Guidés par Sylvie, les tireurs d’élite ne tardèrent pas à atteindre la position qui leur avait été assignée : un bosquet d’arbres situé dans les Plaines Fertiles, à distance du reste de l’armée.
Selon le plan de l’État-Major, ils s’occuperaient des ennemis dans un rayon de cinq kilomètres afin de protéger la Première Armée sans être repérés. C’est pourquoi ils devaient rester à l’écart dans le cas où, par temps clair, les Bêtes Volantes viendraient à apercevoir les soldats qui étaient plus de mille, donc facilement repérables en traversant la plaine, même à dix kilomètres.
Les tireurs d’élite partis, les soldats cessèrent d’avancer et se camouflèrent.
Afin d’assurer sa mobilité et sa flexibilité, plusieurs sorcières s’étaient jointes à l’équipe des snipers : Foudre et Maggie pour la surveillance aérienne tandis que les autres formaient l’équipe chargée de l’Arche. Tous œuvraient ensemble pour confondre et éliminer les ennemis afin de couvrir le déplacement de la Première Armée. Tous les soldats étaient revêtus d’un uniforme particulier appelé “camouflage de la jungle”, aux couleurs étranges et faits de matériaux spéciaux.
Foudre et Maggie en étaient ravies car depuis le ciel, il leur était impossible de discerner les soldats si ceux-ci ne bougeaient pas.
Par contre, Andrea, qui portait elle-aussi cet uniforme, ne l’aimait pas du tout.
Il n’était pas bien coupé, la forme n’était pas ajustée et tous ceux qui portaient cette tenue se ressemblaient. Les taches de couleurs brunes et vertes semblaient avoir été badigeonnées au hasard sur l’uniforme et son tissu était aussi rugueux que l’écorce d’un arbre. Sans la doublure spéciale fabriquée par Soraya sa peau en aurait été irritée. Où le Roi avait-il bien pu se procurer un tissu aussi grossier ?
Cependant, même si elle le détestait, jamais il ne lui serait venu à l’idée de s’en plaindre. En tant qu’aristocrate, elle se devait de garder sa dignité en toutes circonstances et surtout, elle ne voulait pas donner à Cendres l’occasion de se moquer d’elle.
– « Elle se montrerait sans pitié, dirait que je suis exigeante et beaucoup trop fragile. Elle arguerait que mon séjour au Royaume de l’Aube n’a fait que me rendre plus orgueilleuse. Je peux même prédire le ton sur lequel elle me ferait ces remarques.
« Mais c’est en grande partie grâce à moi si nous sommes parvenus à prendre le contrôle du Royaume de l’Aube. Pendant que je me battais, elle se prélassait aux côtés de Dame Tilly. »
– « Les Diables ne sont plus qu’à 35 kilomètres de nous », dit soudain Sylvie, interrompant le fil de ses pensées. « Préparons-nous! Remontons. »
– « Compris! On remonte. La barrière se soulèvera dans cinq secondes. Attention à l’impact! » Répondit Marge.
– « Eh bien! Voilà un ton que j’apprécie! » Dit Foudre en agitant les poings, enthousiaste. « Cela fait très professionnel! Vous apprenez vite! »
– « Vraiment ? »
Marge porta la main à sa tête, embarrassée. Elle n’avait sans doute jamais entendu un tel compliment au sein de l’Église.
– « En quoi ce ton froid et cassant est-il professionnel ? » Se demanda Andrea. « Et qu’entend-elle par impact ? Lorsque l’arche a disparu, nous avons juste tremblé un peu à cause de notre inertie avant de nous stabiliser sur le sol, un impact qui ne saurait rivaliser avec l’effet provoqué par les rugissements de Cendres. »
– « Équipe de Vol, tenons-nous prêtes! » Foudre leva le pouce, abaissa ses lunettes de protection et s’éleva. « La piste a été dégagée! Le feu est vert! Foudre : décollage! »
– « Maggie, décollage! » S’écria sa comparse qui, prenant l’apparence d’un Autour, la suivit.
Quelques secondes plus tard, elles avaient disparu dans les nuages.
– « Qu’est-ce qu’une piste ? Une route spécialement construite pour courir ? » Demanda Amy, perplexe, en regardant autour d’elle. « Et où est le feu vert ? »
– « Il s’agit probablement d’une nouvelle méthode d’entraînement », répondit Phyllis venue protéger l’Équipe de l’Arche. « J’ai déjà entendu Sa Majesté prononcer ces mots au château. Ce sont peut-être des termes techniques ou des expressions réservées à l’entraînement de vol. Mais ce qui est étrange, c’est que lors de celui-ci, j’ai également vu Wendy et Anna. »
– « Quoi ?! Cela voudrait-il dire que les sorcières qui n’ont pas le pouvoir de voler pourraient aussi apprendre ? »
– « Je n’en ai aucune idée. »
– « En admettant que je puisse apprendre, que devrais-je dire pour annoncer que je vais m’envoler ? » Demanda Amy en se caressant le menton : « que diriez-vous de : Amy, Guérison magique! »
– « J’aime beaucoup! » Répondit Sharon, les yeux brillants d’excitation. « Inventez en un pour moi! »
– « Mais taisez-vous! » Dit Phyllis en souriant. « Vous dérangez Mlle Sylvie qui observe l’ennemi! »
– « Compris! »
Andrea ne put s’empêcher de soupirer en les regardant. Le plan prévoyait que la semaine suivante, ce détachement s’éloignerait de plus en plus du gros des troupes de la Première Armée et se dirigeraient vers le Nord-Ouest, pour tromper les Diables. Plus elles s’avanceraient en territoire ennemi, plus elles seraient livrées à elles-mêmes, ne pouvant compter que sur leurs propres forces pour leur échapper ou les vaincre.
Le parcours qui attendait les tireurs d’élite étant particulièrement périlleux, Andrea avait du mal à comprendre que les sorcières puissent être si joyeuses et détendues.
Soudain, quelqu’un lui tapota l’épaule. Elle se retourna pour se retrouver face à Ivy dont le regard semblait dire : « Je vous comprends », ce qui la réconforta.
– « Nous n’avons pas le choix … les combats au-delà de la portée visuelle normale consomment une énorme quantité de pouvoir magique, aussi devons-nous faire appel à de nombreuses sorcières auxiliaire comme Amy ou encore Sharon pour nous en fournir. C’est le seul moyen pour nous de tirer en continu. »
Andrea était vraiment impressionnée par le calme de la Comtesse Sephora et admirait la façon dont cette grande et noble dame gérait la situation.
Elle prit une profonde inspiration :
– « Commençons », dit-elle, « les Diables seront à notre portée d’ici une minute. »
– « Un instant… » murmura soudain Sephora. « Je ne suis plus très jeune et ce voyage à bord de l’arche m’a rendue un peu malade. »
Andrea en resta sans voix.
Fort heureusement, elle n’eut pas beaucoup d’efforts à faire pour installer le fusil de sniper anti-Bêtes Volantes, Roland l’ayant divisé en deux parties, le fusil et le trépied, pour lui faciliter les choses, Cendres et Phyllis étant chargées du transport.
La sorcière eut donc tôt fait de le monter et s’aperçut que cette arme dépourvue de lunette de visée était bien plus facile d’utilisation que le fusil à verrou. Elle inséra une balle de la taille de la paume dans la chambre et adressa un signe de tête à Camilla Dary.
Celle-ci ferma les yeux, posa une main sur elle et l’autre sur Sylvie.
Aussitôt, le monde lui apparut différent. Tout était déformé, lui donnant l’impression que son âme sortait de son corps ou qu’une autre se serrait dans la sienne. Cette étrange sensation lui donnait le vertige mais après des entraînements répétés, elle était parvenue à contrôler ce léger inconfort et pouvait désormais se concentrer sur des cibles éloignées.
Sylvie, de son côté, ressentit aussitôt ses pensées et l’instant d’après, Andrea perçut le monde à travers ses yeux.
Les arbres et les prairies cédèrent place à une mer de nuages blancs et elle put apercevoir trois taches noires qui volaient dans le ciel.