. Zheng Tan eut le sentiment qu’il s’en sortirait.
De retour dans les quartiers Est, Zheng il vit une voiture portant une plaque d’immatriculation militaire qui lui était familière, stationnée sur un emplacement laissé libre. Ainsi, Patapouf était de retour!
Tandis que Papa Jiao garait son scooter dans le hangar, Zheng Tan bondit sur le balcon du premier étage et jeta un coup d’œil à l’intérieur.
Assis sur un sac de nouilles instantanées sur le bureau près de la fenêtre, il aperçut un chat rondelet de race Dragon Li.