– « Quoi donc ? Parle! » Dit l’homme, impatienté.
– « Eh bien voilà : ma sœur vous a remis deux paquets de flèches et, conformément aux règles du clan, nous aurions dû obtenir davantage de nourriture… » Répondit Yi Yun d’un ton sérieux.
– « Quelle règle ? La seule règle ici est la force, donc ce que je décrète! » Persifla l’homme sur un ton agressif.
Yi Yun riait sous cape en pensant : « Quel idiot! Son arrogance le fait tomber droit dans mon piège. »
Il fixa sur lui un regard d’injustice.
– « Vous fixez peut-être les règles, mon frère, mais vous devez nous laisser de quoi vivre. »
En disant cela, il tenait compte du fait que tout le monde avait entendu sa précédente réponse, ce qui avait dû ébouriffer les plumes de plus d’une personne dans l’assistance.
Aussitôt, bon nombre de ceux qui se trouvaient derrière Yi Yun renchérirent :
« C’est vrai, mon frère. Je vous ai remis six pièces d’armure et je n’ai eu droit qu’à une toute petite ration. Je veux une explication moi aussi. »
– « Oui! Nous voulons savoir pourquoi les rations sont si maigres aujourd’hui! »
– « Je suis une personne âgée avec toute une famille à nourrir. Je n’aurai jamais assez! »
Cela faisait longtemps que les membres du clan Lian, qui enduraient la misère, brûlaient de se révolter contre les dirigeants mais compte tenu du fait qu’ils n’avaient pas de chef et vu la différence de forces, aucun d’entre eux n’osait s’avancer. Yi Yun l’ayant fait, ils ne pouvaient plus rester les bras croisés.
L’homme avait perdu sa belle assurance. Jamais il n’aurait cru que les paroles d’un enfant puissent causer un tel trouble parmi la foule. La situation s’aggravait et il commençait à en perdre le contrôle.
– « La ferme! » Rugit-il d’une voix sévèrement altérée.
– « Donnez-nous une explication. Nous voulons une explication! »
– « Pourquoi les rations sont-elles si maigres ? »
Lorsque les contrevenants sont légion, les lois tombent. Habituellement, la première personne à se manifester bénéficiait d’un “traitement spécial” mais les choses allant s’intensifiant, tous se sentaient encouragés.
Alors que la situation était sur le point de devenir incontrôlable, une voix claire retentit :
– « Vous voulez une explication ? Je vais vous la donner! »
Il y avait dans cette voix une énergie indescriptible qui en un instant, ramena le calme.
Tous se retournèrent pour voir d’où venait le son et virent s’avancer un jeune homme en armure d’argent, une longue épée à la main.
– « C’est le Jeune Maître Lian Chengyu »
– « Lian Chengyu ?! »
Son intervention surprit tout le monde.
De tous les membres de la tribu, Lian Chengyu, dont le talent était comparable au génie d’un vaste clan, était le plus susceptible de devenir un Guerrier au Sang Pourpre. Tout serait alors différent car le jour venu, ce jeune garçon serait en mesure de soutenir toute la tribu!
Si Lian Chengyu allait un peu plus loin et réussissait à impressionner un clan plus puissant, il pourrait certainement emmener toute sa tribu en ville. Or pour beaucoup de ses compatriotes, vivre en ville était une perspective paradisiaque, dans la mesure où il était bien trop difficile d’en construire une en pleine nature. Une ville humaine sans aucun expert pour la soutenir deviendrait aussitôt la cible des grandes et puissantes bêtes sauvages qui auraient tôt fait de la piétiner.
Qui n’aurait pas rêvé de vivre en toute sécurité dans l’une de ces cités entourées de solides remparts, avec de nombreux experts pour la protéger et un héritage de longue date ?
Ces gens avaient suffisamment de ressources alimentaires pour n’avoir à craindre ni la famine, ni la menace des bêtes.
Lian Chengyu était l’espoir du clan, sa position au sein de la tribu ayant même dépassé celle du Patriarche!
– « Grand-père », dit-il en reconnaissant le vieillard à la robe jaune.
– « Ah, Chengyu, puisque tu es là, je te laisse le soin de régler ceci. »
Au sein de ce clan bon nombre d’homme se mariaient à l’âge de 16 ans. Âgé de 17 ans, Lian Chengyu était tout à fait qualifié pour prendre des responsabilités.
Sans un mot à la tribu, il se tourna vers Yi Yun avec un sourire significatif :
– « Vous êtes Yi Yun, je me trompe ? »
Ce dernier fronça les sourcils. C’était à lui que Lian Chengyu s’adressait en premier et derrière son sourire, il pouvait pressentir le danger.
Bien que Yi Yun ait fait tout son possible pour que l’on pense que sa tentative d’agitation des foules était fortuite, volontaire ou non, Lian Chengyu, en sa qualité de représentant de l’autorité, était très susceptible de s’en prendre à lui.
– « Pas mal pour un enfant de douze ans. Mais tu n’as pas l’air d’un enfant. Peut-être un jour accompliras-tu de grandes choses! » dit Lian avec un sourire en lui tapotant l’épaule d’un air décontracté, ce qui en surprit beaucoup au sein de l’assistance car Yi Yun n’était qu’un gamin du peuple.
Par ailleurs, le compliment qu’avait fait Lian Chengyu à ce pauvre enfant était particulièrement remarquable. Lui ? Devenir quelqu’un de grand ? Était-ce possible ?
Bien qu’en désaccord, ces paroles venant de la bouche même de Lian Chengyu, il n’y avait rien à ajouter. À leurs yeux, pour être ainsi apprécié du Jeune Maître, ce garçon devait avoir la chance de son côté. Il se pourrait même qu’un jour, il se voie confier le rôle d’homme de main de Lian, un poste dont beaucoup rêvaient.
– « Le Jeune Maître me surestime », répondit Yi Yun avec un sourire crispé, le cœur tendu.
Depuis l’arrivée de Lian Chengyu, il était en état d’alerte maximale et tandis que ce dernier lui tapotait l’épaule, il avait aussitôt senti un engourdissement suivi d’une impression de chaleur qui s’était dissipée presque instantanément. S’il n’avait été aussi vigilant, il aurait pu penser que ce n’était qu’une illusion ou encore un symptôme dû à sa nervosité suite au contact de Lian.
Que pouvait bien lui vouloir ce garçon ? Était-ce une ruse ?
Yi Yun était persuadé que si ce dernier l’avait complimenté devant tout le monde en lui tapotant l’épaule, ce n’était pas pour rien. D’autant qu’il trouvait son regard plutôt hostile.
Lian Chengyu se tourna vers l’homme chargé de la distribution et ordonna :
– « Donnez-leur des rations! »
Quoique Jiang Xiaorou fût encore jeune, il était nécessaire, durant encore deux ans, de s’assurer qu’elle ne meure pas de faim.
– « Tout de suite, Jeune Maître! » Répondit celui-ci.
Bien qu’il ne fût guère disposé à obtempérer après avoir été piégé par Yi Yun, les ordres étaient les ordres.
Après un bref instant d’hésitation, il remit donc un sac de 25 kg de céréales au jeune garçon.
Redoublant de vigilance, Yi Yun prit un air reconnaissant et s’empara du sac :
– « Merci, Jeune Maître », dit-il, hypocritement.
Au fond de lui, il mourait d’envie de frapper Lian Chengyu. Jiang Xiaorou ayant travaillé dur pour obtenir un morceau de viande, on ne leur remettait qu’un sac de céréales et il fallait encore qu’ils se montrent reconnaissants! C’était tout bonnement grotesque!
Dans ce monde où la force faisait loi, le moins apte était jugé inférieur en tout!
« Comme j’aimerais lui faire les yeux au beurre noir! » Pensa Yi Yun.
Mais il afficha cependant un visage impassible.
En le voyant emporter de la nourriture pour deux à trois mois, les autres furent remplis de jalousie mais comme c’était Lian Chengyu en personne qui la lui avait fait remettre, ils n’osèrent rien dire et demandèrent simplement :
– « Jeune Maître Lian, auriez-vous la bonté de nous expliquer pourquoi les rations sont si maigres aujourd’hui ? »
– « Ouais, le Jeune Maître est supposé nous défendre! »
Mais déjà, Lian Chengyu était debout sur l’estrade, souriant. On aurait dit que le compliment qu’il avait adressé à Yi Yun ne comptait plus, qu’il n’était plus intéressé.
– « Mes chers compatriotes, vous avez travaillé dur pendant toutes ces années! » Commença-t-il, dans l’intention de calmer la foule.
Yi Yun jugeait cette tactique plutôt maladroite, mais étant donné la stature de Lian Chengyu, les pauvres se sentirent aussitôt flattés.
– « Vous vouliez une explication, la voici. Que l’on amène le coffre! »
Sur le geste de sa main, six hommes soulevèrent une grosse boite à l’aide de manches de bois.
Yi Yun se rappela alors du coffre que le Seigneur Tao, venu chercher les armes et les armures, avait laissé en partant. Cela devait provenir de la grande tribu!
– « Ouvrez-le! » Ordonna Lian Chengyu.
Il lui était impossible de cacher l’objet contenu dans le coffre, d’autant qu’il avait fallu du travail pour le réaliser.
Deux grands hommes obtempérèrent et aussitôt, il jaillit de la boîte une merveilleuse lumière qui émettait de superbes motifs.
Des acclamations de surprise montèrent de la foule qui n’avait jamais rien vu de tel.
Lian Chengyu s’avança, une pierre rouge à la main, et l’agita parmi les faisceaux lumineux qui réagirent en ondulant avant de disparaître peu à peu.
Aussitôt après, un air frais se répandit.