Après un long silence, Azéma prit une profonde inspiration et, désignant le bureau de Roland lui dit :
– « Vous avez, dans votre tiroir, une pierre faite du même matériau. »
– « C’est exact », répondit le Roi avec un sourire en posant une seconde boîte sur sa table de travail. « Ceci dit, je serais curieux de savoir pourquoi vous avez dit « une pierre faite du même matériau » plutôt qu’une « pierre identique » ».
– « Eh bien… elles n’ont pas réagi de la même manière. Bien qu’elles soient toutes deux constituées du matériau d’origine, la première réaction était plus forte que l’autre », répondit la sorcière qui lui décrivait ensuite tout ce qu’elle avait observé.
– « Pourriez-vous en localiser d’autres ? »
– « Laissez-moi essayer, je vous prie. »
Azéma se concentra et aussitôt, la lumière verte réapparut. En raison de l’interférence aveuglante causée par les deux pierres précédentes, elle avait négligé les autres rayons lumineux mais très vite, elle aperçut trois autres lignes qui partaient en direction de l’Est, de l’Ouest et du Nord, révélant la présence de trois pierres faites du même matériau, plus grandes que celle qu’elle tenait dans sa main. Mais à sa grande consternation, la sorcière s’aperçut que ces faisceaux, en apparence épais, étaient constitués d’une multitude de filaments.
Elle en fit donc part à Roland qui hocha la tête, l’air pensif :
– « Si je comprends bien, il faut que vous vous rendiez sur place pour savoir où, exactement, ces pierres se trouvent. »
– « En effet. »
– « Dans ce cas, prenez d’abord la direction de l’Est. L’Ouest est beaucoup trop dangereux dans la mesure où il vous faudrait traverser les Terres Barbares. Si, arrivée à la plage, vous n’avez toujours pas trouvé la pierre, dirigez-vous vers le Nord. »
Après un moment d’hésitation, Azéma finit par poser la question qui la préoccupait :
– « Votre Majesté, cette pierre est-elle… plus précieuse que l’or ? »
Ses compétences à se défendre étant limitées, elle craignait que son voyage ne soit dangereux si jamais l’existence de cette pierre venait à se savoir. Non seulement elle ne pourrait pas mener à bien sa mission, mais elle risquait même de perdre la vie en chemin.
– « Oui et non », répondit en souriant le jeune Roi, qui avait sans doute perçu ses inquiétudes. « Pour les personnes qui ne savent pas ce que c’est vraiment, c’est juste une pierre simple et inutile. Mais pour moi, c’est bien plus précieux que l’or. C’est la clé du succès du Projet Rayonnement Solaire. »
« De quoi peut-il bien s’agir ? » Se demanda Azéma, encore plus confuse.
– « Cependant, il y a trop d’inconnues pour que je vous laisse partir seule », ajouta-t-il en désignant un garde : « Voici Sean, qui sera chargé de votre protection. Par ailleurs, vous serez accompagnée d’une unité de génie de combat. Votre priorité absolue étant de localiser les pierres, vous pourrez, si besoin, demander à Sean de se mettre en contact avec les fonctionnaires locaux afin de faciliter vos recherches. »
– « Moi ? Diriger ces Seigneurs ? » S’exclama la sorcière, surprise.
– « Et pourquoi pas ? » Répondit Roland en haussant les épaules. « Ils ne sont plus ce qu’ils étaient et sont désormais tenus d’obéir aux ordres du gouvernement central. » Il marqua une courte pause et poursuivit : « La recherche du matériau source pouvant prendre un certain temps, Je propose de vous régler d’avance 30% de votre salaire et le reste sur une base mensuelle. Ceci est notre contrat. Qu’en pensez-vous ? »
Azéma réfléchit un moment :
– « Votre Majesté, pourriez-vous adresser ce règlement à Doris ? »
– « Aucun problème, si c’est ce que vous souhaitez », répondit Roland en haussant les sourcils.
– « Dans ce cas, j’accepte ce travail », dit-elle en s’inclinant. « Je serai prête demain matin. »
Même s’il y avait encore beaucoup de choses qu’elle ne comprenait pas, au moins n’aurait-elle plus à se soucier de l’argent. Par ailleurs, ne voyant aucune difficulté particulière dans cette mission, la sorcière était convaincue qu’avec l’aide de la Première Armée, elle finirait bien par localiser ces pierres. Elle toucherait alors cinquante Royals d’or qui faciliteraient grandement la vie de ses amies.
Azéma était impatiente de l’annoncer à Doris.
– « Parfait », dit Roland en se levant. « J’attends de vos nouvelles avec impatience! »
Tandis que Wendy raccompagnait Azéma, Roland s’approcha de la porte-fenêtre et contempla le paysage nocturne en soupirant.
– « Enfin, les choses sont en marche. »
– « Pour créer un soleil ? » Demanda Rossignol en émergeant de sa brume. « Vous avez un tel enthousiasme lorsque vous évoquez ce projet! »
– « C’est la quête du soleil », souligna Roland avec emphase. « À partir de ce moment, l’humanité est entrée dans une nouvelle ère et ne se contentera plus d’admirer le soleil mais produira le sien. Pour moi, rien ne peut être plus romanesque qu’une telle avancée. » Roland se retourna et désigna le plafond : « Voyez-vous ce point d’exclamation jaune là-haut ? »
Rossignol secoua la tête, amusée.
– « Je ne vois qu’un rêveur en plein délire qui marmonne tout seul. »
Roland manqua de s’étrangler :
– « Avez-vous besoin d’être si directe ? »
– « Je m’efforce juste d’être franche avec vous », répondit la sorcière en tournant brusquement la tête, posant sur lui un regard innocent.
Roland la regarda, mi-amusé, mi-agacé, sachant pertinemment que Rossignol plaisantait, du moins en partie. Pour tout dire, tant qu’ils n’auraient pas vu le produit fini, la plupart des gens le prendraient pour un fou.
Lui-même ne savait pas si ce projet aboutirait.
Sans la présence des sorcières, jamais le Roi n’aurait développé une idée aussi irréaliste. Le projet Manhattan, dans la société moderne, avait nécessité tellement d’argent, de main-d’œuvre et de ressources que même le pays le plus développé avait du mal à assumer ces dépenses colossales. C’aurait été pure folie que de tenter de le reproduire à partir de rien, cependant, avec l’aide des différents pouvoirs magiques à sa disposition, il pourrait réussir.
La principale caractéristique de son projet était qu’il demandait un investissement minime, dans la mesure où le plus gros du travail reposerait sur les sorcières. Même si, à priori, construire une bombe nucléaire sans l’aide des technologie modernes correspondantes pouvait paraitre insensé, il y avait tout de même une chance pour que cela fonctionne.
Au stade de développement où en était la ville, sur le plan industriel, Roland pourrait certainement réaliser ce projet parallèlement aux autres. Si jamais cela ne se passait pas comme il l’espérait, ce ne serait jamais qu’un petit échec.
En fait, il avait commencé à élaborer ce projet depuis le jour où Lucia avait atteint l’âge adulte. Après avoir réexaminé tous les éléments du tableau périodique, il avait demandé à Kyle Sichi, l’Alchimiste en chef, de séparer les échantillons d’Uranium des autres substances élémentaires extraites et de les mettre de côté.
L’Uranium étant très répandu dans la nature, on pouvait le trouver non seulement dans les mines spécifiques, mais aussi dans le granit, le charbon et même l’eau de mer. Cependant, étant donné les limitations de la technologie de l’époque, son exploitation demanderait un temps considérable pour une somme exorbitante. En faisant appel à sa capacité pour collecter directement l’Uranium dispersé dans la nature et fournir les matières premières nécessaires, Lucia épargnerait à Roland la peine d’avoir à isoler celui-ci et à le purifier.
Son éloquent discours lors de la réunion était simplement une stratégie politique visant à remonter le moral des gens, mais il s’était bien gardé de tout dire. Son rêve ambitieux de créer un soleil n’était qu’un prétexte pour mettre son projet à exécution, d’autant que, d’après le Diable Supérieur, l’humanité était désormais confrontée à la plus grande crise qu’elle ait connue depuis ses origines.
D’où pouvait bien venir le pouvoir magique ?
Roland n’en avait pas la moindre idée, mais il prenait très au sérieux cette force qui dépassait l’entendement.
Selon le Diable, son peuple avait progressé au moyen des fragments d’héritage, ce qui expliquait qu’il ait évolué si vite au cours des quatre cents dernières années.
Si la proposition d’Ayesha concernant la défense semblait parfaite, elle avait, en réalité un énorme défaut : elle laissait à l’ennemi tout le temps dont il aurait besoin. C’était probablement là l’explication à la cuisante défaite de l’Union.
Si, au cours de la Troisième Bataille de la Divine Volonté, ils laissaient les Diables vaincre les monstres sous-marins et évoluer à nouveau, quelle puissance atteindraient-ils ?
Devant un peuple capable d’évoluer de manière inimaginable grâce à la magie, le Roi se devait de mettre au point, en dernier recours, une contre-mesure plus agressive, plus puissante et plus dévastatrice.