– « On dirait bien que voilà un personnage important, Patron », dit Bébé en souriant.
Linley hocha légèrement la tête.
– « En effet, jamais un jeune homme issu d’un clan ordinaire n’aurait pour escorte deux experts de neuvième rang. »
– « Belita! » S’écria alors le jeune aux cheveux blonds et bouclés, accompagné de deux personnages d’âge moyen, d’un ton quelque peu irrité. Depuis l’entrée du restaurant, il avait les yeux rivés sur la jolie jeune femme aux cheveux pourpres. « As-tu l’intention de faire comme si rien ne s’était passé ? »
– « Ah, jeune maître Hubert [Ha’bo’te]! » S’exclama chaleureusement l’homme au gros nez. « Venez vous asseoir et discuter tranquillement avec Belita. »
– « Allez vous faire voir », siffla le jeune en le regardant froidement.
L’homme au gros nez eut un sourire gêné et se tut.
Belita fronça les sourcils. Elle se retourna, regarda le jeune homme aux cheveux d’or et lui dit d’un ton grave :
– « J’avoue, Hubert, que je ne me suis pas très bien comportée envers vous. Cependant, je ne vous aime pas, c’est aussi simple que ça. Ne perdez pas votre temps avec moi, jeune maître Hubert. Il y a bien d’autres femmes. »
Hubert demeura un moment silencieux, puis, les yeux pleins de haine, il répondit :
– « Très bien, Belita, très bien… Mais sache que jamais encore je n’avais été aussi courtois avec qui que ce soit. Je t’ai fait maints cadeaux en espérant que tu finirais pas m’aimer mais apparemment, ça n’a servi à rien », il prit un visage froid et ajouta : « Dans ce cas, ne m’en veux pas pour ce que je vais faire. »
Belita, qui, à son âge, était déjà en mesure de subvenir aux besoins de sa famille, devinait sans peine.
– « Hubert », dit-elle d’un ton doux, « pourquoi perdez-vous votre temps avec une fille issue d’un noble clan déchu alors qu’avec votre statut, vous pouvez avoir toutes celles que vous voulez ? »
– « J’ai toujours obtenu ce que je voulais », répondit Hubert, la mâchoire tremblante et l’air indifférent. « Emmenez-la, messieurs! »
À ces mots, Belita devint blanche comme un linge. Sachant à quel point la famille d’Hubert était puissante, elle s’était toujours bien gardée de l’offenser. Mais elle ne pouvait céder sur ce point.
– « Bien, jeune maître », répondirent les deux sinistres personnages qui l’accompagnaient en s’inclinant.
– « Attendez, attendez! » S’écria l’homme au gros nez en se jetant devant la jeune fille. « Je vous en supplie, jeune maître, épargnez ma fille! Je ferai tout ce que vous voudrez, dussé-je vous donner ce domaine ancestral, mais je vous en prie, épargnez-la! »
Belita regarda son père, stupéfaite.
Était-ce là son père qui aimait tant les apparences et passait son temps à boire et à semer le trouble ? Elle qui avait toujours eu un léger mépris pour lui réalisa soudain que ce père n’était pas du tout comme elle l’imaginait.
– « Qui voudrait de votre vieille baraque ? » Répondit Hubert d’un air dédaigneux. « Emmenez Belita et si cet homme tente de vous en empêcher, tuez-le! »
Les deux hommes s’approchèrent en ricanant.
Aussitôt, le patron du restaurant tenta de la protéger.
– « Éloigne-toi, père! » S’écria Belita en le repoussant. Mais son alcoolique de père demeura immobile devant-elle, comme doté d’une force incroyable.
– « Fichez-moi le camp! » Ordonna l’un des deux sbires, impitoyable, en lui donnant un grand coup de pied.
Dans le restaurant, personne n’osait faire le moindre bruit et encore moins intervenir, tous connaissant la puissance d’Hubert au sein de la ville de Hess.
Tous regardaient Belita et son père avec sympathie. À leurs yeux, en effet, leur destin était scellé.
Mais chose étrange, avant que son pied n’ait eu le temps de frapper, la jambe qui soutenait l’homme s’affaissa et il s’écroula comme un tas de boue, saignant de la bouche, du nez et des oreilles.
« Il est mort! » Murmura l’assistance, abasourdie.
L’arrogant Hubert lui-même était stupéfait. Quant à l’autre expert de neuvième rang, incrédule, il tomba à genoux près de son camarade :
– « Mon frère! Mon frère, que s’est-il passé ?! »
Cet homme, pourtant de neuvième rang, était mort subitement.
– « Qui a fait cela ? Montrez-vous! » Cria l’expert, une lueur de colère dans les yeux.
Personne n’osant proférer un son, l’expert ricana froidement :
– « Celui qui a tué mon frère ferait mieux d’obéir, sans quoi, je considérerai tout le monde ici responsable et vous mourrez tous! »
Une aura glaciale tomba sur le restaurant, qui était comble.
– « Fichez-moi le camp d’ici, vous et votre jeune maître! » Entendit-on soudain.
L’expert de neuvième rang se retourna immédiatement, suivi de Belita et de son père et ils aperçurent un jeune homme aux cheveux longs assis face à un autre, charmant, coiffé d’un chapeau de paille.
– « Qui êtes-vous pour oser vous mêler de mes affaires ? » S’écria Hubert d’un ton glacial.
Depuis qu’il était au monde, personne n’avait jamais osé outrepasser ses ordres. Il faisait tout ce qu’il voulait, en particulier dans la ville de Hess où il avait même plus de pouvoir que le Roi. Petit tyran depuis sa jeunesse, Hubert n’avait jamais eu peur de personne.
– « Vous m’ennuyez », répondit Bébé, mécontent, en lui jetant sa coupe de vin au visage. « Fichez-moi le camp! »
Abasourdi, Hubert s’essuya et ses yeux virèrent au rouge.
Des insultes! Jamais de sa vie on l’avait aussi mal traité! Et bien que Belita ait refusé ses avances avec délicatesse, il avait le sentiment d’avoir perdu la face et était extrêmement en colère.
– « Tuez-le! Tuez-le! » Hurla Hubert en désignant Bébé.
Ce dernier leva la tête vers lui avec un sourire narquois et…. disparut! On entendit un net bruit de gifle et Hubert vola en l’air avant d’aller s’écraser sur une chaise non loin. Sa tête formait un angle étrange avec le sol teinté de sang.
L’expert de neuvième rang blêmit et se précipita.
Il y eut un autre bruit de gifle et l’homme vola quelques mètres plus loin. Le coup lui fit cracher du sang, mais il était toujours en vie.
– « Vous n’êtes que de la chair morte », dit-il en se relevant avec peine.
En voyant la position étrange de la tête d’Hubert, il comprit que celui-ci avait rendu l’âme.
– « Vraiment ? » Fit Bébé, un sourire malicieux sur son charmant visage. Intentionnellement, il prit le temps de se recoiffer, remit son chapeau de paille et adressa à l’expert un sourire radieux. « Voyons à présent comment vous avez l’intention de nous tuer! »
Linley, qui observait, ne fit rien pour l’arrêter.
L’expert les regarda tous deux avec haine puis, levant la tête, poussa un hurlement de colère, un cri strident que l’ont pu entendre de l’extérieur.
– « Vite, fuyez! » Les pressa Belita qui ne voulait pas que ces deux jeunes gens soient blessés par sa faute. « Le père d’Hubert est un expert extrêmement puissant. Personne n’a jamais osé l’offenser. Partez immédiatement! »
Linley et Bébé se regardèrent.
Si Bébé n’avait pas tué cet expert, c’était uniquement dans l’espoir d’apprendre qui se cachait derrière lui, seul moyen de s’assurer que cette jeune fille n’aurait plus rien à craindre.
Soudain, on entendit au loin un bruit retentissant et presqu’instantanément, un personnage fit son apparition dans le restaurant. Sitôt qu’il l’aperçut, l’expert fléchit le genou :
– « Seigneur Reger [Lei’ge], votre subordonné n’a rien pu faire. Le jeune maître avait déjà été tué par ces deux hommes », dit-il en tremblant.
En voyant Hubert étendu sur le sol, la tête de travers, le nouvel arrivant, un homme barbu à la carrure puissante et aux yeux cruels, demeura un long moment stupéfait.
– « Comment se fait-il que le jeune maître soit mort et que vous soyez toujours en vie ? » Demanda-t-il à l’expert.
Ce dernier comprit aussitôt mais avant même qu’il n’ait eu le temps de réagir, une épée lumineuse lui trancha la tête qui traversa la pièce.
Bon nombre de clients écarquillèrent les yeux, terrifiés. Belita et son père restaient là, tous les deux, sans oser faire un bruit. La jeune fille regarda Linley et Bébé, les yeux remplis d’inquiétude.
– « C’est vous qui avez tué mon fils! » dit Reger en les regardant.
– « Exact », répondit Bébé en le regardant du coin de l’œil, méprisant.
Linley, qui avait été informé par son sens divin qu’en réalité, Reger n’était qu’un Saint, tout au plus un Premier Saint à en juger par le coup de lame qu’il venait de donner, ne prêtait pas attention à lui dans la mesure où il ne représentait pas une menace pour Bébé.
– « Que se passe-t-il, Reger ? » Demanda soudain un homme entre deux âges aux longs cheveux argentés qui se tenait à la porte de l’établissement.
– « Nous irons voir le Maître dans un instant mais d’abord, je vais tuer ces deux bâtards », répondit l’interpelé en grinçant des dents, les yeux injectés de sang.
« Le Maître ? » Linley fronça légèrement les sourcils.
L’homme aux cheveux d’argent jeta un coup d’œil surpris à Hubert qui gisait sur le sol. Il savait parfaitement combien il comptait pour Reger. Tous deux étaient des évadés de Gebados où les Premiers Saints comme eux représentaient le bas de l’échelon.
En prison, ceux-ci n’avaient pas le droit de voir des femmes et comme les experts en ont besoin, une fois évadés, ils avaient pu avoir des relations et Reger s’était retrouvé avec un fils.
Cela faisait dix mille ans qu’il était prisonnier et à l’époque, il avait des enfants. Mais après tant d’année, nul ne savait si sa lignée s’était éteinte ou non.
À plus de dix mille ans, Reger pouvait être considéré comme un homme âgé or quand un vieil homme a la chance d’avoir un enfant, il le gâte toujours énormément. Reger n’ayant qu’un fils, il le gâtait de façon incroyable et lui avait même donné pour gardes du corps deux experts de neuvième rang. Il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour satisfaire tous les caprices d’Hubert, qu’il considérait comme un trésor inestimable. Et voilà que ce fils était mort!
Se sentant lui aussi menacé par Bébé, il commença à accumuler du pouvoir.
De son côté, Bébé attendait tranquillement qu’il passe à l’attaque. Soudain, Reger laissa échapper un hurlement de colère et émit une lumière blanche suivie d’un sabre lumineux qui fonça droit sur le compagnon de route de Linley.
Les clients du restaurant, terrorisés et inquiets pour ce délicat jeune homme, blêmirent.
– « C’est tout ce que vous avez ? » Demanda Bébé en saisissant le sabre entre deux doigts.
« Formidable », pensa Linley dont les yeux s’illuminèrent. Certes les corps divins étaient puissants, mais jamais il n’aurait pu arrêter avec deux doigts le sabre d’un Premier Saint avec autant d’aisance que Bébé. « Il a toujours été puissant mais il semblerait qu’il le soit encore plus depuis qu’il est devenu une Divinité », soupira-t-il, admiratif.
L’assistance était stupéfaite et Reger, abasourdi, comprit alors qu’il avait sans doute affaire à un expert de niveau Divin.
Bien que furieux, il lâcha la lame de guerre qu’il tenait à la main et reprit ses esprits. Certes, son fils était mort mais il pourrait en avoir d’autres et quoiqu’il ressentît de la douleur d’avoir perdu cet enfant qu’il avait élevé durant tant d’année, ce n’était rien à côté de la crainte qu’il avait pour sa propre vie.
– « Puisque c’est vous, Mes Seigneurs, qui avez châtié mon fils, n’en parlons plus. Mon maître étant le Seigneur du Mont du Gong de Cuivre, j’ose espérer que vous m’épargnerez, par égard pour lui. »
Aux yeux de Belita et des autres, les choses prenaient une tournure très étrange.
Soudain, une lumière noire jaillit et un trou se forma dans la tête de Reger dont les yeux s’écarquillèrent de stupéfaction avant qu’il ne s’écroule.
– « Le Seigneur du Mont du Gong de Cuivre ? Jamais entendu parler! » Fit Bébé en lustrant ses ongles.
Le sourcils froncés, Linley regarda l’homme aux cheveux argentés abasourdi et terrifié :
– « Vous, venez un peu par ici! »