Le vieil homme continuait la cuisson du faisan, mais il l’avait placé trop près du foyer, de plus sa vitesse de rotation était trop lente. S’il continuait comme ça, la viande finirait carbonisée. Dans un Grill, faire cuire des aliments était chose facile : alimentée par du charbon de bois, la cuisson se faisait uniformément.
L’ancien utilisait du bois de chauffage, ce qui avait tendance à créer beaucoup de fumée. Cela dit, le faisan n’était pas trop cuit mais juste recouvert d’une couche de cendre, ce qui affectait non seulement sa texture mais surtout son goût!
À mesure qu’il enduisait la viande d’huile, la couche de cendre s’épaississait. Faire la cuisine avec du bois de chauffage n’était pas chose facile, même dans le monde moderne!
« Mais c’est une hérésie! »
En tant que glouton… ou plutôt que fin gourmet, Yi Yun pouvait difficilement le supporter. C’était une offense à l’art culinaire!
Tout ceci était compréhensible après tout, pour une personne de sa stature, cuisiner était une perte de temps.
Lorsque le faisan eut presque fini de rôtir, le vieil homme le parsema de diverses épices et l’offrit à Lin Xintong.
Voyant ce qu’il en restait, Yi se dit qu’elle n’aurait pas grand-chose à se mettre sous la dent.
Mais cela n’avait pas l’air de perturber son élève :
– « Merci maître », dit-elle en prenant de petites bouchées du faisan grillé.
Après avoir englouti intégralement la viande, la jeune fille essuya ses lèvres toutes noires.
Yi Yun en demeurait baba.
Il était tout à fait normal que le premier faisan rôti soit pour sa disciple, très précieuse aux yeux du vieil homme. Yi Yun serait sans doute le dernier servi, cependant, il était reconnaissant : un faisan comme celui-ci devait être si cher que Lian Chengyu lui-même n’aurait pu se l’offrir.
Le vieil homme grassouillet entama la cuisson du second volatile.
Le premier étant pour la jeune fille, l’ancien l’avait préparé avec un soin tout particulier. Autant dire que le sien était pire encore!
Quoi qu’il en soit, le vieil homme était très satisfait de son travail.
Alors qu’il eut terminé de griller le deuxième faisan, il sortit un pichet de vin et se mit à savourer la viande rôtie. Puis il se caressa la barbe et, se tournant vers Yi Yun, lui dit :
– « Tiens, c’est pour toi, tu peux le faire griller. »
– « Qu’est-ce que… » Le jeune garçon était sans voix. Ne lui avait-il pas dit : « Tu as de la chance! Rares sont ceux qui ont pu goûter à mes talents culinaires ? »
Yi Yun n’était guère confiant. Il avait déjà cuisiné dans le monde moderne et savait utiliser un barbecue, mais là, avec du bois de chauffage, c’était une autre histoire!
– « Auriez-vous un wok ? » Demanda-t-il poliment.
En effet, il ne voulait pas faire les choses à moitié. S’il fallait cuisiner, autant le faire bien.
– « Un wok ? Oui bien sûr! » répondit le vieil homme qui en sortit un de son anneau.
Bien que la marmite ait été fabriquée avec un matériau inconnu, sa taille était parfaite.
Le jeune garçon commença tout d’abord par identifier les différentes épices. Tout y était, de l’huile, du sel en passant par les sauces. Il y avait même des oignons verts et du persil.
– « Ce vin, puis-je vous l’emprunter ? » demanda Yi Yun.
– « Vous voulez prendre une coupe avec moi ? » Demanda en souriant le vieillard qui tendit le pichet à Yi Yun tout en se demandant : « Cet enfant aimerait-il le vin ? »
Bien qu’avare, il était assez porté à se faire des amis de beuverie. C’était du reste le principal intérêt de la boisson.
– « Maître! » Lin Xintong lui faisait de gros yeux : « Comment pouvez-vous donner de l’alcool à un enfant ? »
Mais à la surprise générale, Yi Yun répandit uniformément le vin sur toute la surface du faisan. Même l’intérieur eut droit à un généreux arrosage.
– « Que fais-tu donc, gamin ?! » Demanda le vieil homme dont la barbe se dressait. Passionné de grands vins, il ne pouvait supporter le gaspillage! De plus, celui-ci était un millésime de mille ans d’âge.
– « Je cuisine », répondit Yi Yun, surpris : « Je dois avouer que ce vin est bon. Son arôme est doux. Je me demande avec quel cépage ce trésor a été distillé. Une gorgée avant l’entraînement ne serait peut-être pas une mauvaise idée! »
– « Cuisiner ? Le vin peut être utilisé pour cuisiner ? » S’exclama le vieil homme qui ne pouvait se faire à cette idée.
Après réflexion, Yi Yun comprit que les méthodes culinaires de ce monde différaient de celles de la Terre.
Dans les temps anciens, en Chine, même quand l’art culinaire était à son apogée, les techniques de cuisson restaient simples.
À l’époque des Dynasties Tang et Song, tout était cuit à la vapeur, les légumes comme la viande.
Quant aux diverses façons de cuisiner, comme le sauté, la friture, la cuisson à l’anglaise ou encore à l’alcool, elles n’avaient pu se développer qu’à mesure que le pays s’enrichissait.
Chaque région ayant sa propre culture culinaire, 80 pourcents de la cuisine chinoise était spécifique.
Bien que cela puisse paraître incroyable, un simple sauté de légumes originaire de Chine avait fait le tour du monde, ce pays détenant le record de la complexité en matière de techniques culinaires.
Mais dans ce monde, la vie étant trop rude, les gens n’avaient plus l’énergie ni les moyens d’expérimenter des recettes.
Dans les villes riches, les experts n’avaient guère le temps de faire des recherches sur l’art de cuisiner. Ils se concentraient plutôt sur les arts martiaux et les techniques de raffinage des os de Créatures Fabuleuses.
Seuls les serviteurs des grands clans pouvaient effectuer ce genre de recherches et avec l’expérience, finissaient par réaliser de bons repas. Mais dans une petite région comme celle-ci, les compétences culinaires étaient très limitées. Même aux États-Unis, beaucoup ne savaient pas que l’on pouvait utiliser le vin et l’alcool pour cuisiner.
Yi Yun laqua le faisan avec de l’huile et de la sauce soja, puis, en plus du vin, il introduisit dans sa cavité abdominale des épices qui ressemblaient à des oignons printaniers et de la coriandre. Pour les avoir goûtées, ils savaient qu’elles valaient largement les vraies.
Vint ensuite le moment le plus important de la préparation. Le jeune garçon prit un chiffon propre et y enveloppa le volatile. Puis il versa dans la marmite une bonne quantité de sel, y enfonça le faisan, le recouvrit de sel et scella le couvercle.
Tout en mangeant, le vieil homme le regardait, interloqué! : « Pourquoi utiliser autant de sel et pourquoi avoir emballé le faisan ? Ce sera bien trop salé! Les pauvres de cette tribu ne connaissent-ils pas le sel ? Ce gamin est extravagant », pensa-t-il.
Quant à Lin Xintong, elle regardait avec curiosité la marmite posée sur le feu.
Peu à peu, une bonne odeur s’en échappa, si discrète que s’ils n’avaient pas eu les sens aiguisés par la pratique des arts martiaux, ils ne l’auraient certainement pas perçue.
Alors que le vieil homme, qui avait terminé son repas, léchait ses gros doigts, Yi Yun souleva le couvercle de la marmite et en retira précautionneusement le sel brûlant.
Il était prêt à manger.
Il avait fait appel à toutes ses compétences pour préparer ce faisan en croûte de sel, motivé, bien sûr, par l’énorme quantité d’énergie que contenait la viande. Rien à voir avec les poulets d’élevage que l’on trouvait sur Terre!
Avec ce vin d’une qualité exceptionnelle, le plat atteignait des sommets sans précédents.
– « Eh ? » s’exclama le vieil homme bedonnant en écarquillant les yeux.