Roland reçut au château Hache-de-Fer, Commandant en Chef de la Première Armée, et Édith Kant, Chef d’État-major.

– « Alors dites-moi, comment s’est passé votre premier vol sur le Goéland ? » Demanda-t-il en les regardant avec un certain intérêt.

– « C’était rapide, Votre Majesté », répondit Hache-De-Fer avec un regard terrifié, « …un peu trop pour moi. Je ne me suis jamais senti ainsi. Une fois assis à l’intérieur, je me suis aperçu qu’il tanguait fortement et lorsque l’appareil montait et descendait, je croyais tomber. Mais », ajouta-t-il avec un salut militaire, « je vous promets que je ferai l’impossible pour surmonter ma peur, Majesté! »

Apparemment, ce guerrier Mojin chevronné craignait l’altitude.

– « Comment comptez-vous faire ? » Demanda Roland, les sourcils levés.

– « Une fois cette guerre terminée, je regarderai le plus possible de Films Magiques et ce jusqu’à ce que ma peur soit passée. »

« Cela ressemble bien à un homme du Peuple des Sables », pensa le Roi, amusé. Puis il se tourna vers Édith :

– « Et vous ? »

La Perle de la Région du Nord humecta ses lèvres et, après un bref silence, répondit :

– « C’était fantastique. »

– « Vraiment ? »

Roland attendait qu’elle entre dans les détails mais Édith n’ajouta rien. Elle avait les joues un peu roses et les yeux brillants.

Le Roi soupira. Décidément, ses subalternes avaient tous des personnalités bien particulières. Lui qui s’attendait à les entendre, surpris et impressionnés, faire des éloges sur sa nouvelle invention, avait visiblement surestimé l’impact psychologique de l’avion.

– « Puisque vous êtes là, commençons la réunion. Nous devons nous préparer pour la bataille finale », dit-il en se levant.

Après six mois de travaux, la première et principale voie ferrée n’était plus qu’à 60 kilomètres des ruines de Taquila. Une fois achevée la construction de la Station de la Tour n ° 10, la Première Armée pourrait attaquer directement les Diables retranchés dans les ruines de la Ville Sainte. L’opération “Flambeau” à elle seul avait nécessité beaucoup plus de main-d’œuvre et de fournitures que les opérations militaires qu’ils avaient menées au cours des quatre précédentes années. 80 % du fer produit avaient servi à construire la voie ferrée et le seul but de cette opération était d’empêcher l’ennemi d’ériger l’Obélisque avant l’arrivée de la Lune Sanglante.

En effet, si jamais la Brume Rouge venait à envahir les Plaines Fertiles, les Diables pourraient à tout moment envahir l’intérieur depuis la Chaîne des Montagnes Infranchissables. Non seulement la Première Armée serait contrainte de mener une bataille acharnée mais les Diables ne seraient plus restreints par la distance. Les humains étant déjà moins nombreux que l’ennemi, Roland n’avait aucune envie de voir la bataille se dérouler de cette façon.

Cependant, s’ils parvenaient à s’emparer de Taquila avant le combat final, les Diables seraient contraints d’ériger leur Obélisque à la Cité des Météores ou à Arrieta, situées plus au Nord. Ils ne seraient donc plus une menace directe pour les Quatre Royaumes. Non seulement cela augmenterait leurs chances de remporter la Bataille de la Divine Volonté, mais l’humanité aurait quatre cents ans pour se refaire.

Graycastle étant entré dans une l’ère de l’industrialisation, Roland était convaincu que les êtres humains seraient bien plus performants au cours des 400 prochaines années, lorsque leur vie ne serait plus limitée par la nécessité de se nourrir et de survivre. Ces vastes plaines étaient donc devenues une zone tampon stratégique et en même temps, un territoire potentiel pour le développement à venir.

Les hommes finiraient bien par venir à bout des Diables.

Ceci dit, cette génération ne verrait peut-être pas cette victoire, c’est en grande partie pourquoi Roland n’avait pas expliqué en détails les raisons de cette opération.

Malheureusement, le plan ne se déroulait pas aussi bien qu’il l’avait espéré. Ils avaient prévu d’exterminer tous les démons de Taquila et d’en faire leur bastion, mais alors que la Première Armée n’était plus qu’à un pas du succès, le Tueur de Magie les avait contraints de modifier leurs plans.

En effet, le pouvoir de sa malédiction semblait incurable et de petites blessures pouvaient entraîner la mort. Si Foudre avait plus ou moins réussi à guérir, il n’en allait pas de même pour Chloris dont l’état de santé allait en s’aggravant.

Bien qu’elle n’ait rien dit au sujet de ses blessures, Cendres le voyait bien. De toute évidence, son état dépassait ses capacités d’auto guérison. Telle une lésion, la zone infectée s’étendait progressivement et finirait par tuer la patiente. Quelle que soit la durée du processus, Roland, qui ne pouvait se permettre de perdre en population, ne laisserait pas mourir Chloris.

Il était grand temps de prendre des mesures définitives concernant le Tueur de Magie et Taquila.

Les représentants des sorcières et de l’armée se retrouvèrent donc tous dans la salle de réunion pour discuter de la bataille à venir. Un écran déployé sur le mur représentait la Troisième Ville Frontalière. Le principal sujet de débat : comment éliminer ce Tueur de Magie capable d’infliger des malédictions mortelles.

Comme à son habitude, Édith fut la première à prendre la parole :

– « Tout d’abord, l’État-major pense que si le Tueur de Magie s’aperçoit que sa défaite est inévitable, il battra probablement en retraite. Ce n’est cependant qu’une hypothèse, car nous manquons de preuves tangibles mais si l’on en croit le fait qu’il se tient toujours à distance du camp, nous avons de bonnes raisons de croire qu’il est à l’opposé de Kabradhabi. »

– « Entièrement d’accord », intervint Althéa qui avait affronté les Diables plus que quiconque parmi les personnes présentes. « Courage ne signifie pas témérité et en ce sens, nous sommes d’accord avec les Diables. Un commandant supérieur étant beaucoup plus important qu’un Diable Fou, il est peu probable qu’il risque sa vie sans raison valable. »

– « Nous devrons donc prendre l’initiative de l’intercepter au moment où il battra en retraite », poursuivit Édith. « Heureusement, nous savons tout de l’ennemi et ce n’est pas la première fois que nous l’affrontons. » Elle se tourna vers Andrea : « Pour peu que le Tueur de Magie ne se doute de rien, tirer à longue distance est sans doute le moyen le plus sûr et le plus efficace d’en venir à bout. »

Andrea releva d’un geste gracieux les cheveux qui effleuraient son visage.

– « J’ai une question », intervint Tilly.

– « Parlez, Votre Altesse, je vous en prie », répondit la Perle de la Région du Nord, la main sur le cœur.

– « Tout d’abord, nous ne sommes pas certains qu’une seule balle suffira. Si jamais il survit, nous n’aurons pas de seconde chance. Ensuite, que se passera-t-il si jamais le Tueur de Magie, ayant remarqué la présence de cette arme à longue distance, tente d’éviter toute confrontation directe ? De par notre expérience, il est très probable qu’il agisse ainsi. J’ai l’impression que l’ennemi apprend des armes à feu bien plus vite que nous le souhaiterions. »

– « J’ai déjà envisagé ces deux possibilités », répondit Édith. « Dans la première hypothèse, sachez que l’État-major envisage d’utiliser une balle faite de Pierre du Châtiment Divin. »

– « Vraiment ? »

– « Oui, de cette façon même si nous ne parvenons pas à le tuer du premier coup, nous pourrons, à tout le moins, l’immobiliser. Il va de soi que plus la Pierre du Châtiment Divin est petite, moins elle est dure aussi serait-il très facile, avec un marteau, de réduire en poussière une pierre de la taille d’une balle. Par contre, nous pourrions tenter avec l’arme de Melle Andrea, dont le calibre est beaucoup plus gros. » Édith s’interrompit un court instant avant d’ajouter : « Je me suis concertée avec Dame Ayesha : Pour assurer sa dureté, il faudrait une pierre faite de sang magique. Comme elle en a recueilli deux flacons provenant de Diables, nous allons pouvoir faire des tests. »

– « Utiliser le sang des Diables pour les tuer ? Cette idée me plaît », dit Althéa en souriant.  « Pour la seconde fois, je m’avoue impressionnée par un mortel. »

La Perle de la Région du Nord lui rendit son sourire, indifférente à ce compliment.

– « Pour ce qui est du second problème, il me faudrait une unité de protection. »

– « Je ne connais que Foudre pour être plus rapide que le tueur de Magie », répondit Wendy avec appréhension. « Mais… elle ne pourra jamais l’arrêter. »

– « Je connais autre chose de plus rapide que lui », dit Édith.

– « À quoi pensez-vous ? » Demanda Tilly qui commençait à comprendre.

– « À un Goéland en piqué », répondit la Chef d’État-major en pesant chaque mot.