Le Château du Bourgeon Rouge grouillait de monde qui entrait et sortait par la porte principale d’au moins cent mètres de large. C’était dire à quel point les affaires y étaient excellentes.
De loin, Linley aperçut plus de dix soldats portant des uniformes et un long manteau pourpres avec des sceaux à leur front. Il reconnut immédiatement l’Armée du Bourgeon Rouge.
– « Il y a des châteaux du Bourgeon Rouge sur tout le continent », expliqua Daebra en riant. « Le souverain est très puissant et les soldats que vous voyez ne sont là que pour une démonstration de force. Qui oserait semer le trouble à la Cité de l’Aile Impériale ? Il faudrait pour cela ne plus tenir à la vie! »
– « Pourquoi l’Intendant en Chef et ses hommes passent-ils par l’arrière ? » Demanda Bébé qui avait l’œil.
Linley lui aussi s’en était aperçu. Pour tout dire, il y avait presque autant de monde pour passer par l’arrière que pour entrer par la porte principale.
– « Ceux qui entrent par l’avant vont faire des achats tandis que ceux qui passent par l’arrière ont des objets à vendre », expliqua le jeune homme aux cheveux de jade,
« Dépêchons-nous », les pressa-t-il.
Linley prit Délia par la main et, Bébé à ses côtés, suivit la foule. Au bout de quelques kilomètres, ils atteignirent l’entrée arrière du château.
Les portes étaient aussi larges qu’à l’avant et une foule de gens s’y pressait.
– « La plupart de ceux qui viennent vendre des objets appartiennent aux tribus et aux clans extérieurs à la ville. Sachant que le château se fait un bénéfice de 30 % sur la revente des objets achetés, ils doivent se faire un pont d’or! »
– « Étant donné la puissance du souverain, les autres n’ont aucune chance de faire des affaires », répondit Linley avec un petit rire.
À la suite des autres membres de la tribu du Dragon Noir, le groupe pénétra dans le château. Ils étaient près de deux cents mais se noyaient dans la foule immense qui l’occupait.
– « Comme c’est grand! » S’exclama Linley, le souffle coupé.
La salle principale du rez-de-chaussée mesurait entre un et deux kilomètres de large et pouvait largement accueillir dix mille personnes! C’en était stupéfiant.
– « Apparemment, il y a beaucoup de Divinités venues vendre leurs objets », s’exclama Bébé, plein d’enthousiasme.
– « La salle principale est destinée à ceux qui viennent vendre des étincelles ou des artefacts de niveau Demi Dieu, ou encore des objets dont la valeur est inférieure ou égale à cent Pierres d’Encre », expliqua Daebra qui, visiblement, s’y connaissait. « Comme je suis venu vendre une Etincelle Divine de niveau Dieu, je vais devoir monter à l’étage où l’on vend des objets dont la valeur se situe en dessous de dix mille Pierres d’Encre. Quant aux artefacts et Étincelles de niveau Dieu Supérieur, c’est au second étage que ça se passe, de même que pour les objets précieux dont la valeur peut atteindre un million de Pierres d’Encres, voire davantage. »
Linley et son groupe suivirent donc les hommes de la tribu qui montaient à l’étage tandis que plus de la moitié d’entre eux restaient au rez-de-chaussée. De toute évidence, ceux-ci n’avaient à vendre que des objets bon marché.
– « Vous voyez ces gens assis derrière tous ces comptoirs ? Ce sont les acheteurs du château du Bourgeon Rouge. Observez bien! Moi, je monte au premier vendre mes objets », dit Daebra avec un signe de la main avant de se diriger vers l’un des comptoirs à l’étage.
Linley, Délia et Bébé se regardèrent :
– « Montons au second », suggéra le Guerrier au Sang de Dragon, sachant qu’ils possédaient pas mal de précieux trésors dont deux artefacts et une étincelle de niveau Dieu Supérieur.
Les escaliers menant du premier au second étage étaient beaucoup plus étroits que ceux qui conduisaient au premier. Par ailleurs, la porte était plus petite et il y avait beaucoup moins de monde.
Soudain, Linley aperçut Edmond et trois de ses subordonnés qui bavardaient avec un employé vêtu d’une longue robe pourpre, après quoi l’Intendant sortit une Etincelle Divine.
« Que fait-il avec cette étincelle ? » Se demanda-t-il, quelque peu perplexe.
L’homme en robe pourpre les laissa passer mais lorsque Linley et les siens atteignirent la porte, l’homme s’interposa.
– « Montrez-moi ce que vous avez à vendre », dit-il. Puis, voyant leur regard perplexe, il ajouta avec un sourire : « C’est la première fois que vous venez ? Sachez que toute personne qui monte à cet étage doit, pour pouvoir entrer, soumettre l’un de ses objets à l’inspection. »
Linley comprit alors ce qu’Edmond venait de faire.
C’est alors que deux jeunes gens passèrent devant lui et, ignorant l’homme en robe pourpre, accédèrent directement au second étage.
– « Hey! Comment se fait-il qu’ils n’aient pas à montrer d’objets ? » Demanda Bébé, confus.
– « Parce que ce sont des Démons », répondit aimablement et patiemment le garde. « N’avez-vous pas remarqué leurs médaillons ? Nous n’avons pas besoin de les inspecter, car nous connaissons leur réputation et lorsqu’ils viennent, c’est pour vendre des objets de valeur. »
Linley soupira : non seulement ils ne payaient pas les frais d’entrée en ville, mais ils pouvaient accéder au second étage du château sans être inspectés. Ces gens avaient vraiment un statut spécial!
D’un geste de la main, Linley sortit le poignard noir qu’il avait récupéré d’Adkins après l’avoir tué et qui était un artefact de niveau Dieu Supérieur.
– « Vous pouvez entrer. »
Quoique plus petite que les précédentes, cette salle mesurait tout de même plusieurs centaines de mètres et les gens avaient largement la place pour circuler.
– « C’est ici qu’il faut s’adresser! » S’écria Bébé en les précédant vers un comptoir de vente.
Mais soudain…
– « Regardez, Seigneur Edmond! » S’écria l’un des hommes de l’Intendant en Chef qui les avait remarqués. « Ne sont-ce pas là des membres de notre tribu ? Si je me souviens bien, c’est leur première visite en ville et ils se présentent au second étage! »
Edmond leur jeta un coup d’œil. Comme ils n’étaient que cinq à faire leur premier voyage vers la Cité de l’Aile Impériale, il s’en souvenait parfaitement.
– « Je n’aurais pas cru qu’ils étaient riches », dit-il, une lueur froide dans les yeux. « Il semblerait que nos capacités de supervision interne ne soient pas suffisantes. »
Au Royaume Infernal, en effet, personne ne pouvait profiter de sa richesse accumulée durant des centaines de millions d’années sans susciter la convoitise d’autres experts. Or Edmond et les siens n’en étaient pas à leur premier coup.
– « Ne vous inquiétez pas, Monseigneur. Ils ne nous échapperont pas. Sitôt que nous aurons quitté la ville, nous passerons à l’action », dit sournoisement l’un des Dieux qui l’accompagnaient.
Edmond acquiesça.
Tous ceux qui étaient autorisés à entrer au second étage possédaient des objets qui valaient au moins un million de Pierres d’Encre!
Des employés en robe pourpre étaient assis devant chaque comptoir. Linley et les siens s’approchèrent donc d’un vieil homme aux cheveux argentés.
– « Montrez-moi ce que vous avez à vendre », dit ce dernier en souriant.
Linley et ses compagnons se regardèrent, puis, d’un revers de la main, celui-ci sortit sa dague noire et la tendit au vieil homme.
– « C’est un artefact de niveau Dieu Supérieur. »
Même s’ils possédaient une Lance de Cortez et une étincelle de niveau Dieu Supérieur, c’était la première fois que Linley et ses proches venaient en ville et il y avait encore beaucoup de choses qu’ils ignoraient. Ils n’étaient pas pressés et s’ils avaient vraiment besoin d’argent, ils pourraient toujours revenir.
Par ailleurs, il n’y avait pas que le château du Bourgeon Rouge où acheter des marchandises. Il y avait aussi le château du Sable Noir. Seulement, il y avait là beaucoup d’intrigue et de forces concurrentielles, aussi était-ce assez désordonné et chaotique. Linley n’avait pas l’intention de s’y rendre avant d’en savoir plus.
– « Ce poignard est vraiment très bien », approuva l’ancien. « Il s’agit bien d’un artefact de niveau Dieu Supérieur dont le précédent propriétaire devait être un expert formé aux Lois de l’Obscurité. Cette arme a dû tuer bien des gens, car elle dégage une puissante aura meurtrière. Nous sommes prêts à l’acheter 750 000 Pierres d’Encre, si vous tenez vraiment à la vendre. »
« Parfait », approuva Linley qui avait prévu de vendre cet objet au prix de 700 000 Pierres d’Encre. De toute évidence, il s’agissait d’un excellent artefact dont il pouvait tirer un léger avantage.
Mais il se moquait bien d’une si petite somme.
– « Cent Azurites, soit cent mille Pierres d’Encre. Deux cent mille… trois cent mille… »
L’homme lui présenta un gros morceau de Pierre d’Azur et Linley comprit aussitôt :
« J’en étais sûr! »
En récupérant ces pierres, il avait aussitôt compris qu’il s’agissait d’une forme de monnaie. Leur aura, en effet, était similaire à celle des Pierres d’Encre, mais en beaucoup plus puissante.
Une seule azurite formait un carré d’un centimètre de côté et celles que lui présentait l’homme étaient des dalles carrées de dix centimètres de côté sur un centimètre d’épaisseur qui valaient chacune cent petites pierres. En d’autres termes, la plus grosse était équivalente à cent mille Pierre d’Encre, soit sept dalles et cinq longues pierres d’Azurite.
– « Voici sept cent cinquante mille. Gardez-les précieusement », dit l’ancien en robe pourpre.
– « Pardonnez ma question mais ces pierres ont-elles un autre usage que l’achat d’objets ? »
– « Il n’est pas nécessaire que vous le sachiez », répondit le vieil homme dont les yeux s’illuminèrent.
Bien que curieux, Linley n’insista pas.
– « Si vous voulez acheter quelque chose, passez par ce portail et vous arriverez dans l’autre salle », dit l’homme.
Linley avait depuis longtemps deviné que la porte principale était réservée aux acheteurs et l’entrée arrière aux vendeurs.
– « Allons voir », fit Délia, très curieuse.
– « Je me demande bien ce qu’on peut trouver dans le Royaume Infernal », ajouta Bébé, enthousiaste.
Linley eut un sourire et se dirigea vers la salle opposée.
Edmond, qui l’avait remarqué, fronça les sourcils et ordonna à ses subordonnés :
– « Allez attendre à la porte principale et vous à la porte arrière. Gardez un œil sur eux. ».
– « Bien Monseigneur », répondirent les trois Dieux qui obtempérèrent aussitôt.