Depuis la fin des Mois des Démons, il n’avait plus que deux jours dans l’Ouest. Tout le reste du temps, le soleil brillait, visiblement pour compenser toute la neige tombée en hiver. L’humidité qui emplissait le bureau avait également été balayée, remplacée par un air frais et propre comme la nature, et lorsque le prince ouvrait ses fenêtres, le doux parfum du printemps flottait parfois dans la pièce.
En cette période, la route qui reliait Border Town à la Forteresse de Longsong avait presque retrouvé sa qualité d’origine. Mais à mesure que les jours passaient, Roland s’inquiétait particulièrement au sujet de la Forteresse.
Chaque année, après le retour du trafic terrestre, des marchands venaient à Border Town pour y vendre leurs produits frais, mais à ce jour, il n’en avait encore vu aucun venir de la Forteresse de Longsong. Foudre volait alors deux fois par jour vers elle afin de s’assurer qu’ils seraient avertis suffisamment tôt pour être bien préparés à l’arrivée de l’ennemi.
La semaine passée, la Première Armée avait abordé l’étape d’entraînement complet, comprenant la mise en place de la ligne de défense pour attendre l’attaque ennemie et la riposte. Pour commencer, elle s’appuyait solidement sur Foudre pour l’informer de la distance qui la séparait de l’ennemi, les équipes d’artillerie et de fusils tiraient ensuite selon ses ordres.
Il était ainsi beaucoup plus facile de donner des ordres ou d’obéir à ceux-ci. Par exemple : Tirer de lourds pilonnages à 800 mètres et 500 mètres, utiliser des mitrailles lorsque l’ennemi approchait les 300 mètres, et des coups d’armes à feu à 50 mètres, etc. Lorsqu’il voyait Foudre lever le drapeau correspondant, le chef d’équipe donnait alors le signal à ses hommes d’attaquer.
La clé de la victoire sur le champ de bataille reposait sur la phase de poursuite et d’attaque. Selon le plan de Roland, lorsque l’ennemi serait vaincu, il ferait demi-tour et battrait en retraite vers la Forteresse de Longsong, ce qui leur prendrait trois jours. Même si le Duc fuyait seul, laissant sa milice et les mercenaires qu’il avait engagés derrière lui, le voyage, nécessiterait deux jours, aussi devrait-il passer au moins une nuit dans la nature.
Ceci offrait à la Première Armée une opportunité parfaite pour les chasser.
Tout le processus de surveillance étant effectué par Foudre, cette défense serait toujours hors de portée des éclaireurs de l’ennemi mais prête à les rattraper à tout moment. L’artillerie et les munitions seraient transportées par les civils de la ville. Lorsque l’ennemi établirait son camp pour la nuit, il serait temps pour la Première Armée de l’encercler complètement, et le lendemain à l’aube, elle l’attaquerait, annihilant complètement l’opposant.
Même si ce plan ne semblait pas compliqué, il était presque impossible de coordonner les deux troupes en raison de l’absence de dispositifs de communication modernes. Roland ne pouvait compter que sur les sorcières pour compenser cette lacune en matière de transmission. Même lui n’était pas certain du résultat final.
Un autre point important était que ses réserves de poudre diminuaient : pour cette raison, la Première Armée ne pourrait utiliser de vraies munitions au cours de ses exercices. Cependant, l’objectif principal de la formation était d’accroître la collaboration entre l’équipe des tireurs et l’artillerie, ainsi que la coordination entre la Première Armée et les sorcières. Roland envoya des gens descendre la rivière Redwater et sa ville jusqu’à Fallen Dragon Ridge, dans l’espoir de trouver de nouvelles sources de salpêtre.
« Si je ne peux pas reconstituer mes réserves de poudre à canon, je crains qu’après deux combats, les fusils entre les mains de la Première Armée ne puissent plus être utilisés autrement que comme des lances », pensa Roland.
Le Prince nota la liste des articles qu’il lui faudrait se procurer : du salpêtre, du grain, des semences et autres fournitures. Il avait l’intention d’envoyer un apprenti de Barov tenter sa chance à la Cité du Roi. Cet endroit recelait suffisamment de marchandises, surtout du salpêtre. L’été approchant, le Roi avait certainement commencé à en rassembler. Dans une ville pleine de riches marchands et d’aristocrates, dès que le temps se réchauffait, la consommation de salpêtre était hallucinante. Roland espérait trouver un fournisseur qui approvisionnerait régulièrement Border Town en ressources nécessaires à la production de poudre à canon.
Avant cela, il avait déjà envoyé deux de ses gardes personnels, l’un pour mettre en œuvre le plan intitulé « Rassembler les sorcières » et un autre pour travailler sur le programme «trouver le fruit ».
Le premier, qui se faisait passer pour un voyageur ou un homme d’affaires, répandait dans les rues, les ruelles, les pubs et autres lieux publics, la rumeur comme quoi Border Town était un refuge pour les sorcières. Bien sûr, l’homme se gardait bien de dire que leur hôte était le 4ème Prince lui-même. Il faisait courir le bruit qu’elles étaient parvenues à trouver la Montagne Sacrée et que l’Association de Coopération des Sorcières cherchait maintenant à recruter de nouveaux membres.
Le second s’était rendu directement au port de Clearwater pour y acheter les récoltes particulières des fjords de l’autre côté de l’océan. Bien entendu, lorsqu’il trouvait des graines spécifiques dans l’une des villes jalonnant son voyage, il les envoyait également à Roland.
Ayant achevé sa liste d’achats, le Prince la remit à Scroll et lui demanda de se rendre à l’hôtel de ville pour la donner à Barov. Après son départ Roland tendit la main pour saisir sa tasse, mais celle-ci était vide.
Il était sur le point de se lever pour retirer la bouilloire du feu lorsque rossignol l’apporta à table. De surcroît, elle souriait en remplissant la tasse et en rapportant la bouilloire.
Roland prit lentement son thé, se demandant ce qui pouvait bien lui être arrivé pour la faire sourire ainsi. Ces derniers temps, Rossignol était un peu absente. Depuis quelques jours, elle avait toujours un sourire sur le visage, et plus encore, elle prenait l’initiative de lui servir du thé : cherchait-elle à obtenir une augmentation de salaire ?
Auparavant, elle passait son temps assise sur le canapé à grignoter du poisson séché tout l’après-midi.
Roland lui avait déjà demandé ce qui s’était passé, mais comme elle se contentait de sourire sans répondre, il renonça.
Peut-être que le fait de jouer au Gwent rend vraiment les gens heureux ? Plus tard, il « inventerait » le Poker et le Mahjong et pourrait ouvrir un casino : l’argent viendrait tout seul…
Stop. Roland secoua la tête pour chasser cette pensée. Ce n’était pas le moment de chercher des moyens de plaisir, il devait réfléchir à ce qu’il ferait après sa victoire contre la Forteresse de Longsong.
Peut-être devrait-il déménager son bureau à la Forteresse ? Roland s’était longtemps posé la question. Passer à une terre plus prospère paraissait plutôt tentant, mais ce ne serait pas une bonne idée. La Forteresse avait plus de cent ans d’histoire d’avance sur Border Town, aussi les forces étaient-elles nombreuses à lutter pour le pouvoir, et la noblesse devenait très puissante.
Le secteur était supervisé selon le principe de division et de conquête : même en tant que Seigneur de Longsong, il serait compliqué de gérer les affaires sur les territoires de ses subordonnés. Roland pourrait difficilement s’emparer de la totalité du pouvoir sans causer une révolution. Pire encore : sur ces terres, les poissons et les dragons se mélangeaient, de sorte que sa propre sécurité ne pouvait être garantie. Il n’avait aucune envie de marcher dans les rues dans la crainte permanente qu’un aristocrate radical tente de l’assassiner.
En cela, Border Town est bien différente. Ici, le Prince avait le dernier mot. Les terres environnantes étant suffisamment vastes, il n’avait pas besoin d’étendre son territoire. La plupart des gens étaient des mineurs ou des chasseurs, tous du même rang social, et son succès durant les Mois des Démons avait grandement augmenté sa réputation. Plus important encore, depuis l’intégration de la Première Armée et de sa propagande, la plupart des gens acceptaient l’existence des sorcières. Comparée à la Forteresse de Longsong ou à d’autres villes où l’Église avait beaucoup d’influence, Border Town est beaucoup plus facile à transformer en refuge sécuritaire pour les sorcières. C’est pourquoi Roland décida que cette ville serait sa zone centrale.
Quant à la Forteresse, d’autres la géreraient en son nom et le Prince se contenterait d’apporter son soutien à distance. Dans la mesure où ils lui fournissaient un flux de main-d’œuvre régulier et payaient des taxes, il était satisfait. Pour le moment, ce dont il avait le plus besoin était de gens et d’argent.
Roland attendait donc de la Forteresse de Longsong qu’elle les lui fournisse pour pouvoir poursuivre la construction de Border Town. De cette façon, les Royals d’or des nobles vaincus retourneraient aux mains des roturiers qui les dépenseraient ensuite sur les marchés de la Forteresse d’où il les récupérerait sous forme de taxes. Peut-être même parviendrait-il, au moyen de quelques mesures préférentielles, à convaincre des personnes possédant des compétences spéciales de s’installer durablement à Border Town.
Mais tout cela n’était encore qu’à l’état de projets. Il faudrait attendre la fin de la guerre pour réfléchir à certaines choses comme le choix de la personne chargée d’administrer la Forteresse de Longsong à sa place ou les spécificités du système d’imposition.
C’est alors qu’un personnage vêtu de jaune entra soudain par la fenêtre et s’arrêta près de la table du Prince : c’était Foudre.
– « Vous avez travaillé dur, prenez le temps de vous désaltérer », dit Roland en lui tendant sa tasse.
La jeune fille la saisit, mais sans prendre le temps de boire, elle s’écria :
– « Votre Altesse, ils arrivent! »