Une faible lueur glacée d’un vert évoquant l’océan flottait dans une sombre et froide pièce souterraine où était assis un personnage tout vêtu de noir en posture de méditation. Devant lui se trouvait une boule de cristal de la taille d’un crâne humain qui émettait une lumière vert sombre et autour de laquelle tourbillonnait un puissant flux d’énergie semblable à un brouillard parsemé en son centre de gouttelettes argentées.
Ce cristal d’eau émettait une lueur tout juste suffisante pour éclairer le visage du mystérieux personnage, si vieux qu’on aurait dit qu’il n’avait que de la peau ridée sur les os. Sa silhouette était maigre, presque squelettique et son regard émettait une lueur verdâtre qui lui donnait un air sinistre, aussi glaçant et terrifiant que la lame d’un couteau empoisonné.
Au bout d’un long moment, son regard s’éclaira.
« Que se passe-t-il ? Depuis quand Lord Beyrut a-t-il déclaré que les Dix-Huit Duchés du Nord étaient également interdits ? » Murmura-t-il pour lui-même. « On dirait qu’il entend faire une démonstration de force. Mieux vaut ne pas l’irriter car celui qui s’y risquera aura de grandes chances de finir comme le poulet dont parle le proverbe : « tuer un poulet pour effrayer les singes. »
« Quel dommage que j’aie perdu l’un de mes gardiens à robe d’argent! Mais si le processus de raffinage est un succès, quand bien même je les perdrais tous les neuf, cela en vaut la peine », se dit-il en regardant la boule de cristal comme une vipère avide qui viendrait d’apercevoir sa proie.
Tous les experts du continent Yulan, des Saints de bas niveau aux Divinités en passant par ceux qui s’étaient échappés de la Prison du Plan de Gebados sentirent leur cœur trembler et se glacer en entendant cette voix qui sonnait comme un avertissement.
Beyrut! Roi du continent Yulan depuis les Guerres Apocalyptiques remontant à dix mille ans.
– « C’était certainement la voix du Seigneur Beyrut », dit Fain en fronçant les sourcils. « La veille de son départ pour la Nécropole des Dieux, le Maître m’a dit qu’il lui avait ordonné télépathiquement de ne pas aller semer le trouble dans la Forêt des Ténèbres ni dans les Dix Huit Duchés du Nord. »
Linley hocha légèrement la tête.
Cinq ans auparavant, le Seigneur Beyrut n’avait transmis ces instructions qu’à lui, au Grand Prêtre, au Dieu de la Guerre et après le départ de ce dernier, à Fain.
– « Cette puissante vague d’énergie… a très probablement été générée par les ondes de choc provoquées par Lord Beyrut en tuant un expert qui avait osé entreprendre un massacre dans les Dix-Huit Duchés du Nord », supposa Linley, choqué par la détermination de Lord Beyrut, qui, de toute évidence, n’avait pas l’intention de faire preuve d’une quelconque pitié.
– « Bien, Linley. » Soudain, le regard de Fain s’illumina : « Mais comment des Saints ordinaires peuvent-ils se livrer au massacre avec tant de désinvolture ? Mais dites-moi, vous pensez que ce pourrait-être… ? »
– « Feriez-vous allusion au responsable de ce qui s’est passé dans la “ville fantôme”, à cet expert en robe d’argent ? » Demanda Linley qui avait eu la même pensée.
Fain acquiesça.
– « Si tel est le cas, il a dû anéantir le coupable, ne pensez-vous pas ? »
Linley resta un moment silencieux.
– « Nous ne pouvons en avoir la certitude », répondit-il enfin. « Certes nous avons vu la puissante onde d’énergie générée par le Seigneur Beyrut, mais rien ne nous dit que celui qu’il a tué était cet expert. Et quand bien même ce serait le cas, nous ne savons pas si cet homme agissait seul. »
– « Essayeriez-vous de me dire que… »
Persuadé que le coupable ne pouvait être qu’un Saint animé d’un but bien déterminé, Fain n’avait jamais envisagé la possibilité qu’il puisse y avoir tout un groupe d’experts à la robe d’argent.
Mais Linley, qui avait appris l’existence de “l’église mystérieuse” édifiée au sein de l’Empire Baruch, en était venu à supposer que parmi les experts qui avaient fait leur apparition sur le continent Yulan devaient se trouver des Divinités.
La personne qui avait ouvertement agi dans ces “villes fantômes” l’avait certainement fait à la demande d’un expert de niveau Divin qui disposait de plus d’un subordonné.
À cette pensée, Linley perdit un peu de son assurance :
– « Réfléchir ne nous permettra pas de trouver le coupable », dit-il à Fain. « Que diriez-vous d’aller ensemble à la Forêt des Ténèbres pour nous renseigner ? »
À cette pensée, Fain se sentit nerveux. En effet, en tant que simple Saint, il redoutait le Seigneur Beyrut que même le Dieu de la Guerre révérait.
– « Venez avec moi, tout ira bien », ajouta Linley, plutôt confiant.
Outre sa relation avec Bébé, il était plutôt en bons termes avec Harry, Hart et Harvey, les trois enfants de Beyrut. Par ailleurs, il n’y allait que pour poser des questions.
– « Entendu », acquiesça Fain. « Je vous accompagne. »
Il donna aussitôt ses instructions aux autres membres du groupe du Dieu de la Guerre et accompagné de Linley, s’envola et eut tôt fait de disparaître à l’horizon nocturne. En effet, Fain était extrêmement rapide. Quant à Linley, son entraînement aux “Vérités Profondes de la Vélocité” lui avait permis d’atteindre une vitesse totalement hors normes. »
Bientôt, tous deux arrivèrent à la Forêt des Ténèbres au cœur de laquelle se dressait un château métallique vivant. À cette vue, Linley sentit un froid le parcourir. Cette immense forme de vie métallique était sans doute encore plus puissante que la Reine Mère Lachapelle!
Tous deux se posèrent devant le château. Il faisait nuit noire et on n’entendait aucun son en provenance de l’intérieur.
Fain et Linley se regardèrent.
– « Que faire ? L’appeler d’ici ou entrer ? » Demanda Fain avec un petit sourire amer : « J’ai entendu dire qu’à moins d’avoir la puissance d’une divinité, il est impossible de mettre un pied dans ce château sans que celui-ci ne vous attaque. »
– « Un peu de patience », répondit Linley en riant.
Presqu’aussitôt, un rayon de lumière noire jaillit du château métallique et se posa sur lui.
– « Patron! Comme vous m’avez manqué! Vous voilà enfin! » S’exclama Bébé. Il leva la tête et le fixa de ses petits yeux noirs pleins de surprise et de joie. Cela faisait six ans qu’ils ne s’étaient pas revus.
Linley le serra dans ses bras en riant et se détendit, tout heureux de retrouver la Créature Magique. C’était comme autrefois avec Grand- Père Doehring. Il ne se sentait jamais perdu tant que ce dernier était à ses côtés.
– « Tu m’as manqué toi aussi, Bébé. Où est le Seigneur Beyrut ? »
– « Je n’en ai aucune idée », répondit la Créature Magique en secouant la tête. « Grand-Père Beyrut a quitté le château il y a peu en disant qu’il devait s’absenter quelques jours. Il semblerait qu’il soit parti visiter un autre plan. Il ne devrait pas tarder à rentrer. »
Linley et Fain échangèrent un regard.
Si “Papy Beyrut” n’était pas dans le château métallique, alors qui se trouvait dans les Dix-Huit Duchés du Nord ? À qui appartenait la voix qu’ils avaient entendue ?
Tous deux soupirèrent.
« Le Seigneur Beyrut s’imagine-t-il que les voyages entre les plans sont une forme de tourisme ? » Pensa Linley à qui Hodan, le Surveillant des Plans, avait dit un jour quel prix astronomique il en coûtait pour réintégrer un plan après l’avoir quitté.
Il suffisait de regarder parmi ses ancêtres. Pas un seul des Guerriers au Sang de Dragon qui avaient quitté ce plan n’était revenu.
Mais Beyrut semblait considérer ces voyages interplanaires comme un jeu.
Soudain, une voix retentit tandis qu’un éclair de lumière fusait droit vers les experts pour s’arrêter dans les airs juste devant eux. C’était l’un des trois Rois des Rats Pourpres et Or.
– « Est-ce mon père que vous cherchez ? »
À sa vue, Linley eut un petit rire gêné. Comme les trois Rois des Rats Pourpres et Or étaient absolument identiques, et ce jusqu’à leur aura, il ne pouvait pas savoir à qui il avait à faire.
Comme s’il avait compris le problème, le Roi des Rats se présenta :
– « Je suis Harry », dit-il. « Et je sais pourquoi vous-êtes ici, Linley. »
– « Vraiment ? » Fit ce dernier, surpris car il n’avait encore rien dit.
« Si vous êtes venus tous les deux, c’est sans aucun doute pour régler l’affaire des habitants massacrés dans des villes de vos deux Empires, je me trompe ? Cela s’est également produit dans les Dix-Huit Duchés du Nord, mais nous avons aussitôt éliminé le coupable. »
« Nous ? » Se demanda soudain Linley. « À qui Harry fait-il allusion ? »
– « Puis-je vous demander, Harry, s’il existe d’autres experts à la robe d’argent ? Et pourquoi ont-ils agi ainsi ? » S’enquit Fain.
– « Parce que vous savez qu’il s’agissait d’un expert à la robe d’argent ? » Le Roi des Rats était un peu surpris. « Très bien. Ils sont neuf au total », répondit-il. « Et ils agissent à la demande d’un expert de niveau Divin. »
Linley fut surpris de constater à quel point Harry était bien renseigné.
Ainsi, il ne s’était pas trompé! Derrière cette affaire se cachait bien une Divinité.
Les deux experts en furent contrariés, car même si Linley n’avait aucune peine à tuer bon nombre de Saints, il n’en allait pas de même face à une Divinité, aussi éloignée d’un Saint que le ciel pouvait l’être de la terre.
– « Qu’allons-nous faire ? » Demanda, Fain, complètement pris au dépourvu.
Le Dieu de la Guerre étant toujours dans la Nécropole des Dieux, comment lui, qui n’était qu’un Saint, allait-il pouvoir affronter un expert de niveau Divin ?
– « Oh, ne vous inquiétez pas pour ça », répondit Harry. « Nous avons déjà tué l’un de ces neuf experts, quant aux huit autres, ils sont dispersés en plusieurs endroits, à l’exception de deux d’entre eux qui sont ensemble au sein de l’Empire Baruch. »
– « Comment ?! »
Linley eut aussitôt un mauvais pressentiment. Que mijotaient donc ces deux experts au sein de son empire ?
– « Oui », répondit Harry avec un petit rire, « et je suis sûr qu’ils ne vont pas tarder à massacrer une autre ville. »
Étant une Créature Magique, il n’avait que faire de voir une cité humaine détruite, l’humanité étant une toute autre espèce.
– « Dans quelle ville se trouvent-ils, Harry ? » Demanda Linley qui commençait à se sentir nerveux.
– « Parce que vous avez l’intention de vous charger d’eux ? » Fain était vraiment inquiet. « Mais c’est impossible! Vous n’avez pas entendu ce que vient de dire Harry ? Ils sont aux ordres d’une Divinité. »
– « Ne vous inquiétez pas, je sais qu’il y a longtemps, cet expert de niveau Divin a été grièvement blessé. Il ne se laissera pas provoquer si facilement. Par ailleurs, il est occupé à régler une affaire importante, aussi n’aura-t-il pas le temps de se préoccuper de vous », dit Bébé avec un petit rire.
Harry hocha sa petite tête.
– « C’est exact. Allez donc tuer ces deux hommes en robe d’argent. Qu’auriez-vous à craindre ? Personne ne saura que c’est vous qui l’avez fait. »
Linley et Fain se mirent à rire.
En effet, s’ils étaient suffisamment discrets pour que la Divinité ne sache pas immédiatement qu’ils étaient les auteurs de ce meurtre, comment pourrait-elle le découvrir par la suite ?
– « D’accord, Harry. Où sont ces deux hommes ? » Demanda Linley.
– « Hé hé, voilà qui va un peu nous divertir », gloussa la Créature Magique en révélant deux belles rangées de crocs blancs et tranchants. « Ne vous inquiétez pas, je vais vous y conduire. Contentez-vous de me suivre, tous les deux. » Dit Harry.
Sur ce, il se transforma en un rayon de lumière pourpre et or, et prit la direction du Sud. Sa voix résonna dans la forêt :
– « Suivez-moi! Dépêchez-vous! »
Un Bébé tout excité sur les épaules, Linley décolla, suivi de Fain.
« Comment se fait-il qu’Harry en sache autant sur cette affaire ? » Se demanda le Guerrier au Sang de Dragon, perplexe. « Si Bébé et lui affirment que le Seigneur Beyrut a quitté le continent Yulan, a qui était la voix que nous avons entendue ? Cette Créature Magique a l’air bien informée sur la situation de ces Divinités et de ces hommes à la robe d’argent. »
Il se souvint alors de l’Étincelle Divine de niveau Demi-Dieu que Délia et lui avaient reçue en cadeau de mariage.
Par ailleurs, Beyrut était en charge de la Nécropole des Dieux.
« Plus j’y pense et plus je trouve Beyrut et son clan mystérieux », pensa Linley en regardant Harry voler avec enthousiasme devant lui. Puis il se mit à rire intérieurement : « Mais après tout, pourquoi se poser tant de questions ? Tout mystérieux qu’il soit, Beyrut est notre ami et non notre ennemi. »