Sitôt qu’ils entendirent l’alarme, les soldats, conformément au plan d’urgence, se mirent en état d’alerte maximale.
– « Dépêchez-vous! Laissez tomber ce que vous faites et dirigez-vous vers à la sortie la plus proche! » Crièrent les militaires chargés de faire évacuer le camp à l’équipe de construction afin de la diriger vers les abris. « Ne poussez pas et ne regardez pas autour de vous! Quoi qu’il puisse se passer dehors, surtout, ne quittez pas le refuge! »
– « Le refuge n ° 6 est plein! »
– « Même chose pour le n ° 7! »
– « Alors passez au suivant! Ne bloquez pas le passage. On se bouge! »
Ce n’était pas la première fois qu’ils devaient évacuer les gares, aussi ne paniquèrent-ils pas, en dépit des cris exaspérés des soldats tendus.
Environ deux mille ouvriers empruntèrent les passages souterrains pour rejoindre les bunkers, situés à l’arrière du camp. Construits par Lotus et équipés de plaques d’acier, ceux-ci pouvaient non seulement héberger les soldats mais aussi les protéger des lances et des mitraillettes. Même si l’ennemi pénétrait la ligne de défense, en restant dans les abris, ils étaient en sécurité.
Une fois la marée humaine dissipée, l’obscurité se referma sur le chantier de construction où, l’instant d’avant, l’on voyait encore scintiller des lumières.
Sylvie observa les alentours et informa les autres unités :
– « L’évacuation est terminée. Les lumières sont éteintes. La Première Armée rentre au campement. »
Pour l’heure, la salle d’observation surplombant le quartier général était particulièrement affairée. La douzaine de téléphones alignés autour de la table sonnait en permanence et il y avait tant de messages que le personnel ne transmettait à Sylvie que les plus importants.
De leur côté, les agents recueillaient les informations et les transcrivaient sur la carte afin de pouvoir fournir des références au personnel du quartier général.
Sylvie, en tant qu’'”œil” de l’armée, était devenue le centre d’informations de la salle d’observation, ce qui facilitait grandement l’efficacité de la Première Armée.
– « Compris Melle Sylvie! Ici Van’er du Bataillon d’Artillerie. Pourriez-vous nous indiquer la localisation des Diables et nous fournir les paramètres de tir ? »
– « Même demande pour les Rivière Noire I et II! »
– « Une seconde », répondit Sylvie en jetant un coup d’œil vers le front.
Les “ombres”, qui se dirigeaient lentement vers l’armée, venaient d’entrer dans le champ de tir situé à 10 kilomètres du campement. À ce rythme, elles mettraient environ cinq à six heures avant d’atteindre leur destination. Pour l’heure, le plus urgent, était donc de découvrir les intentions des Diables. Que complotaient-ils et pourquoi utilisaient-ils des Pierres du Châtiment Divin pour créer des zones aveugles ?
Lorsque le pouvoir magique ne fonctionnait plus, ils devaient recourir à des yeux humains pour les observer.
Elle prit le Sceau d’Écoute :
– « Foudre ? Maggie ? m’entendez-vous ? Où êtes-vous ? »
Très vite, une voix se fit entendre, mêlée au son strident de l’alarme.
– « Nous venons de décoller. Maggie est au-dessus de moi. Que se passe-t-il ? Serions-nous attaqués ? »
– « On dirait bien, mais les Diables perturbent une grande partie de ma vision magique. À mon avis, ils utilisent encore des Pierres du Châtiment Divin. »
– « Compris! Je vais jeter un coup d’œil. »
– « On s’en occupe, Goo! »
Foudre avait un tout autre regard sur le champ de bataille que Sylvie depuis sa salle d’observation. À mesure que la nuit avançait, elle vit les lumières se réduire progressivement. Au loin, le pays semblait englouti dans obscurité veloutée, à la fois sereine et insondable.
Plongées dans leur sommeil, les Plaines Fertiles n’avaient aucune idée de la guerre qui s’approchait.
Sylvie ne les ayant pas prévenus, elles avaient peine à croire que les Diables aient déjà pris des mesures.
– « Active le mode vision nocturne, Maggie! »
– « Goo! Goo! Goo! »
Le pigeon blanc se dilata et prit aussitôt l’apparence d’une gigantesque boule de poils d’où émergeait deux grands yeux vitreux dont on aurait dit qu’ils étaient sur le point de sortir de leurs orbites.
– « Transformation terminée. Je suis maintenant un hibou, Goo! »
– « Alors allons-y! »
Foudre stabilisa le “hibou géant” perchée sur sa tête et prit la direction du Nord-Est. Mais alors qu’elles approchaient de Taquila, elles entendirent, dans le Sceau d’Écoute, la voix de Sylvie :
– « Revenez vite, les amies! Le Tueur de Magie arrive! »
Foudre frissonna et ses membres se tétanisèrent sous l’effet de la terreur. Elle réussit à réprimer sa peur et répondit en serrant les dents :
– « Si c’est nous qu’il cherche, il ne nous trouvera pas de sitôt. De plus, si nous rentrons maintenant, nous ne saurons pas ce que les Diables cachent derrière leurs Pierres du Châtiment Divin. »
– « Mais… »
– « Ne vous inquiétez pas. Il ne peut me trouver avec une simple Pierre de Vol. Il suffit que j’évite la zone anti-magie. »
Foudre serra ses poings moites. Elle ne pouvait plus continuer à fuir le combat. Au cours des six derniers mois, elle avait fini par comprendre qu’elle ne serait jamais aussi courageuse comme les Sorcières du Châtiment Divin. Le chef de train avait encore plus de courage qu’elle.
Néanmoins, elle savait qu’elle n’était pas seule pour combattre l’ennemi : Maggie, Loélia Joanna et toutes ses amies la soutenaient. Elles l’avaient aidée à surmonter sa peur et à tout recommencer.
Peu à peu, elle avait retrouvé son pouvoir et, au bout d’un an, était revenue au point où elle en était auparavant.
Il ne lui restait plus que deux obstacles à surmonter : survoler le Tueur de Magie et… lui asséner un coup en guise de représailles!
– « Je vous le laisse, Maggie », dit la jeune fille.
Elle déboutonna sa combinaison, fourra dedans le hibou dont seule la tête émergeait du col et accéléra, certaine qu’elle pourrait voler à la vitesse du son sur dix kilomètres.
– « Attention! » prévint Sylvie par le biais du pouvoir magique. « Il vous a repérées! »
Sa voix était entrecoupée, probablement en raison de la synchronisation du pouvoir magique.
Foudre avait déjà compris car à moins d’être sourd, le Diable l’avait sans doute entendue passer le mur du son. Ceci dit, elle était déjà bien en avance sur lui.
Quelques secondes plus tard, Maggie aperçut l’ennemi.
– « Monstre sur votre droite, Goo! »
Avant même que Foudre n’ait eu le temps d’apercevoir le Tueur de Magie sous le clair de lune, une brume de lumière noire recouvrit soudain le ciel!
L’ennemi, qui voyait certainement mieux dans le noir que Maggie, essayait de l’entraver. Voyant que Foudre était bien plus rapide que lui, il venait de générer une zone anti-magie.
La jeune sorcière accéléra au maximum et amorça sa descente.
Durant une fraction de seconde, elle sentit la brume noire glacée frôler ses chevilles. L’instant suivant, elle avait réussi à semer le Tueur de Magie et comme la zone anti-magie ne la menaçait plus, elle remonta et survola le camp des Diables.
Sous le clair de lune, Foudre vit l’ennemi pousser deux gros cylindres de Pierre du Châtiment Divin qui mesuraient au moins vingt mètres de long sur trois mètres de haut et ressemblaient à deux immenses clochers couchés. Derrière chacun, on pouvait apercevoir sept ou huit Diables Araignées qui évoluaient lentement en direction de la Première Armée et juste après, des tonnes de Diables Fous qui, visiblement, se servaient des piliers comme de bunkers mobiles.