Toutes les personnes présentes virent le planeur tomber peu de temps après avoir quitté la piste et disparaître à leurs yeux.
Quant à Roland, il s’inquiétait de la sécurité des sorcières.
Toutes sortes d’accidents pouvant se produire durant les essais, il avait prévu plusieurs prototypes afin d’accroître l’expérience du pilote en procédant à un maximum de tests, mais jamais il n’aurait pensé que cela se produise aussi vite.
En théorie, le planeur était lent, peu chargé et facile à contrôler. Il suffisait d’un peu de vent pour qu’il puisse voler longtemps, ce qui était plutôt bien pour les novices. Seules quelques erreurs pouvaient amener le pilote à perdre le contrôle de l’avion et Roland avait bien insisté sur ces points tout en en expliquant les principes. Apparemment, Wendy avait levé trop haut le nez du planeur, ce qui avait entraîné sa chute consécutive à une perte de vitesse.
Ceci dit, quelques gestes judicieux auraient pu permettre de redresser la situation.
Puisque Wendy était en mesure de générer des vents, il lui aurait suffi d’envoyer une rafale en direction de la queue tout en réduisant celui qui portait le planeur, ce qui l’aurait contraint à piquer du nez et du même coup, à reprendre de la vitesse.
Malheureusement, la sorcière avait envoyé vers les ailes principales un vent trop fort et trop brutal. De ce fait, le planeur s’était retourné et elles n’avaient pas eu d’autre choix que de l’abandonner.
L’aéronef aurait pu être sauvé mais Roland se souciait avant tout de la sécurité des pilotes, d’autant plus qu’il n’y avait aucun dispositif de sécurité à bord, comme par exemple une ceinture de sécurité. En fait, le planeur n’était équipé que d’un siège en aluminium avec accoudoirs et dossier pour assurer la stabilité des passagers, aussi était-il facile d’imaginer ce qui avait pu résulter du renversement de l’avion.
Heureusement, Tilly ne les laissa pas trop longtemps dans l’inquiétude. Quelques secondes plus tard, elle réapparaissait au bord de la falaise, tenant le bras de Wendy.
– « Tout va bien ? » Demanda Roland, anxieux.
– « Oui, ne vous inquiétez pas », répondit la Princesse, le souffle un peu court, en souriant. « J’ai dû descendre un peu pour éviter que l’appareil ne nous heurte avant de remonter. »
Contrairement à Foudre, une sorcière contrôlant la Pierre de Vol pouvait transporter quelqu’un sans perdre de vitesse. Par contre, cela augmentait la consommation de magie, ce qui ne facilitait pas les choses. Sans le remarquable contrôle de Tilly sur la pierre, le sauvetage n’aurait sans doute pas été aussi simple.
– « Mes excuses… Votre Majesté », dit Wendy, un peu embarrassée. « Vous avez passé tellement de temps à fabriquer cet avion et je… »
– « Ce n’est pas votre faute », répondit aussitôt Roland. « Savoir piloter un avion n’est pas quelque chose d’inné. Il faut des connaissances particulières. Si nous parvenons à récupérer l’épave, nous n’aurons pas perdu grand-chose, les matériaux ayant plus de valeur que le processus de fabrication. »
– « Vraiment ? » Demanda Wendy.
– « Je peux vous promettre que Sa Majesté dit la vérité », intervint Rossignol en apparaissant devant son amie.
– « Je vois… je vais réessayer! » Dit la sorcière, soulagée.
« Est-ce là une autre application de votre capacité à détecter les mensonges ? » Pensa Roland, amusé. En fait, il était d’avis que depuis qu’elle avait été nommée à la tête de l’Association des Sorcières, Wendy travaillait beaucoup trop.
– « Vous ne voulez pas d’abord vous reposer ? » demanda-t-il ?
– « Non! »
– « Dans ce cas, d’accord, mais n’oubliez pas que votre sécurité passe avant tout », rappela le Roi.
– « Ne vous inquiétez pas, je m’en charge », intervint Tilly le sourire aux lèvres.
Finalement, voler n’était pas si facile.
Le second essai ne dura pas plus de trois minutes.
Étonnamment, Wendy fit de grands progrès et réussit à faire monter le planeur à une altitude de près de cinquante mètres.
Mais alors que l’avion virait, les ailes subirent un roulis excessif.
Roland en était témoin : la sorcière avait fait de son mieux pour ajuster la direction du vent afin de restabiliser le planeur mais après avoir vacillé un court instant, il tomba à nouveau.
Tilly prit la résolution de tirer Wendy de son siège avant que l’avion ne s’écrase. Les ailes complètement tordues, le planeur était hors d’état de voler. Il allait falloir le réparer.
Le premier pilote de l’histoire de l’humanité n’ayant réussi à voler qu’à trois mètres au-dessus du sol, les participants à cet essai avaient accompli des exploits dignes d’être consignés dans les livres.
Cependant, il ne suffisait pas de faire voler un avion. Étant donné l’imminence de la Bataille de la Divine Volonté, Roland allait devoir en équiper au plus vite son armée.
Mais étant donné la fréquence de chute, il eut tôt fait de réaliser combien il était déprimant de voire détruire trois avions en une seule matinée.
– « Que s’est-il passé cette fois ? » Demanda-t-il.
– « Nous avons subi un vent latéral », répondit Tilly en haussant les épaules. « Cela nous a fait perdre de la vitesse. »
Wendy, qui se sentait coupable, acquiesça :
– « j’ai paniqué au point de ne plus pouvoir contrôler ni le planeur ni mes pouvoirs. Si je m’étais concentrée davantage sur le maniement du planeur, j’aurais peut-être pu l’empêcher de chuter », dit-elle, déprimée.
Ces paroles rappelèrent à Roland un problème auquel il n’avait pas pensé : la concentration était nécessaire aux sorcières pour exercer leurs pouvoirs. En cas de panique, ils pouvaient être sujets à des fluctuations. De ce fait, si l’une d’entre elles, en plein vol, ne parvenait plus à contrôler sa capacité, elle ne ferait qu’aggraver la situation.
De toute évidence, seule la pratique assidue pourrait résoudre cette question.
– « Et si j’essayais ? » Proposa soudain Tilly.
– « Vous ? »
Roland était un peu surpris.
– « J’ai moi aussi suivi vos cours. Si je prenais le contrôle du planeur, je n’aurais plus à m’inquiéter d’être distraite par le vent et cela allégerait la charge de Wendy. De plus… » Tilly eut un sourire. Ses yeux brillants en disaient long sur son impatience à essayer. « …je pense que je suis parfaitement capable de manipuler cette grosse chose. »
Roland réfléchit un instant, puis, voyant que Wendy n’y était pas opposée, finit par accepter.
S’il avait choisi Wendy pour ces vols d’essai, c’était en raison de sa capacité à ressentir les changements de vents et à générer, si nécessaire, des flux d’air pour soutenir le planeur. Mais de toute évidence, ce n’était pas aussi facile qu’il l’aurait pensé.
Le Roi allait devoir modifier quelque peu ses plans.
Tilly étant sa sœur, du moins de nom, et le chef des Sortilèges de l’Île Dormante, il était de son devoir de la rendre heureuse.
Et puisqu’il ne restait qu’un seul prototype, autant les laisser essayer. Tant pis si elles le détruisaient, la prochaine fois, il trouverait des alternatives.
Lorsque le troisième planeur décolla, Roland comprit qu’il avait sous-estimé Tilly.
Après avoir volé un court moment au ras de la mer, l’aéronef prit de l’altitude mais à mesure qu’il se tournait vers le soleil, son rythme de vol se mit à changer.
Il volait dans le vent avec l’agilité d’un pétrel, alternant entre ciel et mer. Bien qu’il ne soit sans doute pas approprié de comparer un planeur maladroit à un élégant oiseau de mer, l’avion tournait, plongeait et remontait avec une grâce qui donnait au Roi une merveilleuse sensation d’harmonie.
Par ailleurs, il s’aperçut que Tilly n’avait besoin de Wendy que lorsque le planeur perdait en vitesse et en altitude. Elle ajustait alors sa position pour permettre au vent magique de le faire remonter.
Elle qui n’avait pas plus d’une demi-heure d’expérience en matière de pilotage gérait seule les surfaces de contrôle.
Roland avait rarement vu quelqu’un d’aussi doué.
Il comprit alors pourquoi Tilly s’y connaissait mieux que quiconque dans l’utilisation des Pierres Magiques. De l’avis d’Ayesha, ces pierres n’étaient pas faciles à gérer dans la mesure où elles procuraient aux sorcières un sentiment de discordance, un peu comme si, une fois activée, la pierre devenait un membre supplémentaire. Se pouvait-il qu’il s’agisse du domaine d’expertise de Tilly en tant qu’Extraordinaire ?
Le fait qu’elle possède un incroyable système nerveux capable de coordonner et assimiler la nouveauté plus rapidement et facilement pouvait expliquer qu’elle ait appris si vite à diriger un avion.
À cette pensée, Roland ne put s’empêcher d’éprouver un vague sentiment de regret.
Si seulement il avait pu fabriquer un Gundam*! Les Diables auraient dû faire face à un champion du combat aérien** inégalé!
Une heure plus tard, sous les acclamations enthousiastes du public, le planeur abaissa sa queue et atterrit sans accrocs sur l’herbe.
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NDT : *Le RX-78-2 Gundam est un robot fictif animé (mecha), introduit en 1979 dans les séries animées de Yoshiyuki Tomino et Sunrise, Mobile Suit Gundam. Dans la série, il s’agit d’un prototype d’arme pour la Fédération de la Terre lorsqu’elle tombe entre les mains d’Amuro Ray, le fils de son concepteur d’histoire (Tem Ray), qui la pilote ensuite dans la guerre menée par la Fédération de la Terre contre la Principauté de Zeon. (Source : Wikipedia)
**La version originale chinoise fait un jeu de mot entre le mot champion (as) et les jeux vidéo « Ace Combat ». Comme je n’ai pas réussi à trouver une manière de rendre cette subtilité, pour ceux qui ne connaîtraient pas (comme moi ! lol) je vous en donne l’explication :
Ace Combat est une série de jeux vidéo développée par NAMCO, de type arcade intégrant des éléments de Gameplay empruntés au genre “simulation aérienne de combat“, née en 1993, mettant en scène des combats aériens, inspirés d’événements réels tels que la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide, la guerre du Koweït de 1990, et de divers autres conflits géopolitiques. (Source : Wikipedia).