Le visage déjà ridé du personnage squelettique se creusa encore davantage tandis que la lumière verte scintillait dans ses yeux.
« Le premier disciple du Dieu de la Guerre et Linley ? »
De toute évidence, il réfléchissait.
Sans l’aide de Linley, Fain aurait eu grand mal de tuer un seul des neuf experts à la robe d’argent qu’il avait ramenés de la Prison du Plan de Gebados. En effet, tous possédaient la puissance des Premiers Saints et plus l’âme d’un expert était puissante, plus il était difficile de la dominer.
Lord Beyrut en avait éliminé un ? Très bien. Ce dernier, en effet, ne l’inquiétait absolument pas. Cependant, il était contrarié de voir que Fain et Linley venaient d’en tuer deux autres.
« Si je n’étais pas si occupé, je serais venu prendre le contrôle de vos esprits pour mille ou deux mille ans! » Maugréa le sorcier tandis qu’une lueur froide passait dans ses yeux. « Mais étant donnée la situation… »
– « Yale! Venez immédiatement ici! » Ordonna-t-il télépathiquement.
– « j’arrive, Grand Sorcier », répondit l’interpelé qui ne se serait pas risqué à désobéir.
Pour l’heure, Yale séjournait dans l’une des branches du Conglomérat de Dawson située dans une grande vallée au Sud-Ouest de l’Empire Baruch. Comme cet endroit était proche des trois principaux empires, les esclaves pouvaient y être rapidement livrés.
Le Grand Sorcier, lui, vivait dans une zone souterraine secrète au cœur même de la vallée.
Yale, qui était d’une loyauté irréprochable, ne mit pas longtemps à s’y rendre.
– « Grand Sorcier », dit-il en fléchissant le genou.
Le vieil homme inclina posément la tête et, d’un geste de la main, fit apparaître une petite fiole translucide de la taille d’un pouce et l’envoya vers Yale qui la prit respectueusement.
– « Mélangez le liquide contenu dans cette fiole à une carafe de vin. Puis allez trouver Linley et offrez-lui à boire. N’oubliez pas! Il doit à tout prix boire ce vin! »
– « Bien, Grand Sorcier », répondit Yale sans hésiter.
Dans l’ombre, le vieil homme acquiesça :
– « Maintenant, laissez-moi. »
Il regarda partir Yale et soupira intérieurement :
– « En principe, ce Poison Destructeur d’Âme devrait le tuer. Dommage. Quand à Yale, le “coupable”, il mourra aussi car les amis et les proches de Linley ne l’épargneront pas. Je vais devoir trouver, au sein du Conglomérat de Dawson, quelqu’un d’autre à contrôler. »
La nuit était sombre. Assis sur le dos d’un Faucon des Alizés Bleus, Yale filait à toute vitesse en direction du Château du Sang de Dragon, suivi de deux gardes qui chevauchaient des Créatures Magiques volantes.
Tous deux étaient assez perplexes.
– « Pourquoi le Président est-il si pressé ? Nous ne sommes qu’au milieu de la nuit. »
– « Qui sait ? Depuis quelques années, je ne le reconnais plus. Il ne comprend plus la plaisanterie et il est devenu très solennel. »
Tandis que les gardes chuchotaient derrière lui, Yale, le visage froid et impassible, gardait les yeux rivés sur le Nord-Est.
Le lendemain après-midi, le groupe se posa à proximité du château.
– « Nous sommes arrivés », dit Yale en balayant la bâtisse du regard, totalement insensible.
Ce jour-là, au Château du Sang de Dragon, Gates, Wharton, Zassler et les autres étaient très mal à l’aise et plutôt nerveux. En effet, dès son retour, Linley leur avait présenté un rapport détaillé sur l’affaire de la “ville fantôme” et sur les hommes à la robe d’argent.
En apprenant que ceux-ci étaient sous le contrôle d’un expert de niveau Divin, Gates, Zassler et leurs compagnons eurent l’impression qu’une montagne leur écrasait le cœur.
Après le déjeuner, tous allèrent s’asseoir dans les jardins fleuris pour discuter de la situation.
– « Ne vous inquiétez pas outre mesure », dit Linley, qui, voyant l’inquiétude sur le visage des experts, se sentait en devoir de les encourager. « Harry a dit que cette Divinité était bien trop occupée pour s’impliquer dans d’autres affaires. D’ici qu’elle en ait terminé, j’aurai moi-même atteint le niveau Divin. »
– « Mon frère », commença Wharton, extrêmement inquiet, « penses-tu qu’il soit possible que cette Divinité suspende ses activités pour s’occuper de vous ? Et quand bien même tu atteindrais le niveau Divin, te sens tu vraiment capable d’affronter cet expert ? »
Une fois devenu une Divinité, Linley ne serait encore qu’un Demi-Dieu. Or nul ne savait si l’ennemi n’était pas un Dieu à part entière, auquel cas le Guerrier au Sang de Dragon ne pourrait rien changer à la situation.
Si, par contre, c’était un Demi-Dieu, encore fallait-il savoir de quel niveau, car il y avait un énorme fossé entre les Demi-Dieu débutants et ceux ayant atteint un stade de pointe.
Si, à son niveau, Linley pouvait facilement éliminer d’autres Saints d’excellence, il n’était pas exclu qu’un Demi-Dieu de haut niveau puisse, en une ou deux attaques, tuer un débutant.
Voyant le visage de son jeune frère rongé par l’inquiétude, Linley, très ému, comprit ce qui lui traversait l’esprit.
– « Aie confiance en moi », dit-il.
– « Ne vous inquiétez pas trop, Wharton », renchérit Zassler. « Le Dieu de la Guerre et ses compagnons sont censés revenir dans quatre ans. D’ici là, les choses auront changé. Votre frère vous a-t-il jamais laissé tomber ? Vous devriez avoir foi en lui. »
Wharton acquiesça et regarda son aîné. Linley, qui avait tué le Roi de Fenlai, arrêté Haydson et gagné en célébrité au sein de l’Empire O’Brien, était maintenant sur le point d’atteindre le niveau Divin par ses propres moyens.
Il s’attendait donc à le voir venir à bout de son adversaire.
– « J’ai confiance, mon frère » dit-il.
Mais Linley était encore plus confiant. En effet, le temps que cette mystérieuse Divinité n’arrive, Dylin et les autres seraient rentrés. Or ce dernier lui devait une faveur du fait que le Saint lui avait fait don d’une Étincelle Divine. Il ne resterait sans doute pas là à regarder les bras croisés.
Bien entendu, il ne s’agissait que d’aides extérieures.
Les plus grands soutiens de Linley, en effet, étaient Sang Pourpre et l’Anneau Panlong.
Les artefacts divins n’étaient pas tous de puissance égale. Pour exemple, en arrivant au sixième étage de la Nécropole des Dieux, ils étaient tombés sur le Tyran de Feu qui manipulait une Grande Hache. Étant donné que n’importe quel Saint aurait pu tirer pleinement profit des capacités de cette arme, celle-ci était indubitablement un artefact divin de bas niveau.
Plus un artefact divin était difficile à utiliser, plus il était puissant.
Jusqu’à présent, Linley ne pouvait compter que sur la dureté et le tranchant de Sang Pourpre pour se débarrasser de ses adversaires. Il n’était pas encore en mesure d’utiliser certains pouvoirs spécifiques à l’épée, par exemple modifier sa taille comme bon lui semblait.
En effet, l’une des particularités des artefacts divins était de pouvoir se dilater et se contracter à volonté. Mais Linley n’y était pas encore parvenu.
De toute évidence, Sang Pourpre n’était pas un artefact ordinaire. Lorsque son énergie spirituelle était entrée en interaction avec cette terrifiante aura et qu’il avait vu ce signe à travers son épée, le Saint avait aussitôt compris que c’était là un présage de l’extraordinaire pouvoir de cette arme.
Quant à l’anneau Panlong, il le laissait perplexe. Cependant, une chose était certaine. Si, à son niveau, Linley n’était pas encore parvenu à pressentir quoi que ce soit à son sujet, cela signifiait que cet anneau devait être au moins aussi puissant, sinon plus, que Sang Pourpre.
« Lorsque je serai devenu une Divinité, je pourrai enfin contrôler pleinement mes artefacts divins », se dit-il, impatient de découvrir le véritable pouvoir de son épée et de l’anneau Panlong.
Soudain, un garde fit irruption dans les jardins fleuris du Château du Sang de Dragon :
– « Seigneur, le Président du Conglomérat de Dawson vient d’arriver », dit-il en lançant à son maître un bref regard qui reflétait l’adoration.
– « Yale ? » Une lueur passa dans les yeux de Linley : « Vite, vite! Faites-le entrer! », ordonna-t-il, tout joyeux.
En effet, ses trois amis d’enfance étaient aussi précieux pour lui que Wharton, son propre frère.
En entendant prononcer ce nom, son cadet fronça les sourcils :
– « Mon frère, j’ai oublié de te dire qu’il y a cinq ans, Yale est venu nous voir pour nous demander le droit de racheter tous nos prisonniers de guerre. Cena, quoique réticent, a finalement accepté. »
– « Vraiment ? »
Même si Linley ne connaissait pas grand-chose à la gestion d’un empire, il savait pertinemment qu’il ne suffisait pas d’avoir de l’argent pour racheter tous les prisonniers de guerre. « Ce n’est pas très grave. J’en toucherai deux mots au Président Yale », répondit-il d’un ton désinvolte.
Wharton n’ajouta rien. Soudain, un bruit de pas se fit entendre. Aussitôt, Linley se leva pour aller accueillir le visiteur à la porte du jardin arrière. C’était Yale, qui arrivait, tout sourire. Sitôt qu’il aperçut son hôte, son regard s’illumina :
– « Mon frère! Tu te fais rare depuis quelques temps. »
– « J’avais quelque chose d’important à faire! Viens t’asseoir et bavardons », répondit aussitôt Linley. Puis, s’adressant à Wharton et Zassler, il ajouta : « Allez vous reposer un peu. Voilà longtemps que je n’ai pas vu le chef Yale, aussi nous aimerions bavarder un moment. Wharton, pendant que j’y pense, prend les dispositions nécessaires pour organiser un banquet ce soir. Yale restera dîner. »
Au départ, il avait prévu de reprendre l’entraînement sitôt le repas terminé.
– « Très bien », répondit son cadet avant de s’éloigner en compagnie de Gates et des autres experts.
Zassler fronça les sourcils, jeta par deux fois un coup d’œil à Yale et les suivit sans un mot.
Aussitôt, les servantes du château s’empressèrent de leur apporter des coupes et du vin de qualité.
– « Chef, pourquoi voulais-tu racheter tous nos prisonniers de guerre ? » Demanda Linley par simple curiosité.
– « C’est confidentiel », répondit Yale avec un air délibérément mystérieux.
– « Bon Sang! » S’exclama le Saint en riant. « Tu me fais des cachotteries ? À moi ? » Sur ce, il changea de sujet. « Tu tombes bien! Un jour de plus et je n’aurais sans doute pas eu de temps à te consacrer », ajouta-t-il, ému à l’idée que Yale ait pu l’attraper au vol entre deux sessions d’entraînement à huis-clos.
Pour une coïncidence, c’était vraiment une coïncidence!
– « J’avais des affaires à régler dans le coin », répondit Yale en souriant. « En passant près du château, j’ai eu l’idée de venir te voir. Je ne savais pas vraiment si tu serais disponible, mais j’ai tenté ma chance. Hey, quel est ce vin ? » Demanda-t-il en regardant sa coupe.
Linley jeta un coup d’œil à la carafe et secoua la tête en riant :
– « Comment le saurais-je ? Je ne m’y connais pas aussi bien que toi en matière de vins. Mais à mon avis, s’il a été préparé par le personnel du château, il ne devrait pas être mauvais. »
– « Je sais », répondit Yale en souriant à son tour. « Toi, le génie, tu ne perds pas ton temps avec les vins. Tu préfères t’entraîner. Certes, celui-ci n’est pas mauvais, mais on ne peut pas non plus le qualifier d’exquis. J’ai là une bouteille de bon vin que je te propose de déguster avec moi, mon frère. »
Tout en parlant, il tira de son anneau interspatial une petite fiole.
– « Comme elle est petite! »
– « C’est un vin qu’un domaine viticole du Conglomérat de Dawson vient tout juste d’affiner. Une seule goutte de ce breuvage vaut plus de mille fois son pesant d’or. Goute! » Dit-il en versant deux coupes de vin.
Yale leva la coupe, fronça les sourcils et s’efforça à prendre un air peiné :
– « Eh bien, qu’attends-tu, mon frère ? Tu ne veux pas me faire honneur ? »
– « Comment le pourrais-je mon frère ? Tu es le patron! » Répondit Linley en riant. Puis levant sa coupe à son tour, il s’écria : « À ta santé! »
Après l’avoir vidée d’un trait, il s’aperçut que Yale n’avait pas touché à la sienne.
– « Pourquoi ne bois-tu pas ? » Demanda-t-il à Yale d’un ton faussement réprobateur. « Tu exagères! »
Sans un mot, Yale reposa la coupe sur la table et regarda Linley d’un air froid, impassible. Son sourire avait disparu.