La Grande Digue de Botha s’étendait des berges de la rivière Yulan au centre et ressemblait à un immense quai.
En toute logique, battue depuis des milliers d’années par les flots de la rivière capables d’éroder une montagne, elle aurait dû être endommagée, mais ce n’était pas le cas.
C’était plutôt étrange, et c’était précisément cette étrangeté qui avait fait de cette digue un lieu célèbre sur tout le continent.
Habituellement, cette Grande Digue, située à l’endroit où la rivière séparait les Empires Yulan et Rohaut, était un lieu particulièrement bruyant, mais en ce 16 janvier de l’année 10044, une dizaine de Saints y maintenaient un ordre de fer, interdisant à quiconque de s’en approcher.
Les gens s’étaient donc rassemblés sur les berges de la rivière pour observer ce qui allait se passer.
« Jamais je n’ai vu autant de Saints de toute ma vie », dit un homme d’âge moyen, puissant et musclé qui observait de loin, les yeux brillants d’excitation. « J’aimerais bien savoir ce qui se prépare! »
– « Des Saints ? C’est impossible! »
Les spectateurs se faisant de plus en plus nombreux, les derniers arrivants n’en croyaient pas leurs yeux.
– « Qu’en savez-vous ? J’ai vu de mes yeux tous ces Saints descendre des cieux et contraindre tout le monde à s’éloigner de la Grande Digue », dit l’un des premiers arrivés sur les lieux.
– « Mais que font tous ces Saints ici ? Et qui est cet homme chauve assis au sommet de la digue ? »
Tous avaient les yeux rivés sur l’homme chauve, grand et musclé, vêtu d’une robe noire, le visage non dissimulé, assis face à une table ronde sur laquelle reposait une carafe de bon vin.
Soudain, un murmure de surprise s’éleva de la foule.
– « Voici d’autres Saints! »
Tous les spectateurs regardèrent vers le Nord et virent, en effet, trois silhouettes se dessiner dans le ciel. Elles ralentirent à l’approche de la Grande Digue et se posèrent au sommet.
Épaule contre épaule, les trois personnages s’avancèrent vers la table.
– « Toutes mes excuses », dit le grand homme chauve au visage tendu malgré son sourire. « Je n’avais pas réalisé que vous seriez trois, aussi je n’ai prévu que deux chaises. »
Aussitôt, il jeta un regard sur le côté. Il avait dû envoyer un message mental car immédiatement, l’un des Saints fit apparaître un siège et vint le déposer près de la table avant de se retirer respectueusement.
– « Ce n’est pas grave, Monsieur Beaumont », dit calmement Desri en souriant.
Linley, Desri et Olivier s’installèrent. Si Beaumont était un peu surpris de se trouver face à trois Divinités alors qu’au départ, Bloom ne lui en avait annoncé que deux, cela lui était finalement égal.
« Apparemment, celui qui, il y a quelques jours, a atteint le niveau Divin était l’un des leurs », se dit-il. « Mais je suis capable d’affronter simultanément dix de ces Demi-Dieux de niveau débutant. »
Beaumont tourna les yeux vers Linley, le seul qui l’inquiétât un peu dans la mesure où trois ans auparavant, ce dernier avait tué le Grand Sorcier.
« Il ne l’a pas seulement tué, il a également survécu à son attaque ultime! » Pensa-t-il.
De leur côté, les trois Divinités se contentaient de l’observer.
Beaumont laissa échapper un rire décontracté :
– « Vous vouliez me rencontrer Mr Linley ? Je n’aurais pas osé refuser votre invitation, même si j’ignore pourquoi vous êtes venus tous les trois. Auriez-vous besoin d’un service ? Si c’est le cas, n’hésitez pas à me le dire car je suis quelqu’un de très arrangeant. »
Bien qu’il parlât d’une voix très forte, les spectateurs ne pouvaient pas l’entendre car Beaumont avait fait appel à son Royaume Divin, qui n’était qu’une manière de contrôler son énergie élémentaire. Cependant, étant tous trois des Divinités, Linley, Desri et Olivier ne se sentaient guère menacés par le simple usage d’un Royaume Divin, quand bien même il l’aurait utilisé à pleine force. Seul des Saints auraient pu en être affectés.
– « Mr Beaumont, je suppose que vous savez pourquoi nous sommes là », dit Linley.
Légèrement surpris, son interlocuteur éclata de rire.
– « Vous plaisantez, je pense! Comment pourrais-je le savoir si vous ne me dites rien ? »
– « Cent millions de personnes sont mortes au sein de l’Empire Rohault. Cent millions! Vous êtes vraiment impitoyable, Beaumont. Pour quoi prenez-vous notre continent ? Vous pensez pouvoir tuer autant de monde que vous le souhaitez ? »
– « Ne jouez pas les innocents, Mr Beaumont, nous sommes tous au courant », renchérit Linley.
Beaumont laissa échapper un petit rire gêné :
– « Très bien… j’admets que c’est moi qui ai organisé ce massacre », dit-il. « Et après ? Vous êtes tous trois des Divinités et vous vous préoccupez de ces gens du peuple ? » S’exclama-t-il, visiblement surpris.
– « Vous plaisantez ?! » S’écria Linley, devenu blême.
– « Le continent Yulan est notre patrie, Beaumont », intervint à son tour Desri. « Si nous vous laissons tuer à votre guise, notre terre natale finirait par devenir un désert et nous aurions trop honte d’être encore en vie! Parlez, dites-nous comment résoudre ce problème! »
Résoudre ce problème ? Beaumont riait intérieurement. « Ils n’ont aucunement l’intention de se battre avec moi. Ce sera donc très facile à gérer. »
– « Je suis vraiment désolé », soupira-t-il. « Si j’ai bien compris, vous craignez que tous les habitants de votre pays ne meurent ? Soit! Je vais en tuer encore un million, après quoi je vous promets de m’arrêter. Qu’en pensez-vous ? Un million, ce n’est rien pour le continent Yulan. »
À ces mots, Linley, Desri et Olivier devinrent fous de rage et leur visage se ferma.
Beaumont ne put s’empêcher de rire :
« Je plaisantais, voyons! Je plaisantais! Vous n’avez vraiment pas le sens de l’humour, Linley. C’est bon, je vous promets de ne plus tuer aucun des citoyens de votre continent. Ça vous va ? »
Le visage d’Olivier était aussi froid que la glace et celui de Desri n’était pas mieux.
– « Trêve de bavardage, Beaumont », dit froidement Linley. « Il vous suffit d’accepter deux conditions et tout ira bien. »
– « Je vous écoute », répondit l’homme, souriant malgré son air féroce.
– « Tout d’abord, à compter d’aujourd’hui, il vous est interdit de tuer un seul habitant du continent Yulan. Par ailleurs, vous allez devoir nous remettre toutes les âmes que vous avez collectées, raffinées ou non. »
Le sourire de Beaumont disparut aussitôt.
– « En outre, ceci fait, vous quitterez le plan de Yulan où vous n’êtes pas le bienvenu », conclut Linley.
– « Quitter Yulan ? Je… je veux bien l’envisager, mais il faut me laisser un peu de temps », répondit Beaumont, le visage blême.
– « Remettez-nous au plus vite les âmes des citoyens de Yulan que vous avez collectées, qu’elles soient sous forme d’essences ou pas. Et toutes, vous entendez ?! » Intervint Desri. « Vous n’êtes pas qualifié pour les utiliser! »
– « Je ne les ai pas. Elles sont désormais dans le Monde des Ténèbres », répondit sans ménagement Beaumont, qui, intérieurement, sentait la colère monter. « Pourquoi voudrais-je ces âmes alors que je ne suis pas en mesure de les raffiner ? »
Ni Muba, Ni le Grand Sorcier n’auraient osé se montrer aussi présomptueux devant lui, ce dernier n’ayant même pas osé protester ouvertement lorsqu’il lui avait ordonné de raffinée une Perle d’Âme d’Or. S’il ne connaissait pas certains détails au sujet de Linley, jamais Beaumont ne se serait abaissé à ce point.
Stupéfait en apprenant la mort du Grand Sorcier, il s’était immédiatement renseigné sur Linley. Ayant appris par un disciple du Collège du Dieu de la Guerre qu’il avait capturé que le maître du Château du Sang de Dragon avait quelques relations avec Beyrut, jamais il n’avait tenté de se venger, ne voulant pas en faire un ennemi.
Il était, en effet, terrifié par Beyrut et le resterait jusqu’à son dernier jour.
– « Dans le Monde des Ténèbres ? Vous vous moquez de nous ?!! » S’écria Olivier en se levant, aussitôt suivi de Linley et Desri, particulièrement furieux.
– « Vous mentez! »
Cet homme, qui avait massacré des millions de personnes, se comportait comme si de rien n’était. S’il voulait simplement dire : « Très bien, je ne le referai plus », il n’avait aucunement l’intention de rendre les âmes ni de quitter le continent.
Les choses étant, toute discussion était vaine.
– « Moi, mentir ? » Dit Beaumont en se levant à son tour.
– « Croyez-vous que nous ne savons pas ce que vous avez demandé à ces Saints ? » S’exclama froidement Desri.
Brusquement, Beaumont se retourna et lança un regard furieux en direction de Bloom.
Terrifié, celui-ci se mit aussitôt à genoux mais déjà, le Royaume Divin soulevait son corps et il ne pouvait plus bouger.
– « Meurs! »
Beaumont agita la main et un rayon gris de pouvoir divin d’affinité lui transperça le corps sans que Bloom ne puisse faire un geste pour l’arrêter, le réduisant instantanément en poussière.
Linley, Olivier et Desri l’observaient attentivement, prêts à agir à tout moment.
Beaumont se tourna ensuite vers eux :
– « Linley, je ne vais pas tourner autour du pot. Je vous ai témoigné du respect en vous promettant de ne plus tuer personne sur votre continent et vous avez fait de même. Pour moi, le sujet est clos mais si vous n’êtes pas de cet avis, je ne vois pas d’inconvénient à vous donner une bonne leçon au nom du Seigneur Beyrut. »
– « Quel genre de discours tenez-vous ? » Dit Linley avec un rire froid. « Vous avez tué cent millions de personnes, Beaumont! Cent millions, vous entendez ??!!! Et voilà que vous m’annoncez que vous ne tuerez plus, refusez toute punition et entendez que le sujet soit clos ? Vous osez prétendre que c’est une marque de respect ? »
C’était risible en effet. Cet homme était bien trop autoritaire.
– « De toute évidence, vous n’avez pas l’intention de me respecter. »
Son visage s’endurcit : sa décision était prise.
« Pour le moment, je ne peux tuer ce Linley dans la mesure où il entretient des relations avec le Seigneur Beyrut. Ceci dit, je me dois de lui donner une leçon. Quant aux autres, je vais de ce pas les exterminer, ce qui, du même coup, fera prendre conscience à Linley que je ne suis pas aussi faible que le Grand Sorcier. »
– « Cela n’a rien à voir avec le respect », répondit Linley, une envie de meurtre au fond du cœur. « Mais vous êtes bien trop orgueilleux et trop exigeant! »
Peu à peu, le pouvoir divin entoura Olivier et Desri.
– « Espèce de bâtard! Moi qui ne souris jamais, je me suis montré aimable durant toute notre conversation et vous ai traité avec respect, mais vous n’en voulez pas! À qui donc pensez-vous avoir affaire ?! » Il donna un grand coup sur la table qui s’effondra en mille morceaux et poursuivit, le visage tremblant de rage : « Très bien! Dans ce cas, je n’ai rien à me reprocher. Sachez, Seigneur Beyrut, que je vais donner à Linley une leçon de votre part! »
Soudain, une lame de guerre d’un bleu profond apparut entre ses mains.
Aussitôt, Linley, Desri et Olivier prirent leur envol et convoquèrent leurs armes : Sang Pourpre pour Linley, une longue et fine épée pour Desri et l’Epée de Glace pour Olivier.
– « Vous appelez cela un sourire aimable, Beaumont ?! »
Linley était si furieux qu’il se mit à rire : « Du respect, vous ?? Vous avez tué des millions de personnes sur mon continent et refusez d’en payer le prix! Et qui donc êtes-vous pour oser prétendre me donner une leçon de la part du Seigneur Beyrut ? Vous pensez avoir le pouvoir de me remettre à ma place ? »
Tout en parlant, Linley injectait dans son épée son pouvoir divin d’affinité Vent.
Mais cette fois, Sang Pourpre n’émit aucun son.
– « Ce type est une vermine », dit Desri que Beaumont avait réussi à mettre en rage, bien qu’il fût le plus calme des trois.
Sa longue lame bleue entre les mains, le visage féroce, Beaumont eut une grimace.
– « Meurs!!! » Rugit-il avec une rage bestiale.
Sa voix n’était pas retombée que déjà, il fonçait droit sur Olivier.
Il avait, en effet, décidé de tuer d’abord les deux autres Divinités avant de s’en prendre à Linley.