Roland regarda Garcia :
– « Mais c’est… »
– « Un ascenseur en effet », répondit-elle fièrement. « Dans un moment, vous allez voir. »
Elle avait à peine terminé sa phrase que le voyant situé près de la fenêtre passa du rouge au vert, suite à quoi les rideaux se levèrent automatiquement, leur permettant de voir ce qui se passait dehors.
Roland comprit immédiatement la raison de sa fierté. Le bus était stationné sur une immense plaque de fer, entourée de murs de béton sur lesquels étaient peints des signaux jaunes et noirs et où s’inséraient cinq ou six rails métalliques qui émettaient en continu un bruit d’engrenages.
Ils empruntaient un tunnel où chaque niveau était indiqué par d’éblouissants projecteurs et d’énormes chiffres. En quelques minutes, ils étaient déjà à plus de cent mètres sous terre et continuaient à descendre.
Roland regarda tourner les gyrophares orange disposés à chaque extrémité de la plaque de fer. Il se serait cru dans un film de science-fiction. Ce système était beaucoup plus sophistiqué que l’entrée de la Troisième Ville Frontalière, très désuète avec ses cordes de chanvre et ses machines à vapeur.
Il fut aussitôt rempli de respect pour cette organisation qui avait su construire un tel système.
Cependant, ils n’y seraient pas parvenus s’ils n’étaient soutenus par un pouvoir économique et politique substantiel.
À cet égard, la fierté de Garcia n’était guère surprenante.
Les Éveillés au caractère étrange, totalement stupéfaits devant ce spectacle, discutaient en regardant par la fenêtre. On aurait dit qu’ils cherchaient à connaître la profondeur de la cachette.
« Très malin », se dit Roland.
Si les rideaux étaient restés fermés jusque-là, c’était sans doute pour que les nouveaux arrivants ne puissent connaître l’emplacement précis du quartier général. Mais une fois sous terre, ces précautions n’étant plus nécessaires, l’association pouvait donc laisser les gens admirer ce projet spectaculaire, preuve de sa puissance.
Il se demanda si Line, qui les suivait, parviendrait à s’y infiltrer.
Lorsqu’ils parvinrent au niveau 235, la plaque de fer s’arrêta enfin et ils aperçurent plusieurs cavités dans les murs. Le bus redémarra et emprunta l’un des passages.
Pour un court trajet cette fois.
Arrivés à destination, Roland descendit du bus à la suite de Garcia. Une vaste place souterraine s’étalait devant lui, éclairée de puissants projecteurs. On aurait pu se croire à la lumière du jour et sans le trajet qui avait précédé, il lui aurait été difficile d’imaginer qu’il se trouvait des centaines de mètres sous terre. Au centre de la place se dressait une sculpture qui, à première vue, évoquait une main tenant un polyèdre irrégulier et près de laquelle étaient garés d’autres bus. De toute évidence, ils n’étaient pas les seuls nouveaux venus.
– « Ces gens viennent-ils d’autres villes ? » Demanda Roland en désignant la foule qui entourait la sculpture.
Garcia acquiesça d’un signe de tête :
– « L’association possède de nombreuses divisions, mais seulement deux quartiers généraux situés aux seuls endroits où il est possible d’entrer en contact avec l’Érosion. »
Roland en resta un moment stupéfait :
– « L’érosion du monde extérieur… Peut-on la voir directement d’ici ? »
– « Non seulement vous pouvez la voir, mais également la toucher, même si je suis certaine que vous ne voudriez jamais le faire », répondit Garcia qui, lui lançant un regard noir, ajouta : « Pensiez-vous que notre association n’était qu’un culte qui demandait aux gens de combattre le mal ? Si nous emmenons les nouvelles recrues visiter le siège, c’est pour leur permettre de voir le réel danger auquel est confronté le monde. En effet, il y a des choses que nul ne pourrait croire s’il ne le voyait de ses yeux. La catastrophe est imminente. »
Soudain, les lumières s’éteignirent, plongeant tout l’espace dans l’obscurité et tous les regards se tournèrent vers le centre de la place. Comme lorsque le rideau s’ouvre sur scène, deux rayons de lumière jaillirent du dôme, l’un éclairant la sculpture et l’autre une dame vêtue de noir.
Agée d’environ trente ans, elle se tenait debout sur une estrade d’un côté de la place. Elle portait la tenue classique des pratiquants d’Arts Martiaux et ses longs cheveux noirs étaient attachés. L’un de ses yeux, visiblement endommagé, était dissimulé sous un bandeau. Apparemment, dans le Monde des Rêves, la Force de la Nature, qui touchait aussi bien les hommes que les femmes, n’avait pas le même effet sur l’apparence physique que le pouvoir magique. Quoique petite et en tout semblable à une personne ordinaire, cette femme en imposait par son attitude.
Elle agita la main en direction de la foule :
– « Bonjour, chers Éveillés. Mon nom est Lan, et je suis le Disciple en Chef des Défenseurs du Rocher. Je vous souhaite la bienvenue à la Cité du Prisme! »
« La Cité du Prisme ? Fait-elle allusion au polyèdre de la sculpture ? » Se demanda Roland.
Il entendit des murmures qui montaient du groupe des martialistes sauvages, visiblement peu satisfaits de ce qu’ils venaient d’entendre.
Mais avant même qu’il n’ait pu interroger Garcia, Lan reprit :
– « En Principe, l’accueil de nos nouveaux étudiants est une responsabilité qui incombe aux Défenseurs. Mais malheureusement, il y a eu quelques problèmes à la Cité Céleste et mon maître ainsi que trois autres défenseurs sont partis depuis deux jours. Pour ne pas perdre de temps, c’est donc moi qui vous recevrai aujourd’hui. »
« Je sais que certains d’entre vous, qui sont éveillés depuis de nombreuses années, ne s’attendent pas à être traités comme des nouveaux venus. Cependant, la situation a radicalement changé. Si vous avez accepté de venir ici, cela signifie que vous reconnaissez les talents de l’association et, bien entendu, que vous êtes disposés à oublier temporairement le passé et à faire de la lutte contre les Déchus votre priorité. L’association n’a que faire de savoir qui vous êtes ni quel était jusqu’ici votre statut. Ce qui l’intéresse, ce sont vos performances à venir. Plus la situation est critique, plus les Éveillés doivent s’unir. Si vous n’êtes pas d’accord avec les pratiques de l’association, vous êtes libres de partir. »
À ces mots, la femme vêtue de noir fit un geste de la main, mais personne parmi l’assistance ne bougea. Le bruit des discussions fit place au silence.
– « Ce Disciple en Chef est très habile », souligna Roland avec un sourire.
En effet, les Déchus étant en nombre croissant, les Éveillés sauvages en danger d’extinction n’avaient plus d’autre choix que de devenir membre de l’Association, qui qu’ils aient pu être par le passé. En faisant mine de leur laisser le choix, Lan savait pertinemment qu’ils ne l’avaient pas.
La force étant l’un des principaux atouts de persuasion, le meilleur moyen pour l’Association Martialiste chargée de la protection d’autrui était de démontrer la sienne.
Garcia, qui depuis un moment regardait Roland avec un air perplexe, lui dit :
« Cette femme est mon maître. »
– « Pardon ? Votre Maître ? »
Roland était stupéfait.
– « C’est elle, la supérieure dont je vous ai parlé l’autre jour », soupira Garcia. « À moins d’une nécessité, je vous conseille de ne pas trop l’approcher. Par ailleurs, Lan déteste les personnes irresponsables et non ponctuelles. »
– « C’était donc ça », pensa Roland.
– « Puisque vous avez tous fait votre choix, l’association souhaite la bienvenue au sang nouveau. » Elle balaya l’assistance du regard et hocha la tête, satisfaite. « Je ne vais pas vous faire un long discours, car rien n’est plus impressionnant que l’expérience personnelle. À présent, suivez-moi et voyez de vos propres yeux la catastrophe qui menace le monde. Vous allez vite vous rendre compte que la Bataille de la Divine Volonté approche! »