Afin de donner de la vitesse au planeur, Roland avait demandé au Ministère de la Construction de construire une piste longeant la falaise en direction de la mer, dont les deux extrémités étaient incurvées vers le haut, un peu comme un croissant.
Une fois en l’air, il suffirait de relâcher le dispositif d’envol. Mû par la gravité, il se mettrait à glisser et accélérerait jusqu’à quitter la piste. Le passager aurait alors la même impression que s’il se trouvait sur les montagnes russes du monde moderne, mais en beaucoup moins excitant.
Mais cela seul ne suffisait pas, les ailes ayant besoin de plus de puissance pour qu’il puisse s’élever. Wendy allait devoir apporter du vent pour les soulever.
Lorsque le planeur quitterait précipitamment la falaise à une hauteur de 15 m au-dessus de l’eau, il lui fallait une zone pour amortir le choc. Qu’il monte ou qu’il descende, sa vitesse permettait au pilote et aux secours de se préparer, d’où l’intérêt d’avoir équipé ce prototype de deux sièges.
Foudre et Maggie devant se battre sur les Terres Barbares, le sauvetage incombait évidemment à Tilly qui avait accepté cette mission avec joie.
– « Il est temps de monter à bord », dit Roland aux deux jeunes femmes.
Wendy hocha la tête, serra les poings pour se donner du courage et, accompagnée de Tilly, s’avança vers le planeur.
En montant à bord, elle s’aperçut que l’avion était beaucoup plus gros qu’elle ne l’aurait cru.
Les deux paires d’elles qui se trouvaient au-dessus de sa tête et sous ses pieds étaient bien plus grandes que celles des oiseaux, même que celles de Maggie une fois transformée.
Lorsque Wendy vit vibrer leur fine extrémité sous l’effet du vent marin, elle sentit l’inquiétude grandir en elle. Elle avait l’impression qu’une fois que le planeur aurait décollé, ces ailes se briseraient comme un rien sous la force des vents.
Roland avait bien précisé que la vibration des ailes était normale, dans la mesure où celles-ci avaient été conçues à partir d’une structure en aluminium solide recouverte de peau, de sorte que le planeur puisse résister à l’impact de l’air. Créée par Soraya, cette peau était plus résistante que le cuir ou la toile ordinaires. De ce fait, comparées à leur surface, ces ailes semblaient aussi minces que des feuilles de papier.
– « Dites-mois quand vous serez prête, Madame », dit un soldat dont la voix tira Wendy de sa torpeur.
– « Je vois. Première étape… Euh… »
– « Vérifiez chaque surface de contrôle », recommanda Tilly qui, du siège arrière, tentait de l’apaiser. « Ne soyez donc pas si nerveuse. Si jamais quelque chose ne va pas, je suis là pour vous protéger. »
– « Je vous remercie », dit Wendy, soulagée.
Comme elle n’était pas la seule à suivre le cours de vol de Sa Majesté, si quelqu’un pouvait lui rappeler les étapes qu’elle aurait oubliées, elle ferait moins d’erreurs.
– « Tout d’abord, actionnez le levier principal pour contrôler la gouverne de profondeur. »
Wendy prit une profonde inspiration, plaça ses deux mains sur le levier de fer situé devant son siège et tira. Un déclic se fit entendre, indiquant que le câble relié à l’autre extrémité de la commande tirait sur la queue. Elle avait déjà effectué cette étape des centaines de fois sur le simulateur avant que le prototype ne soit prêt.
– « Gouverne de profondeur ok. Prochaine étape … euh, la gouverne de direction », poursuivit Tilly.
Mais les composants du simulateur, beaucoup plus simples, se réduisaient à deux leviers verticaux, deux pédales et quelques câbles. Au début, Wendy aurait pu croire que ces quelques outils suffisent à faire voler le planeur comme un oiseau. En effet, c’était presque aussi simple que de conduire une bicyclette.
Le levier commandant la gouverne de profondeur ne pouvait être déplacé que d’avant en arrière et celui commandant la direction que de gauche à droite, le support limitant leur espace de mouvement. Il y avait aussi un guidon de bicyclette qui lui, tournait.
– « Gouverne de direction ok. Dernière vérification : les ailerons. »
Selon Sa Majesté, un aéronef avait généralement trois paires d’ailes, une à l’avant et deux à l’arrière, qui, vues de face, lui donnaient un peu la forme d’une Croix de Lorraine. Le gouvernail ou gouverne de direction vertical, fonctionnait comme celui d’un bateau et permettait de modifier la direction du nez de l’avion face au vent.
La barre courte, la gouverne de profondeur aussi appelée la “queue”, s’élevait ou s’abaissait avec le nez et ressemblait beaucoup au gouvernail vertical qui se trouvait à côté. Wendy, qui avait lu le chapitre “Décomposition et synthèse des forces” de la Physique Élémentaire, n’eut aucune peine à en comprendre le principe de fonctionnement.
Quant à la grande barre horizontale, jusqu’à ce qu’elle la voie en réel, Wendy ne comprenait pas pourquoi on l’appelait l’aileron. Incrustée à l’arrière de l’aile principale, elle ne faisait pas plus du dixième de sa taille. Les deux ailerons étaient reliés par un câble de fer à deux pédales situées près de ses pieds, l’un à gauche et l’autre à droite.
Contrairement aux gouvernes de profondeur, la position de chaque aileron devait être inversée (un levé, l’autre abaissé) pour pouvoir fonctionner. Toutefois, si des forces disproportionnées s’imposaient aux deux ailerons, l’appareil risquerait de dévier de sa trajectoire, voire même de se retourner. C’est pourquoi ces éléments étaient les plus importants que Wendy ait à gérer en vol.
La sorcière avait demandé au Roi pourquoi il avait conçu ces ailerons alors que le gouvernail était déjà en mesure de modifier la direction de l’appareil, ce à quoi il avait répondu que chacun des mouvements de l’aéronef…. nécessitait la coopération des trois gouvernes. Si le pilote n’actionnait que la gouverne de direction, le corps de l’avion aurait tendance à se déplacer horizontalement c’est pourquoi, lors d’un virage serré, il était essentiel d’abaisser la gouverne de profondeur pour maintenir la stabilité de l’appareil.
Pour toutes ces raisons, il fallait à Roland des données détaillées recueillies au cours d’essais afin qu’il puisse rédiger un Manuel de Vol capable de guider efficacement l’utilisateur. Ses questions portaient, entre autres, sur les différentes manœuvres de trajectoire en fonction des circonstances, sur l’impact du vent sur l’avion, sur les déficiences de l’appareil lors du contrôle… Ces données lui permettraient de construire un avion vraiment fiable.
– « Les ailerons me semblent ok », dit Tilly en tapotant l’épaule de Wendy. « À vous de jouer. »
La sorcière sentit son cœur s’accélérer. Elle jeta un coup d’œil à Roland qui se tenait au loin et se tourna vers le soldat.
– « Je suis prête. Vous pouvez relâcher le dispositif de treuillage. »
– « Entendu! Surtout, soyez prudentes! »
Les soldats s’éloignèrent aussitôt.
« La piste est dégagée et tous les feux sont verts », murmura mentalement Wendy, même si elle ne comprenait pas vraiment la signification de ces mots. En effet, Sa Majesté lui avait dit que cela pouvait porter chance.
Avec un léger tremblement, le planeur fut poussé sur la piste en pente.
Le train émit un bruit de craquement et tout le fuselage se mit à trembler tandis que l’appareil prenait de la vitesse. Wendy avait l’impression de voir la mer se rapprocher d’elle.
Durant un instant, elle eut la sensation que son cœur remontait dans sa bouche.
« Que dois-je faire à présent ? » Se demanda la sorcière, effrayée de constater que le planeur avait déjà parcouru la moitié de la piste sans donner le moindre signe d’envol.
– « Le vent! » Cria Tilly.
« Ah oui, le vent… » La vitesse du planeur n’étant pas suffisante pour le faire décoller avec ses passagères, Wendy allait devoir générer un vent doux et régulier pour soulever ses ailes.
Aussitôt dit, aussitôt fait. La spirale magique forma sous les ailes un léger flux d’air.
Les craquements s’atténuèrent. On aurait dit que le planeur ne pesait plus rien. La sorcière n’eut pas le temps de comprendre ce qui se passait que déjà, l’aéronef quittait la falaise.
Il se mit à monter, lui donnant l’impression qu’on la poussait contre le dossier de son siège.
Instinctivement, elle baissa le levier principal.
Le nez de l’avion obéit aussitôt et se leva davantage.
Son angle de vue changea complètement. Elle ne voyait plus la terre couverte de feuilles et d’herbe fanée. La Mer Tourbillonnante elle-même semblait disparaître de son champ de vision. Il n’y avait plus devant ses yeux que le ciel bleu et clair dont la luminosité l’obligeait à baisser le regard.
Durant un moment, Wendy eut l’impression d’être un pétrel qui montait en flèche vers la lumière. Elle se sentait si libre qu’elle comprit pourquoi le Roi affirmait que l’avion était très différent du ballon à air chaud.
Mais quelques secondes plus tard, Wendy s’aperçut que le bruit du vent s’était atténué.
Le nez du planeur était toujours relevé mais sa vitesse ne lui permettait plus de monter. Le temps semblait arrêté. La sorcière voulut renforcer le vent sous les ailes principales, mais cela eut pour effet de retourner l’avion.
– « Le vent est trop fort! » Cria Tilly.
Avant même que Wendy n’ait eu le temps de comprendre d’où venait le problème, le planeur se mit à tomber comme une pierre.
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NDT : Les termes n’étant pas les mêmes en chinois et en anglais qu’en français, (et vu que je ne suis pas, mais pas du tout spécialiste en aéronautique!) Il m’a fallu faire des recherches pour vous donner les termes exacts, alors tant qu’à faire, ce schéma vous permettra de mieux comprendre ?