Mais Chloris ne pouvait pas l’entendre à cette distance.
Le point rouge était de plus en plus rapide et de plus en plus lumineux.
Que faire ?
– « Voyons…voyons… le téléphone! »
Sylvie se laissa glisser le long du poteau jusqu’à la salle de réunion souterraine et cria à Lumière du Matin :
– « Vite, appelez Chloris et dites-lui de fuir! »
Comprenant que quelque chose de grave venait de se produire, Ferlin décrocha le combiné sans plus de questions.
– « Fuir où ? » Demanda-t-il.
– « N’importe où! À la Cité Sans Hiver, au Sud de la forêt… aussi loin que possible du terminus! »
Toutes les personnes présentes dans la salle se tournèrent vers Sylvie.
– « Auriez-vous remarqué quelque chose ? » Demanda Edith.
– « Nous nous sommes tous trompés : la véritable cible des Diables est Chloris, uniquement Chloris! » répondit la sorcière en regardant nerveusement vers le Sud-Ouest. « Elle doit se concentrer pour contrôler la forêt et lorsqu’elle le fait, elle se transforme en une entité physique. Les Diables pourraient très bien la localiser grâce au flux de son pouvoir magique. S’ils ont mis le feu à la forêt, c’est uniquement pour la débusquer! »
– « Comment ?! » S’écria Edith, les sourcils froncés. « Vous pouvez vraiment voir les Diables à cette distance ? »
– « Oui… Ils sont particulièrement puissants », murmura-t-elle.
– « Mais Dame Chloris l’est tout autant », intervint Ferlin. « Si la forêt n’était pas en feu, elle aurait pu rivaliser avec une armée de Diables Fous. »
– « Il y a certainement autre chose que nous n’avions pas prévu », dit Sylvie à la vue du point de lumière rouge qui s’élevait rapidement, tel un serpent lorsqu’on le provoque. « Avez-vous pu avoir la communication ? »
– « Non… personne n’a décroché. »
De toute évidence, Chloris était totalement absorbée par l’incendie. S’ils n’agissaient pas immédiatement, dans une ou deux minutes, le point rouge aurait atteint la forêt.
– « Appelez le terminus », ordonna Edith. « Dites aux soldats en poste là-bas de prévenir Chloris et de la soutenir. »
– « Entendu », répondit Ferlin en décrochant un second téléphone.
Pendant qu’ils attendaient, nerveux, Sylvie vit la lumière rouge passer devant la cime des arbres et plonger, telle une funeste étoile filante.
« Aurait-elle l’intention de percer la défense depuis le ciel ? » Pensa Sylvie qui imaginait déjà le pire.
Il s’agissait certainement d’un Tueur de Magie.
Chloris frappa dans ses mains et poussa un soupir de soulagement.
« Ça devrait aller maintenant », pensa-t-elle.
Les arbres qui bordaient le camp étant désormais totalement séparés du Nord de la forêt, l’incendie ne serait plus une menace pour le terminus.
Néanmoins, elle se sentait toujours triste à la vue des arbres brûlés et flétris.
Combien de précieux souvenirs perdrait-elle si la partie de la forêt qu’elle contrôlait était en flammes ? La sorcière ne pouvait se faire à cette idée.
« Courage, Chloris! » Se dit-elle pour s’encourager. « Il va falloir aider à enrayer l’incendie! »
Elle regardait aux alentours du camp pour voir si elle pouvait se rendre utile lorsque tout à coup, un sifflement dans le ciel attira son attention.
Chloris leva les yeux. Il faisait presque nuit et sous le ciel d’un violet sombre, elle ne pouvait pas voir ce dont il s’agissait.
– « Attention! Fuyez! » Cria soudain quelqu’un derrière elle.
Sans prendre le temps de voir à qui elle avait à faire, la sorcière disparut dans les arbres. Au même moment, une ombre s’abattit sur le sol, la frôlant au passage et réduisant en poussière les feuille et les brindilles environnantes.
L’ombre se posa sans un bruit. Chloris se sentit prise de peur et avant même qu’elle n’ait pu réagir, l’air se mit à vibrer autour de l’assaillant.
En une fraction de seconde, son pouvoir magique se solidifia et se fissura tel un miroir.
Une force incroyable l’éjecta du tronc où elle se cachait et la rejeta en arrière dans un tourbillon de couleur.
Elle tomba lourdement sur le sol et cracha du sang.
C’est alors qu’elle vit ce qu’était vraiment cette ombre : un grand Diable aux traits nets, qui, si ce n’était sa peau d’un bleu profond et son étrange accoutrement, ressemblait à s’y méprendre à un être humain. Sa simple présence comprimait la poitrine de Chloris, comme si l’air était devenu épais, irrespirable.
À court de souffle, la sorcière se redressa, rassembla ce qui lui restait de forces et invoqua la forêt, mais celle-ci ne réagit pas.
Ce n’était pas la première fois qu’elle perdait tout contact avec le Cœur de la Forêt.
– « Un Tueur de Magie… » murmura-t-elle, le cœur tremblant.
Sans un cri, le Diable se précipita sur elle, griffes tendues.
Désespérée, Chloris ferma les yeux.
Mais la douleur anticipée ne vint pas.
Une énorme épée d’aspect étrange apparut et para le coup. Jamais Chloris ne pourrait oublier cette lame géante marquée d’un soleil d’or.
« Le messager de Cendres… »
– « Je suis votre adversaire, monstre! » Cria Cendres qui, échappant à la prise du Tueur de Magie, vint se dresser de toute sa splendeur devant Chloris.
– « Cen…Cendres ? » S’exclama cette dernière, surprise. « Vous n’êtes pas repartie pour la Cité Sans Hiver avec la Princesse Tilly ? Pourtant, je vous ai vue monter à bord du Goéland… »
– « C’était ce qui était prévu en effet », répondit l’Extraordinaire sans se retourner. « Mais j’ai senti quelque chose d’inhabituel dans ce feu et j’ai demandé à rester au cas où. »
« Ainsi, c’était-elle qui m’a prévenue tout à l’heure… »
– « Est-ce là le Tueur de Magie que vous avez vu l’autre jour ? »
– « Oui, mais faites bien attention. Il est beaucoup plus fort que le Diable Supérieur! »
– « Je m’en suis aperçue », répondit Cendres, son épée géante devant elle. « Ne vous inquiétez pas. Je ne l’emporterai peut-être pas mais je peux gagner du temps d’ici que les renforts n’arrivent. »
Le Tueur de Magie balaya le camp d’un regard méprisant et regarda froidement les deux sorcières.
– « Êtes-vous… une extraordinaire ? »
À leur grand étonnement, il parlait le langage humain, bien que sa prononciation ne soit pas tout à fait correcte. C’était plus incroyable encore que son apparence.
Jamais au cours des précédentes Batailles de la Divine Volonté les Diables et les sorcières n’avaient communiqué.
– « Vous…vous parlez notre langue ? » Ne put s’empêcher de demander Chloris.
– « L’apprentissage est le fondement de l’évolution. Vous êtes bien les seuls à être surpris de nos progrès », répondit le Diable Supérieur en écartant les mains. « Des milliers de choses ont changé au cours des siècles passés, mais vous vivez toujours à l’ancienne. Diables, Extraordinaires, même ces titres n’ont pas changé. C’est vraiment… pathétique. »
– « Que dites-vous ? » Gronda Cendres.
Pour toute réponse, le Diable invoqua une rafale de vent.
Cendres fit quelques pas en avant et agita fortement son épée géante. Le cyclone magique se dissipa sous l’influence de la Pierre du Châtiment Divin mais le Tueur de Magie était déjà parti.