Devant ce regard audacieux, le cœur de Loélia se serra.
La Princesse savait parfaitement à quoi elle ressemblait. Elle avait entendu tant de gens à Ironsand City la traiter discrètement de monstre lycanthrope, de semi-humaine, de maudite. Mais c’était toujours lorsqu’elle avait le dos tourné car personne n’aurait osé lui parler ouvertement de la sorte, craignant de porter atteinte à la dignité de la troisième fille du chef.
Cependant, n’étant plus dans son pays ni sous la protection du clan du Feu Ravageur, elle devait désormais affronter seule ces remarques acerbes.
– « Vos oreilles et votre queue… sont-elles authentiques ? » Laissa échapper le chef après un moment d’hésitation ? Est-ce naturel ou faites-vous appel à la magie pour conserver cette apparence ? »
Loélia se mordit la lèvre et repoussa ses cheveux en arrière, révélant un côté de son visage : l’endroit où aurait normalement dû se trouver son oreille humaine était lisse.
– « Je suis consciente que tout ceci est très étrange », dit-elle. « Mais c’est là ma véritable apparence et je ne peux rien y faire. Je ne veux pas vous cacher mes imperfections, mais si vous y tenez, je m’efforcerai d’éviter les lieux publics afin de ne pas effrayer les gens. »
Bien que Loélia ait décidé depuis longtemps de s’accepter, elle ressentait toujours un sentiment d’infériorité lorsqu’on la questionnait. Si les Mojin considéraient généralement les Dames Divines comme des créatures puissantes, belles et jouissant de l’admiration de tous les guerriers, ce n’était malheureusement pas son cas.
Depuis son Éveil, elle était laissée de côté et le fait que même son propre clan doute de sa légitimité avait poussé son père à faire d’elle son héritière.
Dès lors, Loélia se consacrait à l’entraînement physique, s’efforçant d’ignorer ces rumeurs, mais comment rester insensible lorsque tant de gens vous montrent du doigt ?
Certes, elle s’attendait à ce genre de situation, cependant, la jeune femme n’était pas de celles à se laisser arrêter par les difficultés sur la voie qu’elle avait choisie. Elle se souvient alors de son rêve, de cette route de sable qui lui indiquait le chemin à prendre et se redressa fièrement.
– « Pourquoi donc parlez-vous d’étrangeté ? » Demanda le chef.
Loélia, qui s’était préparée à entendre des réflexions acerbes, demeura un instant interdite.
– « Pardon ? Mais parce que… »
– « Parce que vos oreilles n’ont pas une apparence humaine ? » Coupa Roland en haussant les épaules. « Les gens ordinaires n’ont pas votre pouvoir magique. Par ailleurs, cela n’affecte ni votre audition ni votre mobilité. Pourquoi les considérez-vous comme une tare ? C’est simplement l’une de vos caractéristiques, et très intéressante de surcroît. Ne trouvez-vous pas qu’elles sont plutôt jolies ? »
Le chef n’avait pas plutôt prononcé ces paroles que Loélia entendit une voix de femme chuchoter très bas derrière lui :
– « Votre Majesté, surveillez vos paroles. »
Mais elle était trop absorbée par ce qu’il venait de dire pour penser à autre chose.
Jolies ? C’était un terme qu’elle n’aurait jamais osé utiliser lorsqu’il s’agissait d’elle. Durant un moment, son courage s’évanouit tandis que le rouge lui montait aux joues.
Que répondre à cela ?
Comment une femme qui n’était qu’à moitié humaine pouvait-elle être jolie ?
– « Quoi qu’il en soit », reprit Roland, « je ne vous demande pas de cacher votre visage ou de porter une capuche en public… Vous êtes libre de faire tout ce que vous voudrez. Au départ, il y aura peut-être des gens pour vous montrer du doigt ou vous regarder avec curiosité mais ne vous inquiétez pas, ils finiront pas s’y habituer. Soraya pourrait, par exemple, créer un livret illustré à votre sujet et vous pourriez aussi jouer dans une pièce de théâtre avec la troupe Star Flower. Vous deviendriez célèbre et ce serait le moyen le plus rapide de vous faire connaître auprès du public. »
Submergée par ces termes inconnus, Loélia demeura figée sur place, incapable de proférer un son. Mais heureusement pour elle, le Roi changea de sujet :
– « Cendres m’a dit que vous étiez venue ici pour combattre les Diables ? »
– « Et aussi pour m’entraîner, Votre Majesté », répondit la femme-loup, soulagée. « J’ai entendu dire qu’il y avait dans cette ville une sorcière appelée Naela capable de traiter n’importe quelle blessure de guerre. Vous n’êtes pas sans savoir que le rêve de tout guerrier est d’acquérir le plus possible d’expérience au combat sans avoir à craindre d’être blessé. Il va de soi qu’outre le fait de lutter contre vos ennemis, je prendrai à ma charge tous les frais médicaux engagés. »
– « Je vois », acquiesça Roland. « Si vous êtes prête à rejoindre l’Association des Sorcières, vous aurez de grandes chances de vous battre… »
– « Je préfèrerais agir seule, Votre Majesté », interrompit doucement Loélia. « Comme les mercenaires, je tiens à rester concentrée sur le combat et ne veux pas me disperser. »
Evidemment, ce n’était là qu’une excuse, Loélia désirant en savoir davantage sur les royaumes du nord avant de faire alliance avec le chef. En effet, elle était membre du Peuple des Sables et si jamais Roland ne tenait pas les promesses qu’il avait faites sur la Terre de Feu, son peuple parti pour le sud romprait toute relation avec Graycastle et le Roi deviendrait alors son ennemi. C’était une décision qu’elle ne pouvait pas prendre à la légère.
Roland réfléchit quelques instants :
– « Dans ce cas… », répondit-il en écartant les mains dans un geste de regret, « je ne puis donner suite à votre requête. »
– « Et pourquoi cela ? » Demanda la Princesse, surprise.
En effet, qui ne voudrait pas d’un mercenaire doté d’excellentes capacités de combat, disposé à offrir ses services gratuitement et qui plus est, à prendre en charge tous les frais médicaux!
Nul homme sensé ne déclinerait une offre aussi généreuse.
– « Parce que nous allons être confrontés à une véritable guerre. Il ne s’agit plus de petits conflits entre clans. »
Parce qu’il considérait les combats du Peuple des Sables comme un jeu ? Loélia, outrée par ces propos insultants, sentit le sang lui monter à la tête.
Sa queue de loup se tendit et elle s’apprêtait à rétorquer lorsque soudain, le Roi changea de sujet.
– « Puisque vous avez combattu avec Cendres, dites-moi un peu ce que vous en pensez. »
Réprimant sa colère, la femme-loup répondit :
– « Elle est très puissante. Dans la Région de l’Extrême Sud, elle serait considérée comme une guerrière de premier ordre. »
– « C’est parce que c’est une Extraordinaire », répondit calmement Roland. « Mais il existe aussi des Transcendantes dont la puissance est nettement supérieure. Elles ont totalement transcendé les limites du corps humain et possèdent un pouvoir inconcevable. Si vous préférez, plus rien ne peut empêcher leur évolution. »
« Des… Transcendantes ? » Les paroles de Roland retinrent toute l’attention de Loélia. Quelle devait-être leur puissance pour que Cendres elle-même les admire ? »
– « Cependant, trois Transcendantes, des dizaines d’Extraordinaires et des milliers de sorcières de combat n’ont pas suffi à arrêter les Diables qui ont causé en une nuit l’effondrement d’un grand empire. Maintenant, c’est à notre tour », expliqua le chef avec des mots qui la touchèrent au plus profond de son cœur. « La raison pour laquelle j’ai décliné votre offre est très simple : la guerre qui nous attend est un affrontement entre deux civilisations dont l’issue sera fatale à l’une ou à l’autre, et non plus un duel entre deux guerriers. Aussi forte que vous puissiez être, les actions individuelles sont vouées à l’échec…. Et surtout, je ne voudrais pas que vous y laissiez la vie. »