Si Linley et ses compagnons avaient compris quelque chose, c’était que si l’on veut occuper un vaste territoire, il faut disposer du pouvoir adéquat.

Certes, le camp qui occupait l’Empire Yulan était dirigé par un Dieu. Mais combien de Dieux comptait-il dans ses rangs ? Oerph était-il le seul ? Ils n’en avaient aucune certitude.  

Or l’Empire Yulan, de par sa taille et sa population, surpassait largement l’Empire Baruch et restait, avec l’Empire O’Brien, le plus important de tout le continent. 

Pour avoir osé prendre le contrôle de l’Empire Yulan, les forces d’Oerph n’avaient rien à envier à celles d’Ojwin qui possédait deux clones divins et était capable de combattre Tarosse à égalité. Comment Linley et les siens pourraient-ils se risquer à l’irriter ? 

– « Catherine, dépêchez-vous de fusionner avec votre Étincelle Divine de niveau Dieu », ordonna Tarosse. « Quant à vous, Dylin, il va falloir vous entraîner dur et apprendre au plus vite à appliquer vos Lois à vos techniques d’attaques. »  

Le Grand Prêtre et Dylin acquiescèrent.

– « Le Seigneur Beyrut ne devrait pas rouvrir la Nécropole des Dieux de sitôt, aussi le chaos causé par toutes ces Divinités sur le continent Yulan devrait persister un moment », reprit-il. « Quant à nous, nous devons pouvoir nous entraîner tranquillement. Si personne ne nous dérange, nous ne dérangerons pas non plus. Par contre, si l’on nous cherche, nous nous montrons sans pitié », dit-il, le regard froid. 

« Bon, je pars pour la capitale impériale de l’Empire Baruch. Si Ojwin est là, je le jetterai dehors », ajouta Tarosse qui, durant leur combat, n’avait pas mis toute sa force.  

Or pour avoir pu devenir contrôleur des onze étages inférieurs de la Nécropole des Dieux, il devait posséder d’extraordinaires compétences.  

– « Quelque chose m’inquiète, Seigneur Tarosse », dit alors Linley en fronçant les sourcils.   

– « Parlez », répondit celui-ci avec un sourire.  

– « Pensez-vous qu’Adkins ait l’intention de nous attaquer ici ? » 

En effet, jamais il n’aurait pensé qu’Ojwin ayant repris son empire, viendrait attaquer le Château du Sang de Dragon, d’autant que lui-même ne lui avait jamais cherché de noises. Cela l’amenait à craindre que si un jour Adkins en avait le désir, il viendrait lui aussi s’en prendre à eux, ce qui serait terrible. 

– « Ne vous inquiétez pas », répondit Dylin en souriant. « Les Dieux Supérieurs ont leur fierté. Si vous ne les irritez pas, ils ne s’abaisseront pas à s’occuper de vous. D’une manière générale, les Dieux non plus. »  

Dans le monde des Divinités, une coutume voulait que seuls ceux de même niveau et de même statut s’affrontent. Jamais un Dieu n’irait tuer un Demi-Dieu si celui-ci ne se risquait pas à le mettre en colère. Par contre, si ce dernier outrepassait sa volonté ou l’irritait d’une quelconque façon, le Dieu n’aurait aucune pitié. 

Pour exemple, s’ils ne respectaient pas l’ordre de Beyrut interdisant aux Saints et aux Divinités de se massacrer ou de causer la moindre destruction dans les Dix Huit Duchés du Nord, ce dernier serait contraint de dévoiler une partie de son pouvoir, comme le jour où d’un simple revers de la main, il avait tué ces Demi-Dieux. 

– « Très bien », dit Linley, soulagé.  

Il se remémora le jour de l’arrivée d’Ojwin. Celui-ci ne l’avait pas attaqué personnellement mais avait chargé ses subordonnés de le faire.  Telle était la situation dans des endroits où les experts étaient monnaie courante. Lorsque deux camps se livraient la guerre, les chefs se battaient entre eux, idem pour les soldats.  

– « Tarosse, faites attention avec Ojwin », recommanda Dylin. « Ne le laissez pas vous battre. »  

– « Vous voulez rire! » Ricana celui-ci. « Pour qui me prenez-vous ? Un Dieu débutant comme vous qui se laisse facilement intimider ? »

Sur ce, Tarosse tourna les talons, quitta le château et prit son envol en direction de la capitale impériale.

– « Imbécile », murmura Dylin. 

Linley les regardait, le sourire aux lèvres, ravi que tout le monde aille bien et que le château ait retrouvé sa quiétude habituelle. À travers l’entrée de la salle, il leva la tête vers le ciel :

« Bébé arrive », pensa-t-il.  

– « Patron, pourquoi ne venez-vous pas vivre avec moi dans la Forêt des Ténèbres ? » Suggéra la Créature Magique. « Soyez tranquille, ce n’est certainement pas Grand-Père Beyrut qui m’empêchera de tous vous y emmener. Le moment venu, vous, moi, Taylor et les autres pourrons y vivre tous ensemble et je suis certain que nul n’osera s’aventurer dans la forêt. »  

En effet, Bébé aussi était inquiet depuis l’attaque d’Ojwin. 

– « Ne t’inquiète pas », répondit Linley en souriant. « Tarosse et Dylin sont là maintenant, et ce sont des Dieux. Ils n’oseront plus nous menacer à présent.  Quant à Adkins, je ne pense pas qu’il ait une quelconque raison de venir me chercher des histoires, à moi, un Demi Dieu. »

Bébé demeura un moment silencieux et dut reconnaître que ce que disait son maître avait du sens. Même si Linley décidait de venir vivre dans la Forêt des Ténèbres et qu’Adkins veuille le tuer, il pouvait toujours attendre que Beyrut s’absente et… Par ailleurs, un Dieu Supérieur s’abaisserait-il devant un Demi-Dieu ? 

– « Mais je dois dire que cette fois, c’était limite », soupira Linley, en proie aux émotions.  

Si Dylin n’était pas intervenu au moment critique, Olivier et lui auraient probablement été décimés. 

– « De quel danger parlez-vous ?» Rétorqua Bébé. « Grand-Père Beyrut était arrivé au château bien avant eux, seulement, il ne voulait agir qu’en dernier recours. Si Dylin et les autres n’avaient pas réussi, Il serait certainement intervenu. »  

Linley en fut surpris. 

– « S’il n’était pas intervenu, jusqu’à mon dernier souffle, plus jamais je ne l’aurais considéré comme mon grand-père », déclara la Créature Magique un peu en colère.  

– « Il ne faut pas oublier que Beyrut est aussi un Dieu Supérieur. J’ai même entendu dire qu’il était l’Émissaire d’un Souverain. Compte tenu de son statut… comment aurait-il pu intervenir avec tant de désinvolture ? » Dit Linley, comme pour prendre la défense de Beyrut. 

Bébé, qui aimait toujours beaucoup son Grand Père Beyrut et qui se savait aimé de lui se tut. N’ayant jamais connu ses parents, il était normal qu’il soit plus proche de Linley. 

« Ainsi, le Seigneur Beyrut était là avant eux, mais n’est pas intervenu », pensa ce dernier qui commençait à comprendre. 

De toute évidence, Beyrut s’était contenté de regarder périr le clone divin de Desri. Fier comme il l’était, la vie de Desri, pas plus que celle d’Olivier, ne lui importait et s’il se préoccupait un peu de lui, c’était uniquement à cause de Bébé.  

Pendant ce temps, dans la Forêt des Ténèbres…

– « Je vous ai pourtant bien recommandé de vous entraîner sérieusement aux Lois Élémentaires de la Terre, du Feu et de l’Eau! Si vous continuez ainsi, dans cent millions d’années, vous ne serez toujours pas devenus des Dieux Supérieurs! » Dit Beyrut aux trois Rois des Rats Pourpres et Or qui n’osaient faire le moindre bruit. « Hélas, je ne peux pas vous en vouloir », soupira-t-il en secouant la tête. « Vous êtes plus doués pour les Lois Élémentaires du Vent et des Ténèbres. Ceci dit, pour les autres, vous êtes vraiment, mais vraiment trop lents! » 

– « Père », répondit Harvey, « Voilà un million d’années que je m’entraîne et jamais je n’ai atteint le niveau Divin en ce qui concerne les Lois Élémentaires de la Terre, du Feu ou de l’Eau. Honnêtement, m’entraîner dans ces domaines m’épuise, ce qui n’est pas du tout le cas lorsque je travaille avec les Lois Élémentaires du Vent ou des Ténèbres où je suis particulièrement détendu. » 

– « N’y pense plus et fais comme bon te semble », répondit Beyrut en pensant : « Je ne devrais pas être si exigeant car j’ai déjà beaucoup. » 

« Ah Bébé, mon enfant », se dit-il avec un léger sourire résigné. « Je ne compte pas autant que Linley pour lui mais ce qu’il ne réalise pas, c’est que si celui-ci me demandait de l’aide, étant donné qu’il s’est occupé de Bébé pendant des années, je ne resterais pas là à le regarder mourir. Cependant, je ne peux lui venir en aide que dans certaines limites. » 

Tout puissant qu’il soit, un Dieu Supérieur ne pouvait pas se téléporter.

Même si Beyrut était en mesure de savoir, grâce à son sens Divin, qu’à des milliers de kilomètres de là, quelqu’un essayait de tuer Linley, il avait beau être rapide, il lui faudrait un peu de temps pour arriver sur place et si par malheur il n’arrivait pas à temps… 

– « Mes enfants, je n’ai rien d’autre à ajouter. Si vraiment vous êtes incapables de suivre le chemin que je vous ai préparé, je vous laisse libres de choisir votre propre voie. J’espère seulement que vous n’aurez pas à le regretter. »  

« Oui père. » répondirent-ils.

Hart et Harvey échangèrent un regard où passait une lueur de joie.  

Voyant cela, Beyrut ne put s’empêcher de soupirer. 

Parfois, les anciens ne se trompent pas en choisissant la voie de leurs enfants, mais si les siens ne voulaient pas, que pouvait-il y faire ? 

Une silhouette traversa les airs à grande vitesse et atterrit au Château du Sang de Dragon où une servante conduisit le nouveau venu jusqu’au terrain d’entraînement de Linley.  

– « Oh, Miller! Entrez! » Cria ce dernier depuis les jardins Ouest.  

Quelques jours auparavant, Tarosse avait contraint Ojwin et ses subordonnés à battre en retraite loin des frontières de l’Empire Baruch.

Le parc du château étant extrêmement vaste, Tarosse, Dylin, le Dieu de la Guerre et les autres logeaient désormais dans les jardins Est. Avec tous ces experts rassemblés, Ojwin lui-même ne se risquerait pas à revenir. Et bien qu’Olivier ait particulièrement confiance en lui, il savait quand aller de l’avant et quand se retirer, aussi résidait-il lui aussi au Château du Sang de Dragon, Ojwin ayant juré de le tuer.

Seul Desri manquait à l’appel car bien que Linley lui ait demandé mentalement de revenir le jour où il s’était enfui de la Dimension Miniature avec tous les autres, il avait préféré retourner dans son village de montagne secret. 

– « Seigneur Linley », dit Miller en s’inclinant, « Je vous en prie, accompagnez-moi. Le Seigneur Desri est très mal en point », s’empressa-t-il d’ajouter. 

– « Que lui arrive-t-il ? » S’enquit Linley en fronçant les sourcils.

– « Depuis qu’il est revenu, le Seigneur Desri s’est enfermé dans son bureau, interdisant à quiconque de le déranger. Nous avons tous vu que son regard était éteint. Dame Pennslyn a bien tenté d’aller lui parler, mais il l’a envoyée au diable. »  

– « Vraiment ? » dit Linley, stupéfait.  

– « Oui. Jamais encore le Seigneur Desri, qui a très bon caractère, ne s’était emporté contre elle. Par ailleurs, Madame a très bien senti qu’il était frustré et en très mauvaise forme », expliqua Miller.   

– « Allons-y! » Répondit sans hésiter Linley qui n’aurait jamais imaginé que cet échec puisse avoir un tel impact sur Desri. 

De son point de vue, si lui-même avait perdu son clone divin d’affinité Vent, il ne serait pas montré aussi emporté et découragé. Il aurait serré les dents et entrepris de se former dans une autre Loi Élémentaire, s’estimant heureux d’être encore en vie.

– « Mon frère, vous êtes venu! » Dit Reynolds en les voyant arriver, un léger sourire aux lèvres.  

Beaucoup plus mature que par le passé, ce dernier, cependant, n’était encore qu’un Archi Mage de neuvième rang. Il n’avait toujours pas réussi à atteindre le niveau Saint.

– « Allez le voir, Linley », dit Pennslyn en s’approchant avec un sourire triste. « Desri ne veut voir personne pour le moment et à ce qu’il me semble, il ne s’entraîne pas non plus. J’ignore ce qui le préoccupe. »  

Linley inclina légèrement la tête. Il venait de comprendre que Desri n’avait pas encore parlé à ses amis ni à sa famille de la destruction de son clone divin.

Pennslyn le conduisit aussitôt devant la porte d’un bureau qu’il poussa.  En voyant son ami assis en tailleur, Linley fut bouleversé.

Était-ce là le Desri élégant et raffiné qu’il connaissait ?