Si, comme le jour de passage à l’âge adulte de Lucia, l’évolution de Foudre était un évènement joyeux, elle causait cependant quelque souci à Roland.
Aussi, le lendemain matin, après avoir écouté le rapport de Barov, demanda-t-il :
– « Quelqu’un a-t-il été blessé dans le quartier la nuit dernière ? »
– « Oui, Votre Majesté… » Se lamenta le Directeur à l’autre bout du fil. « Un homme malchanceux avait l’intention d’aller aux toilettes, mais l’explosion l’a tellement effrayé qu’il est tombé et s’est cassé le pied. Deux autres gars sont tombés de leur lit et se sont blessés à la tête. Ce matin, un important groupe de citoyens inquiets est venu nous demander si la Cité Sans Hiver était attaquée par des Diables ou des bêtes démoniaques. Le personnel a eu grand mal à les rassurer. Majesté, si une telle chose devait se produire, auriez-vous l’obligeance de m’en avertir à l’avance ? »
Même à travers l’écouteur, Roland pouvait imaginer le visage affligé de Barov, trop inquiet pour attendre le lever du soleil.
– « Comment vont les blessés maintenant ? »
– « Ils ont tous été envoyés à l’hôpital. Leur vie n’est pas en danger, mais les citoyens en parlent encore. La place centrale est encombrée de gens attroupés devant les panneaux d’affichage et qui attendent les nouvelles. J’imagine que cet incident résulte de la capacité d’une sorcière, mais ceci dit, si vous m’aviez prévenu, je n’aurais pas eu à vous déranger pour un problème aussi mineur. »
– « Je sais, mais les phénomènes liés à la magie sont par nature imprévisibles. Ne croyez pas que je n’ai pas confiance en vous », réconforta le Roi. « Pour ce qui est de l’annonce, dites simplement aux citoyens que j’étudie de nouvelles armes et que des incidents similaires risquent fort de se reproduire. Ne vous inquiétez pas pour la sécurité, en cas d’attaque ennemie, l’alarme les préviendra. Ah, pendant que j’y pense, l’Hôtel de Ville règlera les soins médicaux des blessés. »
– « Très bien, Votre Majesté », répondit à contrecœur Barov.
Roland secoua la tête et raccrocha.
Depuis quelques temps, il trouvait le Directeur de l’Hôtel de Ville plutôt collant. Certes, il gérait parfaitement les affaires du gouvernement, ce ton du style : “Votre Majesté, je me suis dévoué corps et âme pour vous servir, ne me laissez pas tomber” lui donnait la chair de poule.
En revanche, ses contacts avec la Perle de la Région du Nord était beaucoup plus rapides et harmonieux.
Où pouvait-elle bien être à présent ?
Roland chassa ses pensées distrayantes et regarda Foudre qui, assise devant son bureau, jouait avec ses cheveux.
– « Vous avez certainement entendu ma conversation, tout à l’heure, non ? »
– « Oh… », dit la jeune fille, contrite. « C’est ma faute, Votre Majesté. Je mérite d’être punie. Donnez-moi deux exercices à faire, je vous prie. »
Roland regarda Maggie perché sur la tête de son amie qui s’efforça de détourner son regard pour prendre une expression indifférente.
Malgré la proximité des membres de l’Équipe d’Exploration, lorsque Maggie se voyait confrontée à cette question d’exercices, elle préférait garder le silence.
Roland tenta de résister mais ne put se retenir de rire :
– « Relevez la tête, jeune fille. Ce n’est pas votre faute, d’autant que c’est moi qui vous ai autorisée à voler. La responsabilité m’en revient en partie. »
– « Vraiment ? » Demanda Foudre, les yeux brillants.
– « Evidemment! Vous ne pouviez pas savoir que votre nouveau pouvoir causerait de tels dégâts. Par ailleurs, les conséquences n’étant pas très grave, vous pouvez oublier les exercices. »
Comme, la nuit précédente, Foudre volait droit en direction de la Chaîne des Montagnes Infranchissables, l’impact sur la zone résidentielle avait été minime. Mis à part les quelques vitres fissurées du château et du bâtiment diplomatique, tout était intact. Par ailleurs, la sorcière ayant pris de l’altitude en survolant le Secteur des Fours, aucun autre dommage n’avait été causé.
– « Votre Majesté, vous êtes si bon! » S’exclama Foudre qui, en cet instant, semblait avoir retrouvé toute son énergie.
Quant à Maggie, elle en fut si soulagée qu’elle déploya ses ailes.
Voyant que toutes deux étaient sur le point de se jeter sur lui, Roland leva la main et les arrêta net.
– « Le vol à grande vitesse consomme-t-il vraiment autant de pouvoir magique ? » Demanda-t-il. « Si je ne me trompe, vous n’avez volé que quinze minutes la nuit dernière. »
– « Moi aussi j’ai été très surprise », répondit Foudre, embarrassée. « Voulant libérer une partie de ma magie, j’ai tenté d’accélérer pour tester ses limites, mais jamais je n’aurais pensé en dépenser autant en si peu de temps. J’ai même failli tomber du ciel! »
– « Pourriez-vous aller encore plus vite ? » Demanda Wendy, qui enregistrait les données.
Elle venait de soulever un point important.
– « Oui », répondit Foudre, confiante, « si j’ai suffisamment de magie. Je n’entendais même plus le vent dans mes oreilles et je n’ai rien perçu qui puisse m’empêcher de voler encore plus vite. »
– « Maggie a-t-elle pu rester perchée sur votre tête ? »
– « Goo! » répondit Maggie avant même que Foudre n’ait pu ouvrir la bouche. « Trop rapide! Étourdie! Bras! »
Était-elle en train de dire que la vitesse lui causait tant d’inconfort que Foudre avait dû la prendre dans ses bras ? Roland se rendit compte que sa capacité à comprendre le langage des pigeons s’était considérablement améliorée au point qu’il était désormais capable de combler les blancs.
– « Seulement une sensation de vertige ? » S’enquit à son tour Ayesha qui était elle aussi chargée des tests d’aptitude. « N’avez-vous pas ressenti de modifications dans le flux d’air ? »
Foudre réfléchit un instant.
– « Même si je portais des lunettes protectrices, arrivée à mi-chemin, j’ai eu l’impression que le vent avait disparu. »
– « Qu’en pensez-vous ? » Demanda Roland à la Sorcière des Glaces. « Ce type de capacité dérivée a-t-il déjà été répertorié du temps de l’Union ? »
Foudre avait interrompu l’expérience en manquant d’utiliser, par inadvertance, la totalité de son pouvoir magique, cependant, l’Association des Sorcières avait déjà mis en place un système de procédures d’évaluation qui, combinées à l’expérience de l’Union, serait suffisant pour formuler une estimation à l’aide de la Pierre de Mesure même si la capacité ne pouvait pas être observée.
À en croire Foudre, elle n’avait mis que trois minutes environ pour traverser la Chaîne des Montagnes Infranchissables avant de s’envoler pour les Terres Barbares, ce qui, en temps normal nécessitait environ une demi-heure de trajet. Le coup de tonnerre dans le ciel nocturne était significatif : l’évolution de sa capacité lui permettait désormais de franchir le mur du son.
Roland n’eut guère besoin de passer du temps à lui expliquer ce concept. Ayesha ayant toujours été parmi celles qui apprenaient le plus vite, elle comprit en peu de mots ce dont il s’agissait.
La nature ne manquait pas de créatures pouvant atteindre la vitesse du son en peu de temps. Les êtres humains aussi avaient réussi à voyager à cette vitesse, mais cela ne signifiait pas pour autant que ce soit chose facile. Si Foudre n’en avait pas été affectée, c’était indubitablement grâce à sa compétence dérivée.
– « Je pense que c’est ce que l’on appelle une “synchronisation magique” », dit Ayesha qui, après un moment de réflexion, ajouta : « Ce type de capacité dérivée se manifeste généralement chez les sorcières dont la capacité principale est susceptible de les mettre en danger. Nous n’avons donc que peu de données à ce sujet. Il s’agirait essentiellement d’une sorte de cocon qui enveloppe les sorcières et dont le maintien nécessite beaucoup de pouvoir magique. Plus la différence entre les environnement interne et externe est grande, plus la consommation magique est rapide. En d’autres termes… »
– « Si Foudre a épuisé aussi rapidement son pouvoir magique, ce n’était pas à cause du vol mais de sa capacité dérivée », coupa Wendy.
– « C’est exact », acquiesça Ayesha. « La plupart des capacités dérivées sont destinées à soutenir la capacité principale dont les effets, sinon, seraient considérablement réduits. Il serait donc difficile de les utiliser à leur plein potentiel. J’en veux pour exemple le Livre Magique de Sophia ou le monde coloré de Lucia. Il en va de même de la synchronisation des pouvoirs magiques. Aussi, plutôt que de risquer d’être grièvement blessée, il serait plus judicieux pour elle de moins voler. »