– « Vous reconnaissez à présent que je suis suffisamment qualifiée pour combattre les Diables ? » Demanda Loélia, soudain ragaillardie.

« Je n’en ai jamais douté. Pour tout vous dire, tout le monde finira par être impliqué dans cette guerre colossale, y compris les femmes ordinaires, incapables de tuer un poulet, quand bien même elles formeraient la dernière ligne de défense. Là où je n’étais pas d’accord, c’était sur le fait que vous les affrontiez seule. Sans la présence des sorcières de l’Île Dormante et la Graine de Symbiose de Crépuscule, vous seriez déjà au cimetière. »

– « Cela dit, si je ne m’étais pas avancée aussi profondément dans les Terres Barbares, jamais la Cité Sans Hiver n’aurait su que l’armée des Diables était en route », rétorqua Loélia.

« Même si je vous récompense pour cela, cela ne signifie pas pour autant que je cautionne votre comportement.  Mais ce que j’apprécie le plus, c’est que vous soyez venue avertir la Cité Sans Hiver au lieu de tenter d’affronter seule ces ennemis. Vous me poseriez la question cent fois que je vous donnerais toujours la même réponse : je refuse que vous alliez combattre les Diables toute seule. Du reste, je vais demander aux sentinelles de redoubler de vigilance afin d’éviter que vous ne rentriez un jour plus morte que vive. »

– « Pardon ?! »

– « Ordre du grand chef! » répondit Roland, impassible. « À présent, parlons de votre récompense. »

Loélia s’aperçut alors que Roland avait l’air beaucoup plus sérieux à présent que lorsqu’il lui touchait les oreilles.

– « Très bien », dit-elle.

– « Vous allez pouvoir choisir entre trois types de récompenses », expliqua Roland. « De l’argent, des Boissons du Chaos ou un équipement sur mesure. »  

« Je vois parfaitement ce que sont les deux premières propositions, mais la troisième ? S’agit-il de griffes de fer ou de défenses d’acier que je pourrais utiliser sous ma forme de loup ? J’avais déjà envisagé cela lorsque j’étais encore avec le clan du Feu Ravageur. Mais lorsque je reprends forme humaine, ces armes seraient beaucoup trop lourdes pour moi », pensa la Princesse.   

Elle posa la question à Roland qui répondit aussitôt :

– « À vrai dire, je n’ai pas encore réfléchi à son concept, mais je peux dores et déjà vous dire qu’il s’agira d’une puissante arme à feu capable d’améliorer considérablement vos capacités de combat. Cendres m’a expliqué que vous étiez en mesure de transformer à votre choix certaines parties de votre corps en loup tout en gardant forme humaine. Il paraîtrait que sous cette forme mi-humaine, mi-animale, vous étiez moitié aussi forte qu’une Sorcière du Châtiment Divin, aussi je pense que cet équipement spécialement conçu pour vous conviendra également. »

Loélia se souvint alors des puissantes armes utilisées par la Première Armée contre le Chien de Garde de l’oasis. Foudre aussi en possédait une. Certes, cette arme était impressionnante, mais elle dépendait aussi des compétences de celui qui la maniait. Par ailleurs, elle nécessitait des projectiles spéciaux que seule la Cité Sans Hiver était en mesure de produire. Jamais le grand chef ne lui en donnerait, dans la mesure où il n’avait pas l’intention de la laisser quitter la ville. Or, sans ces projectiles, cette arme à feu ne lui serait d’aucune utilité et servirait seulement de décoration.

Après tout, ce n’était qu’une arme et elle avait davantage foi en ses griffes qu’en une puissance extérieure.  

– « Et si je choisissais de rejoindre l’Association des Sorcières ? » Demanda-t-elle après un petit moment de réflexion.

Roland, qui n’aurait jamais pensé qu’elle prenne cette décision, répondit, surpris :

– « Bien sûr! Mais vous m’aviez dit que… »

– « J’ai changé d’avis », dit la femme-loup en remuant la queue. « L’argent et les Boissons du Chaos ne durent pas éternellement, par ailleurs, je ne possède aucune compétence particulière en dehors de mon aptitude au combat. Aussi je pense qu’il est préférable pour moi de rejoindre l’Association des Sorcières, je pourrai ainsi gagner de l’argent et j’aurai droit à des boissons gratuites tous les mois. Je me trompe ? »

– « Eh bien… c’est vrai, en effet. »

– « De plus, j’ai promis à Foudre et Maggie de les accompagner pour explorer les Terres Barbares. Or, elles sont toutes deux membres de l’association, si j’en fais partie moi-aussi, il me sera plus facile de me joindre à elles. Cela étant, vous ne m’empêcherez pas de me rendre au plus profond des terres sauvages. »

– « En théorie, vous avez raison », répondit Roland. « Mais n’oubliez pas que votre sécurité doit rester votre première priorité. »  

– « Dans ce cas, je choisis cette récompense », déclara Loélia. « Pardonnez-moi d’avoir fait fi de votre bonté. »

– « Comme vous voudrez. »

– « Dois-je signer un contrat ? » Demanda-t-elle, l’air solennel.  

– « Bien sûr! Wendy vous expliquera tout. » Roland se leva : « Je vais demander aux cuisines de vous faire porter quelque chose à manger. Surtout, reposez-vous bien. Vous aurez bien l’occasion de remercier Naela et les autres sorcières. »

Roland parti, Loélia laissa retomber ses oreilles et se recoucha.  En fait, elle n’avait pas tout dit au Roi. Si elle avait décidé de rejoindre l’Association des Sorcières, ce n’était pas par convoitise pour l’argent ou les boissons gratuites.

Comme pour tous les Mojin, les faits étaient plus importants à ses yeux que les paroles. Comme, dès le départ, elle avait douté de la promesse faite par Roland au peuple Mojin, refusant d’accorder sa confiance à un noble originaire d’un royaume du nord, elle avait cru pouvoir un jour retourner au sein du Clan du Feu Ravageur. Lorsque Roland aurait fini par trahir son peuple, elle serait redevenue son ennemie. Par ailleurs, ses remarques lors de leur première rencontre l’avaient vraiment irritée. Jamais elle n’aurait pensé qu’il se montre soucieux d’une Dame Divine issue d’un clan Mojin et même si les conflits opposant son peuple au Roi du nord étaient résolus, elle avait continué à douter.

Cependant, son opinion à son sujet commençait à changer.  

Lorsqu’au cours de la symbiose, les sorcières de l’association lui avaient dit et répété qu’elles avaient demandé de l’aide au Roi et qu’il fallait qu’elle tienne bon jusqu’à l’arrivée de Naela, jamais elle n’aurait cru que le grand chef, occupé qu’il était à récupérer ses terres, ne renverrait la sorcière guérisseuse à la Cité Sans Hiver rien que pour elle.

Dans ses souvenirs, le trajet séparant Ironsand City du Cap Sans Fin était incroyablement long. Or le royaume de Graycastle était beaucoup plus vaste que la Région de l’Extrême Sud. Naela aurait dû mettre entre un ou deux mois pour rentrer à la Cité Sans Hiver.   

Bien qu’en tant que guérisseuse, elle soit de première importance auprès de l’armée, Roland s’était empressé de la renvoyer. Il était donc difficile de douter de sa sincérité.  

Maggie elle-même avait dû voler sans interruption durant trois jours pour faire l’aller-retour entre la Région du Nord et la Cité Sans Hiver. Si le grand chef avait dit vrai, cela signifiait que Naela avait volé à son secours sitôt arrivée. N’importe quel guerrier de la Région de l’Extrême Sud, face à tant de bonté, aurait aussitôt juré allégeance au Seigneur!

Si Loélia ne pouvait être considérée comme une guerrière professionnelle, elle n’en était pas moins une Mojin de pure souche. Or les faits étaient là pour l’inciter à accorder davantage de confiance au “grand chef”.

Roland quitta sa chambre et descendit dans la salle de réception. Sitôt qu’ils l’aperçurent, les gardes ouvrirent les portes et l’assistance se leva à l’arrivé du Roi.

En effet, avant même son retour, Foudre avait apporté à la Cité Sans Hiver son ordre de convocation. Il entra donc dans la salle comble et, tout en jetant un coup d’œil à la ronde, vint prendre place sur le siège réservé au Seigneur.

Cinquante personnes au moins étaient rassemblées en ces lieux, dont les chefs des départements de l’Hôtel de Ville, le commandant de garnison de la Première Armée, les représentantes de l’Association des Sorcières et des Sortilèges de l’Île Dormante, le Gouverneur du District de Longsong et les Sorcières Senior de Taquila. Tous arboraient des expressions différentes, certains visiblement déconcertés par cet ennemi qu’ils ne connaissaient pas, d’autres exprimant leur haine non dissimulée envers les Diables et d’autres encore gardant un air sérieux et solennel.

Qu’ils y soient préparés ou non, la guerre était imminente.