Il y avait, dans la Préfecture de la Nuit Flamboyante, une chaîne de montagne déserte, aux pierres carbonisées et où poussait partout de l’herbe sauvage. Au cœur de ces montagnes, connues comme zone interdite, était un lac de plusieurs kilomètres de diamètre, à l’eau croupie sur laquelle flottaient des squelettes blancs et qui dégageait une aura de mort.
Les Démons eux-mêmes n’osaient s’y aventurer.
Soudain, les eaux se mirent à bouillonner et se séparèrent, formant un couloir de plusieurs dizaines de mètres de large. Précédés de leur chef, qui portait une robe grise, près d’une centaine de personnages en robe noire sortirent des profondeurs et se mirent à flotter dans les airs.
Le dirigeant en robe grise avait les cheveux noirs mais surtout des sourcils qui lui tombaient jusque sur la poitrine. Si Loysius avait été là, il en serait resté stupéfait car cet homme ressemblait terriblement au maître du Château du Lac de la Lune.
– « Bâtard! » Cria l’homme, les muscles contractés, au bord de l’explosion. « Je suis resté caché si longtemps que ces gens ont oublié qui j’étais. Je leur ai promis qu’ils regretteraient d’avoir détruit mon clone divin. »
Wyrnessin, en effet, possédait deux puissants clones divins et son corps d’origine, d’affinité Ténèbres, était bien plus puissant. Avec tous les gardes qu’il avait, il n’aurait pas dû avoir de problèmes. Qui aurait pu imaginer que l’on détruirait l’un de ses clones ? L’homme n’ayant que deux corps, il venait de perdre une vie et était furieux.
– « Maître, où allons-nous ? » Demanda un homme en robe noire derrière lui.
– « Mon château est proche de la Cité de l’Aile Impériale », répondit l’homme en robe grise. « Or les Démons ont pour règle de choisir des emplacements proches pour leurs missions. Ils sont certainement à bord de la créature métallique, en train de rentrer chez eux. C’est là qu’il faut aller en premier. »
– « Bien Maître! »
– « Bien seigneur! »
S’écrièrent en chœur les hommes en robe noire qui le suivaient.
– « Hmph, quoi qu’il arrive, ils devront retourner à la Cité de l’Aile Impériale. Nous les arrêterons avant », reprit-il à l’adresse de l’un des hommes en robe noire.
Immédiatement, celui-ci disparut. Au même moment, une créature métallique sinueuse, beaucoup plus rapide que celle où se trouvait Linley, apparut dans les airs et lui et ces cent hommes y entrèrent, après quoi celle-ci fendit l’air en direction de la Cité de l’Aile Impériale.
Celle de Linley planait non loin du Lac de la Lune.
De retour, l’aîné aux cheveux argentés ordonna :
– « Il n’y a plus personne! On s’en va! » Et aussitôt, la créature métallique prit une apparence floue et fila vers les horizons lointains.
L’homme pénétra dans la cabine et dit d’une voix sonore :
– « Levez-vous et rassemblez-vous au centre de l’allée. »
Perplexes, Linley et les quelque cent survivants obtempérèrent. La créature métallique se mit alors à rétrécir drastiquement de façon à ce qu’il n’y ait plus qu’une centaine de sièges. Au lieu des cinquante rangées de vingt places qu’il y avait à leur arrivée, il ne restait plus que vingt rangées de cinq sièges.
– « Etant donné que nous ne sommes plus très nombreux, nul besoin d’une aussi grande créature », dit-il calmement après quoi il retourna dans la cabine avant.
Les passagers des cabines arrières étaient plutôt serrés.
Détendu, Linley regarda par la fenêtre.
– « Il ne nous reste plus qu’à remettre nos anneaux de lune au château et nous deviendront des Démons », dit Bébé avec un petit rire. « Au moins, lorsque nous entrerons dans la ville, nous ne serons plus contraints de faire la queue pour payer les frais. »
Les frais d’entrée ?! Linley et Délia en restèrent sans voix. Qu’était-ce pour eux qu’une Pierre d’Encre ?
Soudain, une voix retentit :
– « Quelqu’un aurait-il des anneaux de lune ? Je suis prêt à vous les racheter! »
Tout le monde se retourna : celui qui venait de parler était un bel homme à l’air sinistre.
– « Quel culot! » Fit Linley, choqué. Le personnel du Château du Démon se trouve dans la cabine avant. »
« Comme il parle fort », fit Bébé en fronçant les sourcils. « Ce serait certainement terrible si le vieil homme aux cheveux argentés l’entendait! »
Regina observait les gens, les yeux brillants.
– « Tout ce qui importe dans cette épreuve est que vous rapportiez un anneau de lune », répondit-elle à Bébé. « Peu importe la manière dont vous l’avez acquis, que vous l’ayez volé ou acheté. »
Linley comprit aussitôt que le château faisait cela pour encourager les conflits internes. Malheureusement, c’était ainsi au Royaume Infernal où les massacres et les combats étaient l’objectif principal.
– « Vous cherchez à acheter des anneaux ? J’en ai un en trop », dit soudain une voix venue de la cabine arrière.
Tout excités, Regina et quelques autres personnes se tournèrent vers celui qui avait parlé.
C’était un homme barbu extrêmement musclé mais qui ne mesurait qu’entre 1,20 m et 1,30.
« Un nain ? » Pensa Linley en haussant un sourcil.
– « Quel est votre prix ? » Demanda une femme aux longs cheveux dorés.
– « Je n’en demande qu’un million de Pierres d’Encre », répondit l’homme. « Si vous les avez, il est à vous. »
« Un million ?! »
Quelques personnes, stupéfaites, en eurent le souffle coupé.
Si cette somme était insignifiante pour un Dieu Supérieur, il n’en allait pas de même pour un simple Dieu. Ceux qui, dans le groupe de Linley, avaient vendu un artefact de niveau Dieu Supérieur n’en avaient tiré que 750 000 Pierres d’Encre.
Mais un simple Dieu ne pourrait acquérir une telle fortune qu’en collectant des butins de guerre.
– « C’est trop cher », répondit Regina en fronçant les sourcils.
– « Je le prends », dit le bel homme au regard doux.
Sur les près de cent qui avaient survécu, vingt ou trente n’avaient pas encore acquis d’anneaux de lune. En entendant cette proposition, ils s’agitèrent.
– « Je vous en offre un million cent », s’écrièrent certains d’entre eux.
– « J’étais le premier! » S’empressa de répondre le bel homme.
– « Mon prix est d’un million. Donnez-les-moi et l’anneau est à vous », dit le nain à ce dernier.
Les autres en furent déçus et Regina laissa échapper un soupir.
Elle aurait bien voulu l’acheter, mais elle n’avait pas la somme.
– « Qui d’autre possède des anneaux de lune ? » Cria quelqu’un d’une voix forte depuis les cabines arrière.
– « Moi », dit un homme d’âge moyen en robe blanche. « Je suis prêt à le céder pour le même prix que ce petit monsieur. »
« Il y en a d’autres ? » Se demanda Régina.
Immédiatement, plusieurs personnes se précipitèrent.
– « Tenez! » Dit une femme aux cheveux de jade en déposant un cube d’azurite de dix centimètres de côté dans la main de l’homme en robe blanche.
– « Vendez-le-moi! » S’écriaient d’autres.
– « J’ai payé la première, cet anneau est donc à moi », dit la femme en fixant le vendeur, craignant quelque part qu’il lui ait menti.
Mais celui-ci empocha le million de Pierres d’Encres et lui tendit l’anneau :
– « Il est à vous! »
Ravie, la femme s’empara de l’anneau et regagna sa place, laissant les autres très déçus.
– « Ne vous battez pas », dit l’homme en souriant. « J’en ai suffisamment pour tous ceux qui seront en mesure de payer. »
D’un geste de la main, il exhiba cinq autres anneaux de lune devant l’assistance, stupéfaite.
« Comment a-t-il fait pour s’en procurer autant ? » Se demandaient les occupants de la cabine.
Ceux qui le pouvaient s’empressèrent de lui remettre la somme demandée et reçurent chacun un anneau.
– « Si quelqu’un d’autre est intéressé, approchez, j’en ai encore », poursuivit l’homme en souriant.
Le silence tomba sur la cabine. Tous n’avaient pas suffisamment d’argent. Seules six personnes possédaient la somme requise.
Soudain, Regina se leva :
– « Pourriez-vous baisser un peu le prix, Monsieur ? » Demanda-t-elle aimablement. « Ces anneaux de lune n’ont de valeur que pour nous. Pour les autres, ce ne sont que de simples anneaux interspatiaux. »
En effet, les anneaux interspatiaux ne valaient pas même une Pierre d’Encre.
– « C’est vrai! » Clamèrent d’autres candidats. « Si vous baissiez le prix de moitié, beaucoup vous en achèteraient! »
– « Cinq cent mille, ce serait parfait », renchérit Regina qui ne possédait en tout et pour tout que huit cent mille Pierres d’Encre. »
– « Vous ne pouvez pas faire cela! » Objectèrent ceux qui venaient de payer un million et trouvaient cela injuste.
– « Le prix est d’un million », répondit l’homme, toujours souriant. « Et je préfère ne pas les vendre plutôt que d’en baisser le prix. »
– « Combien avez-vous sur vous ? » Demanda Délia à Régina, la voyant blêmir.
Elle, Linley et Bébé bavardaient mentalement. Ils avaient, en effet, amassé d’énormes gains lors de ce voyage, entre autres la richesse du garde en robe noire et le Golem du Dieu de la Mort qui valait à lui seul cent millions de Pierres d’Encre.
– « Il me manque deux cent mille pierres », se hâta de répondre Regina.
– « Tenez! » Dit Bébé avec un petit rire en lui tendant deux azurites.
Regina en fut tout excitée.
– « Merci! » S’écria-t-elle avant de se précipiter vers l’homme en robe blanche.
Aux abords de la Cité de l’Aile Impériale, l’homme en robe grise, entouré de dizaines d’experts, était assis dans un coin d’herbe en position de méditation.
– « Maître! » Lui dit mentalement un homme. « Une créature métallique arrive du château du Lac de la Lune! Elle appartient au Château du Démon. »
Aussitôt, l’homme en robe grise ouvrit les yeux.
– « Suivez-moi! » Gronda-t-il en prenant son envol.
La créature métallique dans laquelle se trouvait Linley volait à pleine vitesse en direction de la ville que le groupe fut ravi d’apercevoir au loin à travers les fenêtres.
– « Enfin! Nous arrivons! »
Mais soudain, il y eut une violente secousse suivie d’une explosion et la créature métallique vola en éclats. Totalement pris au dépourvu, les Démons s’empressèrent de contrôler leur corps pour flotter dans les airs.
Linley et les siens regardèrent autour d’eux et blêmirent.
Tout autour d’eux, dans les airs, se dressaient près d’une centaine d’hommes en robe noire desquels émanait une aura stupéfiante. Tous étaient encerclés, sans aucune chance de s’enfuir.
– « Des Dieux Supérieurs! Ce sont tous des Dieux Supérieurs! »