Yi Yun aurait eu bien du mal à décrire sa première impression. Cette jeune fille lui semblait étrangement familière.
Agée d’environ quinze ans, elle portait une blouse bleue rapiécée et un pantalon retroussé assez haut, trop sombre pour en discerner la couleur, et qui laissait deviner ses jambes blanches. Ses chevilles étaient parsemées de projections de boue fraîche.
Élancée, la taille fine, elle avait un visage radieux et des joues roses.
Elle descendait le chemin du village, pareille à une fraîche rosée des montagnes qui revigorait Yi Yun.
« Qui donc peut bien être cette fille ? »
Ils échangèrent un regard et durant un moment, elle resta là, hébétée, avant de relâcher la corde qui maintenait le panier sur son épaule.
Un sentiment étrange s’empara soudain de Yi Yun : Pourquoi cette jeune fille, semblable à un bouton de fleur et qui n’avait pas plus d’une quinzaine d’années, semblait-elle plus grande que lui de plus d’une demi-tête ? S’ils étaient plus près l’un de l’autre, il aurait dû lever les yeux pour la regarder!
« Ce doit être une illusion due à la fatigue… » Se dit le jeune homme qui n’y comprenait rien.
Soudain, il entendit l’adolescente l’appeler d’une voix aussi claire que l’eau d’un lac de montagne.
– « Yun’er! »
Bouche bée, ses beaux yeux débordants de larmes, elle laissa tomber son panier et courut vers lui.
« Une minute… une minute… »
Yi Yun regarda autour de lui, hébété, et s’aperçut qu’il était seul dans un rayon de quelques kilomètres. C’était donc vers lui que la jeune fille courait!
Était-ce à lui qu’elle s’adressait ainsi ?
Cette manière, plus douce, d’appeler une personne en complétant son prénom par la particule ‘Er’ * n’étant plus très actuelle, il n’était pas étonnant que le jeune homme n’ait pas réagi sur le coup. Personne, dans la société moderne, ne l’avait jamais appelé ainsi.
Rapide comme le vent, la jeune fille se précipita vers lui et l’étreignit, le laissant totalement pantois.
Un parfum frais assaillit ses narines tandis qu’elle l’enlaçait de son corps souple.
Yi Yun était abasourdi.
Tout d’abord il s’était retrouvé enterré vivant en escaladant une montagne, en était finalement ressorti… par une tombe et, après tous ces efforts, voilà qu’il se retrouvait dans les bras d’une jeune fille inconnue!
Jamais il n’aurait pu imaginer, lui, un jeune adulte, qu’une adolescente agirait ainsi envers lui. Qu’est-ce que tout cela pouvait bien signifier ?
– « Yun’er, ta sœur était malade d’inquiétude! Heureusement, tu vas bien! » Dit-elle, le menton niché contre son épaule.
Elle le serra très fort, comme si elle avait voulu ne faire plus qu’un avec lui, comme si elle craignait que ce ne soit qu’un rêve et que si elle le relâchait, Yi Yun disparaisse à nouveau.
Le jeune homme, quant à lui, était aussi pétrifié qu’une gargouille. Une myriade d’expressions passait sur son visage.
« Ma sœur ? »
Après tous les évènements déroutants qu’il venait de traverser, il comprit soudain que cette jeune fille était la sœur aînée mentionnée sur “sa” tombe, celle qui avait écrit : « À mon frère bien-aimé »!
Voyant qu’en effet, elle le traitait comme son jeune frère, il se dit que, peut-être, celui-ci lui manquait tellement qu’elle l’avait pris pour lui.
Yi Yun avait beau chercher une explication rationnelle, plus il réfléchissait, plus tout cela lui semblait louche. Cette jeune fille était sans doute au collège et son jeune frère ne devait pas avoir plus de douze ou treize ans. Comment expliquer qu’elle ait pu le confondre avec un adulte ?
Soudain, quelque chose lui traversa l’esprit :
« Une minute… » se dit-il. « Un adulte ? »
Il compara sa taille à celle de la jeune fille et, constatant que sa bouche ne lui arrivait qu’aux épaules, il eut un sombre pressentiment.
Il retira ses bras de dessous ceux de l’adolescente et regarda ses mains.
Elles étaient douces et tendres, comme celles d’un enfant.
« Sont-ce là mes mains ? Aurais-je rajeuni ? Je… »
Yi Yun était totalement confus.
Il avait rajeuni, se découvrait soudain une sœur, une identité déconcertante… Ajouté à ces anciennes tombes, ces plaines inconnues, cette langue étrangère qu’il pouvait lire, écouter et comprendre, tout cela n’avait qu’une explication possible.
Cependant, Yi Yun se refusait à croire ce que son instinct lui soufflait.
La jeune fille frissonnait. Était-ce de joie ? De peur ? Si le jeune homme ne se rappelait rien la concernant, il percevait sa chaleur et ses sentiments. C’était magique.
La main de Yi Yun dans la sienne, l’adolescente essuya ses larmes et alla chercher son panier dans l’intention de rentrer chez elle.
Le mouvement fit chanceler Yi Yun, comme s’il avait la nausée.
Il porta la main à son estomac et s’aperçut soudain qu’il avait… faim.
Il n’avait rien mangé ni bu depuis qu’il avait été enterré vivant, aussi était-il tout à fait normal qu’il soit affamé. Sans cette étrange carte de cristal pourpre, il serait mort depuis longtemps.
Voyant sa faiblesse, la jeune fille se pencha et lui tendis un dos doux et chaud où perlaient quelques gouttes de sueur.
– « Ta sœur va te porter. Rentrons chez nous et ne nous quittons plus. »
Yi Yun n’aurait su décrire ses sentiments : se faire porter par une jeune fille!!
– « Grimpe, Yun’er! Ton corps a peut-être récupéré mais il est encore faible… »
Elle jeta un coup d’œil vers le tunnel d’où Yi Yun était sorti et en ressentit de la douleur.
Son frère cadet n’était pas mort. Il avait repris conscience et par chance, il n’était pas enterré trop profondément.
Heureusement qu’ils étaient trop pauvres pour lui offrir un cercueil, sans quoi il aurait été enterré vivant! Si cela s’était produit, ç’aurait été pire pour elle que d’endurer mille coups de fouet.
Plus jamais elle ne se séparerait de son jeune frère.
Voyant que Yi Yun s’obstinait à ne pas grimper sur son dos, elle se dit qu’il était sans doute gêné. Elle repoussa donc le panier vers l’avant et serra fermement les cuisses du garçon contre sa taille.
Confus et sans savoir comment, Yi Yun se retrouva sur le dos de la jeune fille. Il avait seulement senti son corps soulevé jusqu’à ses douces épaules, tout son poids reposant désormais sur ses jambes minces.
Agrippant de ses petites mains les jambes de Yi Yun, l’adolescente ajusta sa position et descendit le petit sentier.
Appuyé contre son dos, il pouvait sentir son parfum. C’était une rafraîchissante odeur de fleurs sauvages et de terre, très différente des lotions et eaux de toilettes qu’utilisaient les citadins.
Il commençait à comprendre…
Comment dire, dans sa propre langue, à une jeune fille qui n’était pas sa sœur qu’il ne voulait pas qu’elle le porte ? C’était très embarrassant.
Soudain, Yi Yun entendit un grondement dans le lointain. Instinctivement, il se retourna, aussitôt imité par l’adolescente.
Une tempête de poussière se formait au loin.
La fille tressaillit et courut se cacher derrière un grand arbre, Yi Yun toujours sur son dos.
La tempête se rapprochait à une vitesse fulgurante. Le souffle court, il regarda attentivement et vit une énorme bête courir dans la plaine.
« Dieu du Ciel! Serait-ce une bête sauvage ?! »
L’animal mesurait sept à huit mètres de haut sur plus de dix mètres de long. Il avait de longs crocs pointus et des membres aussi épais que des poutres d’acier. Ses griffes tranchantes, telles des lames, laissaient sur le sol de profonds et terribles sillons.
Comparés à ce monstre, les animaux terrestres comme le lion ou le tigre avaient l’air de chatons.
Mais le plus surprenant était l’homme entre deux âges qui chevauchait la bête. Assis en tailleur, une épée en bandoulière sur le dos, il émanait de lui une aura imposante. Yi Yun ne pouvait pas voir son visage, mais son sang se figea à la vue de cette silhouette, dix fois plus terrifiante encore que la bête sauvage.
Aucun doute possible : il n’était plus sur Terre mais dans un monde mystérieux.
Lui, Yi Yun, était ressuscité d’entre les morts et avait désormais une ravissante sœur aînée qui, de plus, l’adorait et dont le nom, visiblement, était Jiang Xiaorou.
Le fait d’inscrire son nom sur la tombe n’était pas nécessairement une signature, dans la mesure où il était courant d’y mentionner les êtres chers du défunt.
Apparemment, Jiang Xiaorou était sa seule famille.
Ce n’était pas un rêve. Il avait vraiment traversé l’espace-temps.
« Bon sang! On se fiche de moi!? » Aurait-il voulu crier. « Quelle malchance! Escalader une montagne et se retrouver en train de creuser un tunnel à travers l’espace-temps! »
Certes, cela valait mieux que la mort, mais… atterrir dans un monde totalement inconnu peuplé de bêtes de la taille d’une colline et de gens incroyablement forts…
À en juger par l’épée que portait cet homme, il se trouvait sans doute à une époque où régnaient les armes blanches.
Avec sa petite et fragile stature de garçon d’environ douze ans, Yi Yun ne pourrait même pas combler la dent creuse d’une bête sauvage!
Il était catégorique : tout était lié au fait qu’il ait touché cette mystérieuse carte de cristal pourpre. Peut-être même avait-il quitté la Terre et était-il devenu ce nouveau Yi Yun au moment même où la grotte s’était effondrée, mais ne s’en était pas aperçu en raison de l’obscurité.
Si la carte de cristal était cause de son arrivée dans ce monde, avait-elle également le pouvoir de le ramener dans l’autre ?
Telle fut sa première pensée. En effet, il était difficile pour un jeune homme qui menait une vie tranquille dans le monde moderne de se faire à cette époque médiévale qu’il ne connaissait absolument pas. La seule chose qui lui restait après avoir tout perdu était une multitude d’interrogations.
« Mais où est cette carte de cristal ? » Se demanda-t-il soudain.
À peine s’était-il posé la question qu’il éprouva une sensation de froid au niveau de la poitrine. Il y glissa la main et découvrit avec surprise que la carte était là, bien en sécurité.
Il ne se souvenait pas l’y avoir mise, pourtant, elle était bien là!
« Bon sang, mais que se passe-t-il ? » Se demanda le jeune garçon, complètement déboussolé.
Ceci dit, ce n’était pas simple à comprendre.
De toute évidence, cette carte n’était pas ordinaire. S’il parvenait à l’étudier et comprendre son rôle, qu’il reste dans ce monde ou retourne sur Terre, elle jouerait sans aucun doute un rôle immense.
Il allait devoir s’empresser de percer à jour ses mystères.
Soudain, alors qu’il cherchait à nommer la carte, des mots venus de nulle part s’imposèrent à l’esprit de Yi Yun : Cristal Pourpre Originel.
« Cristal Pourpre… Cristal Pourpre Originel… Pourquoi ces mots me viennent-ils à l’esprit ? » Se Demanda-t-il, perplexe.
« Appelons la simplement Cristal Pourpre… à moins que son véritable nom ne soit Cristal Pourpre Originel ? »
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NDT : *En Chine, l’ajout de la particule “er” (qui, textuellement, signifie “enfant”) au prénom était, autrefois, un signe d’affection réservé à l’entourage proche.