« Serait-ce…la Cité des Diables ? » Se demanda Roland, émerveillé.
Lui qui pensait que les fragments de souvenirs étaient liés à un lieu de combat spécifique ne s’attendait pas à avoir la chance de se trouver face au repaire ennemi.
Mais ce qu’il voyait était très différent du mirage observé par l’Association de Coopération des Sorcières.
Il eut beau regarder attentivement, il ne vit pas l’imposante tour principale qui en constituait le noyau : un Obélisque géant fait à partir de gisement de Pierre du Châtiment Divin, capable de croître et de créer de la Brume Rouge.
Il y avait énormément de tours, certaines debout au-dessus des falaises et d’autres penchées dans le vide comme des immeubles qui flotteraient dans le ciel.
Comment avaient-ils réussi à construire un complexe aussi magnifique ?
Mais si ce n’était pas là la cité que Chloris avait vue, où pouvait-elle bien se trouver ?
Plus loin, peut-être… sur le lieu de naissance supposé des Diables ?
C’est alors que Roland vit un éclair lumineux dans le gouffre, non loin du lac qui, à la différence de la brume scintillante, semblait provenir d’un feu naturel.
Si la Brume Rouge était inflammable, tout feu en plein air aurait dû être interdit dans la Cité des Diables.
Intrigué, Roland décida de descendre dans le gouffre. À en juger par le style architectural de l’ouverture, il allait sans doute trouver des escaliers ou un panier suspendu à proximité.
Mais il n’avait pas fait cent pas qu’il s’arrêta soudain. Tous les muscles de son corps se crispèrent. Un groupe de Diables venait d’apparaître au détour du sentier sur lequel il se trouvait.
À en croire leur apparence, leurs armures d’os et leurs courtes lances, ce devaient être des Diables Fous. Les deux premiers portaient même des gants et leurs silhouettes robustes bloquaient presque la moitié du chemin. Ils étaient à moins de dix pas de Roland!
« Une minute… Comment se peut-il qu’il y ait des créatures vivantes dans les fragments de souvenirs ? » S’interrogea-t-il.
Lorsqu’il explorait la cathédrale d’Hermès, jamais il n’avait croisé de prêtre ni de Chevalier de l’Armée des Juges!
Surpris par cette rencontre imprévu, Roland ne savait comment réagir.
« Que faire ? » se demanda-t-il. « Fuir ? »
Il avait pu juger de la puissance et de la précision du lancer des Diables Fous, aussi n’était-il pas certain que ce soit la bonne décision.
Fallait-il foncer sur eux et les renverser ?
Grâce au pouvoir qu’il avait acquis dans le Monde des Rêves, il était plus puissant que le commun des mortels mais face à ces monstres assoiffés de sang, ses compétences ne dépassaient pas celle des combattants de rues. S’il pouvait les affronter un à un, il en viendrait sans doute à bout mais six! Roland avait peu de chances de l’emporter, en particulier contre le Diable à la Main de Fer qui marchait en tête. Au vu de sa puissante capacité à lancer des décharges électriques, il était, de toute évidence, l’ennemi juré du combat rapproché.
Mais avant même qu’il n’ait pu prendre une décision, quelque chose d’étonnant se reproduisit.
Les Diables passèrent devant lui sans même s’arrêter. Visiblement, ils n’avaient pas remarqué la présence de l’intrus.
Stupéfait, Roland se retourna instinctivement pour toucher le bras du Diable Fou, mais ses doigts passèrent à travers comme s’il s’agissait d’un fantôme.
« C’est donc ça… »
Pensif, il se pencha pour toucher le sol sombre érodé par la Brume Rouge : il pouvait parfaitement en sentir l’humidité.
Une vague explication lui traversa l’esprit.
Il semblait que la résistance de la personne “avalée” déterminât l’étendue des fragments de mémoire ainsi que les éléments présents dans la scène. Ce souvenir contenait bien plus d’éléments que celui de Cléo.
Cette idée souleva deux doutes dans son esprit, le premier concernant le guerrier de l’Église qui s’était sacrifié pour sauver Cléo. Dans quelle mesure avait-il enrichi sa mémoire ? Une fois entré dans le fragment de souvenirs, n’avait-il aucun moyen de communiquer avec les morts ?
Quant au second, il concernait le niveau de résistance de la Purifiée. La haine et le refus de se résigner qu’elle avait éprouvés après qu’il l’ait vaincue étaient sans doute plus intenses que celles du Diable.
Une envie soudaine le prit de rentrer à l’appartement et d’administrer une bonne fessée à la petite fille.
S’efforçant de chasser ces pensées parasites, Roland prit une profonde inspiration et accéléra le pas.
Comme il s’y attendait, de nombreuses rampes et marches de pierre partaient du bord de la falaise pour descendre vers la fosse, dont certaines, très spacieuses, n’avaient rien à envier aux routes principales de la Cité Sans Hiver.
Plus il s’en approchait, plus il était impressionné par la taille du Lac de Brume Rouge, bien plus large encore que ne le serait la partie supérieure de la Grande Montagne Enneigée si on l’aplanissait. Là, sur la falaise, il se sentait terriblement petit, coupé du monde, seul avec cette tumultueuse Brume Rouge et ces menaçantes tours de pierre qu’il apercevait de temps à autres.
Difficile d’imaginer que ce cratère ait pu se former naturellement.
Mais le plus incroyable était que les Diables en aient fait leur résidence permanente.
Combien de centaines d’années avait-il fallu pour creuser ainsi la montagne, y construire des routes pour permettre l’accès aux chariots et les paver d’une solide couche de pierre noire ?
Si cela était représentatif du niveau de connaissances techniques et des compétences des Diables en matière d’organisation sociale, cet ennemi allait être extrêmement difficile à vaincre.
La chance ne suffirait pas et s’ils voulaient remporter la Bataille de la Divine Volonté, les Quatre Royaumes allaient devoir tout donner.
À mesure qu’il se rapprochait des flammes, Roland aperçut de plus en plus de Diables sur les routes, de tailles et d’apparences diverses, la plupart revêtus de peaux de bêtes ou de tuniques. Tous ne portaient pas d’armes. Qui aurait pu imaginer qu’ils appartenaient à la même espèce!
D’après les renseignements fournis par Pasha, il était arrivé à l’Union de capturer des créatures qui ne possédaient ni pouvoir magique, ni capacités de combat. Cependant, nul ne savait s’il s’agissait vraiment de Diables ou de membres d’une tribu réduite à l’esclavage par ces derniers.
Le fait qu’ils agissent librement et qu’il n’y ait aucun superviseur à proximité suggéra à Roland que la réponse à cette question devait être la première proposition.
De toute évidence, il existait entre deux des différences encore plus flagrantes que celles séparant les sorcières du commun des mortels, non seulement au niveau des capacités mais aussi de l’apparence physique.
Étaient-ils de même origines ou nés de parents différents, de méthodes différentes, sans aucune possibilité de changer de forme ?
« Existe-t-il parmi eux des mâles et des femelles ? À moins que leur mode de reproduction diffère totalement de celui de l’homme et ne puisse être généralisé ? »
Tout à ses pensée, Roland arriva enfin au fond du gouffre et constata que les flammes qu’il avait aperçues provenaient de feux de camp.
Un mince pont de pierre reliait le flanc de la montagne à une île circulaire qui ne reposait sur rien. Simplement soutenue par le pont, elle semblait si instable qu’on aurait pu craindre qu’elle ne s’effondre à tout moment. Le feu brûlait autour de l’îlot et lorsque les jets de brume montaient en rugissant du lac, les flammes devenaient plus intenses, comme pour lui faire écho. Elles atteignaient parfois dix mètres de haut, ce qui expliquait que Roland les ait aperçues du sommet.
Apparemment, même si cette Brume Rouge était inflammable, elle ne s’enflammait pas instantanément comme l’aurait fait un gaz.
Des dizaines de milliers de Diables grouillaient sur les rampes gravissant les parois rocheuses, les plates-formes et dans les grottes. Des fanions colorés volaient aux vents changeants et les bourdonnements de voix inconnues couvraient presque le rugissement de l’air qui s’engouffrait dans le cratère.
Stupéfait, Roland cligna des yeux.
« Les Diables tiendraient-ils… une cérémonie ? »