Pour parler simple, la capacité d’Azéma pourrait lui permettait de retrouver un objet entier à partir d’un élément de celui-ci.
Nul doute que pour une sorcière de l’Île Dormante, il s’agissait d’une capacité de survie. En partant d’une seule goutte d’eau douce, Azéma pouvait, par exemple, trouver un ruisseau ou un lac ou si elle examinait un noyau de fruit issu de matières fécales animales, elle avait le pouvoir d’évaluer l’emplacement et la taille de l’arbre fruitier dont il était issu.
Étant donné l’importance de sa contribution, bon nombre de sorcières de la région de l’Est s’étaient rassemblées sous sa direction et formaient un groupe très solidaire.
Aux yeux de Roland, la Remontée à la Source était sans aucun doute le meilleur moyen de découvrir des ressources naturelles offrant de plus larges perspectives que l’Œil Magique de Sylvie.
C’était tout simplement logique. En effet, lorsque Sylvie regardait à travers le sol, sa consommation d’énergie augmentait considérablement tandis que sa perception de la distance diminuait. Si elle était particulièrement à même de repérer les gisements de minerai situés dans le secteur de la Mine du Versant Nord, sa capacité ne lui permettait pas de percevoir des veines minérales profondément enfouies. Et pour les ressources situées dans des couches superficielles, il lui était difficile d’en distinguer le type ou l’importance. Tout au plus pouvait-elle affirmer qu’il y avait quelque chose sous terre.
Quant à cela, Roland n’était pas inquiet pour Azéma qui non seulement pouvait indiquer l’emplacement exact d’une ressource particulière mais également en évaluer la réserve. S’il pouvait utiliser sa capacité conjointement à celles de Lucia en matière de purification, il pourrait peut-être marquer l’emplacement de tout le tableau périodique des éléments sur la carte de Graycastle.
Ce qui avait le plus impressionné Roland à l’époque où il étudiait la géologie était une carte nationale haute en couleurs où figuraient les diverses ressources. Maintenant que tout Graycastle était uni sous sa bannière, il allait devoir s’efforcer d’élargir ses sources de matières premières à l’ensemble du pays, voire au Royaume de l’Aube et aux Plaines fertiles, entre autres.
Si Azéma n’était pas disposée à lui apporter son aide, ce ne serait pas une catastrophe pour la Cité Sans Hiver. Après tout, les ressources n’allaient pas s’en aller et avec le temps, il finirait bien par atteindre son objectif.
Mais il n’en allait pas de même pour l’incroyable capacité d’enchantement de Doris.
En raison d’un manque de méthodes d’observation adaptées, les recherches de Roland sur le pouvoir magique n’avaient guère été fructueuses, les sorcières étant sa seule source d’exploitation de la magie.
Dans son carnet, Wendy décrivait la capacité de Doris comme ayant le pouvoir de redonner un cycle de vie à un objet mort, ce qui ralentissait considérablement son processus d’épuisement et lui donnait une apparence vivante.
Roland émettait des réserves quant à cette évaluation. Les sorcières avaient coutume de dire qu’un objet mort ne pouvait contenir de pouvoir magique, règle qui se confirmait la plupart du temps, à une exception près : la Pierre du Châtiment Divin.
L’expérience conjointement menée par Isabella et Ayesha avait démontré que celle-ci possédait un pouvoir magique, ou du moins… avait la capacité d’attirer la magie, ce qui, à l’origine, était exclusivement réservé aux Éveillée. Après qu’Isabella ait trouvée la zone perturbée par la pierre, elle avait pu observer de minuscules résidus de pouvoir magique à sa surface, mais seulement durant quelques secondes. Etant donné que personne, au cours du processus, n’y avait injecté de magie, ces résidus ne pouvaient provenir que de la Pierre du Châtiment Divin.
Contre toute attente, la pierre ne disposait pas d’un pouvoir magique de haute densité susceptible de désactiver les autres, mais elle en possédait, en infime quantité. Restait à découvrir par quel moyen elle annihilait les effets des capacités magiques. Mais une chose était certaine, l’affirmation selon laquelle les objets inertes ne renfermaient pas de pouvoir magique n’était pas tout à fait exacte.
Considérant qu’une Pierre du Châtiment Divin ayant subi quelques modifications de la part d’Isabella pouvait devenir une gemme tout à fait ordinaire, Ayesha émit une hypothèse audacieuse : tandis que sa propre magie s’épuisait, la pierre était peut-être en mesure d’absorber constamment d’autres pouvoirs magiques comme le ferait une entité vivante, formant ainsi une circulation de pouvoir magique. Un peu comme le sable absorbe la chaleur du soleil le jour et le restitue pendant la nuit, ce qui expliquerait pourquoi Isabella pouvait changer intégralement la nature de la gemme sans toutefois interférer avec sa structure.
Elle était également convaincue qu’Isabella “tuait” la Pierre du Châtiment Divin.
De toute évidence, la description de Wendy reposait sur les conclusions d’Ayesha.
Persuadé que le gisement de Pierres du Châtiment Divin était réellement constitué d’objets inertes, Roland n’en avait que faire. Par ailleurs, la capacité d’un objet à absorber ou émettre un pouvoir magique n’était pas liée au fait qu’il soit “mort” ou “vivant”. S’ils ne pouvaient pas expliquer son mode de fonctionnement, c’était par manque d’informations. En effet, avant l’invention du microscope, l’humanité ne savait rien du monde microscopique.
À ses yeux, l’enchantement était en quelque sorte une “conversion en Pierre du Châtiment Divin. »
Abstraction faite de la théorie, l’efficacité de cette capacité était indiscutable. En effet, les tests montraient qu’elle pouvait avoir des effets sur des cibles telles que les Pierres Magiques, les Sceaux, objets d’enchantement… Les pouvoirs magiques injectés se compléteraient d’eux-mêmes, créant ainsi un cycle.
Par exemple, lorsque Lune Mystérieuse injectait du pouvoir dans un Aube I, celui-ci pouvait générer de l’électricité pendant cinq jours consécutifs, mais lorsque la sorcière tenait Épée Brisée, cette durée pouvait être prolongée de dix jours. Mais d’une manière ou d’une autre, la magie injectée dans le bâton de bronze se dispersait continuellement et ne restait pas éternellement dans l’objet enchanté.
Cela signifiait que même si le pouvoir magique de Lune Mystérieuse était de même niveau que celui d’Anna, il ne pourrait soutenir que quelques Aubes I simultanément. Il ne suffirait pas à pourvoir aux besoins des usines en matière d’éclairage et de fonctionnement des équipements, aussi n’était-il pas envisageable de l’utiliser à grande échelle.
Par contre, enchanté par Doris, un Aube I pourrait absorber les pouvoirs magiques omniprésents pour compenser sa consommation d’énergie, permettant ainsi aux pôles magnétiques de maintenir leur fonctionnement. Même si les pertes n’étaient pas exactement équivalentes aux gains, l’amélioration restait étonnante pour un enchantement à court terme.
Lune Mystérieuse pourrait ainsi être soulagée des travaux de maintenance liés au rechargement et devenir un producteur d’énergie. Par ailleurs, de nombreux autres sites autres que les usines pourraient bénéficier d’une alimentation régulière en électricité et bon nombre de capacités de type “enchantement”, à l’origine peu importantes, gagneraient en efficacité.
De plus, Ayesha et Isabella auraient à leur disposition un groupe de cobayes similaires aux Pierres du Châtiment Divin, ce qui les aiderait grandement dans leurs recherches sur le pouvoir magique.
Les problèmes liés à l’enchantement, comme par exemple le fait qu’il faille trop de temps pour que l’un d’eux prenne effet, la faible efficacité ou encore le fait que la Pierre du Châtiment Divin puisse interrompre le processus, n’étaient rien comparés à la capacité elle-même.
Roland devait à tout prix garder cette sorcière.
Après réflexion, il eut le sentiment que la seule stratégie capable de fonctionner était celle de la boule enrobée de sucre. En effet, il était passé maître dans l’art de tenter les gens.
Quant à Mains Délicates, la dernière sorcière répertoriée sous le n° 89, son surnom parlait de lui-même.
Fille de bijoutier, elle avait un don inné pour la sculpture, la finesse de ses poignets et la souplesse de ses doigts lui permettant de graver des motifs extrêmement complexes. Son éveil avait considérablement amélioré son talent car non seulement elle gravait beaucoup plus vite mais également sur n’importe quel support.
Certes, Anna aurait facilement pu faire de même avec son Feu Noir, mais c’était un génie qui était passé par deux évolutions. Même au sein de l’Union, elle figurerait parmi les meilleures Sorcières Senior, un niveau qu’était loin d’atteindre Mains Délicates.
Roland voyait en cette sorcière une possibilité d’alléger la charge de travail d’Anna. En outre, il n’aurait jamais trop de praticiens spécialisés dans la fabrication de précision. Si elle repartait à l’Île Dormante, elle se cantonnerait à être un artisan de renom destiné à polir de beaux bijoux pour les nobles mais en restant à la Cité Sans Hiver, cette sorcière pourrait, avec ses compagnes, contribuer à faire évoluer la société.