En voyant son maître prostré à terre, la Bête Géante, visiblement consciente que les choses avaient pris une direction imprévue, battit des ailes et voulut s’échapper.
Il ne restait plus guère de Bêtes Volantes sur les lieux capables de faire diversion pour faciliter sa fuite. Elle chercha à s’élever mais son gigantesque corps, qui l’alourdissait, freinait son ascension.
En fait, elle avait pris la mauvaise décision en tentant de prendre son envol car si elle était restée au sol, les mitrailleurs auraient eu des scrupules à tirer de crainte de blesser leurs pairs par inadvertance.
En une seconde, la majorité des mitrailleuses anti-aériennes du camp se retrouvèrent braquées sur la Bête Volante qui se retrouva ensevelie sous une pluie de balles qui lacéraient son armure, créant des étincelles. La chair à nu, la créature s’effondra sur le sol en poussant un cri désespéré. Du sang putride s’échappa de son corps criblé de balles, formant une mare sur le sol.
Ayesha laissa échapper un long soupir.
Zoé avait raison. Les Sorcières du Châtiment Divin représentaient vraiment une grande menace pour les Diables Supérieurs. Pas étonnant qu’il y ait eu tant de membres de l’Union pour prendre le parti de la Reine de la Cité des Météores.
Elles étaient en mesure de bloquer le pouvoir, ramenant ainsi la force des ennemis dotés de plusieurs Pierres Magiques à leur niveau. Par ailleurs, leur puissance rivalisait avec celle des Extraordinaires. En créant des Sorcières du Châtiment Divin, elles espéraient stabiliser le pouvoir magique, fluctuant chez une sorcière normale et obtenir un avantage numérique sans précédent sur les Diables. À l’époque, cette stratégie était sans aucun doute une lueur d’espoir pour l’Union en déroute.
Dame Alice avait prévu de convertir la moitié des sorcières auxiliaires en Sorcières du Châtiment Divin, obtenant ainsi des milliers de guerrières de premier ordre. Globalement, la tactique de la bataille finale de l’Empire consistait à mettre les sorcières de combat face à l’Armée des Diables tandis que les Sorcières du Châtiment Divin affronteraient les Diables Supérieures et les Transcendantes les adversaires les plus difficiles.
Ces sorcières étant spécialement formées pour exterminer les Diables, il n’était donc pas surprenant qu’elles aient si vite éradiqué ce puissant ennemi. Pour tout dire, jamais la Reine de la Cité des Météores n’aurait misé sur ces sorcières si elles étaient si faibles qu’il en faille dix pour supprimer un Diable Supérieur.
Cependant, tout ceci arrivait un peu trop tard.
En proie à des sentiments mitigés, Ayesha jeta un coup d’œil à Zoé, visiblement ravie.
Si l’Union avait appliqué ce plan dès le départ, l’issue de la seconde Bataille de la Divine Volonté aurait sans doute été très différente. Bien que les humains aient été contraints de se retirer au Pays de l’Aurore, il restait encore des milliers de villes et de villages sur les Plaines Fertiles, soit environ dix millions d’habitants. L’Union aurait certainement pu lever une armée aussi puissante que celle des Diables.
À l’issue de la guerre, la Reine de la Cité des Météores n’avait presque plus de terres et il lui restait moins d’un million de barbares. Ce projet était certainement sa dernière tentative de survie.
Ayesha s’avança vers Zoé :
– « Vous ne le tuez pas ? » demanda-t-elle, voyant que le Diable, grièvement blessé, n’était pas encore mort.
Ces redoutables adversaires, en effet, étaient parfois plus résistant encore que les Transcendantes. Ayesha n’avait pas besoin de Pierre de Mesure pour voir le peu de pouvoir magique qui lui restait s’agiter dans son corps. De toute évidence, l’ennemi tentait de se régénérer.
Néanmoins, cela ne voulait pas dire que les Diables soient immortels. Leur pouvoir d’auto-régénération étant limité, même si Zoé ne lui assénait pas le coup de grâce, il finirait par mourir aussitôt qu’il aurait épuisé toute sa magie.
De même s’il n’avait plus de Brume Rouge.
Zoé préférait peut-être le laisser mourir dans d’atroces souffrances plutôt que de l’achever.
– « Je tiens à le garder en vie encore un moment », répondit cette dernière, à la grande surprise d’Ayesha. « Comme les Diables sont nombreux cette fois, nous devrions pouvoir nous procurer bon nombre de réservoirs de Brume Rouge. Si nous lui en donnons et traitons ses blessures, il devrait survivre encore quelques jours. »
– « Que comptez-vous en faire ? » Demanda la Sorcière de Glace en fronçant les sourcils.
– « Rassurez-vous. S’il est vrai que j’aurais bien voulu lui faire subir un éternel supplice, je suis parfaitement consciente que ce n’est pas le moment de penser à ma revanche personnelle », répondit gravement Zoé. « Si mes souvenirs sont bons, il y a, dans une autre unité, une sorcière capable de relier deux individus… »
– « Vous voudriez qu’elle se lie à ce Diable ? »
Zoé acquiesça.
– « Je sais que c’est risqué, mais si nous réussissons, nous aurons l’occasion d’affronter directement les Diables. Celui-ci est un commandant et ce que nous pourrions trouver dans sa tête en vaut la peine. »
À l’époque de l’Union, les dirigeantes auraient eu bien du mal à résister à une suggestion aussi tentante. Cependant, l’Union n’existait plus et ni Roland ni Tilly Wimbledon n’accepteraient de contraindre une sorcière à prendre de tels risques.
À moins que Camilla Dary ne se porte volontaire.
Ayesha hésitait lorsqu’elle entendit plusieurs puissantes détonations à l’autre bout du camp.
De là où elle était, elle pouvait voir des nuages de poussière s’élever du Front Nord, comme si quelque chose venait de balayer le terrain, mais n’entendait aucun coup de feu.
« Serait-ce un autre groupe de Bêtes Volantes ? À moins que les Diables n’aient franchi la ligne de défense ? » Se demanda Ayesha.
Aussitôt, elle activa le Sceau d’Écoute pour s’enquérir de la situation :
– « Sylvie, que se passe-t-il en première ligne ? »
– « Nous sommes attaqués par un monstre que nous n’avons encore jamais vu », répondit la sorcière dont la voix trahissait l’inquiétude. « Nous aurions besoin du soutien des canons! »
Au moment même où le cylindre explosait, les obus des mortiers atterrissaient au plein milieu de l’armée ennemie.
Les Diables Fous ne portant que des ossements d’animaux et des vêtements de cuir, les mortiers comme les obusiers de calibre 152 étaient tous deux en mesure de les blesser grièvement, cependant, plus rapides et plus nombreux, les premiers restaient les plus meurtriers.
Les balles et les obus fusaient partout sur le champ de bataille, tuant tous les Diables qui couraient à découvert. Les soldats tirant en continu, on voyait s’élever des nuages de brume sanglante. Finalement, l’ennemi cessa sa progression.
Mais Sylvie ne prêtait pas vraiment attention à l’issue de la bataille.
Si, de temps à autres, elle jetait un coup d’œil vers le ciel pour surveiller les Bêtes Volantes, son attention était principalement centrée sur les quatre monstres inquiétants.
Malheureusement, les mortiers ne pouvaient pas grand-chose contre ces créatures de pierre noire et de métal, les balles ne pouvant guère pénétrer leur carapace, à moins de les frapper en pleine face.
Soudain, les monstres éjectèrent un nouveau pilier de pierre noire. À son grand désarroi, Sylvie remarqua que ce projectile faisait vraiment partie de ces créatures, les pierres et les veines se décollant progressivement pour former un nouveau cylindre.
Il allait falloir éliminer au plus vite ces adversaires capables de lancer des attaques à longue distance.
La première attaque, en prenant l’armée au dépourvu, avait entraîné d’importants dommages. Sur le front, plus de cents soldats avaient été blessés et quelques-uns stationnés dans les tranchées touchées aux épaules et à la poitrine. Plus important encore, leur incapacité à instaurer des mesures efficaces pour contrer cette attaque stupéfiante avait eu un impact considérable sur le moral des troupes.
Heureusement, le processus de “croissance” des monstres était beaucoup plus lent que le chargement des canons.
– « Les artilleurs travaillent d’arrache-pied pour remettre les canons en état de fonctionner », dit Ayesha pour apaiser Sylvie. « Je vais vous mettre en relation avec le Commandant du Bataillon. »
– « Heu… Bonjour Mlle Sylvie », dit ce dernier, un peu nerveux. « Ici le Commandant Van’er… Il va nous falloir un peu de temps pour que les canons soient à nouveau opérationnels. Mais heureusement, ils n’ont pas été endommagés. Si vous pouviez me donner les paramètres de tir, je pourrai faire en sorte que des soldats vous apportent immédiatement leur aide. »
Sylvie serra les poings, s’efforçant de réprimer son excitation. Elle jeta un coup d’œil à la boussole placée devant elle et énonça lentement :
– « 10 ’17’ ‘ vers le nord, à 2310 mètres. Je vous en prie, tirez! »
– « 10 ’17’ ‘ vers le nord, à 2310 mètres! Roger *! » Répéta Van’er. « Equipe six : Feu! »
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NDT : Pour info, “Roger!” fait partie du jargon militaire dans le domaine des transmissions et signifie : « bien reçu! »