Rex, qui attendait, tendit deux doigts et désigna successivement sa tête puis l’entrée de la grotte.
Simbady lui fit signe que tout allait bien de son côté.
Rex acquiesça, se retourna et entra dans la grotte.
Simbady leva les yeux vers les tuyaux de plongée suspendus au-dessus de lui. En trois jours, il avait non seulement appris le fonctionnement de base du scaphandre mais également les gestes et techniques de plongée. Il était extrêmement important de surveiller ces tuyaux, c’est pourquoi il était indispensable d’être deux.
Reliés à une pompe à air alimentée par une machine à vapeur, ceux-ci permettaient à l’air de circuler dans le casque. Si l’un d’entre eux venait à casser où à s’encrasser, les conséquences en seraient fatales c’est pourquoi il devait faire très attention en changeant de direction ou en empruntant des passages étroits et périlleux.
Voyant que rien ne saillait du plafond de la grotte, Simbady sauta dans l’obscurité.
Aussitôt, le bruit des vagues s’atténua. Il pouvait entendre le sifflement des valves à air et les battements sourds de son cœur.
Au bout de dix mètres environ, les ténèbres s’épaissirent. Simbady apercevait à peine la silhouette sombre de Rex qui, devant lui, descendait lentement dans l’abîme.
C’est alors que le sol se releva : le passage montait.
Moins de sept minutes plus tard, Simbady revit la mer. Mais cette fois, l’eau ondulait doucement et il n’y avait pas de taches dorées et brillantes.
Il retint son souffle et, à la suite de Rex, sortit de l’eau. Une grande caverne s’offrait à leurs yeux, dont une majeure partie était dans l’obscurité. Seule une petite partie du dôme était éclairée par une étrange lumière bleue réfléchie par la surface de la mer.
Cette grotte était-elle reliée au monde extérieur ?
Simbady se hissa sur la rive. Il était sur le point de retirer son casque lorsque Rex l’arrêta.
Le marchand sortit alors de son sac une lampe à huile étanche, l’alluma, l’observa un moment, puis seulement ôta son casque :
– « Apparemment, cet endroit n’est pas totalement coupé du monde extérieur », dit-il.
– « Du vent ? Ici ? » Fit Simbady, surpris de sentir un frisson sur sa joue.
– « Oui. Il y a peut-être d’autres sorties », répondit Rex, « nous avons donc de fortes chances de trouver des trésors ici. Quelle veine! »
Simbady, qui n’aurait jamais pensé trouver une grotte aussi gigantesque sous le désert étant donné la minceur de la paroi rocheuse et qui se souciait plus de la sécurité que d’éventuels trésors, se demandait si le plafond n’allait pas s’effondrer. Ils ne se trouvaient, en effet, qu’à vingt mètres sous l’eau.
Simbady décida donc, une fois sorti de là, de faire part de sa découverte à Graycastle. C’était peut-être un peu injuste envers la Société des Métiers Extraordinaires mais il devait s’assurer que cette grotte n’était pas un risque pour la sécurité du Port des Festivités, construit presqu’au-dessus.
– « Le vent semble venir de cette direction », dit Rex en posant son casque près de l’étang et en levant sa lampe à huile. « Allons jeter un coup d’œil. »
Simbady prit son couteau et le suivit prudemment. À mesure qu’ils l’exploraient, il trouvait cette grotte de plus en plus étrange.
Progressivement, la roche sur laquelle il marchait céda place à de la terre meuble et l’herbe remplaça les mousses. Simbady se serait cru à l’Oasis du Ruisseau d’Argent.
– « Incroyable! Des plantes vertes ici! » S’exclama Rex, étonné. « J’aurai cru qu’il n’y avait que la mousse et les champignons qui puisse pousser en pareil endroit. »
– « Peut-être devrions-nous rebrousser chemin », suggéra Simbady, hésitant. « J’ai l’impression que cet endroit… »
Il s’arrêta net.
– « Quoi cet endroit ? » Demanda Rex qui, n’obtenant pas de réponse, se retourna : « Hey, que regardez-vous ? Wow! Mais c’est une fleur! »
Simbady sentit sa poitrine se serrer. Près de lui poussait une jolie petite fleur aux pétales violets pastel et aux feuilles fragiles et délicates.
– « La Fleur de la Providence… », murmura-t-il.
– « Est-elle rare ? »
– « Non… On en voyait partout autrefois », répondit doucement Simbady. « Personnellement, je n’en avais encore jamais vu mais je connais la légende de l’Émissaire des Trois Dieux. On raconte que ce genre de fleur pousse le long des côtes et forme un splendide ruban violet. C’est la plus belle fleur de la Région de l’Extrême Sud. »
– « Il y avait des fleurs… dans le désert ? » Demanda Rex, stupéfait.
– « Cet endroit n’a pas toujours été un désert. Autrefois, ces terres étaient couvertes d’arbres, de prairies et de rivières », expliqua Simbady. « Ce n’est qu’après le départ de l’Émissaire des Trois Dieux que le désert s’est installé. Mais ce n’est pas là où je voulais en venir. Dans nos documents se trouve une description détaillée de la Fleur de la Providence. Il est dit qu’une fois que cette fleur s’est installée quelque part, on ne la verra jamais ailleurs. Si vous n’en avez pas vu dans l’oasis, c’est sans doute parce qu’elles ont disparu… »
– « Je vois », marmonna Rex en claquant la langue. « Il est possible que la désertification ne se soit pas étendue à cette grotte sous-marine, ce qui expliquerait que cette fleur ait survécu. »
« Vraiment ? » Se demanda Simbady, encore plus confus. Sans pouvoir s’expliquer pourquoi, il avait le sentiment que cette grotte était autrefois une oasis.
Les fleurs mauves devenant de plus en plus denses, il se dit que ce ne pouvait être une simple coïncidence.
Tandis qu’il se demandait s’il devait ou non poursuivre l’exploration, il entendit soudain un léger “craquement” sous ses pieds.
Un éclair jaillit alors du sol, créant un voile de lumière autour de lui.
– « Que se passe-t-il ? » Demanda Rex, surpris.
– « Je… je crois que j’ai marché sur quelque chose », répondit Simbady en ravalant avec peine sa salive. « On dirait une planche. »
– « Un piège ? » Rex en se penchant écarta l’herbe et les fleurs autour de lui.
Soudain, il éclata d’un rire qui remplit toute la grotte. Simbady sentit les poils de son cou se hérisser.
– « Pourquoi riez-vous ? Qu’avez-vous trouvé ? Parlez! »
– « Des trésors! Nous avons trouvé des trésors! » S’exclama Rex avec véhémence. « Regardez! »
À sa grande stupéfaction, Simbady aperçut sous la terre une dalle de pierre richement décorée de laquelle émanait une douce lueur. La lumière qui brillait sous ses pieds lui donnaient la transparence et la clarté du jade. Cependant, elle n’était pas aussi dure qu’il n’y paraissait car lorsqu’il mit le pied dessus, celle-ci s’enfonça de quelques centimètres.
Chose incroyable, aussitôt qu’il retira son pied, le creux disparut comme par magie et la surface retrouva son état d’origine. Puis la lumière s’estompa à son tour. On aurait dit que tout ce qu’il venait de voir n’était qu’une illusion.
– « Avez-vous déjà vu trésor plus étonnant ? » S’exclama Rex avec enthousiasme en piétinant la “dalle de pierre”. « Si je pouvais la faire parvenir au roi de Graycastle, j’obtiendrais à coup sûr le titre d’Explorateur Honoraire! »
– « Mais… elle est bien trop imposante », dit Simbady avec appréhension.
Rien qu’à voir la partie qui dépassait du sol, cette dalle était peut-être encore plus grande que Rex et lui allongés bout à bout. Il ne serait certainement pas simple de l’extraire de la grotte.
– « Nous nous débrouillerons. Je suis certain que nous trouverons un moyen. Peut-être devrions chercher d’autres issues et… » Rex s’interrompit soudain : « Hey! On dirait qu’il y en a une autre ici! »
Simbady fit quelques pas dans la direction indiquée et ne tarda pas à heurter du pied une autre “dalle de pierre. À la lumière tamisée, il aperçut alors bien d’autres dalles d’un blanc grisâtre qui semblaient flotter dans une mer de fleurs.
– « Il y en a une autre ici! Et ici aussi! »
Les deux hommes tentèrent de les compter mais durent renoncer. À mesure qu’ils avançaient, la lumière jaillissait de partout, les dalles remplaçant peu à peu les fleurs.
Soudain, ils se retrouvèrent face à un mur immense.
– « Oh mon Dieu… », s’écria Rex, le souffle court.
Simbady, qui avait un peu froid, leva lentement la tête et vit se dessiner un mur de pierre éclairé par une douce lumière. Ils eurent tôt fait de s’apercevoir qu’il ne s’agissait pas d’un mur mais d’une pile de dalles de pierre.
Si certaines étaient cassées et d’autres scindées en deux, la plupart avaient une forme rectangulaire. À voir la manière aléatoire dont elles étaient empilées, Simbady eut une sinistre impression.
On aurait dit des milliers de dalles funéraires.