Barnas et ses comparses s’étant retirés, les nuages se dissipèrent et le soleil revint sur le Château du Sang de Dragon.
Tous les habitants, stupéfaits, contemplaient les deux jeunes gens qui, au moment même où Barnas allait tous les tuer, avaient détruit l’un de ses clones.
À leur grande stupéfaction, il s’agissait des deux Rois des Rats Pourpres et Or.
« Hart, Harvey ? » Dit Linley, hésitant.
On entendit alors un grand rire : c’était Tarosse.
– « Je n’ai jamais compris que les trois fils de quelqu’un d’aussi puissant que le Seigneur Beyrut et qui sont plus vieux que moi car nés il y a des millions d’années soient encore au niveau Saint. Je me suis toujours douté que ces trois frères cachaient leur véritable puissance et il semblerait que j’avais raison. »
Hart et Harvey se mirent à rire.
Linley comprit aussitôt. Jusque-là, il ignorait l’âge des deux frères. C’aurait, en effet, été étrange qu’ayant vécu si longtemps et ayant pour père un Dieu Supérieur et Émissaire d’un Souverain, Hart et Harvey soient encore au niveau saint.
– « Comme je vous envie, les frères, d’être, ainsi que vos clones, en possession d’artefacts de niveau Dieu Supérieur », soupira Dylin.
– « Notre Seigneur et Père nous les a offerts lorsque nous avons atteint le niveau Divin », répondit Harvey dans sa robe dorée.
Tarosse, Dylin, le Dieu de la Guerre, la Grande Prêtresse, César et les autres soupirèrent : comment se comparer à eux ?
Alors que pour eux, obtenir un artefact de niveau Dieu Supérieur n’était qu’un rêve, Hart et Harvey en possédaient même pour chacun de leur clone!
Soudain, une pensée traversa l’esprit de Linley : le Seigneur Beyrut, responsable de la Nécropole des Dieux, avait sans doute usé de son autorité pour procurer ces artefacts à ces enfants.
« Pas étonnant que Sang Pourpre ait été utilisé pour contribuer à mettre en place le sceau de formation magique », pensa-t-il.
Si, pour le Seigneur Beyrut, un artefact de niveau Dieu Supérieur n’était que peu de choses, il n’était pas surprenant qu’il leur ait offert une Étincelle Divine le jour de leur mariage.
– « Ne restez pas plantés là comme des idiots », dit Délia en riant. « Hart et Harvey ayant uni leurs forces pour intimider nos ennemis, le domaine sera tranquille un certain temps. C’est merveilleux, nous devrions fêter cela comme il se doit! »
Hiri, l’intendant, eut un petit rire :
– « Je vais immédiatement donner l’ordre de préparer un banquet. »
La bonne humeur régnait, tous ayant compris que pour protéger Bébé, jamais le Seigneur Beyrut ne laisserait qui que ce soit menacer le Château du Sang de Dragon. Il avait suffi que Hart et Harvey interviennent pour intimider les forces ennemies!
C’était indiscutable.
Lors de la bataille, de nombreuses Divinités et de nombreux Saints que Barnas et ses hommes avaient attirés chemin faisant étaient cachés à distance du château et observaient.
Bon nombre d’entre eux avaient eu le souffle coupé en voyant Hanbritt changer la couleur de l’environnement.
La facilité avec laquelle Tarosse avait paré l’offensive de Hanbritt les avait amenés à penser que ce Dieu était vraiment redoutable.
En voyant Barnas attaquer, tous les experts, y compris les deux Dieux cachés à proximité, étaient restés stupéfaits devant le pouvoir de l’artefact de niveau Dieu Supérieur que ce dernier avait entre les mains. Mais qui aurait pu penser que Hart et Harvey passeraient à l’attaque ?
Ahuris, les spectateurs avaient vu les hommes de Barnas grièvement blessés tandis que lui-même perdait l’un de ses clones divins.
Hart et Harvey étaient d’une puissance stupéfiante!
Hart ayant volontairement fait en sorte que l’on entende sa voix de très loin, ces experts savaient désormais que le Château du Sang de Dragon était sous la protection du Seigneur Beyrut qui, visiblement, n’avait que faire du Dieu Supérieur Atkins, pourtant terriblement puissant. Comment de simples Dieux et Demi Dieux oseraient-ils contrarier les habitants du château ?
La nouvelle se répandit et bon nombre d’experts cachés sur le continent Yulan comprirent. À moins d’être de rang Dieu Supérieur ou plus, qui oserait irriter le Seigneur Beyrut ?
La réputation du Château du Sang de Dragon et de son maître Linley fit rapidement le tour du continent.
Au palais impérial de l’Empire O’Brien, sous le vent glacé qui hurlait et faisait onduler leurs longues tuniques, Barnas, Gatenby, Ojwin et Hanbritt se tenaient respectueusement alignés devant Adkins. Le visage sombre, un verre de vin couleur de sang à portée de la main, ce dernier les balaya d’un regard tranchant.
– « Ainsi, Barnas, votre clone a été détruit ? » Demanda-t-il en le voyant gravement blessé.
– « En effet », acquiesça l’intéressé.
– « Bâtards! » S’écria Adkins, furieux en brisant sa coupe de vin sur le sol. On aurait dit que ce son cristallin avait frappé au cœur Barnas, Ojwin et leurs comparses. Le bel Adkins avait désormais tout d’une panthère enragée.
« Suivez-moi! Nous allons de ce pas détruire ce château et tous ses habitants!!! »
Si Barnas, Ojwin, Gatenby et Hanbritt furent profondément choqués, seul Ojwin avait une lueur de joie dans les yeux. Si Adkins intervenait personnellement, il aurait alors une chance de venger son fils.
– « Seigneur Adkins! » Dit aussitôt Barnas. « Seigneur Adkins, vous ne pouvez pas! »
Adkins se retourna et lui lança un regard furieux :
– « Grand-père Barnas, votre clone vient d’être détruit, ce qui signifie que vous avez perdu une vie et nous ne vous vengerions pas ? »
Hanbritt et Ojwin étaient abasourdis.
Grand-père Barnas ?
Seul Gatenby ne fut pas surpris. Il suivait le Seigneur Adkins depuis longtemps et connaissait la relation existant entre eux. Bien avant qu’ils n’aient atteint le niveau Divin, Barnas était l’intendant d’Adkins. Il avait toujours veillé sur lui, plus exactement, il le faisait depuis qu’il avait atteint le niveau Divin, peu avant ce dernier.
Adkins, quoique très talentueux à l’entraînement, avait un tempérament plutôt violent. Parce qu’il avait causé des ennuis et mis en colère le Surveillant Planaire de Yulan, tous deux s’étaient retrouvés emprisonnés à Gebados. Barnas n’avait pas pour autant cessé de veiller sur Adkins qui avait fini par devenir plus puissant que lui et atteint le rang de Dieu Supérieur.
Cependant, Barnas était resté la personne la plus proche et la plus fiable qu’il ait jamais connue.
– « Ne soyez pas si impétueux », dit-il à Adkins.
Lui ? Impétueux ? Si quelqu’un d’autre lui avait parlé ainsi, ce dernier l’aurait tué sans ménagement.
– « Vous ne m’avez pas laissé terminer, Seigneur Adkins. Ce sont les hommes de Beyrut qui ont détruit mon clone. Or le château est sous sa protection. Nous y rendre serait nous exposer à devenir ouvertement ses ennemis. »
– « Un homme qui ne s’est entraîné que durant quelques millions d’années! », fit Adkins, une lueur froide dans les yeux. « Émissaire d’un Souverain ou non, je refuse de croire que je ne pourrais pas le tuer! »
Adkins pouvait être considéré comme un génie. Même à la prison de Gebados, où les experts étaient aussi communs que les nuages, les cinq Rois étaient les seuls à pouvoir réellement le soumettre.
S’il hésitait un peu vis-à-vis de Beyrut, c’était uniquement en raison de son statut d’Émissaire.
– « Seigneur Adkins, savez-vous quelles armes possèdent ces quatre personnages ? » Insista gravement Barnas.
– « Et quelles sont-elles ? »
– « Des artefacts de niveau Dieu Supérieur », répondit solennellement Barnas.
Adkins ne put s’empêcher de sursauter. Pour posséder un artefact de ce niveau, il aurait fallu qu’un Dieu Supérieur le cultive avec amour durant d’innombrables années. En général, il était impossible qu’un expert qui venait d’atteindre le rang de Dieu Supérieur en possède un.
Lui-même, quoique très puissant et malgré toutes ces années, n’avait cultivé en tout et pour tout que trois artefacts de niveau Dieu Supérieur, dont un qu’il avait offert à Barnas.
– « Ce ne sont sans doute que des cadeaux du Souverain », ricana-t-il.
– « Seigneur Adkins, ce n’est pas de Beyrut dont je vous parle mais de ses subordonnés. Réfléchissez : si ces personnages, qui n’en étaient en fait que deux avec leurs clones, possèdent chacun deux artefacts, qu’en est-il de Beyrut ? »
Adkins était vraiment hésitant à présent.
– « Il compte seulement sur le soutien du Souverain », répondit-il, le cœur débordant de fureur.
Ceci dit, il craignait que Beyrut soit en possession de nombreux et précieux artefacts, peut-être même de certains capables de protéger son âme. Si jamais il possédait un artefact de niveau Souverain, celui-ci lui donnerait une force terrifiante et ce même s’il n’était que Dieu Supérieur.
– « Pour que le Seigneur Beyrut ose agir ainsi, il faut qu’il soit vraiment confiant », reprit Barnas. « Après tout, je suis toujours en vie, j’ai seulement perdu un clone. Ce qui importe, c’est que vous puissiez acquérir les trésors de la Nécropole des Dieux, aussi mieux vaut ne pas faire de Beyrut notre ennemi pour le moment. »
Adkins demeura un moment silencieux.
– « Très bien » dit-il enfin, les dents serrées. « Je prendrai donc mon mal en patience durant mille ans, mais une fois que j’aurai obtenu ce dont j’ai besoin… je ferai regretter à Beyrut l’ignorance et l’arrogance dont il a fait montre aujourd’hui! »
Barnas laissa échapper un soupir de soulagement. Quoi qu’orgueilleux et incapable de prendre sur lui, Adkins écoutait toujours ses conseils.
Adkins ne se rendit donc pas au Château du Sang de Dragon et son silence amena bon nombre des experts échappés de la prison de Gebados à penser qu’il avait peur de Beyrut.
De retour dans le château métallique de la Forêt des Ténèbres, Beyrut, allongé sur un transat, sirotait une tasse de thé, un léger sourire aux lèvres.
« Apparemment, Adkins a réussi à prendre sur lui. Le plan Yulan est bien calme depuis quelques temps mais je doute qu’Hodan veuille rester seul. »
Il regarda en direction du Nord, sur la Calotte Glaciaire Arctique et comme si son regard perçait le voile de la réalité, aperçut le Surveillant Planaire.
« Tous ces experts s’imaginent-ils que la Nécropole des Dieux est une caverne aux trésors où ils peuvent venir se procurer des Étincelles Divines, des artefacts de niveau Dieu Supérieur et même Souverain ? Quel dommage que ce soit moi le gardien! »
Tel un renard, Beyrut avait une lueur d’impatience dans les yeux. Cela ne lui ferait pas de mal de se divertir un peu car il commençait à s’ennuyer après tout ce temps passé sur le continent Yulan.